Tribunal administratif Numéro 39683 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 juin 2017 4e chambre Audience publique du 16 juin 2017 Recours formé par Monsieur …, Findel, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.8.2008)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 39683 du rôle et déposée le 6 juin 2017 au greffe du tribunal administratif par Maître Eric Says, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … de nationalité …, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d'une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 24 mai 2017 ordonnant son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision en question ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 8 juin 2017 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Madame le délégué du gouvernement Elisabeth Pesch en sa plaidoirie.
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Aux termes d’un mandat d’amener du 24 avril 2017, Monsieur … fut placé en détention préventive au Centre pénitentiaire à Schrassig pour vol simple.
Il fut remis en liberté par décision du procureur d’Etat en date du 24 mai 2017.
Par arrêté séparé du 24 mai 2017, notifié à l’intéressé le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après dénommé « le ministre », prit à l’encontre de Monsieur … un arrêté déclarant son séjour irrégulier sur le territoire luxembourgeois, lui ordonnant de quitter le territoire sans délai à destination du pays dont il a la nationalité, la Géorgie, ou à destination du pays qui lui aura délivré un document de voyage en cours de validité, ou à destination d’un autre pays dans lequel il est autorisé à séjourner et lui interdisant l’entrée sur le territoire pour une durée de trois ans.
Le même jour, le ministre ordonna encore le placement de Monsieur … au Centre de rétention pour une durée d’un mois. Ladite décision, notifiée à l’intéressé le jour-même, est basée sur les motifs et considérations suivants :
« Vu les articles 111, 120 à 123 et 125, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'Immigration ;
Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;
Vu ma décision de retour du 24 mai 2017 ;
Attendu que l'intéressé est démuni de tout document d'identité et de voyage valable ;
Considérant que l'intéressé se trouvait en détention préventive depuis le 24 avril 2017 ;
Attendu qu'il existe un risque de fuite dans le chef de l'intéressé, alors qu'il ne dispose pas d'une adresse au Grand-Duché de Luxembourg ;
Attendu par conséquent que les mesures moins coercitives telles qu'elles sont prévues par l'article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;
Considérant que l'intéressé est signalé au système EURODAC comme ayant déposé une demande de protection internationale en Pologne en date du 1er octobre 2012, une demande de protection internationale en Allemagne en date du 13 décembre 2012, une demande de protection internationale en Suisse en date du 25 juin 2014 et une demande de protection internationale en Suède en date du 3 août 2014;
Considérant qu'une demande de reprise en charge en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 sera adressée aux autorités compétentes dans les meilleurs délais ;
Considérant que l'exécution de la mesure d'éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 6 juin 2017, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 24 mai 2017 ordonnant son placement au Centre de rétention.
Etant donné que l’article 123, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l’immigration, désignée ci-après par « la loi du 29 août 2008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation introduit en l’espèce et qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
A l’appui de son recours et en droit, Monsieur … se rapporte tout d’abord à prudence de justice quant à la compétence du ministre.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce moyen pour ne pas être fondé.
L’article 3 de la loi du 29 août 2008 dispose comme suit : « Aux fins de la présente loi, on entend par : (…) g) ministre : le membre du gouvernement ayant l’immigration dans ses attributions ».
Etant donné qu’en l’espèce, l’auteur de la décision déférée est bien le ministre de l’Immigration et de l’Asile conformément au prescrit de l’article 3 g) précité, le moyen est à rejeter pour ne pas être fondé.
Le demandeur conteste ensuite très succinctement les circonstances suivantes, à savoir, premièrement, l’existence dans son chef d’un risque de fuite, deuxièmement, le fait qu’il empêcherait la préparation de son retour ou la procédure d’éloignement et, troisièmement, la circonstance que toutes les diligences auraient été effectuées afin d’exécuter la mesure d’éloignement.
Il en conclut que son placement en rétention ne serait pas justifié.
Le délégué du gouvernement sollicite le rejet desdits moyens pour ne pas être fondés et conclut au rejet du recours.
Force est de constater qu’aux termes de l’article 120, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008 : « Afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement en application des articles 111, 116 à 118 (…), l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées. Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. (…) ».
En vertu de l’article 120, paragraphe (3), de la loi du 29 août 2008 : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. (…) ».
L’article 120, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite notamment l’identification de l’intéressé, s’il ne dispose pas de documents d’identité, ensuite la mise à disposition de documents de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères notamment en vue de l’obtention d’un accord de reprise en charge de l’intéressé. Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.
En vertu de l’article 120, paragraphe (3), de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.
