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12/07/2017 | LUXEMBOURG | N°38389

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 12 juillet 2017, 38389


Tribunal administratif N° 38389 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 août 2016 3e chambre Audience publique du 12 juillet 2017 Recours formé par Madame …, …, contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière de remise gracieuse

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 38389 du rôle, et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 24 août 2016 par Maître Martine LAMESCH, avocat à la Cour, inscrite au table

au de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, demeurant à L-…, tendant à la...

Tribunal administratif N° 38389 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 août 2016 3e chambre Audience publique du 12 juillet 2017 Recours formé par Madame …, …, contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière de remise gracieuse

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 38389 du rôle, et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 24 août 2016 par Maître Martine LAMESCH, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, demeurant à L-…, tendant à la réformation d’une décision implicite de rejet prise par le directeur de l’administration des Contributions directes du fait de ne pas avoir répondu à sa demande de remise gracieuse introduite le 4 décembre 2015 au sujet des bulletins de l’impôt sur le revenu, des bulletins de calcul de la contribution dépendance et des bulletins de la contribution de crise des années 2011 à 2013 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 8 décembre 2016 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 9 janvier 2017 par Maître Martine LAMESCH pour compte de Madame … ;

Vu les pièces versées en cause ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Martine LAMESCH, et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Lou THILL en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 5 juillet 2017.

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En date du 25 juin 2015, le bureau d’imposition …, section des personnes physiques de l’administration des Contributions directes, dénommé ci-après « le bureau d’imposition », émit les bulletins de l’impôt sur le revenu, et les bulletins de calcul de la contribution dépendance des années 2011 à 2013, ainsi que le bulletin de la contribution de crise pour l’année 2011 à l’égard de Madame …, imposée collectivement avec son époux, Monsieur ….

En date du même jour, le service de recette … de l’administration des Contributions directes émit à l’encontre de Madame … un décompte à la suite des bulletins de l’impôt précités dont il se dégage un solde dû de ….-€.

Le 27 juin 2015, Monsieur … décéda.

Par courrier de son litismandataire du 4 décembre 2015, réceptionné par le directeur de l’administration des Contributions directes, dénommé ci-après le « directeur », en date du 7 décembre 2015, Madame … fit introduire une demande de remise gracieuse de l’impôt dû au titre des années d’imposition 2011 à 2013, ladite demande ayant été portée au rôle sous le numéro …, suivant courrier du secrétaire de la division gracieux de l’administration des Contributions directes du 7 décembre 2015.

En l’absence d’une décision directoriale prise à la suite de l’introduction de ladite demande de remise gracieuse du 4 décembre 2015, Madame … a fait introduire en date du 24 août 2016 un recours tendant à la réformation de la décision implicite de refus du directeur de faire droit à sa demande de remise gracieuse précitée, du fait de son silence gardé pendant plus de six mois à la suite de l’introduction de ladite demande.

Conformément aux dispositions combinées du paragraphe 131 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, communément appelée « Abgabenordnung », ci-après désignée par « AO », et de l’article 8 (3) 1. de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, le tribunal administratif est appelé à statuer comme juge du fond sur un recours introduit contre une décision du directeur portant rejet d’une demande de remise gracieuse d’impôts. Le tribunal est partant compétent pour connaître du recours en réformation.

Par ailleurs, en ce qui concerne la recevabilité du recours en réformation ainsi introduit, il échet de rappeler qu’aux termes de l’article 8 (3) 3. de la loi précitée du 7 novembre 1996, au cas où « aucune décision définitive n’est intervenue dans le délai de six mois à partir de la demande » introduite en application du paragraphe 131 AO « le requérant [peut] considérer […] la demande comme rejetée […] et interjeter recours devant le tribunal administratif […] contre la décision implicite de refus ».

En l’espèce, la demande de remise gracieuse restée sans réponse a été réceptionnée par le directeur en date du 7 décembre 2015 et le recours sous examen a été introduit devant le tribunal administratif en date du 24 août 2016, partant plus de six mois à partir de l’introduction de la demande afférente, de sorte qu’un recours contentieux a valablement pu être introduit contre la décision implicite de refus du directeur à la suite de la demande lui soumise.

Ceci étant relevé, il échet encore de constater que dans la mesure où le recours en réformation a été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours, Madame … rappelle dans un premier temps les faits et rétroactes à la base de la décision entreprise en expliquant qu’elle aurait résidé séparément de son époux, feu Monsieur …, depuis le 24 mars 2004 et qu’ils auraient, par acte notarié du 3 août 2005, adopté le régime de la séparation des biens. Une demande en divorce aurait encore été introduite en décembre 2013, laquelle aurait toujours été pendante le jour du décès de son époux. En date du 5 novembre 2015, elle aurait renoncé à la succession de feu Monsieur ….

