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14/07/2017 | LUXEMBOURG | N°38573

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 14 juillet 2017, 38573


Tribunal administratif Numéro 38573 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 octobre 2016 4e chambre Audience publique du 14 juillet 2017 Recours formé par Monsieur …, …, contre quatre décisions du ministre de l'Immigration et de l'Asile en matière de police des étrangers

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 38573 du rôle et déposée le 13 octobre 2016 au greffe du tribunal administratif par Maître Maria Ana Real Geraldo Dias, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à …

(Guinée), de nationalité portugaise, demeurant à L- …, tendant à l’annulation de quatr...

Tribunal administratif Numéro 38573 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 octobre 2016 4e chambre Audience publique du 14 juillet 2017 Recours formé par Monsieur …, …, contre quatre décisions du ministre de l'Immigration et de l'Asile en matière de police des étrangers

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 38573 du rôle et déposée le 13 octobre 2016 au greffe du tribunal administratif par Maître Maria Ana Real Geraldo Dias, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Guinée), de nationalité portugaise, demeurant à L- …, tendant à l’annulation de quatre décisions du ministre de l'Immigration et de l'Asile du 27 juillet 2016 portant rejet de sa demande tendant à l’obtention d’un visa longue durée en vue d’un regroupement familial dans le chef de sa fille… et de ses trois petits-enfants, …, … et…, tous de nationalité guinéenne ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 10 janvier 2017 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 10 février 2017 par Maître Maria Ana Real Geraldo Dias au nom de son mandant ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Florence Remouchamps, en remplacement de Maître Maria Ana Real Geraldo Dias, et Monsieur le délégué du gouvernement Yves Huberty en leurs plaidoiries respectives.

Le 9 septembre 2011, Monsieur…, de nationalité portugaise, déposa une déclaration d’enregistrement d’un citoyen de l’Union européenne en tant que travailleur salarié.

Par décision du 10 juin 2013, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration accorda une autorisation de séjour, sur base d’un regroupement familial, à Madame…, née le …, de nationalité guinéenne, fille de Monsieur ….

Une première demande de Monsieur …, introduite en date du 26 juin 2015, en obtention d’un visa long séjour en vue d’un regroupement familial dans le chef de sa fille…, née le … à … et de ses petits-enfants…, né le … à …,…, née le … à …, ainsi que …, né le … à …, tous de nationalité guinéenne, fut refusée par le ministre de l’Immigration et de l’Asile, entretemps en charge du dossier, dénommé ci-après « le ministre », par quatre décisions du 11 septembre 2015, confirmées le 7 janvier 2016, suite à un recours gracieux de la part de Monsieur … introduit en date du 26 octobre 2015.

Par un courrier de son litismandataire du 4 mai 2016, Monsieur … introduisit auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes une nouvelle demande en obtention d’un visa long séjour en vue d’un regroupement familial dans le chef de sa fille… et de ses trois petits-

enfants.

Par une décision du 27 juillet 2016, le ministre rejeta cette demande par rapport à Madame… aux motifs suivants :

« (…) J'ai l'honneur d'accuser bonne réception de votre courrier qui m'est parvenu en date du 9 mai 2016 reprenant l'objet sous rubrique.

Je suis toutefois au regret de vous informer que je ne suis pas en mesure de faire droit à votre requête.

En effet, conformément à l'article 12, paragraphe (1), point c) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration, sont considérés comme membres de famille du citoyen de l'Union, les descendants directs et les descendants directs du conjoint ou du partenaire visé au point b) de la même loi, qui sont âgés de moins de 21 ans ou qui sont à sa charge.

Or, force est de constater que Madame… est âgée de plus de 21 ans et qu'il n'est pas établi qu'elle est à la charge de votre mandant. En effet, Madame…, destinataire de seulement deux virements effectués en octobre et novembre 2015, ne peut pas être considérée comme se trouvant dans une situation de dépendance réelle et structurelle envers votre mandant avant la demande de regroupement familial.

Au vu de ce qui précède, Madame … ne peut donc pas bénéficier du droit de séjour de membre de famille d'un citoyen de l'Union.

À titre subsidiaire, Madame … n'apporte aucune preuve qu'elle satisfait aux conditions fixées à l'article 12, paragraphe (2) de la loi du 29 août 2008 précitée afin d'être considérée comme membre de famille d'un citoyen de l'Union.

