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11/07/2017 | LUXEMBOURG | N°38651

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 11 juillet 2017, 38651


Tribunal administratif N° 38651 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 novembre 2016 3e chambre Audience publique du 11 juillet 2017 Recours formé par Monsieur …, …, contre des décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 38651 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 2 novembre 2016 par Maître Michel KARP, avocat à

la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né...

Tribunal administratif N° 38651 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 novembre 2016 3e chambre Audience publique du 11 juillet 2017 Recours formé par Monsieur …, …, contre des décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 38651 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 2 novembre 2016 par Maître Michel KARP, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Irak), de nationalité irakienne, demeurant actuellement à L-…, tendant, principalement à la réformation, sinon subsidiairement à l’annulation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 5 octobre 2016 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 19 décembre 2016 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Michel KARP et Monsieur le délégué du gouvernement Daniel RUPPERT en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 31 mai 2017.

Le 22 juillet 2015, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, entretemps abrogée par la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations de Monsieur … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, dans un rapport du même jour.

En date du 7 août 2015, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, dit « règlement Dublin III ».

1 En date du 21 janvier 2016, Monsieur … fut encore entendu par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 5 octobre 2016, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée envoyée le lendemain, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », résuma les déclarations de Monsieur … comme suit : « […] En mains le rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes du 21 janvier 2016 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale, ainsi que les documents versés à l'appui de votre demande de protection internationale.

Monsieur, il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté votre pays d'origine pour deux raisons :

1) Quant à la prétendue accusation de meurtre Monsieur, vous déclarez avoir travaillé en qualité d'électricien dans votre pays d'origine. Au début du mois de mai 2015, une personne aurait été tuée près de l'endroit où vous auriez travaillé. En quittant votre lieu de travail, vous auriez été interrogé par la police, qui se serait trouvée, ensemble avec l'armée sur les lieux du crime, « ils m'ont questionné si j'avais vu l'auteur de l'assassinat » et « si j'avais assisté à l'assassinat ? Comment s'était passé le meurtre […] Ils m'avaient demandé mon nom et où j'habite » (p.4/9 et 6/9 du rapport d'entretien du 21 janvier 2016).

Le lendemain, alors que vous vous rendiez à la boulangerie, une voiture se serait arrêtée à côté de vous, et des personnes « que je ne connais pas » (p.4/9 du rapport d'entretien du 21 janvier 2016) vous auraient enlevé. Vous auriez été détenu durant quatre à cinq jours, avant que vous eussiez réussi à vous enfuir un soir quand une des personnes aurait omis de fermer la porte à clé. Vos ravisseurs vous auraient accusé d'avoir commis le meurtre.

Ils vous auraient frappé, insulté de terroriste du fait que vous êtes sunnite et vous auraient craché dessus. Vous déclarez que « ma vie était menacé parce qu'ils avaient décidé que moi je devais être tué » (p.4/9 du rapport d'entretien du 21 janvier 2016).

D'après vos dires, vous ne seriez plus rentré à votre domicile, mais vous vous seriez installé chez votre tante paternelle avant de vous installer chez votre grand-père maternel.

Après votre fuite, vos prétendus ravisseurs se seraient rendus à votre domicile et suite à une discussion agitée, ils auraient abattu votre frère. Conséquemment, toute votre famille aurait quitté le domicile afin de s'installer autre part.

Vous indiquez que vos ravisseurs appartiendraient à la milice d'Al-Haq et qu'ils voudraient vous tuer puisque la personne assassinée était une personne de l'Etat.

Vous déclarez que vous n'auriez jamais signalé l'enlèvement en question aux autorités policières. Vous prétendez qu' «il n'y a pas de protection ni de sécurité » (p.7/9 du rapport d'entretien du 21 janvier 2016).