En l’espèce, le tribunal rappelle qu’afin de pouvoir éloigner le demandeur, qui ne dispose pas de documents d’identité et de voyage valables, les autorités luxembourgeoises doivent tout d’abord organiser son rapatriement, ces démarches consistant, dans un premier temps, à établir l’identité du demandeur, ainsi qu’à déterminer le pays vers lequel la personne placée au Centre de rétention sera éloignée pour ensuite solliciter auprès des autorités de ce pays la délivrance des documents de voyage nécessaires, étant relevé que l’arrêté de placement en rétention sous examen est justement fondé sur le constat que les démarches nécessaires en vue de l’identification de l’intéressé afin de permettre son éloignement seraient engagées dans les plus brefs délais.
Quant au moyen brièvement soulevé par le demandeur tendant à la contestation du risque de fuite dans son chef, il échet de constater qu’il ressort des pièces et éléments soumis à l’examen du tribunal que le demandeur ne dispose pas de documents d’identité ou de voyage valables et qu’il a fait l’objet d’une décision de retour avec ordre de quitter le territoire de sorte que l’existence, dans son chef, d’un risque de fuite est présumée, en vertu de l’article 111 (3) point c) de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel « (…) Le risque de fuite est présumé (…) si l’étranger ne peut justifier de la possession de documents d’identité ou de voyage en cours de validité (…) ».
Il s’ensuit que le ministre pouvait a priori valablement, sur base de l’article 120 (1) précité de la loi du 29 août 2008, placer le demandeur en rétention afin d’organiser son éloignement.
En l’espèce, le tribunal conclut que le demandeur ne lui a pas soumis d’éléments de nature à renverser la présomption d’un risque de fuite qui existe dans son chef, tel que retenu ci-avant. En effet, il n’a présenté aucun élément permettant de retenir l’existence, dans son chef, de garanties de représentation suffisantes au sens de l’article 125 (1) de la loi du 29 août 2008 notamment nécessaires pour que le recours aux mesures moins contraignantes visées aux points a), b) et c) dudit article s’impose, la simple contestation de l’existence d’un risque de fuite dans son chef, sans autre explication ou développement, est dénuée de toute pertinence. Il s’ensuit que ce moyen est à rejeter pour ne pas être fondé.
Quant à l’affirmation par le demandeur qu’il n’empêcherait pas la préparation de son retour ou la procédure d’éloignement, il y a lieu de relever que le placement en rétention est d’ores et déjà justifié par l’existence d’un risque de fuite, de sorte que la condition de l’empêchement de l’éloignement n’est plus pertinente. Le moyen est partant à rejeter.
Enfin quant à la contestation tenant à l’ampleur des diligences réalisées par les autorités luxembourgeoises, il échet de relever qu’il ressort des pièces et éléments soumis à l’examen du tribunal que les recherches effectuées dans la banque de données EURODAC ont révélé que Monsieur … avait introduit une demande de protection internationale en Pologne en date du 1er octobre 2012, en Allemagne en date du 13 décembre 2012, en Suisse en date du 25 juin 2014 et en Suède en date du 3 août 2014.
Les autorités luxembourgeoises ont adressé aux autorités suédoises en date du 26 mai 2017 une demande de reprise en charge en vertu du règlement (UE) No 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III », laquelle fut acceptée par les autorités suédoises en date du 2 juin 2017.
Il y a encore lieu de relever qu’en date du 7 juin 2017, la Police Grand-ducale, Police judiciaire, section étrangers et jeux a été chargée de procéder au transfert de Monsieur ….
Il ressort ainsi des pièces et éléments soumis à l’examen du tribunal que toutes les mesures ont été prises par les autorités concernées, suédoises et luxembourgeoises en vue d’organiser le transfert du demandeur qui en application des dispositions de l’article 27 (2) du règlement Dublin III ne pourra pas être organisé avant la date du 23 juin 2017.
Au regard des diligences ainsi accomplies à ce jour par le ministre, c’est à tort que le demandeur estime que celui-ci n’aurait pas accompli les démarches appropriées et nécessaires afin de procéder à son éloignement rapide du territoire luxembourgeois. Il s’ensuit que les contestations afférentes du demandeur sont partant à rejeter pour ne pas être fondées.
Au vu des développements qui précèdent, en l’état actuel du dossier et compte tenu des moyens figurant dans la requête introductive d’instance, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision déférée. Il s’ensuit que le recours sous analyse est à rejeter comme non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit le recours principal en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours en annulation introduit à titre subsidiaire ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par :
Carlo Schockweiler, premier vice-président, Anne Gosset, premier juge, Olivier Poos, premier juge et lu à l’audience publique du 16 juin 2017, par le premier vice-président, en présence du greffier Marc Warken.
s.Marc Warken s.Carlo Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 16 juin 2017 Le greffier du tribunal administratif 5