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12/06/2017 | LUXEMBOURG | N°38397

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 12 juin 2017, 38397


Tribunal administratif N° 38397 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 août 2016 1re chambre Audience publique du 12 juin 2017 Recours formé par Madame …et consort, … contre des décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 38397 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 25 août 2016 par Maître Edmond Dauphin, avocat

à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, né...

Tribunal administratif N° 38397 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 août 2016 1re chambre Audience publique du 12 juin 2017 Recours formé par Madame …et consort, … contre des décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 38397 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 25 août 2016 par Maître Edmond Dauphin, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … (Albanie), et au nom de Madame …, née le …, toutes les deux de nationalité albanaise, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant, d’une part, à la réformation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 25 juillet 2016 portant refus de faire droit à leur demande en obtention d’une protection internationale, et, d’autre part, à la réformation de la décision du même ministre du même jour portant ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 7 novembre 2016 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Arthur Schuster, en remplacement de Maître Edmond Dauphin, et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline Jacques en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 15 mai 2017.

Le 4 septembre 2015, Madame …et sa sœur, Madame …, ci-après désignées par « les consorts … », introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, entretemps abrogée par la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations des consorts … sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, dans un rapport du même jour.

En date du 8 septembre 2015, les consorts … firent, chacune, l’objet d’un entretien séparé auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de leur demande de protection internationale en vertu du règlement UE 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, dit « règlement Dublin III ».

En date du 22 octobre 2015, les consorts … furent, chacune, entendues séparément par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, sur leur situation et sur les motifs se trouvant à la base de leur demande de protection internationale.

Par décision du 25 juillet 2016, notifiée aux intéressées par lettre recommandée envoyée le 26 juillet 2016, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », résuma les déclarations des consorts … comme suit :

« Madame …, il résulte de vos déclarations que, tout comme votre sœur, vous auriez quitté l'Albanie à cause de la décision de votre père de vous marier de force à deux frères musulmans pratiquants et plus âgés que vous. Vous précisez que vous auriez rencontré vos présumés futurs maris, dénommés …, une seule fois en juillet 2015 sans pour autant pouvoir leur parler. Lors de cette rencontre ils auraient indiqué à votre père que leur religion exige que vous portiez un voile et que vous ne sortiez plus seules de la maison. Vous ajoutez que vous auriez supplié votre père de ne pas vous marier tout en le menaçant de quitter le pays s'il vous obligeait. C'est notamment suite à votre refus d'épouser vos futurs époux que votre père aurait recommencé à vous frapper et à vous enfermer dans la maison. Dans ce contexte vous déclarez : « il m'a maltraité physiquement car je n'ai pas accepté sa proposition », tout en ajoutant qu'il vous aurait frappée dès la naissance. Suite à une demande de l'agent à charge de votre entretien concernant des problèmes similaires dans votre famille, vous expliquez que votre cousine se serait suicidée suite à son mariage forcé.

En ce qui concerne les promesses de mariage que votre père aurait données à …, vous expliquez que « d'après la loi du Kanun, c'est le père qui s'occupe du mariage de la fille » (p.3/8) et que cette même loi accorderait au mari « le droit de tuer la fille », si cette dernière refusait le mariage (p. 3/8). Pour étayer vos dires, vous ajoutez que votre père aurait reçu des pièces d'or et une grande somme d'argent en contrepartie de son accord de vous marier, tout en soulignant qu'il serait aussi en danger dû au fait qu' « il n'a pas tenu parole de nous marier » (p.6/8).

D'après vos dires vous auriez essayé de dénoncer les faits auprès de la police locale, pourtant votre père serait arrivé au commissariat avant que vous n'ayez pas pu déposer une plainte.

Madame …, vous confirmez en partie les dires de votre sœur en ce qui concerne les raisons de votre fuite, tout en précisant que votre mère « aurait donné son accord » (p. 4/9) et votre grand-mère vous aurait envoyé des photos des pièces en or que votre père aurait reçues le 16 juillet 2015. En ce qui concerne votre interaction avec la police vous confirmez que vous n'auriez pas pu parler avec cette dernière, mais qu'elle aurait néanmoins noté vos noms.».