À titre tout à fait subsidiaire, il n'est pas prouvé qu'elle remplit les conditions afin d'obtenir une autorisation de séjour dont les catégories sont fixées à l'article 38 de la loi du 29 août 2008 précitée.

Par conséquent, l'autorisation de séjour lui est refusée en application de l'article 101, paragraphe (1), point 1. de la loi du 29 août 2008 précitée. (…) ».

Par trois autres décisions du même jour, le ministre rejeta encore lesdites demandes en ce qu’elles ont été introduites dans le chef des petits-enfants de Monsieur …, à savoir…,… et …, en précisant notamment que « (…) la petite-fille [respectivement : le petit-fils] n’est pas à considérer comme membre de famille aux termes de l’article 12, paragraphes (1) et (2) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration étant donné qu’elle [ou il] n’est pas un descendant ou ascendant direct.

Par conséquent elle [respectivement : il] n’a pas de droit de séjour en tant que membre de famille d’un citoyen de l’Union au sens de l’article 12, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 précitée.

À titre subsidiaire, elle [respectivement : il] n'apporte aucune preuve qu'elle [respectivement : il] satisfait aux conditions fixées à l'article 12, paragraphe (2) de la loi du 29 août 2008 précitée afin d'être considérée [respectivement : considéré] comme membre de famille d'un citoyen de l'Union.

À titre tout à fait subsidiaire, elle [respectivement : il] n'apporte pas la preuve qu'elle [respectivement : il] remplit les conditions afin d'obtenir une autorisation de séjour dont les catégories sont fixées à l'article 38 de la loi du 29 août 2008 précitée. (…) ».

Par requête déposée en date du 13 octobre 2016, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à l’annulation des décisions ministérielles précitées du 27 juillet 2016 portant refus de sa demande en obtention d’un visa longue durée en vue d’un regroupement familial dans le chef de sa fille et de ses petits-enfants.

Aucune disposition légale ne prévoyant un recours en réformation en matière de refus d’un visa longue durée en vue d’un regroupement familial, respectivement d’une autorisation de séjour, l’article 113 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, dénommée ci-après « la loi du 29 août 2008 », prévoyant, au contraire, expressément un recours en annulation pour les décisions de refus de séjour, le tribunal administratif est valablement saisi du recours en annulation introduit contre les décisions de refus du ministre du 27 juillet 2016, recours qui est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours et en fait, le demandeur rappelle qu’il serait le père de Madame… qui vivrait actuellement en Guinée avec ses trois enfants dans une situation d'extrême pauvreté, alors que le mari de cette dernière, Monsieur…, aussi père des trois enfants précités et qui serait subvenu seul aux besoins de la famille, serait décédé en date du 3 septembre 2014.

Il donne à considérer qu’il aurait joint, à sa demande, l'attestation de prise en charge dûment complétée à l’égard de sa fille, de même qu’il aurait apporté la preuve du besoin financier dans lequel cette dernière se trouverait par le biais du certificat d'indigence établi par les autorités guinéennes en date du 31 juillet 2015, ainsi que par la preuve des transferts d'argent entre lui et sa fille. Il précise qu’il ne serait pas en mesure de fournir d'autres preuves de versements bancaires compte tenu de la difficulté à adresser des « mandats cash » en Guinée, de sorte que le frère du mari décédé de sa fille, Monsieur…, servirait d'intermédiaire pour transmettre, chaque mois, de l'argent à sa fille, conformément à la déclaration de ce dernier du 6 septembre 2016.

Dans son mémoire en réplique, le demandeur précise qu’il serait marié à Madame …, née le …, à … (Guinée …), ayant également obtenu une autorisation de séjour au Luxembourg, et que les quatre enfants issus de leur union, à savoir,…,… et les jumeaux ….

et… vivraient actuellement tous au Luxembourg auprès de lui.

