Tribunal administratif N° 38504 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 septembre 2016 4e chambre Audience publique du 14 juillet 2017 Recours formé par Monsieur …, … (Belgique), contre un bulletin de l’administration des Contributions directes, en matière d’appel en garantie
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 38504 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 21 septembre 2016 par Maître Stéphanie Lacroix, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg au nom de Monsieur …, demeurant à B-…, tendant à l’annulation d’un bulletin d’appel en garantie émis à son encontre en date du 25 septembre 2015 ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 5 décembre 2016 ;
Vu les pièces versées en cause, ainsi que le bulletin attaqué ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Alessandra Medina en remplacement de Maître Stéphane Lacroix, et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Lou Thill en leurs plaidoiries respectives.
En date du 25 septembre 2015, le bureau d’imposition RTS Luxembourg 1 de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par le « bureau d’imposition », émit un bulletin d’appel en garantie (« Haftungsbescheid ») en vertu du paragraphe 118 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, appelée « Abgabenordnung », en abrégé « A.O. », à l'encontre de Monsieur …, en sa qualité d’administrateur délégué de la société anonyme … S.A., dénommée ci-après « la société … », déclarée en faillite, ledit bulletin déclarant Monsieur … codébiteur solidaire au sens du paragraphe 118 A.O. d’un montant de … euros, en principal et intérêts, au titre des retenues d’impôt qui auraient dû être effectuées par la société … sur les traitements et salaires de son personnel pour les années d’imposition 2008 à 2012.
Ledit bulletin est libellé comme suit :
BULLETIN D'APPEL EN GARANTIE (HAFTUNGSBESCHEID) émis en vertu du § 118 de la Loi Générale des Impôts (AO) Il est dû à l'Etat du Grand-Duché de Luxembourg par la société … S.A. en faillite ayant eu son siège à … L-… immatriculée sous le numéro fiscal … à titre de l'impôt sur les traitements et salaires:
Année principal Intérêts Total 2008 4 … € …€ … € 2009 5 … € …€ … € 2010 …€ … € … € 2011 … € … € … € 2012 5 … € … € … € Total 1 … €
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1 … € …€ € 5 Il résulte de la publication au Mémorial Numéro … du … que vous étiez nommé administrateur délégué de la société … S.A. en faillite.
En cette qualité vous avez eu le pouvoir d'engager la société sous votre seule signature depuis le, 01/08/2012.
En votre qualité d'administrateur délégué vous étiez en charge de la gestion journalière de la société … S.A. en faillite.
Par conséquent et conformément aux termes du § 103 AO, vous étiez personnellement tenu à l'accomplissement de toutes les obligations fiscales incombant à la société … S.A. en faillite, dont notamment le paiement des impôts dus par la société … S.A. en faillite à l'aide des fonds administrés.
En vertu de l'article 136 alinéa 2 de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l'impôt sur le revenu, l'employeur est tenu de retenir l'impôt qui est dû sur les traitements et salaires de son personnel.
En vertu de l'article 136 alinéa 6 de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l'impôt sur le revenu, l'employeur est tenu à déclarer et à verser l'impôt retenu à l'Administration des contributions directes.
En vertu de l'article 136 alinéa 6 de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l'impôt sur le revenu et du règlement grand-ducal modifié du 27 décembre 1974 concernant la procédure de la retenue d'impôt sur les salaires et les pensions, l'employeur est tenu de présenter au bureau RTS compétent les comptes de salaires ainsi que tous autres documents comptables.
Dans le cas d'une société, conformément aux termes du § 103 AO, ces obligations incombant aux employeurs sont transmises à celui qui a le pouvoir de représenter la société à l'égard des tiers.
Conformément au § 106 AO il vous incombait de prélever sur les fonds administrés les fonds nécessaires pour acquitter les impôts nés avant la disparition de la société … S.A. en faillite et d'assurer leur paiement.
En votre qualité de représentant de la société … S.A. en faillite il vous a appartenu de déclarer et de verser/de veiller à la retenue, à la déclaration et au au versement de la retenue d'impôt due sur les traitements et les salaires du personnel.
Or pour les années 2008 à 2012 le paiement des salaires a été fait sans que les montants à retenir aient été continués entièrement au receveur.
L'omission de retenir, de déclarer et de payer les sommes dues à titre de retenue d'impôt est à qualifier d'inexécution fautive de vos obligations en tant que représentant de la société … S.A. en faillite.
L'omission de payer sur les fonds disponibles de la société … S.A. en faillite les retenues échues avant votre entrée en fonction est à qualifier d'inexécution de vos obligations.
Suite à l'inexécution fautive de vos obligations, le receveur de l'Administration des contributions directes n'a pas perçu les retenues d'impôt d'un montant de … €.
