Tribunal administratif N° 38774 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 novembre 2016 3e chambre Audience publique du 11 juillet 2017 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 38774 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 28 novembre 2016 par Maître Ibtihal EL BOUYOUSFI, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Côte d’Ivoire), de nationalité ivoirienne, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant, principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 18 octobre 2016 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 30 janvier 2017 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Ibtihal EL BOUYOUSFI et Madame le délégué du gouvernement Linda MANIEWSKI en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 28 juin 2017.
Le 6 janvier 2015, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, entretemps abrogée par la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Les déclarations de Monsieur … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, dans un rapport du même jour.
En date des 9 juin et 20 juillet 2016, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
Par décision du 18 octobre 2016, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée envoyée le 25 octobre 2016, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », résuma les déclarations de Monsieur … comme suit : « […] En mains le rapport d’entretien de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes des 9 juin et 20 juillet 2016 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale.
Il résulte de vos déclarations que vous seriez apparemment né le … à … en Côte d’ivoire et que vous auriez ensemble avec votre mère vécu jusqu’à l’âge de neuf ou dix ans à Bingerville, un quartier de la banlieue d’Abidjan. A l’âge de 10 ans vous auriez déménagé seul dans la ville de Akouédo, où vous auriez vécu avec des voisins, alors que votre mère aurait « été transféré à Youpougon [où] elle préparait les meetings du Président Laurent GBAGBO. » (entretien, p. 2/16) Bien que votre mère aurait souhaité que vous finissiez d’abord votre année scolaire vous auriez préféré quitter l’école et travailler à la décharge d’Akouédo pendant un an et demie (2009-2010). Vous déclarez que vos problèmes ayant conduit au dépôt de votre demande de protection internationale seraient liés aux violences post-électorales en Côte d’Ivoire.
En ce qui concerne les raisons de votre fuite vous évoquez l’impact des affrontements postélectoraux sur votre sécurité personnelle et celle de votre famille. Vous précisez qu’« il y avait une chasse à l’homme » (entretien, p. 11/16) qui visait surtout les Guérés et les pro-
GBAGBO. Dans ce contexte, vous expliquez qu’après avoir terminé votre travail à la décharge vous auriez été logé dans un camp militaire, un endroit que vous auriez dû quitter après une attaque de rebelles. Vous indiquez que le camp aurait été fermé pour les civils suite à cet incident et que vous auriez décidé par conséquent de rejoindre votre mère et vos deux sœurs à Yopougon. Vous précisez qu’ « à ce moment tout allait bien […] j’ai aidé ma mère à distribuer des casquettes, t-shirts, et là on s’en sortait, on gagnait notre vie, tout allait bien, elle s’occupait de nous. » (entretien, p.7/12) D’après vos dires la situation aurait continué à empirer après le second tour des élections et l’arrivée des rebelles dans la ville d’Abidjan, qui « voulaient se venger, tuer n’importe comment. » (entretien, p. 7/16). Pour étayer vos dires vous précisez que « Yopougon était au milieu des rebelles et des pro-OUATTARA. Ils sont entrés, on n’avait plus les moyens pour sortir » (entretien, p. 7/16) C’est dans ce climat d’insécurité qui aurait régné après l’arrestation de l’ancien président GBAGBO, que vous auriez été arrêté par des prétendus rebelles pro-OUATTARA. Vous ajoutez que des membres de la FSI vous auraient par la suite emmené dans un camp militaire dénommé « Agban » près du rondpoint se trouvant entre les quartiers Abobo, Yopougon et Adjamé. Lors de votre arrestation qui aurait duré une journée, ces rebelles vous auraient tabassé violemment après avoir essayé de vous brûler à l’aide d’un pneu imprégné de pétrole. Malgré que vous auriez perdu votre connaissance dû aux maltraitances subies, vous vous seriez évadé du camp pendant la nuit.
Par la suite vous vous seriez dirigé vers la gare d’Adjamé, où vous auriez trouvé un chauffeur qui vous aurait emmené à la frontière ghanéenne où vous auriez été accueilli par l’UNHCR.