En droit, et en ce qui concerne la rigueur subjective, Madame … fait valoir qu’elle ne percevrait qu’une rente modeste s’élevant à ….-€ net par année et qu’elle ne disposerait pas d’autres sources de revenus. Elle met encore en exergue son état de santé fragile, affirmant qu’elle souffrirait de douleurs chroniques du dos et que ce serait uniquement grâce à son épargne qu’elle aurait réussi à faire face aux deux premières échéances de paiement de l’impôt dû. Elle ne serait cependant plus en mesure de faire face aux deux prochaines échéances de paiement. En effet, en raison de sa modeste rente et de son âge, elle n’obtiendrait plus aucun crédit auprès d’une banque, de sorte que le paiement des impôts aurait des conséquences financières lourdes pour son existence économique et la priverait de ses moyens de subsistance.

Elle explique encore que la situation dans laquelle elle se trouverait actuellement, ne lui serait pas imputable, dans la mesure où elle aurait ignoré d’être tenue solidairement responsable du paiement des impôts en cas de défaillance de son époux, croyant que par l’effet de la séparation des biens, elle ne devrait supporter que les frais et dettes relatifs à son propre revenu. Le fait d’être tenue solidairement avec son époux ne lui aurait jamais été expliqué ni par le notaire lors de la séparation des biens ni par feu Monsieur … lui-

même. Elle indique encore ne jamais avoir payé auparavant l’impôt dû au titre des revenus de son époux et qu’elle se serait trouvée dans l’ignorance de la teneur des déclarations fiscales remises par ce dernier.

En ce qui concerne la rigueur objective, Madame … estime que l’application de l’article 3 de la loi modifiée de l’impôt sur le revenu du 4 décembre 1967, ci-après désignée par « LIR » conduirait à un résultat contraire à l’intention du législateur, dans la mesure où la justification de l’imposition collective résiderait dans la circonstance que les époux bénéficieraient ensemble des revenus soumis à imposition, ce qui n’aurait pas été le cas en l’espèce.

Elle fait encore valoir que le devoir de diligence général de l’administration des Contributions directes constituerait dans son chef une rigueur objective, dans la mesure où il aurait incombé au bureau d’imposition d’émettre plus tôt les bulletins de l’impôt pour les années 2011 à 2013, permettant ainsi à feu Monsieur … lui-même de procéder au paiement de l’impôt sur son revenu.

Le délégué du gouvernement conclut dans son mémoire en réponse au rejet du recours sous examen comme n’étant pas fondé, en soulignant que Madame … aurait renoncé à la succession de son époux, malgré le fait que les époux …-… auraient, suivant les fichiers internes, eu un patrimoine immobilier composé de cinq unités et que depuis 1985, douze opérations de vente d’immeubles auraient eu lieu, dont la dernière daterait de 2005 et aurait généré une plus-value de ….-€. Il en conclut que Madame … serait malvenue de demander une remise gracieuse des impôts et de plaider l’insuffisance de ses revenus lui permettant d’affronter les aléas auquel la vie l’exposerait.

Dans son mémoire en réplique, Madame … explique que les cinq unités immobilières composant la succession de feu Monsieur … seraient fortement hypothéqués, les engagements financiers dépassant la valeur pouvant se dégager de leur vente et que son époux aurait encore eu d’importantes dettes personnelles et se serait trouvé impliqué dans de nombreuses sociétés. Ainsi, il aurait, par exemple, été condamné récemment par le tribunal d’arrondissement de Luxembourg au payement de ….-€. Leurs enfants communs auraient également renoncé à la succession de leur père.

En ce qui concerne la vente des différents immeubles au courant des années 1985 à 2005, Madame … fait valoir que si ces ventes auraient certes permis de dégager une plus-value en 2005, cette plus-value aurait cependant été partagée entre parties et aurait permis de procéder au remboursement des différents prêts contractés par les époux …-….

Aux termes du paragraphe 131 AO, une remise gracieuse se conçoit « dans la mesure où la perception d’un impôt dont la légalité n’est pas contestée entraînerait une rigueur incompatible avec l’équité, soit objectivement selon la matière, soit subjectivement dans la personne du contribuable ».

Il résulte de cette disposition qu’une remise gracieuse n’est envisageable que, soit objectivement ratione materiae, si objectivement l’application de la législation fiscale conduit à un résultat contraire à l’intention du législateur, soit subjectivement ratione personae dans le chef du contribuable concerné, si la perception de l’impôt apparaît comme constituant une rigueur incompatible avec le principe d’équité, sa situation personnelle étant telle que le paiement de l’impôt compromet son existence économique et le prive des moyens de subsistance indispensables.

Une demande de remise d’impôt s’analyse exclusivement en une pétition du contribuable d’être libéré, sur base de considérations tirées de l’équité, de l’obligation de régler une certaine dette fiscale et ne comporte par nature aucune contestation de la légalité de la fixation de cette même dette. La fonction de la remise en équité ne saurait être d’abolir les délais pour exercer un droit1.

En ce qui concerne les éventuelles raisons subjectives pouvant justifier une remise gracieuse, dont l’existence s’apprécie au jour où le tribunal est amené à statuer, il échet de constater qu’il ne saurait y être fait droit que si la situation personnelle du contribuable est telle que le paiement de l’impôt compromet son existence économique et le prive des moyens de subsistance indispensables.