Ce montant de … euros se compose comme suit:
Année principal Intérêts Total 2008 4 … € …€ … € 2009 5 … € …€ … € 2010 …€ … € … € 2011 … € … € … € 2012 5 … € … € … € Total 1 … €
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1 … € …€ € 5 En vertu du § 110 AO votre responsabilité pour les actes accomplis pendant la période de vos fonctions survit à l'extinction de votre pouvoir de représentation.
Considérant qu'en vertu du § 103 AO vous étiez tenu de remplir les obligations fiscales incombant à la société … S.A. en faillite.
Considérant que l'inexécution des ces obligations est à qualifier de fautive.
Considérant que l'inexécution fautive de vos obligations a empêché la perception d'impôt sur les traitements et salaires d'un montant de … €.
Considérant que dans la mesure où, par l'inexécution fautive de vos obligations, vous avez empêché la perception de l'impôt légalement dû, vous êtes constitué codébiteur solidaire de ce montant conformément au § 109 AO.
Considérant que le § 118 AO m'autorise à engager votre responsabilité.
Considérant le fait qu'en votre qualité de représentant étiez chargé de la gestion journalière de la société … S.A. en faillite j'engage votre responsabilité, l'appel en garantie s'élève au montant de … €, sans préjudice des intérêts de retard ultérieurs.
Par conséquent, vous êtes invité à payer sans délai le montant de … euros, sans préjudice des intérêts de retard ultérieurs, au receveur de l'Administration des contributions directes à Luxembourg (…) ».
Par courrier de son litismandataire du 21 décembre 2015, Monsieur … fit introduire une réclamation auprès du directeur de l’administration des Contributions directes à laquelle ce dernier ne réserva aucune suite.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 21 septembre 2016, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à l’annulation du bulletin d’appel en garantie précité du 25 septembre 2015.
Dans son mémoire en réponse et à titre liminaire, le délégué du gouvernement soulève l’irrecevabilité du recours en annulation introduit à l’encontre du bulletin d’appel en garantie litigieux au motif, d’une part, que l’article 8 (3) (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, ci-après désignée par « la loi du 7 novembre 1996 », disposerait qu’un recours en réformation est prévu contre les décisions du directeur de l’administration des Contributions directes ayant statué sur les mérites d’une réclamation au sens du paragraphe 228 A.O. et, d’autre part, que le recours en annulation ne serait admis que dans les matières dans lesquelles la loi n’organiserait pas d’autres recours, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce.
Le demandeur n’a pas pris position quant à ce moyen dans le cadre d’un mémoire en réplique.
Conformément aux dispositions du paragraphe 119 A.O., les personnes à l’encontre desquelles un bulletin d’appel en garantie a été émis bénéficient des mêmes voies de recours que celles ouvertes aux contribuables. Or, conformément aux dispositions combinées du paragraphe 228 A.O. et de l’article 8 (3) 3. de la loi du 7 novembre 1996, le tribunal administratif est appelé à statuer comme juge du fond sur un recours introduit contre la décision qui fait l’objet de la réclamation au sens du paragraphe 228 A.O. si aucune décision définitive n’est intervenue dans un délai de six mois à partir de la réclamation.
Il est constant en cause qu’aucune décision directoriale ne fut adoptée par l’effet du silence de plus de six mois après l’introduction de la réclamation. Ainsi, le tribunal est appelé à statuer comme juge du fond sur un recours introduit contre la décision qui a fait l’objet de la réclamation au sens du paragraphe 228 A.O., à savoir le bulletin d’appel en garantie litigieux.
Si, dans une matière dans laquelle la loi a institué un recours en réformation, le demandeur conclut à la seule annulation de la décision attaquée, le recours est néanmoins recevable dans la mesure où le demandeur se borne à invoquer des moyens de légalité et où l’intérêt à agir du demandeur reste vérifié par rapport à cette demande1.
Il s’ensuit que le recours, en ce qu’il tend à l’annulation du bulletin déféré, est recevable, pour avoir été, par ailleurs, introduit dans les formes et délai prévus par la loi.
A l’appui de son recours, le demandeur, après avoir repris les faits et rétroactes de l’espèce, formule comme seul et unique moyen celui tenant à la violation par l’administration des Contributions directes de son obligation de motivation dans le cadre de l’exercice de son pouvoir discrétionnaire de la mise en œuvre de la responsabilité d’un administrateur délégué d’une société pour un manquement découlant du paragraphe 103 A.O . Il reproche ainsi à l’administration des Contributions directes un défaut de motivation à un double titre, premièrement, en ce qui concerne l’appréciation du degré fautif de son comportement et, deuxièmement, en ce qui concerne le choix du ou des codébiteurs contre lesquels l’émission d’un bulletin d’appel en garantie est décidée.