Le ministre informa ensuite les consorts … que leur demande de protection internationale avait été refusée comme étant non fondée sur base des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015, tout en leur ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.

Le ministre mit de prime abord en doute la crédibilité du récit des consorts … ainsi que leur honnêteté respectivement la gravité de leur situation dans le pays d’origine, en faisant état d’un manque de clarté de leur récit par rapport à leur interaction avec la police locale tout en émettant des doutes quant à l’authenticité des attestations délivrées par les consorts … du chef de police et du directeur du parquet de ….

Par ailleurs, le ministre retint que les faits relatés constitueraient des infractions de droit commun commises par des personnes privées du ressort des autorités albanaises et punissables en vertu de la législation albanaise.

Il souligna que le gouvernement albanais aurait mis en place un cadre légal permettant de combattre le fléau de la violence domestique tout en interdisant l’arrangement de mariages forcés.

Par ailleurs, il ne serait pas établi que les consorts … ne pourraient pas obtenir une protection dans leur pays d’origine, le ministre soulignant en outre que l’Albanie figurerait sur la liste des pays d’origine sûr.

S’agissant finalement de la protection subsidiaire, le ministre conclut que les consorts … ne feraient état d’aucun motif sérieux et avéré de croire qu’elles courraient un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 en cas de retour dans leur pays d’origine.

En conséquence, il constata que le séjour des consorts … sur le territoire luxembourgeois était illégal et leur enjoignit de quitter ledit territoire dans un délai de trente jours.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 25 août 2016, les consorts … ont fait déposer un recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 25 juillet 2016 portant refus de faire droit à leur demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

1) Quant au recours visant la décision du ministre portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre la décision du ministre du 25 juillet 2016, telle que déférée. Ledit recours ayant encore été introduit dans les formes et délai de la loi, il est à déclarer recevable.

A l’appui de leur recours, les demanderesses analysent de prime abord, point par point, la décision ministérielle du 25 juillet 2016.

Tout en admettant que leur récit tel que résumé par le ministre correspond en substance à leur déclarations, les demanderesses critiquent toutefois les citations faites par le ministre de leur déclarations lors des auditions, en faisant valoir que la copie du rapport d’audition leur remise aurait moins de pages que celui mentionné par le ministre dans sa décision, sans toutefois en tirer une conclusion en droit.

Elles insistent ensuite sur la considération que le motif à la base de leur tentative de s’adresser à la police pour y déposer une plainte aurait été le mariage forcé arrangé par leur père sur la base de la loi du Kanun et qu’elles auraient refusé d’accepter.

