Tribunal administratif N° 38725 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 novembre 2016 1re chambre Audience publique extraordinaire du 14 juillet 2017 Recours formé par Monsieur …, …, contre des décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 38725 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 18 novembre 2016 par Maître Faisal Quraishi, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Albanie), demeurant à …, tendant, d’une part, à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 18 octobre 2016 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale, et, d’autre part, à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 4 janvier 2017 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Faisal Quraishi et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline Jacques en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 12 juin 2017.
Le 8 décembre 2015, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, entretemps abrogée par la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Les déclarations de Monsieur … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, dans un rapport du même jour.
Les 2 mai, 1er juin, 11 juillet et 4 août 2016, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
Par décision du 18 octobre 2016, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée envoyée le lendemain, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », résuma les déclarations de Monsieur … auprès de la direction de l’Immigration comme suit : « […] II résulte de vos déclarations que vous avez quitté votre pays d’origine en raison de votre orientation sexuelle qui vous aurait valu des difficultés avec votre famille, des agressions et des menaces.
Ayant pris connaissance de votre orientation sexuelle vers 2004-2005, les membres de votre famille auraient eu des difficultés à vous accepter et vos cousins auraient suggéré que «C’est mieux de se débarrasser de lui, parce que sinon, on va tous souffrir» (page 4/22 du rapport d’entretien). De plus, votre père vous aurait une fois enfermé dans votre chambre et il vous aurait menacé de l’incendier. Grâce à l’intervention d’un voisin, la police serait venue et vous aurait sorti de la chambre. En plus, vous affirmez que des membres de votre famille et d’autre villageois vous auraient empêché de vous rendre à l’église en raison de votre orientation sexuelle et vous faites état d’agressions pendant votre scolarité. Vous ajoutez que vous auriez quitté le foyer familial âgé de quinze ans et que vous auriez par moments vécu dans la rue, respectivement loué un appartement. « A partir de seize ans, je suis parti définitivement de l’Albanie ».
En outre, vous affirmez qu’un groupe de 6 à 7 personnes qui seraient des « gens du quartier » (page 5/22 du rapport d’entretien) vous auraient agressé et blessé au bras avec un couteau quand vous auriez eu seize ou dix-sept ans ; vous précisez qu’« ils m’ont laissé là parce qu’ils avaient pensé que j’étais mort » (page 5/22 du rapport d’entretien).
En 2007, lors d’un autre incident, des personnes non autrement identifiées que vous qualifiez « d’amis » (page 13/22 du rapport d’entretien) vous auraient kidnappé et laissé dans une forêt. Vous indiquez que vous vous seriez adressé à la police « mais j’ai vu qu’ils se sont moqués de moi » (page 4/22 du rapport d’entretien).
II convient de noter que tous ces incidents auraient, d’après vos dires, eu lieu avant ou en 2007 et que vous n’avez pas fait l’objet du moindre incident lors de vos dernières visites en Albanie. En 2007, vous auriez quitté votre pays d’origine pour aller en Grèce. Vous y auriez travaillé au noir, tout comme en Italie et en Belgique, pays dans lequel vous auriez vécu entre 2013 et 2014. Vous confirmez avoir été transféré par les autorités belges vers votre pays d’origine et vous ne faites pas état de problèmes rencontrés en Albanie. Vous précisez avoir déposé une demande de protection internationale au Luxembourg parce que vous vous seriez retrouvé sans papiers en Belgique et que vous n’auriez pas voulu être de nouveau rapatrié vers l’Albanie.
Quant à la possibilité d’une fuite interne, vous invoquez que l’Albanie serait un petit pays.
Notons encore que, d’après vos dires, vous auriez invoqué des faux motifs économiques lors de votre première demande de protection internationale déposée en Belgique et que les autorités belges ne vous auraient plus cru quand vous auriez par la suite invoqué votre orientation sexuelle pour fonder votre demande de protection internationale.