2) Situation générale d'insécurité des sunnites en Irak 2Monsieur, il ressort de vos dires que la seconde raison de votre départ d'Irak serait le manque de sécurité, surtout pour des sunnites comme vous, puisque les sunnites seraient victimes des milices. Vous ajoutez que vous auriez vécu dans un quartier chiite.

Pour étayer vos dires, vous avez déposé plusieurs documents :

- Une copie de la carte de résidence, - Une copie de l'acte de décès de votre frère.

Enfin, il ressort du rapport d'entretien du 21 janvier 2016 qu'il n'y a plus d'autres faits à invoquer au sujet de votre demande de protection internationale et aux déclarations faites dans ce contexte. […] ». Le ministre informa ensuite Monsieur … que sa demande de protection internationale avait été refusée comme étant non fondée sur base des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.

Concernant la prétendue accusation de meurtre, le ministre émit tout d’abord des doutes quant à la véracité du récit de Monsieur …, étant donné que la manière de procéder de la milice « Al-Haq », telle que décrite par lui, ne coïnciderait pas avec celle décrite par les autres demandeurs de protection internationale irakiens et par les sources internationales, de sorte qu’il ne serait pas établi que ses ravisseurs aurait été des partisans de ladite milice « Al-

Haq » et seraient donc des personnes privées. Monsieur … ne pourrait dès lors justifier une crainte fondée de persécution que s’il établissait que les autorités de son pays d’origine seraient restées en défaut de lui fournir une protection adéquate contre les agissements allégués, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce, étant donné qu’il n’aurait jamais sollicité la protection des autorités irakiennes.

A supposer les faits invoqués par Monsieur … à l’appui de sa demande de protection internationale avérés, le ministre estima qu’ils ne seraient en tout état de cause pas de nature à établir dans son chef une crainte fondée d’être persécuté motivée par l’un des critères de fond définis par la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et le Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par le règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après désigné par « la Convention de Genève » et par la loi du 18 décembre 2015, puisque la raison de son enlèvement aurait été le fait d’avoir été accusé de meurtre.

En effet, en ce qui concerne le meurtre du frère de Monsieur …, le ministre estima que des faits non personnels mais vécus par d'autres membres de la famille ne seraient susceptibles de fonder une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève que si le demandeur de protection internationale établissait dans son chef un risque réel d'être victime d'actes similaires en raison de circonstances particulières, ce qui ne serait pas le cas, alors que Monsieur … resterait en défaut d'étayer un lien entre le meurtre de son frère et des éléments liés à sa personne l’exposant à des actes similaires. Il ne serait par ailleurs pas établi que ce meurtre serait lié à la race de son frère, sa religion, sa nationalité, son appartenance à un certain groupe social ou ses convictions politiques au sens de la Convention de Genève.

Concernant la situation générale d’insécurité des sunnites en Irak, le ministre retint que ces craintes s’analyseraient dans des craintes hypothétiques, qui ne seraient basées sur aucun fait réel ou probable et retint ensuite que Monsieur … aurait pu bénéficier d’une fuite interne dans la mesure où il aurait pu s’installer dans une autre partie de Bagdad, notamment 3dans les quartiers Al-Kadhimya, Al Karkh ou Al-Mansour, en soulignant plus particulièrement l’augmentation des retours volontaires des irakiens vers leur pays d’origine.

S’agissant finalement de la protection subsidiaire, le ministre conclut que Monsieur … ne ferait état d’aucun motif sérieux et avéré de croire qu’il courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 en cas de retour dans son pays d’origine.

En conséquence, il constata que le séjour de Monsieur … sur le territoire luxembourgeois était illégal et lui enjoignit de quitter ledit territoire dans un délai de trente jours.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 2 novembre 2016, Monsieur … a fait déposer un recours tendant principalement à la réformation, sinon subsidiairement à l’annulation de la décision du ministre du 5 octobre 2016 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

1) Quant au recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du ministre portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation dirigé contre la décision du ministre du 5 octobre 2016, telle que déférée.

