Tribunal administratif N° 36880 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 août 2015 4e chambre Audience publique du 21 octobre 2016 Recours formé par Monsieur …, …, contre trois décisions du ministre du Développement durable et des Infrastructures en matière de protection de la nature
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 36880 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 28 août 2015 par Maître Pierre Feltgen, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, agriculteur, demeurant à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre du Développement durable et des Infrastructures du 21 janvier 2013 portant rejet d’une demande d’autorisation pour le changement d’affectation de fonds forestiers inscrits au cadastre de la commune de …: section … sous les numéros …, … et …/…, d’une décision du ministre du Développement durable et des Infrastructures du 3 mai 2013 confirmant la décision du 21 janvier 2013 suite à un recours gracieux introduit par Monsieur … et d’une décision du ministre de l’Environnement, entretemps en charge du dossier, du 1er juin 2015 confirmant la décision du 21 janvier 2013, suite à un nouveau recours gracieux introduit par Monsieur … ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé en date du 11 décembre 2015 au greffe du tribunal administratif ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 6 janvier 2016 par Maître Pierre Feltgen pour le compte de Monsieur … ;
Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 2 février 2016 ;
Vu le courrier du tribunal administratif du 2 mars 2016 accordant aux parties un délai pour déposer un mémoire supplémentaire ;
Vu le mémoire supplémentaire déposé au greffe du tribunal administratif le 14 avril 2016 par Maître Pierre Feltgen au nom et pour compte de Monsieur … ;
Vu le mémoire supplémentaire du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 23 mai 2016 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Yannick Genot, en remplacement de Maître Pierre Feltgen, et Monsieur le délégué du gouvernement Yves Huberty en leurs plaidoiries respectives.
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Par courrier du 9 octobre 2012, Monsieur … fut informé par l’Administration de la nature et des forêts qu’il est apparu qu’il avait été procédé à un changement d’affectation des terrains inscrits au cadastre de la commune de …, section …, sous les numéros …, … et … et à la destruction de biotope sur les parcelles inscrites au cadastre de la commune de …, section …, au lieu-dit « … », sous les numéros , …/…, …/…, …/…, …/… et …/… et que les conditions de l’autorisation ministérielle n°58707 du 11 février 2005 n’auraient pas été respectées.
Monsieur … fut convoqué à une entrevue en date du 19 octobre 2012 avec Monsieur …, chef de brigade dirigeant auprès de l’Administration de la nature et des forêts afin de prendre position sur des reproches lui adressés.
En date du 19 octobre 2012, Monsieur … sollicita de la part du ministère du Développement durable et des Infrastructures la délivrance d’une autorisation pour le changement d’affectation des parcelles inscrites au cadastre de la commune de …, section …, sous les numéros … et … et …/…, à savoir pour la transformation en pâturage de fonds forestiers et proposa le boisement des parcelles inscrites au cadastre de la commune de …, section …, au lieu-dit « … », sous les numéros …/…, … et … comme mesure de compensation pour le changement d’affectation.
Par décision du 21 janvier 2013, le ministre du Développement durable et des Infrastructures rejeta la demande de Monsieur … dans les termes suivants :
« (…) En réponse à votre requête du 19 octobre 2012 par laquelle vous sollicitez l’autorisation pour le changement d’affectation de fonds forestiers inscrits au cadastre de la commune de …: section … sous les numéros …, … et …/…, j’ai le regret de vous informer qu’en vertu de la loi modifiée du 19 janvier 2004 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles, je ne saurais réserver une suite favorable au dossier.
En effet, les parcelles précitées étant à considérer comme fonds forestier vu qu’elles ont été boisées durant une période supérieure à 10 ans, l’art. 13 de la loi précitée stipule que tout changement d’affectation de fonds forestiers est interdit, à moins que le changement soit autorisé dans l’intérêt général ou en vue de l’amélioration des structures agricoles. Or, le présent changement d’affectation ne rentre dans aucun des cas de figures précités.
Par conséquent, les parcelles cadastrales n° …, … et …/…, inscrites au cadastre de la commune … …, section …, au lieu-dit « … » et dont la coupe à blanc a déjà eu lieu il y a plusieurs années, seront reboisées dans les 12 mois à compter de la date de la p résente, faute de quoi l’Administration de la gestion de l’eau dressera procès-verbal. Les boisements seront alors réalisés par l’administration à vos frais. (…) » Par courrier du 24 janvier 2013, Monsieur … expliqua que les sapins qu’il avait abattu sur lesdites parcelles auraient été endommagés par la tempête et infestés par des bostryches et que la terre serait d’une mauvaise qualité, tout en précisant pour quelles raisons il proposait les parcelles …/…, … et … comme compensation.
Par décision du 3 mai 2013, le ministre du Développement durable et des Infrastructures confirma la décision initiale de refus dans les termes suivants :
« (…) En réponse à votre recours gracieux du 24 janvier 2013 par lequel vous sollicitez un réexamen de la décision 77069 du 21 janvier 2013 relative au changement d’affectation de fonds forestiers inscrits au cadastre de la commune de …: section … sous les numéros …, … et …/…, j’ai le regret de vous informer qu’en vertu de la loi modifiée du 19 janvier 2004 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles, je maintiens ma décision du 21 janvier 2013.