Pour étayer vos dires vous ajoutez que : «Tous ceux qui sont restés dans ce camp, soit on les a tué soit on les a mis à la prison.» (entretien, p. 10/16) Une fois arrivé dans un camp de réfugiés au Ghana vous auriez rencontré un ami avec lequel vous auriez décidé fin 2011 de poursuivre votre chemin vers le nord, en raison des conditions de vie misérables et le manque de sécurité au Ghana. Vous auriez par la suite traversé le Burkina Faso et le Mali pour finalement arriver à Tamanrasset en Algérie, où vous auriez travaillé pendant quelques mois pour pouvoir financer la suite de votre voyage vers le Maroc. Le 24 février 2014 vous auriez finalement réussi à pénétrer dans l’enclave de Melilla ; où vous auriez, d’après vos dires, prétendu être majeur pour éviter votre transfert au centre des mineurs. Vous expliquez que vous auriez craint une restriction de votre « droit de circuler librement» (entretien, p. 10/16) à cause de votre minorité. Après un bref séjour à Paris, où vous auriez vécu sous un pont près de la gare Gallieni, vous avez finalement déposé une demande de protection internationale au Luxembourg. Une décision que vous avez motivé par le fait que « mon rêve était de venir au Luxembourg […] pour travailler.» (entretien, p.
12/16) Enfin, il ressort du rapport d’entretien des 9 juin et 20 juillet 2016 qu’il n’y a plus d’autres faits à invoquer au sujet de votre demande de protection internationale et aux déclarations faites dans ce contexte. […] ». Le ministre informa ensuite Monsieur … que sa demande de protection internationale avait été refusée comme étant non fondée sur base des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015.
Le ministre estima en premier lieu que les problèmes de Monsieur … liés aux troubles post-électoraux en Côte d’Ivoire des années 2011 seraient trop éloignés dans le temps pour être pris en compte dans l’examen de sa demande de protection internationale. Il souligna ensuite, en se basant sur des rapports internationaux, que la situation sécuritaire en Côte d’Ivoire se serait améliorée d’une façon considérable depuis 2011, de sorte que ses craintes en cas de retour dans son pays d’origine, seraient à considérer comme hypothétiques pour ne pas être basées sur un fait réel ou probable, de sorte à ne pas être fondé sur un des motifs visés par la Convention de Genève.
Le ministre retint encore que les raisons qui auraient amené Monsieur … à quitter son pays d’origine n’auraient pas été motivées par un des critères de fond définis par la Convention de Genève, dans la mesure où le seul fait d’avoir été membre du parti d’opposition de l’ancien président GBAGBO et appartenir à l’ethnie Guéré, ne saurait suffire pour établir dans son chef l’existence d’une persécution ou d’une crainte de persécution.
Le ministre souligna ensuite que les circonstances de la détention de Monsieur … au camp militaire d’Agban et de sa fuite dudit camp seraient peu crédibles, dans la mesure où ce camp aurait été l’une des dernières casernes de la « Gendarmerie » nationale qui aurait refusé de se soumettre aux nouvelles autorités nationales, tout en mettant en exergue que Monsieur … n’aurait pas pu indiquer les noms des différents acteurs impliqués dans la crise post-électorale en Côte d’Ivoire.
Il retint ensuite que les maltraitances subies par un groupe de jeunes dans le camp d’Agban constitueraient des infractions de droit commun commises par des personnes privées et punissables en vertu de la législation ivoirienne. Monsieur … ne pourrait dès lors justifier une crainte fondée de persécution que s’il établissait que les autorités de son pays d’origine seraient restées en défaut de lui fournir une protection adéquate contre les agissements allégués, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce, étant donné que les autorités ivoiriennes auraient entretemps commencé à endiguer le phénomène du groupe appelé « les microbes ».
Le ministre évoqua ensuite la possibilité d’une fuite interne dans le chef de Monsieur …, en affirmant qu’il lui serait possible de s’installer à Abidjan, vue l’amélioration de la situation sécuritaire depuis 2011.
S’agissant finalement de la protection subsidiaire, le ministre conclut que Monsieur … ne ferait état d’aucun motif sérieux et avéré de croire qu’il courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 en cas de retour dans son pays d’origine.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 28 novembre 2016, Monsieur … a fait déposer un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 18 octobre 2016 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.
Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement soulève l’irrecevabilité de la requête introductive d’instance pour autant qu’elle tend à la réformation, sinon à l’annulation d’un ordre de quitter le territoire, dans la mesure où la décision ministérielle du 18 octobre 2016 ne comporterait pas un tel ordre de quitter le territoire.
En l’espèce, il échet de constater que le ministre s’est limité, dans sa décision du 18 octobre 2016, de déclarer la demande de protection internationale de Monsieur … non fondée dans son double volet, sans pour autant lui ordonner de quitter le territoire luxembourgeois, de sorte que le recours du demandeur est à déclarer irrecevable en ce qu’il est dirigé contre un tel ordre de quitter le territoire qui n’existe pas en l’espèce.