Enfin, il ressort du rapport d’entretien qu’il n’y a plus d’autres faits à invoquer au sujet de votre demande de protection internationale et aux déclarations faites dans ce contexte. […] ». Le ministre informa Monsieur … que sa demande de protection internationale avait été refusée comme étant non fondée sur base des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.
Le ministre estima que les raisons qui auraient amené Monsieur … à quitter son pays d’origine ne seraient pas motivées par un des critères de fond définis par la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et le Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par le règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après désigné par « la Convention de Genève », et par la loi du 18 décembre 2015, tout en émettant des doutes quant à la crédibilité de son récit. Il constata plus particulièrement des contradictions dans le récit de Monsieur … s’agissant du moment de son départ de son pays d’origine, ainsi que des problèmes rencontrés par lui en raison de son orientation sexuelle, orientation sexuelle qui fut, par ailleurs, encore contestée.
D’autre part, le ministre estima que, même à supposer le récit de Monsieur … établi, les craintes qu’il exprimerait traduiraient un sentiment général d’insécurité plutôt qu’en une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève et de la loi du 18 décembre 2015, tout en soulignant que le dernier incident daterait de 2007.
Il constata, par ailleurs, que l’ensemble des faits invoqués par Monsieur … auraient été commis par des personnes privées, en l’occurrence, d’une part, par son père et, d’autre part, par des personnes non autrement identifiées dont la motivation ne serait toutefois pas connue, de sorte qu’il ne serait pas non plus établi que les agressions invoquées à cet égard et imputables à un groupe de personnes non identifiées auraient été perpétrées en raison de son orientation sexuelle.
Par ailleurs, même à supposer que les incidents relatés aient un caractère homophobe, le ministre releva les progrès réalisés au niveau de la législation albanaise en matière de protection des personnes homosexuelles1.
A cela s’ajouterait le fait que les agressions et menaces de mort dont il aurait été victime seraient constitutives de délits relevant du droit commun, punissables selon la loi albanaise. Dans la mesure où les faits invoqués auraient été commis par des personnes privées une crainte fondée de persécution ne pourrait être invoquée que si Monsieur … établissait que les autorités de son pays d’origine étaient restées en défaut de lui fournir une protection adéquate contre les agissements allégués, ce qui ne serait toutefois pas le cas en l’espèce, alors qu’il aurait lui-même déclaré que la police appelée sur les lieux se serait déplacée pour venir à son secours.
Tout en notant que Monsieur … aurait eu la possibilité de s’adresser à l’Inspection de la police2 s’il n’avait pas été satisfait du comportement des agents de police auxquels il se serait adressé, le ministre releva plus particulièrement les efforts de sensibilisation des forces de l’ordre au sujet de la communauté LGBTI (Lesbian, Gay, Bisexual, Trans and Intersex people)3.
Le ministre donna ensuite à considérer que la situation de la communauté LGBTI se serait sensiblement améliorée en Albanie4 et que, par ailleurs, l’Albanie figurerait sur la liste 1Littauer, Dan, Albania passes landmark gay hate crime laws, 5 mai 2013, http://www.gaystamews.conearticle/albania-passes-landmark-gay-hate-crime-laws050513.
2 UK Home Office, Country Information and Guidance Albania: Sexual orientation and gender identity, 13 octobre 2014, http://www.ecoinet/file_upload/1226_1413196991_cig-albania-sexual-orientation-and-gender-
identity-2014-10-13-v-1-0.pdf.
3 International LGBTI Association, Annual review of the Human Rights Situation of Lesbian, Gay, Bisexual, Trans and Intersex people - 2013: Albania, Mai 2013, http://www.refworld.org/docid/5195fl0f0.htm1.
4European Commission, Albania 2013 progress report, Octobre 2013, http://ec.europa.eu/enlargement/pdf/key_documents/2013/package/al_rapport_2013.pdf.
de pays d’origine sûrs fixée par un règlement grand-ducal du 21 décembre 2007.