Tout en reprochant au ministre d’avoir insinué qu’elles auraient reçu les attestations du commissariat de police à cette même occasion, alors que cette attestation aurait été délivrée postérieurement, les demanderesses reprochent encore au ministre d’avoir fait état dans sa décision de citations erronées de leurs déclarations. S’agissant du renvoi opéré par le ministre à une source au sujet de la situation du chef de police ayant délivré l’attestation incriminée par le ministre, les demanderesses critiquent que le renvoi aurait été opéré dans une langue autre que l’une des trois langues officielles du pays. S’agissant du reproche du ministre que le commissaire … aurait été suspendu de ses fonctions en novembre 2014, reproche qui, d’après les demanderesses, ne résulterait d’aucun document compréhensible, les demanderesses font état de l’écoulement du temps entre novembre 2014 et juillet 2016, tout en soulignant qu’une suspension serait par essence temporaire et que rien n’exclurait qu’un fonctionnaire suspendu de ses fonctions puisse ultérieurement être nommé à une autre fonction, même d’un niveau supérieur. Quant à la similitude du libellé des attestations émanant du commissariat de police du district de … et du directeur du Parquet de …, les demanderesses affirment que celle-ci s’expliquerait sans doute par la proximité locale de ces deux services publics et par le fait que la police, comme au Luxembourg, serait aux ordres du Parquet. Cette similarité du libellé des attestations n’affecterait toutefois en rien leur validité et leur véracité intrinsèque. S’agissant du reproche du ministre que les deux attestations porteraient un numéro de protocole, les demanderesses affirment que cette conclusion, qu’elles qualifient de malveillante, constituerait une offense à leur honneur puisqu’elle ne serait fondée que sur des simples suppositions personnelles non corroborées par un élément concret du dossier. Si les attestations portaient un numéro, cela s’expliquerait par le fait qu’il s’agirait d’un numéro d’ordre afin de pouvoir retrouver le document ultérieurement. Le fait par le ministre d’en déduire à la préexistence d’un dossier non révélé lors de leurs auditions constituerait, d’après les demanderesses, une incrimination gratuite de nature diffamatoire, les demanderesses reprochant de ce fait au ministre de ne pas avoir traité leur dossier de manière objective et impartiale. Dès lors, le constat du ministre suivant lequel la véracité de ces attestations serait contestée puisque peu de crédit y pourrait être donné, serait, d’après les demanderesses, à rejeter puisque le ministre n’aurait apporté aucune preuve à l’appui de sa contestation. Les demanderesses exposent que, sans doute, un dossier aurait été ouvert à leur nom à la suite de la demande adressée fin octobre 2015 à la police et au Parquet du district de … afin de clarifier si une protection adéquate et efficace pouvait leur être accordée par la police albanaise du fait que le refus du mariage forcé leur imposé par leur père. Auparavant, un dossier n’aurait matériellement pas pu exister. En effet, lorsque qu’elles avaient attendu leur tour au commissariat de police de proximité, elles auraient seulement indiqué leur nom avant que leur père ne surgisse et ne les oblige à rentrer avec lui, de sorte qu’une plainte n’aurait pu être déposée ce jour-là. Il s’en suivrait qu’il n’existerait aucun dossier non révélé par elles avant leur fuite en 2015.

Les demanderesses font ensuite valoir que leur père les aurait, par ailleurs, maltraitées physiquement, tout en soulignant que tel aurait également été le cas après leur retour du commissariat de police lorsqu’elles voulaient déposer plainte.

S’agissant de la référence faite par le ministre au cadre légal albanais interdisant le mariage forcé, les demanderesses font valoir que les lois afférentes ne seraient pas appliquées et resteraient lettre morte, surtout dans les régions reculées de l’Albanie. Elles ajoutent qu’au-

delà du constat que les dispositions du Code criminel citées par le ministre ne concerneraient pas le cas des femmes majeures promises au mariage forcé, le fait même qu’une incrimination du mariage forcé est contenue dans le Code criminel démontrerait l’existence d’un problème non maîtrisé, qui serait d’autant plus grave que la justice albanaise n’appliquerait pas les lois et que si elle prononçait une condamnation, les condamnés seraient relâchés après un bref laps de temps.

Quant à la référence faite par le ministre à la possibilité de déposer plainte contre un policier, les demanderesses estiment que cette référence serait non pertinente en l’espèce puisqu’elles n’auraient pas été victimes d’une méconduite policière. Par ailleurs, elles n’auraient pu s’adresser au bureau de l’Ombudsman puisqu’en l’espèce, aucune question de relation avec l’administration ne serait en jeu.

S’agissant des actions de la police en faveur de familles vivant dans l’isolement invoquées par le ministre, les demanderesses donnent à considérer que même dans la région de Shkodër, des familles vivraient dans l’isolement total depuis des années et ne bénéficieraient d’aucune protection de la police. Elles citent encore le cas d’un dénommé … qui aurait été tué après sa sortie de prison, alors qu’il aurait été engagé dans une affaire de vengeance selon la loi du Kanun. S’y ajouterait que beaucoup de policiers hésiteraient à intervenir dans des cas de vengeance suivant la loi du Kanun par peur de se retrouver eux-

mêmes, en raison de leur intervention, pris dans une telle affaire.

Les demanderesses insistent ensuite sur la considération que suite à leur refus de contracter un mariage forcé, qui de manière non contesté par le ministre existerait en Albanie, selon la loi du Kanun, tant leur père que leurs maris promis auraient le droit de les tuer.