Ledit recours ayant encore été introduit dans les formes et délai de la loi, il est à déclarer recevable.

Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de son recours, Monsieur … rappelle dans un premier temps les faits et rétroactes à la base de la décision entreprise.

Au fond, tout en insistant que son récit serait crédible, il fait valoir qu’en Irak, les milices chiites prendraient de plus en plus de pouvoir et ceci avec l’appui du gouvernement, lequel n’interviendrait plus et qu’à chaque fois qu’un incident interviendrait à Bagdad, une personne sunnite serait considérée comme responsable de cet incident. En se basant sur différents rapports internationaux, il fait valoir que la situation actuelle en Irak serait telle que toutes les personnes sunnites seraient susceptibles d’être enlevées et torturées par des membres des milices chiites, qu’elles soient coupables ou non.

Le demandeur fait ensuite valoir que l’assassinat de son frère aurait un lien direct avec sa situation personnelle, dans la mesure où les membres de ladite milice seraient venus à son domicile pour le chercher lui-même.

Il réfute encore toute possibilité d’une fuite interne, dans la mesure où les membres des milices chiites « feraient la loi » à Bagdad et il souligne que le fait que d’autres personnes auraient décidé de retourner en Irak serait sans incidence sur sa situation personnelle.

4En ordre subsidiaire, le demandeur estime que les conditions pour pouvoir bénéficier de la protection subsidiaire seraient remplies dans son chef en citant à cet égard un arrêt de la Cour Nationale du Droit d’Asile française du 11 avril 2016, retenant que la situation à Bagdad devrait être qualifiée de situation de violence aveugle au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours pour ne pas être fondé.

Il souligne que le demandeur n’aurait fait état d’aucune lettre de menace ni de demande de rançon de la part de ses ravisseurs, ce qui constituerait d’ailleurs le mode d’opération des membres de la milice « Al-Haq », de sorte que le ministre aurait à bon droit émis des doutes sur le vécu du demandeur.

La partie étatique fait ensuite valoir que Monsieur … n’aurait pas déposé une plainte suite à son enlèvement, et ceci nonobstant le fait qu’il aurait déjà été entendu par la police irakienne dans le cadre de l’assassinat perpétré à proximité de son lieu de travail, de sorte qu’il ne serait pas établi que les autorités irakiennes n’auraient pas pu lui apporter une protection.

Concernant le meurtre du frère du demandeur, la partie étatique fait valoir qu’il ne serait pas établi que ces malfaiteurs auraient recherché le demandeur lui-même, qui aurait été absent lors de l’incident, ni qu’ils auraient été les ravisseurs de Monsieur ….

Elle en conclut que les craintes du demandeur s’analyseraient en un sentiment général d’insécurité qui ne serait basé sur aucun fait réel ou probable, de sorte à ne pas constituer un motif de persécution visé par la Convention de Genève.

Elle souligne ensuite la possibilité du demandeur de bénéficier d’une fuite interne et de s’installer dans un autre quartier à Bagdad, en invoquant encore les nombreux retours volontaires des personnes vers l’Irak qui démontreraient la possibilité d’une relocalisation interne dans ce pays.

Le délégué du gouvernement conclut finalement au rejet de la demande de Monsieur … en obtention d’une protection subsidiaire, en soulignant que ses craintes constitueraient un sentiment d’insécurité et qu’il pourrait profiter d’une relocalisation dans une autre ville ou quartier de son pays d’origine.

Aux termes de l’article 2 b) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « demande de protection internationale » se définit comme correspondant à une demande visant à obtenir le statut de réfugié, respectivement celui conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] », tandis que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » est définie par l’article 2 g) de la même loi comme « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que 5la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir des atteintes graves et que cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

Force est au tribunal de constater que tant la notion de « réfugié », que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » impliquent nécessairement des persécutions ou des atteintes graves, ou à tout le moins un risque de persécution ou d’atteintes graves dans le pays d’origine.

