Tribunal administratif Numéro 39817 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 juillet 2017 1re chambre Audience publique du 12 juillet 2017 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 120, L.29.08.2008)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 39817 du rôle et déposée le 3 juillet 2017 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à … (Tunisie) et être de nationalité tunisienne, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 17 juin 2017 ordonnant son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision en question ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 5 juillet 2017 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Ardavan Fatholahzadeh et Madame le délégué du gouvernement Nancy Carier en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 10 juillet 2017.
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En date du 17 juin 2017, une personne déclarant se nommer … et être de nationalité tunisienne fut interceptée par la police grand-ducale, unité CI Luxembourg-Gare.
Le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », prit une décision de retour à l’égard de la personne déclarée se nommer …. Ledit arrêté est fondé sur les motifs et considérations suivants :
« Vu les articles 100 et 109 à 115 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;
Vu le procès-verbal N° 52778 du 17 juin 2017 établi par la Police grand-ducale, Unité CR Luxembourg-CI Luxembourg-Gare ;
Attendu que l’intéressé n’est pas en possession d’un passeport ou d’un document d’identité en cours de validité ;
Attendu que l’identité de l’intéressé n’est par conséquent pas établie ;
Attendu que l’intéressé n’est pas en possession d’un visa en cours de validité ;
Attendu que l’intéressé n’est ni en possession d’une autorisation de séjour valable pour une durée supérieure à trois mois ni d’une autorisation de travail ; (…)» Toujours le même jour, le ministre ordonna le placement au Centre de rétention de Monsieur …. Ledit arrêté, notifié à l’intéressé le même jour, est fondé sur les motifs et considérations suivantes :
« Vu les articles 111, 120 à 123 et 125, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;
Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;
Vu le procès-verbal N° 52778 du 17 juin 2017 établi par la Police grand-ducale, CR Luxembourg-CI Luxembourg-Gare ;
Vu ma décision de retour du 17 juin 2017 ;
Attendu que l’intéressé est démuni de tout document de voyage valable ;
Attendu qu’il existe un risque de fuite dans le chef de l’intéressé, alors qu’il ne dispose pas d’une adresse légale au Grand-Duché de Luxembourg Attendu par conséquent que les mesures moins coercitives telles qu’elles sont prévues par l’article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi du 29 août20089 précité ne sauraient être efficacement appliquée ;
Considérant que les démarches nécessaires en vue de l’éloignement de l’intéressé seront engagées dans les plus brefs délais ;
Considérant que l’exécution de la mesure d’éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; (…) ».
Le 26 juin 2017, la police grand-ducale fit parvenir les empreintes digitales au ministre suivant lesquelles le requérant serait connu en Belgique sous l’identité de « …», alors que les informations du Centre de coopération policière et douanière auraient indiqué qu’il est connu encore ous une autre identité en Belgique.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 3 juillet 2017, Monsieur … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 17 juin 2017 ayant ordonné son placement en rétention.
Etant donné que l’article 123, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après dénommée la « loi du 29 août 2008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation introduit à l’encontre de l’arrêté ministériel du 17 juin 2017.
Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
A l’appui de son recours, le demandeur déclare se rapporter à prudence de justice quant à la régularité de la décision.
Même si le fait de se rapporter à prudence de justice équivaut à une contestation, c’est à bon droit que le délégué du gouvernement a conclu au rejet de ce moyen pour être inintelligible.
En effet, le tribunal n’a pas à répondre à un moyen simplement suggéré sans être développé. Dès lors, à défaut par le demandeur d’avoir développé sa contestation, le moyen afférent est à rejeter.
En second lieu, le demandeur, sous l’intitulé « quant à l’absence de diligence suffisante de la part de l’autorité ministérielle » rappelle de manière générale l’obligation pour le ministre ayant placé un étranger au Centre de rétention, de déployer les démarches nécessaires pour que la mesure d’éloignement puisse être exécutée dans les brefs délais. Il relève ensuite que les autorités luxembourgeoises devraient contacter les autorités françaises en vue de sa reprise sur le territoire français.
Après avoir rappelé que le tribunal devra apprécier la légalité de la mesure prise au jour de son jugement, et plus particulièrement au regard des diligences entreprises à cette date afin d’écourter au maximum la privation de liberté de l’intéressé, le demandeur déclare qu’au moment de la rédaction de la requête introductive d’instance, il lui serait impossible de connaître par avance l’étendue exacte des diligences entreprises par l’autorité luxembourgeoise auprès des autorités françaises au jour de la prise en délibéré de l’affaire, de sorte qu’il se réserverait le droit de prendre position sur ce volet du recours dans le cadre d’un mémoire en réplique et cela au regard des diligences entreprises par la partie étatique jusque là.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce moyen et précise que les autorités françaises auraient été contactées le 27 juin 2017, après avoir rappelé l’historique des démarches réalisées jusqu’à cette date.
En dernier lieu, le demandeur fait état de ce qu’il aurait indiqué bénéficier d’une autorisation de séjour en France, qu’il serait marié à une ressortissante franco-italienne avec laquelle il aurait un enfant résident en France. Au regard de sa situation familiale, il n’existerait a priori aucun empêchement à son transfert vers la France, de sorte que son éloignement ne serait pas impossible, les autorités luxembourgeoises ayant connaissance du pays européen lui ayant délivré une carte de séjour. Le demandeur estime encore que l’ensemble des démarches nécessaires en vue d’assurer que son éloignement vers la France puisse être exécuté sans retard n’auraient pas été accomplies dans les délais les plus brefs, tout en se rapportant à sagesse du tribunal pour le surplus.