Le ministre ajouta que Monsieur … n’aurait présenté aucune raison valable pour justifier son impossibilité de s’installer dans une autre partie de son pays d’origine afin d’échapper aux difficultés y rencontrées.
Il conclut que les faits allégués par Monsieur … ne pourraient pas, à eux-seuls, établir dans son chef une crainte fondée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses convictions politiques et que, par conséquent, il ne remplirait pas les conditions permettant de se voir octroyer le statut de réfugié.
Finalement, le ministre estima que le récit de Monsieur … ne contiendrait pas non plus de motifs sérieux et avérés permettant de croire qu’il courrait un risque réel et sérieux de subir les atteintes graves définies à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015.
En conséquence, il constata que le séjour de Monsieur … sur le territoire luxembourgeois était illégal et lui enjoignit de quitter ledit territoire dans un délai de trente jours.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 18 novembre 2016, Monsieur … a fait introduire un recours tendant, d’une part, à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du ministre du 18 octobre 2016 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et, d’autre part, à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.
Avant tout progrès en cause, le tribunal relève que si certes il lui est demandé d’ordonner à la partie étatique de produire « l’ensemble des pièces remises par le soussigné et qui figurent au récépissé contresigné par ses services », le demandeur reste cependant en défaut de préciser concrètement de quelles pièces il s’agit et, a fortiori, de verser aux débats le récépissé contresigné par les services du ministère dont il est question, de sorte qu’il est impossible au tribunal d’identifier les pièces qui ne figureraient pas au dossier administratif versé aux débats par la partie étatique, étant relevé, à cet égard, qu’en principe, l’administration doit verser, spontanément, le dossier administratif intégral contenant toutes les pièces relatives à l’acte attaqué. Partant, la demande afférente est à rejeter pour ne pas être fondée.
1) Quant au recours visant la décision du ministre portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation dirigé contre la décision du ministre du 18 octobre 2016, telle que déférée.
Le recours en réformation sous analyse est dès lors recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.
Pink Embassy, 1st ever LGBT Pride held in Albania, 17 mai 2014, http://www.pinIcembassy.allen/lst-ever-Igbt-
pride-held-albania.
Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
A l’appui de son recours et en fait, Monsieur … explique qu’il aurait eu des difficultés dans son pays d’origine avec des membres de sa famille et des personnes inconnues en raison de son orientation sexuelle. Il expose plus particulièrement le fait que les membres de sa famille auraient essayé de se « débarrasser définitivement » de lui, son père aurait ainsi voulu l’incendier et des personnes de son village l’auraient même empêché d’aller à l’école ou encore à l’église. Il aurait, en effet, été exclu de toute vie sociale et ce, uniquement en raison de son orientation sexuelle. Il explique encore que des personnes de son village auraient tenté de l’assassiner dans la rue et que des personnes non autrement identifiées l’auraient même kidnappé pour le « laisser mourir » dans une forêt.
Le demandeur se réfère ensuite à un « rapport récent de l’European Social Survey (ESS) », - non autrement précisé -, pour soutenir que l’Albanie serait le pays le plus homophobe des Etats européens. Il insiste sur le fait que son orientation sexuelle poserait manifestement un problème dans son milieu de vie en Albanie, étant donné que l’homosexualité y serait considérée comme étant une déviance sexuelle maladive non acceptée par la population albanaise. Ainsi, même si l’homosexualité n’était pas punissable, cette orientation sexuelle ne serait pas reconnue par la population albanaise. Il s’appuie à cet égard sur un extrait du rapport de la commission des réfugiés au Canada concernant les minorités sexuelles en Albanie pour en conclure que, même s’il pouvait être admis que l’Albanie a fait des progrès, il y aurait lieu de relativiser la situation puisque les quelques normes législatives entrées en vigueur ne changeraient pas la mentalité du pays.