Par ailleurs, aux termes de l’article 42, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 :

« Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent :

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). […] ».

Quant aux atteintes graves, l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 les définit comme :

« a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Dans les deux hypothèses, les faits dénoncés doivent être perpétrés par un acteur de persécutions ou d’atteintes graves au sens de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, lesquels peuvent être :

« a) l’Etat ;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves. », et aux termes de l’article 40 de la même loi: « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :

6a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient déposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection.

(3) Lorsqu’il détermine si une organisation internationale contrôle un Etat ou une partie importante de son territoire et si elle fournit une protection au sens du paragraphe (2), le ministre tient compte des orientations éventuellement données par les actes du Conseil de l’Union européenne en la matière.».

Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine. Cette dernière condition s’applique également au niveau de la demande de protection subsidiaire, conjuguée avec les exigences liées à la définition de l’atteinte grave reprises à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 et rappelées précédemment.

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur de protection internationale ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire.

Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », tandis que l’article 2 g) de la même loi définit la personne pouvant bénéficier du statut de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », de sorte que ces dispositions visent une persécution, respectivement des atteintes graves futures sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté ou qu’il ait subi des atteintes graves avant son départ dans son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, les persécutions ou atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies instaurent une présomption réfragable que de telles persécutions ou atteintes graves se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine aux termes de l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015, de sorte que, dans cette hypothèse, il appartient au ministre de démontrer qu’il existe de bonnes raisons que 7de telles persécutions ou atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra porter en définitive sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté ou de subir des atteintes graves qu’il encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.

En l’espèce, le demandeur se prévaut en substance de deux séries de faits, à savoir, premièrement, son enlèvement ainis que le meurtre de son frère et, deuxièmement, la situation sécuritaire générale des sunnites en Irak.

En ce qui concerne tout d’abord l’enlèvement de Monsieur …, et indépendamment de la question de la crédibilité dudit récit, il ressort de ses déclarations auprès de la direction de l’Immigration, qu’il a été enlevé et maltraité par des membres de la milice « Al Haq » parce qu’il avait été soupçonné d’avoir tué une « personne de l’Etat » près de son lieu de travail. Le demandeur a plus précisément déclaré à cet égard que « Les milices […] m’ont cherché et on m’a accusé de meurtre1 » et « La raison est parce qu’il y avait la personne qui a été tué près de mon lieu de travail et j’étais accusé de son meurtre2 », de sorte qu’il échet de retenir que les faits, tels qu’étayés par le demandeur ne sont en effet pas motivés par un des critères de fond définis par la Convention de Genève et à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir sa race, sa religion, sa nationalité, ses opinions politiques ou son appartenance à un certain groupe social.

Si le demandeur a certes tenté, dans le cadre de sa requête introductive d’instance, d’expliquer qu’il aurait été visé par les milices chiites en raison de son appartenance ethnique sunnite, force est cependant au tribunal de constater qu’une telle affirmation ne résulte pas de ses déclarations auprès de la direction de l’Immigration, ce dernier ayant répondu par l’affirmative à la question suivante : « Vous avez introduit votre demande de protection parce que vous êtes accusé par la milice d’avoir tué une personne dans votre quartier3 », de sorte à exclure une motivation fondée sur les convictions religieuses du demandeur.

Concernant ensuite le meurtre de son frère par des membres de la milice « Al Haq », force est au tribunal de retenir que ce fait n’a pas non plus été motivé par un des critères de fond définis par la Convention de Genève à savoir la race du frère, sa religion, sa nationalité, ses opinions politiques ou son appartenance à un certain groupe social, le demandeur ayant expliqué que son frère a été tué « parce qu’ils ne m’ont pas trouvé. Ils étaient venus spécialement pour me chercher4 ».