En effet, votre demande ne comporte aucun élément nouveau justifiant une décision autre que celle prise le 21 janvier 2013. (…) ».
Par courrier du 15 octobre 2014, Monsieur … s’adressa une nouvelle fois au ministre de l’Environnement, entretemps en charge, dénommé ci-après « le ministre », dans les termes suivants :
« Mit diesem Schreiben möchte ich Unterzeichneter, …-… wohnhaft in …, Ihnen noch eine andere Parzelle vorschlagen bevor ich jetzt anpflanze. Diese Parzelle liegt 100 Meter von den anderen Parzellen entfernt. Es handelt sich um eine Wiese die bis jetzt in einem Programm für extensive Bewirtschaftung lag, welches am 1. November beendet ist.
Die Parzelle hat die Katasternummern: …, …/…, und …/… mit einer Gesamtgrösse von 174.6ar, wovon 1ha Wiese ist die man Bepflanzen kann. Der Rest der Wiese ist als Biotop 5ar, der übrige Rest besteht aus 6 Obstbäumen und Ginster. Mir ist es egal was ich anpflanzen muss: Obstbäume, Eichen, Fichten, Douglasien,….. ».
Par décision du 1er juin 2015, le ministre confirma la décision initiale de refus dans les termes suivants :
« Je me réfère à votre courrier du 15 octobre 2014 par lequel vous proposez de nouvelles surfaces de compensation pour compenser les fonds forestiers déboisés sans autorisation ministérielle inscrits au cadastre de la commune de …: section … sous les numéros …, …, …/….
Je me permets de vous informer que le refus de mon prédécesseur ne s’est pas basé sur des surfaces de compensation insuffisantes ou inadéquates, mais sur le fait que le changement d’affectation des fonds forestiers déboisés illégalement est interdit par l’article 13 de la loi modifiée du 19 janvier 2004 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles, sauf pour des motifs d’intérêt général ou en vue d’une amélioration de structures agricoles, ce qui n’est pas données en l’occurrence.
Dès lors, je maintiens les décisions de mon prédécesseur du 21 janvier et 3 mai 2013.
Par conséquent, les parcelles cadastrales n° …, … et …/…, inscrites au cadastre de la commune … …, section …, au lieu-dit « … » et dont la coupe à blanc a déjà eu lieu il y a plusieurs années, devront être reboisées au plus tard le 31 décembre 2015, faute de quoi l’Administration de la nature et des forêts dressera procès-verbal.
Contre la présente décision, un recours peut être interjeté auprès du Tribunal Administratif statuant comme juge du fond. Ce recours doit être introduit sous peine de déchéance dans un délai de 3 mois à partir de la notification de la présente décision par requête signée d’un avocat à la Cour. ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 28 août 2015, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation sinon à l’annulation de la décision du ministre du Développement durable et des Infrastructures du 21 janvier 2013 portant rejet de sa demande d’autorisation pour le changement d’affectation de fonds forestiers inscrits au cadastre de la commune de …: section … sous les numéros …, … et …/…, de la décision du même ministre du 3 mai 2013 confirmant la décision du 21 janvier 2013 sur recours gracieux et d’une décision du ministre de l’Environnement, entretemps en charge du dossier, du 1er juin 2015 confirmant la décision du 21 janvier 2013, suite à un nouveau recours gracieux.
Conformément aux dispositions de l’article 58 de la loi modifiée du 19 janvier 2004 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles, un recours au fond est prévu à l’encontre des décisions du ministre statuant en vertu de ladite loi, de sorte que le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit en ordre principal.
Il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
Le délégué du gouvernement soulève l’irrecevabilité du recours en ce qu’il est dirigé contre les décisions du 24 janvier et 3 mai 2013, au motif que les deux décisions seraient coulées en force de chose décidée et se rapporte à prudence de justice en ce que le recours est dirigé contre la décision du 1er juin 2015.
A l’audience des plaidoiries, le litismandataire du demandeur, n’ayant pas pris position dans ses mémoires quant à l’irrecevabilité ainsi soulevée, a exposé, sur question du tribunal s’il ne faudrait pas considérer la demande du 15 octobre 2014 comme deuxième recours gracieux, que le fait par le délégué du gouvernement de se rapporter à prudence de justice n’équivaudrait pas à une contestation circonstanciée et qu’au vu de l’indication des voies de recours dans la décision du 1er juin 2015, un nouveau délai de recours aurait commencé à courir par la suite, de sorte que le recours introduit en date du 28 août 2015 serait recevable.