En ce qui concerne la décision du ministre portant refus d’une protection internationale, il échet de constater que l’article 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale, de sorte que le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation dirigé contre la décision du ministre du 18 octobre 2016, telle que déférée. Ledit recours ayant encore été introduit dans les formes et délai de la loi, il est à déclarer recevable.
Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
A l’appui de son recours, Monsieur … rappelle dans un premier temps les faits et rétroactes à la base de la décision entreprise.
En droit, il souligne tout d’abord qu’il serait à considérer comme enfant non accompagné au sens de la Convention relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989, ci-après désignée par la « Convention relative aux droits de l’enfant », laquelle lui serait partant applicable. Ensuite, et en ce qui concerne le reproche du ministre que les problèmes liés aux troubles post-électoraux seraient trop éloignés dans le temps pour fonder une demande de protection internationale, il estime qu’une telle affirmation serait dépourvue de tout fondement juridique et contraire à l’article 10, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015.
Il estime par ailleurs que ce serait à tort que le ministre a mis en doute sa crédibilité en rappelant avoir été âgé de onze ans au moment des faits, de sorte qu’on ne saurait lui reprocher de ne pas être en mesure de nommer les principaux partis politiques en Côte d’ivoire, tout en soulignant qu’une question afférente ne lui aurait d’ailleurs jamais été posée lors de son entretien auprès de la direction de l’Immigration. Il ajoute qu’en vertu du point 71 de l’observation 6 du comité des droits de l’enfant placé auprès du Haut-commissariat des Nations unies aux droits de l’Homme et complétant la Convention relative aux droits de l’enfant, le doute devrait lui bénéficier.
Le demandeur estime encore que ce serait à tort que le ministre aurait considéré qu’il ne remplirait pas les conditions de fond nécessaires pour obtenir le statut de réfugié, dans la mesure où les persécutions subies auraient été directement liées à son appartenance à l’ethnie Guéré et au camp des pro-GBAGBO, qui l’aurait notamment amené à participer à l’organisation des « meetings » électoraux à côté de sa mère militante, de sorte qu’il y aurait lieu de retenir qu’il aurait été persécuté du fait de sa race et de ses opinions politiques. Il estime encore que les actes subis devraient être considérés comme actes de persécution au sens de la Convention de Genève de par leur nature et de par leur gravité, gravité, qui serait encore plus caractérisée du fait de sa minorité au moment des faits.
En ce qui concerne la situation sécuritaire actuelle en Côte d’Ivoire, Monsieur … affirme que si celle-ci aurait certes connu une amélioration par rapport à la situation en 2010/2011, elle ne pourrait cependant pas être considérée comme satisfaisante pour rendre ses craintes non raisonnables au sens de la Convention de Genève et de la loi du 18 décembre 2015, dans la mesure où il y serait toujours indentifiable et identifié en tant que Guéré et pro-GBAGBO.
Il tient encore à souligner, que les extraits cités par la partie étatique afin de décrire la situation sécuritaire actuelle en Côte d’Ivoire ne viseraient qu’à démontrer une amélioration de la situation et non l’absence de persécutions à l’encontre des anciens pro-Gbagbo et l’existence d’une protection effective contre de telles persécutions.
Monsieur … soutient ensuite que les auteurs des actes subis, à savoir les membres du FRCI et le groupe appelé « les microbes », devraient être considérés comme des auteurs de persécution au sens de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015, dans la mesure où ils relèveraient directement, voire indirectement de l’appareil étatique lui-même.
Il conteste ensuite toute possibilité de fuite interne et se base sur différents rapports internationaux pour mettre en exergue les fréquentes violations des droits de l’Homme en Côte d’Ivoire.
En ce qui concerne le refus ministériel de lui accorder le bénéfice du statut conféré par la protection subsidiaire, le demandeur estime qu’il existerait un risque réel de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 dans son chef, en cas de retour dans son pays d’origine en tant que pro-GBAGBO et opposant au président actuel OUATTARA.
Par réformation de la décision ministérielle sous analyse, il y aurait dès lors lieu de lui accorder le statut de réfugié, sinon celui conféré par la protection subsidiaire.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours pour ne pas être fondé.