Il s’ensuit que la première des trois conditions cumulatives pour pouvoir bénéficier du statut de réfugié fait défaut en l’espèce, de sorte que le fait que cette condition ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne peut bénéficier du statut de réfugié du fait de son enlèvement par des membres de la milice « Al Haq », respectivement au regard du meurtre de son frère par cette même milice.

En ce qui concerne ensuite la situation sécuritaire en Irak, force est au tribunal de constater que l’Irak est actuellement dans une situation de guerre civile entre plusieurs protagonistes, en l’occurrence les forces gouvernementales iraquiennes, des milices paramilitaires tant sunnites que chiites, ainsi que le groupement terroriste se nommant « l’Etat 1 Page 4 du rapport d’entretien de Monsieur ….

2 Page 8 du rapport d’entretien de Monsieur ….

3 Page 7 du rapport d’entretien de Monsieur ….

4 Page 6 du rapport d’entretien de Monsieur ….

8islamique » qui occupe une partie du territoire irakien. Ce conflit, perdurant depuis plusieurs années, suite à la chute du régime de Saddam HUSSEIN, se caractérise notamment par des affrontements entre les différents groupes armés en vue d’étendre leur emprise territoriale faisant de nombreux victimes civiles et par des attentats à la bombe et d’autres actes meurtriers perpétrés par le groupe terroriste se nommant « l’Etat islamique » sur l’ensemble du territoire irakien et visant tant les autorités officielles nationales que la population civile, ceci afin d’aviver les tensions intercommunautaires entre les personnes de confessions chiite et sunnite et d’affaiblir les autorités locales. Ces attaques, commises surtout dans les lieux publics, respectivement à proximité des infrastructures officielles, ont délibérément et sans discrimination pour cible la population civile et font à chaque fois plusieurs dizaines de morts et de blessés, Par ailleurs, les milices paramilitaires opérant sur le territoire irakien, bien que certaines sont affiliées aux autorités militaires et policières nationales pour les seconder dans leur mission, sont également à l’origine de violations des droits à l’homme à l’égard de la population irakienne, étant plus particulièrement relevé que certaines de ces milices procèdent à des enlèvements, à des exécutions extrajudiciaires de personnes, respectivement à des actes de torture sous prétexte que ces victimes sont soupçonnées d’être des terroristes5.

Or, en considération de ce qui précède, il échet de retenir qu’il n’est pas établi en cause que la population de confession sunnite soit d’avantage que tout autre civil susceptible d’être exposée à faire l’objet de menaces graves et individuelles contre sa vie ou sa personne en Irak. Si les pièces versées en cause par le demandeur témoignent certes plus spécialement des crimes de guerre commis par les milices chiites envers la population sunnite, il échet toutefois de constater, comme retenu ci-avant, que plusieurs protagonistes déterminent l’actualité en Irak, notamment les forces gouvernementales irakiennes, des milices paramilitaires tant sunnites que chiites, ainsi que le groupement terroriste se nommant « l’Etat islamique » dont la cible constitue la population civile dans sa globalité.

Il s’ensuit que c’est à bon droit que le ministre a retenu que les conditions permettant l’octroi du statut de réfugié ne sont pas remplies dans le chef du demandeur.

En revanche, et en ce qui concerne le volet de la décision litigieuse portant refus d’accorder au demandeur le bénéfice du statut conféré par la protection subsidiaire, le tribunal est amené de conclure au regard de ces constatations qui précèdent, que le demandeur est clairement exposé à faire l’objet de menaces graves et individuelles contre sa vie ou sa personne en raison d’une violence aveugle eu égard à la situation de conflit armé interne, tel que décrit ci-avant sévissant actuellement en Irak, le ministre sur lequel repose la charge de la preuve restant, par ailleurs, en défaut de rapporter la preuve l’existence, dans le cadre des conditions ambiantes actuelles régnant en Irak, d’une région ou d’un quartier dans lequel le demandeur pourrait se réinstaller en toute sécurité, étant encore souligné d’une part que, bien que la situation dans certaines parties de l’Irak puisse être moins grave, surtout dans les parties désertiques, moins densément peuplées, ces zones se trouvent cependant également affectés par des attentats visant la population civile, bien que moins fréquents, et, d’autre part, qu’il n’est pas établi, en l’espèce, que ces régions soient matériellement accessibles pour le demandeur et qu’il puisse s’y réinstaller en toute sécurité6.