En droit, le demandeur conclut à l’annulation des décisions déférées pour violation de l'article 12 (1) c) de la loi du 29 août 2008, alors que, selon une jurisprudence constante du tribunal administratif, pour déterminer si un descendant âgé de plus de 21 ans est à considérer comme étant à charge, il conviendrait de vérifier s'il se trouve dans une situation de dépendance réelle vis-à-vis du citoyen de l'Union qu'il entend rejoindre, en ce sens que le soutien matériel fourni est nécessaire pour subvenir aux besoins essentiels dans le pays d'origine du descendant, ce qui, en l’espèce, serait le cas pour… qui, depuis le décès de son mari, vivrait dans une situation financière extrêmement précaire et de grande pauvreté, de sorte qu'elle ne serait plus en mesure de subvenir seule aux besoins de ses trois enfants mineurs, tel qu’il résulterait d’ailleurs du certificat d'indigence établi par les autorités judiciaires de la République de Guinée en date du 31 juillet 2015, attestant expressément que Madame… ne disposerait pas de ressources suffisantes pour subvenir à ses besoins et à ceux de ses trois enfants et que Madame… et ses trois enfants seraient pris en charge par lui, en ce qui concerne leurs frais de nourriture, d'entretien et d'éducation.

D’après le demandeur, ledit certificat serait de nature à établir la situation de dépendance réelle dans laquelle se trouverait sa fille,… qui, depuis le décès de son mari, demeurerait, ensemble avec ses trois enfants, également isolée d’un point de vue social dans son pays d'origine, la grand-mère de cette dernière, Madame…, étant également décédée en avril 2015, sans préjudice quant à la date exacte.

Le demandeur souligne qu’il aurait déjà apporté la preuve de son soutien financier à l'égard de sa fille et de sa famille en 2012, quand il aurait effectué un versement en date du 9 novembre 2012 d'un montant de 320,- euros à l’attention de Monsieur…, ancien mari de cette dernière, les deux ayant vécu à l’époque en Guinée-Bissau.

De plus le demandeur affirme avoir également transféré à sa fille notamment la somme de 200,- euros en date du 2 octobre 2015 et le montant de 214,- euros en date du 28 novembre 2015 et que Monsieur… aurait été chargé de faire l'intermédiaire entre lui et sa fille afin de remettre à cette dernière de manière régulière de l'argent liquide de sa part, à hauteur de 150,-

euros par mois, depuis le décès de Monsieur….

Le demandeur invoque qu’il ne serait pas pertinent de relever, comme le ferait la partie gouvernementale qu’eu égard à la circonstance qu’il aurait vécu séparé de sa fille depuis longtemps, les liens avec sa fille seraient distendus depuis plusieurs années du fait qu’il n'y aurait plus de vie familiale, d’autant plus qu’une telle argumentation s'analyserait en une ingérence injustifiée dans sa vie privée.

Il fait valoir, dans ce contexte, que le but du regroupement familial serait de reconstituer l'unité familiale, avec impossibilité corrélative pour les intéressés de s'installer et de mener une vie familiale normale dans un autre pays et que la notion de famille sur laquelle reposerait l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, dénommée ci-après « la CEDH », inclurait, même en l'absence de cohabitation, le lien entre une personne et son enfant, que ce dernier soit légitime ou naturel, liens qui ne pourraient être considérés comme étant brisés que dans des circonstances exceptionnelles.

Il donne à considérer, que même si en l'espèce, il aurait immigré au Portugal en vue de trouver du travail puis se serait installé au Luxembourg, il aurait toujours veillé à entretenir des liens réguliers avec sa fille….

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours, en estimant que les arguments et développements du recours seraient particulièrement peu étoffés.

Il estime que ce serait à bon droit que le ministre a estimé que Madame… ne répondrait pas aux conditions de l'article 12 (1) c de la loi du 29 août 2008, étant donné qu'elle serait âgée de plus de 21 ans et qu'elle ne serait pas à considérer comme étant à la charge du demandeur, soulignant à cet effet que sur les cinq pièces versées à cet égard, deux pièces seulement démontreraient le transfert de sommes d'argent à Madame…, alors qu’un autre transfert serait trop ancien et d’autres effectués au profit d’inconnus. De plus, les versements datés de 2015 seraient visiblement sporadiques et ne sauraient démontrer que Madame… et ses enfants seraient véritablement à charge du demandeur.