En ce qui concerne la recevabilité ratione temporis du recours en réformation, il y a lieu de rappeler que l’article 13 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, désignée ci-après par « la loi du 21 juin 1999 » dispose que :
« (1) Sauf dans les cas où la loi ou les règlements fixent un délai plus long ou plus court et sans préjudice des dispositions de la loi du 22 décembre 1986 relative au relevé de la déchéance résultant de l’expiration d’un délai imparti pour agir en justice, le recours au tribunal n’est plus recevable après trois mois du jour où la décision a été notifiée au requérant ou du jour où le requérant a pu en prendre connaissance.
(2) Toutefois si la partie intéressée a adressé un recours gracieux à l’autorité compétente avant l’expiration du délai de recours fixé par la disposition qui précède ou d’autres dispositions législatives ou réglementaires, le délai du recours contentieux est suspensif et un nouveau délai commence à courir à partir de la notification de la nouvelle décision qui intervient à la suite de ce recours gracieux.
(3) Si un délai de plus de trois mois s’est écoulé depuis la présentation du recours gracieux sans qu’une nouvelle décision ne soit intervenue, le délai du recours contentieux commence à courir à partir de l’expiration du troisième mois. » Il résulte de la disposition légale qui précède que le délai pour introduire un recours auprès du tribunal administratif court à compter du jour où le demandeur a eu notification ou connaissance de la décision concernée, mais que ce délai peut être interrompu par l’introduction d’un recours gracieux, sous condition toutefois que ce recours gracieux ait à son tour été introduit avant l’expiration du délai pour introduire un recours contentieux.
Force est au tribunal de constater que la première décision faisant l’objet du présent recours date du 21 janvier 2013. Il ressort par ailleurs des pièces versées en cause que le demandeur a introduit personnellement un recours gracieux en bonne et due forme contre cette décision en date du 24 janvier 2013, c’est-à-dire dans le délai légal prévu pour l’introduction d’un recours, tel que prévu au paragraphe 1er de l’article 13 précité.
En l’espèce, et en vertu du paragraphe 2 de l’article 13 de la loi du 21 juin 1999, le recours contentieux contre la décision du 21 janvier 2013 a dès lors été valablement interrompu par l’introduction du recours gracieux en date du 24 janvier 2013.
Suite à ce recours gracieux, le ministre a informé le demandeur, par décision du 3 mai 2013, qu’il n’entendait pas faire droit à son recours gracieux.
Cette décision confirmative du ministre a dès lors fait courir un nouveau délai de trois mois pour introduire un recours contentieux, délai venant à expiration le 3 août 2013.
Dans la mesure où le courrier de Monsieur … du 15 octobre 2014 se réfère expressément à la décision de refus du 21 janvier 2013 et qu’il a comme seule vocation de proposer comme mesure de compensation pour le changement d’affectation d’autres parcelles que celles proposées en date du 24 janvier 2013, sans comporter une nouvelle demande, ledit courrier est à considérer comme un deuxième recours gracieux relatif à la décision du 21 janvier 2013, respectivement celle du 3 mai 2013 Dans ce contexte, il y a lieu de souligner que le délai du recours contentieux ne peut en principe être interrompu qu’une seule fois à la suite de l’introduction, dans le délai légal, d’un recours gracieux, à moins que l’autorité compétente ne consente à rouvrir l’instruction et à réexaminer la cause, si elle se trouve en présence d’éléments nouveaux, c’est-à-dire de faits s’étant produits à la suite de la première décision et qui sont de nature à modifier la situation personnelle du demandeur1, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, le ministre n’ayant en effet que confirmé sa première décision en rendant le demandeur attentif au fait que son refus initial ne s’est pas basé sur des surfaces de compensation insuffisantes ou inadéquates, mais sur le fait que le changement d’affectation des fonds forestiers déboisés illégalement serait interdit par l’article 13 de la loi modifiée du 19 janvier 2004 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles.
Etant donné que le deuxième recours gracieux est dépourvu d’effets juridiques, dans la mesure où une telle possibilité n’est pas prévue par la loi, il ne fait pas courir de nouveau délai nonobstant l’information sur le délai de recours y figurant. Force est dès lors de retenir 1 trib. adm. 22 septembre 2010, n° 26257 du rôle, Pas. adm. 2016, V° Procédure contentieuse, n°214 que le délai de recours imparti au demandeur pour introduire un recours contentieux est venu à expiration le 3 août 2013, de sorte que le recours introduit en date du 28 août 2015 en ce qu’il est dirigé contre les trois décisions y visés, est irrecevable ratione temporis.
En ce qui concerne la demande en allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 2.000 euros formulée par le demandeur, le tribunal est amené à conclure que compte tenu de l’issue du litige, cette demande est à rejeter.
Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
se déclare compétent pour connaître du recours principal en réformation ;
le déclare irrecevable ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
déboute le demandeur de sa demande en allocation d’une indemnité de procédure ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par :
Carlo Schockweiler, premier vice-président, Olivier Poos, premier juge, Michèle Stoffel, juge, et lu à l’audience publique du 21 octobre 2016 par le premier vice-président, en présence du greffier Marc Warken.
s. Marc Warken s. Carlo Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 21/10/2016 Le Greffier du Tribunal administratif 6