Outre que le fait que la présence d’un conflit armé exclut la possibilité de bénéficier d’une protection adéquate, il y a encore lieu de relever que les protagonistes des actes de violence aveugle en Irak sont tant les forces gouvernementales que des milices paramilitaires 5 Trib. adm., 5 juillet 2017, n° 37908 du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu 6 Idem 9ainsi que le groupe terroriste se nommant « l’Etat islamique », de sorte qu’en l’état actuel de la situation en Irak, il n’y a pas lieu pour le demandeur de pouvoir espérer une protection au sens de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015, dès lors que les autorités nationales sont elles-mêmes activement impliquées dans les exactions relevées plus en avant par le tribunal, étant encore précisé que le fait qu’un certain nombre de ressortissants irakiens aurait souhaité de retourner volontairement dans leur pays d’origine n’est pas dû à une accalmie de la situation y régnant, mais surtout aux problèmes rencontrés dans leur pays d’accueil, tels que la durée de traitement de leurs demandes, les conditions climatiques difficilement supportables pour des personnes habituées à des températures climatiques élevées, ainsi que des conditions d’accueil pénibles, certains irakiens estimant, par ailleurs, que « le pays leur devient hostile »7.

Au vu des développements qui précèdent, il y a lieu d’octroyer au demandeur le bénéfice de la protection subsidiaire.

2. Quant au recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre l’ordre de quitter le territoire, un recours sollicitant la réformation de pareil ordre contenu dans la décision déférée a valablement pu être dirigé contre la décision ministérielle litigieuse. Le recours principal en réformation, ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, est recevable.

Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

Le demandeur expose que l’ordre de quitter le territoire devrait être réformé comme conséquence de la réformation du refus ministériel de lui octroyer le statut conféré par la protection internationale.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours contre l’ordre de quitter le territoire qui découlerait du rejet de la demande de protection internationale sous examen en faisant valoir, que le demandeur serait resté en défaut d’établir qu’un retour en Irak entraînerait pour lui le risque de faire l’objet de traitements contraires à la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et du citoyen, respectivement violerait le principe de non-refoulement.

Aux termes de l’article 34, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2 q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34, paragraphe (2), précité, est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Dans la mesure où le tribunal vient de retenir que le demandeur est fondé à se prévaloir du statut conféré par la protection subsidiaire et que la décision de refus de la 7 Idem 10protection internationale est à réformer en ce sens, il y a lieu de réformer l’ordre de quitter le territoire tel que contenu dans la décision ministérielle déférée.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours principal en réformation introduit contre la décision ministérielle du 5 octobre 2016 portant rejet d’un statut de protection internationale dans le chef de Monsieur … ;

au fond, le déclare justifié ;

partant, par réformation de la décision ministérielle déférée du 5 octobre 2016, accorde à Monsieur … le statut conféré par la protection subsidiaire au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire et renvoie l’affaire devant le ministre de l’Immigration et de l’Asile pour exécution ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 5 octobre 2016 portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare justifié ;

partant, par réformation, dit que Monsieur … ne doit pas quitter le territoire dans un délai de trente jour ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur les recours subsidiaires en annulation ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 11 juillet 2017 par :

Thessy Kuborn, vice-président, Paul Nourissier, premier juge, Géraldine Anelli, juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 11 juillet 2017 Le greffier du tribunal administratif 11


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 38651
Date de la décision : 11/07/2017

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2017-07-11;38651 ?

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