Concernant l'attestation de témoignage de Monsieur…, le délégué du gouvernement soulève que cette dernière n'indiquerait pas depuis quand les versements du demandeur auraient été faits et qu’elle serait insuffisante pour démontrer que Madame… et ses enfants seraient véritablement à charge du demandeur, ni depuis combien de temps.

Il relève qu'en matière d'immigration, le droit au regroupement familial serait reconnu s'il existe des attaches suffisamment fortes avec l'Etat dans lequel le noyau familial entend s'installer, consistant en des obstacles rendant difficile de quitter ledit Etat ou s'il existe des obstacles rendant difficile de s'installer dans l'Etat d'origine, sans que l'article 8 CEDH ne saurait cependant s'interpréter comme comportant, pour un Etat contractant, l'obligation générale de respecter le choix par les membres d'une famille de leur domicile commun et d'accepter l'installation d'un membre non national d'une famille dans le pays, alors que l'article 8 CEDH ne garantirait pas le droit de choisir le lieu le plus approprié pour développer une vie familiale et qu’il faudrait des raisons convaincantes pour qu'un droit de séjour puisse être fondé sur cette disposition.

Afin d'interpréter la notion de personne « à charge », il conviendrait, d’après le délégué du gouvernement, de se référer aux travaux parlementaires de la loi du 29 août 2008, et plus particulièrement au commentaire des articles, dans lequel les auteurs de la loi auraient relevé que la notion d'« être à charge » au sens de l'article 12 de la loi du 29 août 2008, s’entendrait comme « le fait pour le membre de la famille d'un ressortissant communautaire établi dans un autre Etat membre au sens de l'article 43 CE, de nécessiter le soutien matériel de ce ressortissant ou de son conjoint afin de subvenir à ses besoins essentiels dans l'Etat d'origine ou de provenance de ce membre de la famille au moment où il demande à rejoindre ledit ressortissant, la preuve de la nécessité d'un soutien matériel pouvant être faite par tout moyen approprié, sans que le seul engagement de prendre en charge ce même membre de la famille, émanant du ressortissant communautaire ou de son conjoint ne puisse être regardé comme établissant l'existence d'une situation de dépendance réelle de celui-ci ».

La partie gouvernementale renvoie dans ce contexte à un jugement du tribunal administratif du 5 décembre 2012 qui aurait précisé la notion de « personne à charge » au sens de l'article 12, en soulignant que cette notion serait à entendre en ce sens que le membre de la famille désireux de bénéficier d'un regroupement familial dans le cadre de l'article 12 de la loi du 29 août 2008 devrait avoir besoin du soutien matériel du regroupant à un tel point qu’il devrait être nécessaire pour subvenir aux besoins essentiels dans le pays d'origine de l'intéressé. Dans cette optique, la nécessité d'un soutien matériel devrait nécessairement avoir existé avant l'introduction de la demande, de manière à ce que l'examen de la condition de nécessité vise par la force des choses la situation antérieure à l'introduction de la demande telle qu'elle se présentait, alors que le ressortissant d'un Etat tiers se trouvait encore dans son pays d'origine.

Le délégué du gouvernement souligne que Madame… aurait vécu séparée du demandeur depuis longtemps, celui-ci s'étant vraisemblablement installé au Portugal depuis la fin des années 1990, de sorte que les liens entre lui et cette dernière se seraient distendus depuis plusieurs années, et ce, même si elle avait gardé le contact avec ses parents. Ainsi, le fait qu’il n'y aurait plus eu de vie familiale entre ces personnes depuis cette époque-là, ne plaiderait pas non plus en faveur de l'existence d'un soutien matériel nécessaire aux besoins essentiels de Madame… de la part de ses parents. Il relève, à ce titre, que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme retiendrait qu’il n'y aurait pas de vie familiale entre parents et enfants adultes, à moins qu'ils ne puissent apporter la preuve d'éléments de dépendance supplémentaires, de sorte que le ministre aurait, avec raison, estimé que les conditions de l'article 12 (1) c) ne seraient pas remplies en n’accordant pas le regroupement familial. De même, c'est avec raison que le ministre aurait considéré que les conditions de l'article 38 de la loi du 29 août 2008 précitée ne seraient pas remplies et n'aurait, en conséquence, pas accordé d'autorisation de séjour comme membres de famille à Madame… et à ses enfants.