Le demandeur est encore d’avis que les prétendus progrès ne seraient qu’un moyen pour le gouvernement albanais de justifier son acte de candidature à l’Union européenne sans que la population ni les responsables politiques ne soient prêts à accepter socialement les personnes homosexuelles. Le refus d’accepter l’égalité et l’orientation sexuelle des personnes homosexuelles se ferait ainsi non seulement sentir au sein de la population albanaise, mais également au sein de la classe politique qui les rejetterait de manière officielle, le demandeur relevant à cet égard que la gay parade qui aurait dû se tenir à Tirana en 2012 aurait été annulée suite à des manifestations de particuliers et de politiques élus. D’après les activistes du milieu homosexuel en Albanie, le « coming out » entraînerait pour les personnes homosexuelles « une mort sociale », ainsi que l’exclusion de la cellule familiale.
Le demandeur estime ensuite que, dans la mesure où l’Albanie ne respecterait pas les droits quant à l’orientation sexuelle de ses ressortissants, respectivement qu’elle ne veillerait pas au respect des droits de la communauté homosexuelle, il ne saurait raisonnablement lui être demandé de retourner y vivre pour y rester cloîtré chez lui.
En droit, le demandeur fait valoir que la décision ministérielle portant refus de lui accorder l’un des statuts conférés par la protection internationale serait entachée d’illégalité au motif qu’il remplirait les conditions prévues par la loi du 18 décembre 2015 pour obtenir soit le statut de réfugié, soit celui conféré par la protection subsidiaire, ce d’autant plus que ses affirmations quant aux évènements qu’il déclare avoir subis n’auraient pas été utilement critiquées par le ministre, de sorte à devoir être considérées comme étant établies. En effet, le ministre n’aurait aucun élément laissant planer des doutes quant à son orientation sexuelle hormis des éléments peu convaincants tels que sa page facebook.
Ensuite, le demandeur reproche, en substance, au ministre d’avoir basé sa décision sur un examen superficiel et insuffisant des faits de l’espèce, respectivement d’avoir procédé à une analyse erronée de ces mêmes faits. La décision ministérielle du 18 octobre 2016 devrait dès lors être réformée pour violation de la loi, sinon pour abus de droit ou erreur manifeste d’appréciation des faits. En effet, contrairement aux conclusions retenues par le ministre, les insultes, les violences, les menaces et la tentative d’homicide dont il aurait été victime en raison de son orientation sexuelle, établiraient à suffisance dans son chef une crainte fondée de persécution. Le ministre n’aurait plus particulièrement pas tiré les conséquences qui s’imposeraient du fait des discriminations, des violences et de la tentative d’homicide dont il aurait été victime en raison de son orientation sexuelle, ce d’autant plus au vu de l’absence de protection de la part des autorités albanaises face à de tels agissements.
Le demandeur estime dès lors qu’un retour en Albanie l’exposerait à des violences, injures, insultes, discriminations, sinon à des traitements inhumains et dégradants dans un laps de temps plus ou moins court. Au vu de son récit, il ferait dès lors non seulement état de l’existence dans son chef d’une crainte suffisante pour se voir reconnaître le statut de réfugié, mais également celui conféré par la protection subsidiaire.
Le délégué du gouvernement soutient, quant à lui, que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et conclut au rejet du recours.
Aux termes de l’article 2 b) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « demande de protection internationale » se définit comme correspondant à une demande visant à obtenir le statut de réfugié, respectivement celui conféré par la protection subsidiaire.
La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de ladite loi comme étant «tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […]».
Force est au tribunal de constater que la notion de « réfugié » implique nécessairement des persécutions ou à tout le moins un risque de persécution dans le pays d’origine.
Par ailleurs, l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015 dispose « (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1 A de la Convention de Genève doivent :
a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l'homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d'une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). ».
Finalement, aux termes de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 : « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être :
a) l’Etat ;
b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;
c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves. », et aux termes de l’article 40 de la même loi : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:
a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.