Aux termes de l’article 2 b) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « demande de protection internationale » se définit comme correspondant à une demande visant à obtenir le statut de réfugié, respectivement celui conféré par la protection subsidiaire.
La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] », tandis que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » est définie par l’article 2 g) de la même loi comme « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir des atteintes graves et que cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».
Force est au tribunal de constater que tant la notion de « réfugié », que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » impliquent nécessairement des persécutions ou des atteintes graves, ou à tout le moins un risque de persécution ou d’atteintes graves dans le pays d’origine.
Par ailleurs, l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015 dispose « (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1 A de la Convention de Genève doivent :
a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). ».
Quant aux atteintes graves, l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 les définit comme :
« a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Dans les deux hypothèses, les faits dénoncés doivent être perpétrés par un acteur de persécutions ou d’atteintes graves au sens de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, lesquels peuvent être :
« a) l’Etat ;
b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;
c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves. », et aux termes de l’article 40 de la même loi : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:
a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.
(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. […] ».
Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine. Cette dernière condition s’applique également au niveau de la demande de protection subsidiaire, conjuguée avec les exigences liées à la définition de l’atteinte grave reprises à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 et rappelées précédemment.
Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur de protection internationale ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire.
Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », tandis que l’article 2 g) de la même loi définit la personne pouvant bénéficier du statut de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », de sorte que ces dispositions visent une persécution, respectivement des atteintes graves futures sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté ou qu’il ait subi des atteintes graves avant son départ dans son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, les persécutions ou atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies instaurent une présomption réfragable que de telles persécutions ou atteintes graves se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine aux termes de l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015, de sorte que, dans cette hypothèse, il appartient au ministre de démontrer qu’il existe de bonnes raisons que de telles persécutions ou atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra porter en définitive sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté ou de subir des atteintes graves qu’il encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.
En l’espèce, et indépendamment de la question de la crédibilité du récit de Monsieur …, l’examen des déclarations faites par ce dernier lors de ses auditions auprès de la direction de l’Immigration, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que Monsieur … reste en défaut d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte fondée de persécution actuelle du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social susceptibles de lui ouvrir droit au statut de réfugié au sens de la Convention de Genève et de la loi du 18 décembre 2015.
En effet, si les faits dont le demandeur fait état, sont certes a priori susceptibles de tomber dans le champ d’application de la Convention de Genève, dans la mesure où ils trouvent leur origine dans les opinions politiques de Monsieur … ou dans les opinions politiques lui attribués en raison de celles de sa mère, étant souligné à cet égard que l’article 43, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit qu’il est indifférent si un demandeur de protection internationale possède effectivement la caractéristique liée à ses opinions politiques, pour autant que cette caractéristique lui soit attribuée par l’acteur de persécution, ce qui au vu de la situation décrite par le demandeur est le cas en l’espèce, l’instruction de la demande sous analyse ne permet cependant pas de considérer que le demandeur puisse être exposé à des persécutions dans le cas d’un retour en Côte d’Ivoire.
Ainsi, et en ce qui concerne les persécutions vécus personnellement suite au deuxième tour des élections présidentielles de 2010/2011 en Côte d’Ivoire, ainsi que les actes de persécutions dont la population pro-GBAGBO a été victime en général dont se prévaut le demandeur, si elles sont certes a priori assez graves pour être qualifiées d’actes de persécutions au sens de la Convention de Genève, ces faits se situent cependant exclusivement dans le contexte particulier des élections présidentielles des années 2010/2011.
Ainsi, et s’il est dès lors vrai qu’au moment de son départ de la Côte d’Ivoire en 2011, il était a priori exposé à des actes de persécutions, sans pouvoir prétendre à une protection adéquate des autorités en place, dans la mesure où les persécutions en question ont été commises par ces mêmes autorités, il n’en reste pas moins qu’il résulte des pièces versées en cause, de même que des explications circonstanciées de la partie étatique que la situation en Côte d’Ivoire a fondamentalement changée depuis 2010.