Aux termes de l’article 12, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 : « Sont considérés comme membres de la famille : (…) c) les descendants directs et les descendants directs du conjoint ou du partenaire visé au point b) qui sont âgés de moins de 21 ans ou qui sont à charge (…) ».

Les conditions du droit de séjour des membres de la famille d’un ressortissant de l’Union européenne sont énumérées à l’article 13 de la loi du 29 août 2008 en vertu duquel :

« (1) Sans préjudice des dispositions concernant les documents de voyage applicables aux contrôles aux frontières, telles qu’elles résultent de conventions internationales et de la réglementation communautaire, les membres de la famille définis à l’article 12, qui sont ressortissants d’un pays tiers et qui accompagnent ou rejoignent le citoyen de l’Union, ont le droit d’entrer sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg et d’y séjourner pour une période allant jusqu’à trois mois s’ils sont munis d’un passeport en cours de validité et le cas échéant du visa requis pour l’entrée sur le territoire. » et à l’article 15 de la même loi aux termes duquel « (1) Pour un séjour d’une durée supérieure à trois mois, les membres de la famille du citoyen de l’Union doivent soit se faire enregistrer, s’ils sont eux-mêmes citoyens de l’Union, soit, s’ils sont ressortissants d’un pays tiers, faire une demande de carte de séjour, dans les trois mois suivant leur arrivée, auprès de l’administration communale du lieu de leur résidence, d’après les modalités à déterminer par règlement grand-ducal, et ce sans préjudice des réglementations existantes en matière de registre de la population. ».

Il se dégage des dispositions qui précèdent que l’octroi d’une autorisation de séjour aux fins d’un regroupement familial d’un membre de famille d’un ressortissant de l’Union européenne est conditionné, dans le chef du membre de la famille faisant l’objet du regroupement tel que visé à l’article 12 précité, par la circonstance d’être à la charge du regroupant.

En l’espèce, il n’est pas contesté que le demandeur est de nationalité portugaise et demeure au Luxembourg, de sorte que Madame… est à considérer comme descendante directe d’un citoyen de l’Union européenne au sens de l’article 12, paragraphe (1), point c) de la loi du 29 août 2008.

Les parties sont toutefois en désaccord sur la question de savoir si Madame… est à considérer comme étant « à charge » du demandeur au sens de l’article 12 précité, alors qu’elle est âgée de plus de 21 ans.

En ce qui concerne la question de savoir si Madame… est à charge de son père, le demandeur, il convient de relever que l’article 12 de la loi du 29 août 2008 se limite à imposer que le descendant, âgé de plus de 21 ans, y visé soit « à charge », sans autrement préciser la portée exacte de cette notion que ce soit quant au degré de dépendance financière requis ou encore quant au moment auquel il convient d’avoir égard pour déterminer si l’intéressé est réputé être à charge. Afin d’interpréter la notion de descendant « à charge », il convient de se référer notamment aux travaux parlementaires de la loi du 29 août 2008 selon lesquels on entend par « être à charge » « le fait pour le membre de la famille d’un ressortissant communautaire établi dans un autre Etat membre au sens de l’article 43 CE, de nécessiter le soutien matériel de ce ressortissant ou de son conjoint afin de subvenir à ses besoins essentiels dans l’Etat d’origine ou de provenance de ce membre de la famille au moment où il demande à rejoindre ledit ressortissant (…). La preuve de la nécessité d’un soutien matériel peut être faite par tout moyen approprié, alors que le seul engagement de prendre en charge ce même membre de la famille, émanant du ressortissant communautaire ou de son conjoint, peut ne pas être regardé comme établissant l’existence d’une situation de dépendance réelle de celui-ci (CJCE du 9 janvier 2007, affaire C-1-05). 1».

Il en résulte que la notion de « à charge » est à entendre en ce sens que le membre de la famille désireux de bénéficier d’un regroupement familial dans le cadre de l’article 12 de la loi du 29 août 2008 doit avoir besoin du soutien matériel du regroupant à un tel point que le soutien matériel fourni est nécessaire pour subvenir aux besoins essentiels dans le pays d’origine de l’intéressé, ou de son état de provenance.