(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. (…) ».
L’octroi du statut de réfugié est donc notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs que dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.
Ces conditions devant être réunies cumulativement, le fait que l’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.
Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ dans son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, les persécutions antérieures d’ores et déjà subies instaurent une présomption réfragable que de telles persécutions se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine aux termes de l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015, de sorte que, dans cette hypothèse, il appartient au ministre de démontrer qu’il existe de bonnes raisons que de telles persécutions ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra porter en définitive sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté qu’il encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.
En l’espèce, indépendamment de la crédibilité du récit du demandeur, l’examen des faits et motifs invoqués par le demandeur à l’appui de sa demande de protection internationale dans le cadre de ses auditions, ainsi qu’au cours de la procédure contentieuse et des pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure qu’il reste en défaut d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle fondée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social susceptible de lui ouvrir droit au statut de réfugié au sens de la Convention de Genève et de la loi du 18 décembre 2015.
En effet, en ce qui concerne les maltraitances que le demandeur déclare avoir subies de la part de son père lorsqu’il avait quinze ans, aussi condamnables qu’elles puissent être, elles ne sauraient toutefois justifier dans le chef de Monsieur …, qui est entretemps devenu majeur, une crainte actuelle et fondée de subir de nouveau des maltraitances de la part de son père en cas de retour dans son pays d’origine. En effet, le tribunal est amené à retenir que dans la mesure où le demandeur est entretemps majeur et qu’il peut subvenir à ses propres besoins sans avoir à vivre au domicile familial, il est raisonnable de penser que les agissements dont il fait état ne vont plus se reproduire, de sorte que sa crainte y relative est purement hypothétique et qu’il ne saurait faire valoir un risque réel et avéré de s’exposer de ce fait à des traitements inhumains ou dégradants en cas de retour en Albanie.
Quant aux agressions et menaces dont il déclare avoir fait l’objet de la part de personnes de son village dans les années 2005/2006, ainsi que l’enlèvement qu’il déclare avoir subi en 2007 de la part de personnes non autrement identifiées, le demandeur ne faisant que supposer que ces personnes auraient agit sur instigation d’un membre de sa famille, force est de prime abord au tribunal de relever que l’ensemble de ces évènements a eu lieu lorsque Monsieur … était encore mineur d’âge. Si ces incidents sont certes condamnables, le tribunal est toutefois amené à relever qu’il est peu probable que tant d’années plupart, à savoir 10 ans après le dernier incident relaté par Monsieur …, ce dernier rencontre de nouveau des problèmes avec ces mêmes personnes, et ce, d’autant plus, qu’il n’a pas fait état de nouveaux incidents s’étant produits quand il est retourné à plusieurs occasions en Albanie.
Le tribunal est dès lors amené à retenir que la crainte du demandeur de subir de nouveau de telles atteintes de la part de ces mêmes personnes se résume en réalité en un sentiment général d’insécurité respectivement en une crainte hypothétique.
Dès lors, l’analyse du tribunal devra porter sur la question de savoir si le demandeur risque à l’heure actuelle, en raison de son orientation sexuelle des persécutions, en cas de retour dans son pays d’origine.
A cet égard, en ce qui concerne l’invocation par le demandeur de la situation générale prétendument difficile des personnes homosexuelles en Albanie qui se traduirait notamment par les difficultés rencontrées par celles-ci pour se voir accorder une protection de la part des autorités policières, le tribunal constate, au regard de sources internationales citées tant par le demandeur que par la partie étatique, que la législation albanaise a connu une évolution positive à l’égard de la communauté homosexuelle avec, en 2010, le vote d’une loi anti-
discrimination, et, en 2013, le rajout dans le code pénal d’une circonstance aggravante pour des atteintes commises, entre autres, en raison de l’orientation sexuelle de la victime de l’infraction, ainsi qu’avec l’adoption d’une loi sanctionnant toute forme de diffusion d’informations ou de matériel homophobes par une peine d’amende et d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à deux ans, ces dispositions renforçant ainsi les droits et libertés des membres de la communauté homosexuelle. En termes de protection de ces droits et libertés, il ressort desdites sources, d’une part, que ces dernières années, le gouvernement albanais a soutenu la communauté homosexuelle et a condamné toute atteinte commise à leur encontre, les personnes faisant partie de la communauté homosexuelle ayant pu exprimer leur appartenance sexuelle publiquement lors d’une parade « gay pride » en 2014 soutenue par le gouvernement albanais, et, d’autre part, que la police albanaise a été sensibilisée au sujet de la situation légale de la communauté homosexuelle.