En effet, Alassane OUATTARA a été réélu comme président en date du 25 octobre 2015, élections qui d’après le rapport mondial 2016 de « Humain Rights Watch » ont été jugées libres et régulières par les observateurs internationaux. S’il est certes vrai qu’il résulte du même rapport que la période précédant sa réélection a été marquée par quelques incidents violents opposant les partisans de Laurent GBAGBO et ceux d’Alassane OUATTARA, incidents ayant causé la mort de trois personnes et ayant fait plusieurs blessés, il n’en reste pas moins que depuis l’annonce de la réélection d’Alassane OUATTARA, de tels incidents n’ont plus eu lieu. Au contraire, il résulte des divers rapports internationaux versés en cause que le président Alassane OUATTARA a fait de la réconciliation nationale une priorité pour son deuxième mandat, dont l’objectif est de promouvoir la réconciliation nationale et la cohésion sociale, de débloquer les biens confisqués appartenant aux participants à la crise électorale, et d’encourager le retour des personnes vivant toujours en exil1. Dans ce cadre, il a en 2014 gracié totalement ou partiellement plus de 3.000 personnes détenues suite aux violences ayant eu lieu après les élections de 20102. Ils font encore état d’une situation générale de sécurité 1 Rapport du Conseil de sécurité des Nations Unies du 31 mars 2016 intitulé « Rapport spécial du Secrétaire général sur l’Opération des Nations Unies en Côte d’Ivoire ».
2 Rapport d’Amnesty International 2015/2016.
stable dans la mesure où statistiquement de moins en moins de crimes violents sont enregistrés malgré certaines attaques ayant frappé l’ouest du pays et soulignent les efforts entreprises par le gouvernement ivoirien les dernières années3.
Il résulte des observations qui précèdent que la situation sécuritaire générale en Côte d’Ivoire a connu une nette amélioration et que par ailleurs, les affrontements entre les partisans de Laurent GBAGBO et ceux d’Alassane OUATTARA ont a priori complètement cessé, et ce notamment en raison des efforts de cohésion nationale du président réélu en 2015, de sorte que le tribunal est amené à conclure que les craintes dont le demandeur fait état s’analysent en substance en un sentiment général d’inquiétude et d’insécurité par rapport à sa situation dans son pays d’origine, sentiment qui ne saurait toutefois fonder une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève, de sorte que le recours en réformation est à rejeter comme non fondé en ce qu’il est dirigé contre le refus ministériel d’accorder le bénéfice du statut de réfugié à Monsieur ….
Il ne ressort pas non plus des éléments soumis à l’appréciation du tribunal, qu’il existe des motifs sérieux et avérés de croire que le demandeur courrait un risque réel de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 en cas de retour en Côte d’Ivoire. En effet, les faits invoqués par le demandeur ne s’inscrivent pas dans le cadre d’un conflit armé interne ou international, ni ne se rapportent au risque de subir la peine de mort ou l’exécution, de sorte que la demande de protection subsidiaire n’est pas fondée à ce titre.
Concernant ensuite le risque de subir la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, il échet de retenir que, si les rapports internationaux versés en cause témoignent certes de lacunes dans le système judiciaire en Côte d’Ivoire, des problèmes liés à la corruption et à la vente illégale de terres, des violences contre les femmes et les enfants etc4, il ne ressort toutefois pas des pièces versées en cause que les personnes appartenant à l’ethnie Guéré et les anciens partisans de Laurent GBAGBO risquent, de ce seul fait, en Côte d’Ivoire, la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015.
Il s’ensuit que le demandeur n’a pas fait état et n’a pas établi des raisons de nature à justifier dans son chef dans son pays de provenance une crainte justifiée de persécution pour les motifs énumérés à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, respectivement qu’il existerait de sérieuses raisons de croire qu’il encourrait, en cas de retour dans son pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015.
C’est dès lors à bon droit que le ministre a rejeté comme étant non fondée la demande tendant à l’obtention du statut conféré par la protection internationale prise en son double volet telle que présentée par le demandeur.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;
déclare le recours dirigé contre un ordre de quitter le territoire irrecevable ;
3 Rapport mondial 2016 de Humain Rights Watch ; Rapport d’Amnesty International 2015/2016 ; Rapport du Conseil de sécurité des Nations Unies du 31 mars 2016 intitulé « Rapport spécial du Secrétaire général sur l’Opération des Nations Unies en Côte d’Ivoire ».
4 Idem reçoit en la forme le recours principal en réformation introduit contre la décision ministérielle du 18 octobre 2016 portant rejet d’un statut de protection internationale dans le chef de Monsieur … ;
au fond, déclare le recours en réformation non justifié et en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation introduit contre la décision ministérielle du 18 octobre 2016 portant rejet d’un statut de protection internationale dans le chef de Monsieur …;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 11 juillet 2017 par :
Thessy Kuborn, vice-président, Paul Nourissier, premier juge, Géraldine Anelli, juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 11 juillet 2017 Le greffier du tribunal administratif 10