En l’espèce, et mis à part les considérations échangées de part et d’autre sur les circonstances ayant amené la demanderesse à renoncer à la succession de feu Monsieur …, il y a lieu de constater que Madame …, sur laquelle repose la charge de la preuve, se limite à mettre en avant ses certificats de pension des années 2011 à 2014, desquelles il se dégage qu’elle a touché une pension brute de ….-€ pour l’année 2011, de ….-€ pour 1 Trib.adm., 17 octobre 2001, n° 13099 du rôle, Pas. adm. 2016, V° Impôts, n°542 et les autres références y citées.

l’année 2012, de ….-€ pour l’année 2013 et de ….-€ pour l’année 2014, sans établir plus en avant sa situation globale de fortune.

En effet, les seuls certificats de pension des années 2011 à 2014 ne permettent pas d’établir la situation financière exacte de Madame …, celle-ci étant notamment restée en défaut de préciser, pièces justificatives à l’appui, les frais et charges auxquels elle est contrainte de faire face mensuellement, et les biens qu’elle possède, Madame … ayant affirmé à cet égard être propriétaire de la maison qu’elle habite à …, dont le prêt y relatif semble avoir été remboursé. Elle reste encore en défaut d’établir son impossibilité de se procurer d’un prêt bancaire, tout comme la réalité de son état de santé, qu’elle qualifié de « fragile », et les coûts y relatifs, susceptibles, le cas échéant, de démontrer que le paiement de l’impôt compromettrait réellement son existence économique.

En l’état actuel du dossier, la demanderesse reste donc en défaut d’étayer concrètement, pièces et chiffres à l’appui, quelle est sa situation de fortune exacte, de sorte qu’elle n’a pas mis le tribunal en mesure d’apprécier si le paiement, le cas échéant échelonné, de la dette d’impôt par elle redue compromet son existence et la prive des moyens de subsistance indispensables, étant encore souligné à cet égard qu’il résulte des explications non contestées par le délégué du gouvernement que Madame … a payé la majorité de la somme lui réclamée et ne reste redevable que d’un montant de ….-€, ce qui permet a priori de conclure que le paiement de l’impôt dû n’est pas de nature à compromettre l’existence économique de la demanderesse.

Dans ces circonstances, la demanderesse n’a pas rapporté à suffisance de droit la preuve d’une rigueur subjective dans son chef du fait de l’obligation de paiement de l’impôt dû pour les années d’imposition 2011 à 2013.

Ensuite, et en ce qui concerne les éventuelles raisons objectives pouvant justifier une remise gracieuse, le tribunal ne saurait déceler dans l’application de la loi une quelconque rigueur objective qui plaiderait en faveur de la remise gracieuse sollicitée par la demanderesse. En effet, tel qu’il se dégage de l’article 3 LIR, selon lequel « Sont imposés collectivement a) les époux qui au début de l’année d’imposition sont contribuables résidents et ne vivent pas en fait séparés en vertu d’une dispense de la loi ou de l’autorité judiciaire […] », l’intention du législateur est d’imposer collectivement tous les époux, même ceux vivant séparés à l’exception de ceux vivant séparés en vertu d’une dispense de la loi ou d’une autorité judiciaire, et non pas, comme le prétend la demanderesse, d’imposer collectivement uniquement les époux bénéficiant ensemble des revenus.

L’application de la législation fiscale ne conduit dès lors pas à un résultat contraire à l’intention du législateur.

Finalement et en ce qui concerne le moyen soulevé par la demanderesse ayant trait à une violation du devoir de diligence général de l’administration en raison d’une prétendue tardivité dans l’émission des bulletins de l’impôt litigieux non autrement développé et circonstancié et sans indication de la base légale violée, le tribunal n’est pas en mesure de prendre position par rapport à un tel moyen simplement suggéré, sans être soutenu effectivement, la demanderesse étant en effet restée en défaut d’expliquer en quoi les bulletins de l’impôt sur le revenu seraient tardifs et en quoi, une telle tardivité constituerait une rigueur objective à son encontre. Il convient à cet égard de rappeler que les moyens simplement suggérés, sans être soutenus effectivement, ne sont pas à prendre en considération par le tribunal, étant donné qu’il n'appartient pas au tribunal de suppléer à la carence de la partie demanderesse et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de ses conclusions, de sorte qu’il y a lieu de rejeter le moyen.

Il s’ensuit qu’à défaut de tout autre moyen, aucune rigueur subjective ni objective ne peut être dégagée des éléments du dossier soumis au tribunal, de sorte que le recours est à rejeter comme n’étant pas fondé.

Au vu de l’issue du litige, il n’y a pas lieu de faire droit à la demande tendant à l’allocation d’une indemnité de procédure de 3.500.-€ sollicitée par la demanderesse au titre de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure ;

condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 12 juillet 2017 par :

Thessy Kuborn, vice-président, Paul Nourissier, premier juge, Géraldine Anelli, juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 14 juillet 2017 Le greffier du tribunal administratif 6


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 38389
Date de la décision : 12/07/2017

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2017-07-12;38389 ?

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