Ce constat n’est en tout état de cause pas valablement infirmé par les éléments apportés par le demandeur. En effet, les rapports sur lesquels le demandeur se base, s’ils font certes état d’actes de violence dirigés contre des membres de la communauté homosexuelle et au sens large de la communauté LGBTI albanaise, il y a lieu de constater qu’il s’agissait d’actes isolés s’étant pour le surplus déroulés entre 2010 et 2013, et donc pour la plupart avant le changement législatif opéré au niveau du Code pénal albanais, de sorte que ces rapports ne reflètent pas nécessairement la situation de la communauté LGBTI telle qu’elle existe actuellement en Albanie. Le même constat s’impose d’ailleurs en ce qui concerne les agissements dont lui-même déclare avoir été victime de la part des personnes inconnues entre 2004 et 2007.
Par ailleurs, la Cour administrative5 a encore récemment retenu que s’il ne peut jamais être totalement exclu que, malgré l’évolution positive de l’attitude du gouvernement albanais à l’égard de la communauté LGBTI et la volonté des autorités albanaises à créer un climat de tolérance et un système de protection efficace, les membres de la communauté homosexuelle en Albanie, tout comme d’ailleurs dans tout autre pays respectueux des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, soient victimes d’agressions et de menaces, il n’appert toutefois pas que, de manière générale, la situation de la communauté LGBTI en Albanie soit telle que ses membres soient systématiquement confrontés à des actes homophobes ou discriminatoires, respectivement que, lorsque tel est le cas, ils ne puissent pas obtenir une protection des autorités albanaises contre ces actes.
La crainte du demandeur doit dès lors plutôt s’analyser en un sentiment général d’insécurité qu’en une crainte fondée de persécutions au sens de la Convention de Genève.
Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, c’est à bon droit que le ministre a rejeté la demande en obtention du statut de réfugié présentée par le demandeur comme étant non fondée, de sorte que le recours du demandeur est, pour autant qu’il est dirigé contre le refus ministériel de lui accorder le statut de réfugié, à rejeter.
En ce qui concerne la demande en obtention d’une protection subsidiaire, aux termes de l’article 2 g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».
L’article 48 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains 5 Cour adm. 30 mai 2017, n° 39381C, disponible sur www.ja.etat.lu ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48 précité de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 48, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi, étant rappelé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.
Par ailleurs, l’article 2 g), précité, définissant la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d’origine « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015 instaure une présomption réfragable que les atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits qu’il avance, du risque réel de subir des atteintes graves que le demandeur encourt en cas de retour dans son pays d’origine.
Le tribunal constate d’abord qu’à l’appui de sa demande de protection subsidiaire, le demandeur invoque en substance les mêmes motifs que ceux qui sont à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.
Ensuite, il y a plus particulièrement lieu de relever que le demandeur n’allègue pas risquer de subir la peine de mort ou l’exécution au sens de l’article 48 a) de la loi du 18 décembre 2015, ni d’être soumis à la torture au sens du point b) du même article, ni encore craindre des menaces graves et individuelles contre sa vie ou sa personne en raison d’une violence aveugle en cas de conflit interne ou international au sens du point c) du même article.