Le délégué du gouvernement n’a pas pris spécifiquement position sur ce moyen nonobstant le fait qu’il estime que l’administration des Contributions directes aurait fait une saine appréciation de la situation, de sorte que le recours ne serait pas fondé.
Aux termes du § 118 AO : « Das Finanzamt, das die Steuerschuld des Steuerpflichtigen festzusetzen hat, ist befugt, die Vertreter und Bevollmächtigten und die übrigen in den §§ 103 bis 108 bezeichneten Personen zur Erfüllung der ihnen obliegenden Verpflichtungen anzuhalten und diejenigen, die neben dem Steuerpflichtigen oder an dessen Stelle persönlich für die Steuer haften (§97 Absatz 2), in Anspruch zu nehmen. ». Il s’ensuit que la mise en œuvre de la responsabilité du tiers responsable n’est pas de droit, mais résulte d’une décision discrétionnaire du bureau d’imposition, de sorte qu’elle est soumise aux conditions et limites du § 2, paragraphe 2 de la loi d’adaptation fiscale modifiée du 16 octobre 1934, maintenue en vigueur par l’arrêté grand-ducal du 26 octobre 1944, appelée « Steueranpassungsgesetz », en abrégé « StAnpG » aux termes duquel : « (…) Ermessensentscheidungen [sind] nach Billigkeit und Zweckmäßigkeit zu treffen ».
Partant, le bureau d’imposition est obligé de motiver sa décision en y indiquant l’appréciation effective et explicite des circonstances en raison et en équité qui l’ont guidées.2 , 3 En l’espèce, le bureau d’imposition a pris soin d’indiquer dans le bulletin d’appel en garantie déféré, cité in extenso ci-avant, qu’il résulterait de la publication au Mémorial numéro … du … que le demandeur avait été nommé administrateur délégué de la société …, en faillite, et qu’en cette qualité, il aurait disposé du pouvoir d'engager l'entreprise sous sa seule signature depuis le 1er août 2012. Par ailleurs, en sa qualité de gérant administratif il aurait été en charge de la gestion journalière de la société pour les années 2008 à 2012 et que durant cette période, l'impôt sur les traitements et salaires d'une somme de … euros serait resté en souffrance. Ainsi, en sa qualité de représentant de la société, il aurait été personnellement tenu à l'accomplissement de 1 trib. adm. 28 juin 2006, n° 19694 du rôle, Pas. adm. 2016, V° Recours en réformation, n° 2 2 Voir en ce sens trib. adm. 31 mai 1999, n° 10808 du rôle, Pas. adm. 2016, v° Impôts, n° 390 et les autres références y citées.
3 Voir Fabienne Rosen OBLIGATIONS ET RESPONSABILITÉ DES DIRIGEANTS DE SOCIÉTÉ EN MATIÈRE DE CONTRIBUTIONS DIRECTES, dans Droit fiscal luxembourgeois, Bruylant 2008, p. 217 toutes les obligations fiscales incombant à cette dernière, dont notamment le paiement des impôts dus par la société à l'aide des fonds administrés par lui.
Dès lors, le tribunal est amené à conclure que le bureau d’imposition a satisfait à l’obligation de motivation qui lui incombe. En effet, tant le montant de la somme restée en souffrance et pour lequel la responsabilité du demandeur est mise en œuvre que les raisons ayant déterminé le choix du bureau d’imposition de mettre en œuvre, plus spécifiquement la responsabilité du demandeur ont été exposés et spécifiés, ce choix s’expliquant en l’occurrence par ses responsabilités en tant que gérant administratif délégué de la société en charge de la gestion journalière de la société. Finalement, force est encore de constater que dans le cadre de la présente procédure contentieuse, le délégué du gouvernement a, de manière circonstanciée, complété la motivation figurant dans le bulletin d’appel en garantie déféré.
Partant, le moyen tendant à l’annulation du bulletin d’appel en garantie déféré pour défaut de motivation est à rejeter pour ne pas être fondé, étant par ailleurs relevé que ce moyen tel qu’il a été libellé par le demandeur n’a trait qu’à l’obligation formelle d’indiquer la motivation de l’acte déféré et non pas au bien-fondé de cette motivation.
Le recours est à rejeter pour ne pas être fondé.
Au vu de l’issue du litige, il n’y a pas lieu de faire droit à la demande de Monsieur … en allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 1.500 euros.
Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
déclare recevable en la forme le recours en annulation introduit à l’encontre du bulletin d’appel en garantie émis le 25 septembre 2015 ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure sollicitée par le demandeur ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par :
Carlo Schockweiler, premier vice-président, Anne Gosset, premier juge, Olivier Poos, premier juge, et lu à l’audience publique du 14 juillet 2017 par le premier vice-président, en présence du greffier Marc Warken.
s.Marc Warken s.Carlo Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 14 juillet 2017 Le greffier du tribunal administratif 6