Enfin, le demandeur déclare que le recours serait fondé sur tout autre moyen de droit et de fait qu’il se réserverait de faire valoir en temps et lieu utiles et suivant qu’il appartiendra.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce moyen en précisant que lors du contrôle par la police grand-ducale le 17 juin 2017, le demandeur n’aurait donné aucune de ces informations, qui de plus se seraient avérées ne pas être correctes puisque le demandeur ne disposerait pas d’une autorisation de séjour en France, tout en relevant que le demandeur aurait, au contraire, déclaré ne pas disposer de documents d’identité. Ce ne serait qu’en date du 22 juin 2017 que le psychologue du Centre de rétention aurait communiqué diverses pièces, d’ailleurs difficilement lisibles, à savoir un acte de mariage, le récépissé d’une carte de séjour en France valable jusqu’au 28 février 2017 - renseignant comme nationalité la nationalité thaïlandaise - un acte de naissance d’un enfant et une facture internet-téléphone ou télévision. Il ne ressortirait toutefois pas de ces pièces que le demandeur ait une autorisation de séjour en France, état des choses que le demandeur aurait d’ailleurs reconnu lui-même puisque dans la requête introductive d’instance, il aurait précisé ne pas avoir demandé le renouvellement de son autorisation de séjour.
Aux termes de l’article 120, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008: « Afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement en application des articles 111, 116 à 118 […], l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées. Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. […] » En vertu de l’article 120, paragraphe (3), de la loi du 29 août 2008 : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. […] » L’article 120, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite notamment l’identification de l’intéressé, s’il ne dispose pas de documents d’identité, tel que cela est le cas en l’espèce, ensuite la mise à disposition de documents de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères notamment en vue de l’obtention d’un accord de reprise en charge de l’intéressé. Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.
En vertu de l’article 120, paragraphe (3), de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.
Le tribunal constate qu’en l’espèce, il n’est pas contesté que le demandeur ne dispose ni d’un document de voyage valable, ni d’un visa, ni d’une autorisation de séjour ou de travail en cours de validité, son identité telle qu’indiquée étant d’ailleurs sujette à caution, de sorte qu’il se trouve en séjour irrégulier au Luxembourg, et que de ce fait, il a fait l’objet d’une décision de retour et d’interdiction du territoire le 17 juin 2017. Il s’ensuit qu’en vertu de l’article 111, paragraphe (3), point c) de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel le risque de fuite est présumé plus particulièrement si l’étranger ne remplit pas ou plus les conditions de l’article 34 de la même loi, respectivement s’il ne peut pas justifier de la possession de documents d’identité ou de voyage et donc s’il se trouve en séjour irrégulier sur le territoire luxembourgeois, le risque de fuite est présumé dans le chef du demandeur, de sorte que le ministre pouvait a priori valablement placer le demandeur en rétention, étant relevé que ce dernier n’a fourni aucun élément de nature à renverser cette présomption, le risque de fuite n’étant d’ailleurs pas contesté par le demandeur.
S’agissant ensuite des diligences entreprises par le ministre, force est de constater que la requête introductive d’instance ne contient aucune contestation précise. Si le demandeur a développé un certain nombre de réflexions d’ordre général quant à l’obligation du ministre d’entreprendre des démarches avec la diligence requise afin que l’éloignement puisse être réalisé, ceci afin d’écourter la durée du placement en rétention, le demandeur s’est limité à se réserver d’y prendre position dans le cadre d’un mémoire en réplique, qui toutefois en l’espèce n’a pas été déposé.
Or, à défaut de contestations précises du demandeur et au regard des explications fournies par la partie étatique quant aux démarches concrètement entreprises, le délégué du gouvernement ayant précisé qu’au regard des recherches effectuées sur l’identité du demandeur, disponibles à partir du 26 juin 2017, le ministre a contacté le lendemain les autorités françaises en vue de la reprise de l’intéressé, le tribunal est amené à retenir que les diligences entreprises en l’espèce ne sont pas sujet à critique, de sorte que le moyen afférent est à rejeter comme non fondé.
S’agissant de l’argumentation du demandeur fondée sur l’existence d’une autorisation de séjour en France, force est de constater, d’une part, que le demandeur reconnaît lui-même ne pas avoir demandé la prolongation de l’autorisation de séjour dont il disposait en France et, d’autre part, qu’il ne ressort pas des éléments du dossier qu’il disposerait d’une autorisation de séjour à un autre titre. Dans ces conditions, l’affirmation du demandeur suivant laquelle il pourrait immédiatement être éloigné vers la France, de sorte que les démarches pour assurer cet éloignement dans les meilleurs délais ne seraient pas accomplies, est à rejeter comme étant contredite par les éléments du dossier.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent et en l’absence d’autres moyens, que le recours en réformation est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit en la forme le recours principal en réformation ;
au fond, déclare le recours non justifié ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par :
Annick Braun, vice-président, Alexandra Castegnaro, premier juge, Anne Foehr, attaché de justice, et lu à l’audience publique du 12 juillet 2017 par le vice-président, en présence du greffier Michèle Hoffmann.
s. Michèle Hoffmann s. Annick Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 12/7/2017 Le Greffier du Tribunal administratif 5