En revanche, il soutient qu’il risquerait des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants dans son pays d’origine en raison de son orientation sexuelle.
Or, tel que cela a été retenu ci-avant au sujet de sa demande de reconnaissance du statut de réfugié, Monsieur … ne fait état que d’une crainte purement hypothétique de faire l’objet de traitements inhumains et dégradants en cas de retour dans son pays d’origine, de sorte qu’il y a lieu de retenir qu’il ne saurait faire valoir, sur base des mêmes évènements et arguments, un risque réel et avéré de subir les atteintes graves au sens de l’article 48 précité.
Il s’ensuit qu’en l’absence d’autres éléments, c’est à juste titre que le ministre a retenu que le demandeur n’a pas fait état de motifs sérieux et avérés permettant de croire qu’il courrait le risque de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 et qu’il lui a dès lors refusé l’octroi d’une protection subsidiaire au sens de l’article 2 g) de ladite loi.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.
C’est dès lors à bon droit que le ministre a rejeté comme étant non fondée la demande tendant à l’obtention du statut conféré par la protection internationale prise en son double volet telle que présentée par le demandeur.
2. Quant au recours visant l’ordre de quitter le territoire A l’audience des plaidoiries, le tribunal a soulevé d’office la question de la recevabilité du recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire étant donné que suivant la requête introductive d’instance, le demandeur a déclaré introduire un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, alors que l’article 35 paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre une telle décision.
S’il est admis que dans une matière dans laquelle la loi a institué un recours en réformation, comme cela est le cas en l’espèce, le demandeur peut conclure à la seule annulation de la décision attaquée, le recours étant dans cette hypothèse néanmoins recevable dans la mesure où le demandeur se borne à indiquer des moyens de légalité et à condition d’observer les règles de procédure spéciale pouvant être prévues et les délais dans lesquels le recours doit être introduit6, force est toutefois de constater qu’en l’espèce, le demandeur a, suivant les termes de la requête introductive d’instance, déclaré introduire un recours en annulation contre la décision litigieuse sans autre précision et plus particulièrement sans qu’il n’ait clarifié ses intentions en ce sens qu’il ait, le cas échéant, entendu se limiter à invoquer des moyens de légalité dans le cadre du recours en réformation prévu par la loi. Si le mandataire du demandeur a déclaré à l’audience des plaidoiries vouloir limiter son recours à des moyens d’annulation, force est de constater que non seulement il n’a pas indiqué quels moyens d’annulation il entend soulever, mais encore la requête ne contient aucune référence à une telle volonté de limiter le recours à des moyens d’annulation dans le cadre du recours en réformation prévu par la loi. Dès lors, il y a lieu de suivre les termes de la requête introductive d’instance et d’admettre que le demandeur a entendu introduire un recours en annulation, recours qui doit dès lors être déclaré comme étant irrecevable, la loi du 18 décembre 2015 prévoyant en son article 35, paragraphe (1) un recours en réformation contre l’ordre de quitter le territoire.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit en la forme le recours principal en réformation introduit contre la décision ministérielle du 18 octobre 2016 portant rejet d’un statut de protection internationale dans le chef de Monsieur … ;
au fond, déclare le recours principal en réformation non justifié et en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation introduit contre la décision ministérielle du 18 octobre 2016 portant rejet d’un statut de protection internationale dans le chef de Monsieur … ;
6 Trib. adm. 3 mars 1997, n°9693 du rôle, Pas. adm. 2016, V° Recours en réformation, n°2.
déclare irrecevable le recours en annulation introduit contre l’ordre de quitter le territoire ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par :
Annick Braun, vice-président, Alexandra Castegnaro, premier juge, Emina Softic, attaché de justice, et lu à l’audience publique extraordinaire du 14 juillet 2017 par le vice-président en présence du greffier Michèle Hoffmann.
s. Michèle Hoffmann s. Annick Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 14/7/2017 Le Greffier du Tribunal administratif 12