En ce qui concerne le moment auquel il convient d’avoir égard pour apprécier si le regroupé se trouve dans une situation de dépendance pour être considéré « à charge » au sens de l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2004/38/CE, la Cour de justice de l’Union européenne2 a relevé que l’objectif de cette disposition consiste, ainsi qu’il découle du considérant 6 de cette directive, à « maintenir l’unité de la famille au sens large du terme », en favorisant même l’entrée et le séjour des personnes qui ne sont pas incluses dans la définition de membre de la famille d’un citoyen de l’Union contenue à l’article 2, point 2, de la directive 2004/38/CE, mais qui entretiennent néanmoins avec un citoyen de l’Union des liens familiaux étroits et stables en raison de circonstances factuelles spécifiques, telles qu’une dépendance économique, une appartenance au ménage ou des raisons de santé graves.

Tout en admettant que de tels liens peuvent exister sans que le membre de la famille du citoyen de l’Union ait séjourné dans le même État que ce citoyen ou ait été à la charge de ce dernier peu de temps avant ou au moment où celui-ci s’est installé dans l’État d’accueil, la Cour de justice a souligné que la situation de dépendance doit en revanche exister au moment où il demande à rejoindre le citoyen de l’Union dont il est à la charge.

A ce titre, force est de constater qu’il n’est d’abord pas contesté que, depuis qu’elle est veuve, à savoir depuis septembre 2014, Madame… est seule à devoir s’occuper de ses trois enfants nés en 2009, 2011, respectivement 2014.

1 Doc. parl. N°5802, commentaire des articles, p.61 2 CJUE, arrêt de la Grande Chambre du 5 septembre 2012, numéro C-83/11 du rôle.

Il ressort ensuite du certificat d’indigence, non autrement critiqué, émis par la justice guinéenne, que Madame… ne dispose pas de ressources suffisantes pour subvenir à ses besoins, ainsi qu’à ceux de ses enfants, et que c’est le demandeur qui prend en charge leurs frais de nourriture, d’entretien et d’éducation. Il en ressort également qu’elle n’a pas de logement propre à elle.

Ce constat est encore corroboré par le témoignage, non valablement contesté sur ce point, de Monsieur … le frère de son époux décédé, qui atteste, en septembre 2016, recevoir chaque mois la somme de 150 euros de la part du demandeur aux fins de la continuer à Madame… qui était également bénéficiaire de transferts d’argent directs en provenance de son père, préalablement à l’intervention de Monsieur….

Il résulte de l’ensemble de ces pièces que, si Madame … n’a peut-être pas été à charge du demandeur du temps que son époux était encore en vie, la situation a néanmoins changé depuis le décès de ce dernier, de sorte qu’au jour de la demande de regroupement familial, elle était - et demeure encore - tributaire de l’aide financière de son père pour couvrir les frais incompressibles relatifs aux besoins primaires de la vie, de sorte qu’elle se trouve ainsi, en tant que mère célibataire de trois jeunes enfants, dans une situation de dépendance vis-à-vis de son père.

Au vu des considérations qui précèdent, il y a lieu de retenir qu’en l’espèce, Madame…, au vu de la situation de détresse et de précarité dans laquelle elle se trouve depuis la mort de son mari, doit effectivement faire face à une situation de dépendance économique à l’égard du demandeur, au sens de l’article 12 de la loi du 20 août 2008, à savoir en vue de pouvoir subvenir à ses besoins essentiels et à ceux de ses trois enfants en bas âge, de sorte que la décision déférée est à annuler pour erreur manifeste d’appréciation.

Il s’ensuit que le recours est également à déclarer fondé dans le chef des trois petits-

enfants du demandeur, en ce qu’ils dépendent juridiquement et matériellement directement de Madame….

Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, déclare le recours justifié, partant, annule les décisions déférées du 26 juillet 2016 et renvoie le dossier en prosécution de cause devant le ministre de l’Immigration et de l’Asile ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par :

Carlo Schockweiler, premier vice-président, Anne Gosset, premier juge, Olivier Poos, premier juge, et lu à l’audience publique du 14 juillet 2017 par le premier vice-président, en présence du greffier Marc Warken.

s. Marc Warken s. Carlo Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 14 juillet 2017 Le greffier du tribunal administratif 9


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : 38573
Date de la décision : 14/07/2017

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2017-07-14;38573 ?

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