Les demanderesses mettent ensuite en cause l’objectivité du rapport du Bundesamt für Migration und Flüchtlinge invoqué par le ministre par rapport à la fuite interne, et contestent, enfin, l’affirmation du ministre que l’Albanie serait à considérer comme pays sûr, les demanderesses estimant que compte tenu des dangers imminents qu’elles invoqueraient, la désignation de l’Albanie comme pays sûr dans leurs cas particulier ne serait pas pertinente.

En guise de conclusion, elles estiment craindre avec raison d’être victimes d’un crime d’honneur sur base du Kanun puisque, après avoir refusé le mariage arrangé leur imposé par leur père, ce dernier et leurs maris promis seraient habilités à les tuer sans que l’Etat albanais ne puisse garantir leur sécurité, tel que cela ressortirait de l’attestation de la police et du Parquet de ….

Les demanderesses donnent encore à considérer que chaque année au moins 23 femmes seraient tuées en Albanie dans le cadre de violences domestiques par leur mari ou un autre membre de la famille, sans compter ceux tués pour refus du mariage forcé. Elles seraient dès lors à considérer comme faisant partie d’un groupe social, à savoir le groupe des filles albanaises menacées de mariage forcé, les demanderesses soulignant que le ministre reconnaîtrait lui-même que le problème du mariage forcé serait une réalité dans certaines régions d’Albanie, notamment dans les régions rurales et reculées du pays dont elles-mêmes seraient originaires. Leurs craintes seraient réelles même si le mariage n’avait pas encore été conclu définitivement, leur refus de contracter le mariage malgré la promesse de leur père envers la famille des futurs époux étant suffisante pour déclencher la vengeance.

S’agissant de la protection subsidiaire, les demanderesses font valoir que la décision du ministre ne serait pratiquement pas motivée, tout en renvoyant à leurs déclarations faites lors des auditions.

Elles font valoir qu’en cas de retour dans leur pays d’origine, le sort leur réservé serait le même que celui réservé au dénommé …. Même si leur vie était épargnée, elles risqueraient pour le moins l’attaque à l’acide pour les marquer à vie, sinon le viol organisé pour les exclure de la société patriarcale du fait de la perte de leur virginité, respectivement la réalisation du mariage initialement organisé par leur père auquel elles auraient tenté d’échapper par leur fuite au Luxembourg avec comme conséquence le viol et l’esclavage familial à vie. De tels faits feraient, en tout cas, régulièrement la une dans les journaux en Albanie.

En droit, les demanderesses font valoir que le mariage forcé qu’elles auraient refusé d’accepter constituerait une persécution liée au genre, en affirmant que les femmes albanaises essayant de se soustraire à un mariage forcé conclu sur la base de la loi du Kanun seraient considérées par la société comme ayant transgressé les règles issues de la coutume et des lois ancestrales et seraient, de ce fait, susceptibles d’être exposées à des persécutions sans possibilité de protection de la part des autorités albanaises. Ces femmes devraient dès lors être considérées comme appartenant à un groupe social des victimes du mariage forcé au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et le Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par le règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après désigné par « la Convention de Genève ». Craignant d’être victimes d’un crime d’honneur en application de la loi du Kanun, ce serait dès lors avec raison qu’elles auraient peur d’être persécutées dans leur pays d’origine.

De même, leur refus de porter le voile islamique complet les exposerait de la part de leurs maris promis, qui seraient islamistes, à la persécution sur le plan de la religion. Il en serait de même de l’exigence leur imposée de ne plus sortir dans la rue sans l’accompagnement d’un mâle de leur propre famille. Le refus de se plier à une telle exigence, contraire aux droits de l’homme, les exposerait encore à la persécution de leurs maris choisis sans leur consentement. La forme de persécution pour ces deux derniers refus sur base de la religion pourrait prendre de multiples formes de torture, tel que notamment l’attaque à l’acide ou le viol organisé. Elles donnent encore à considérer que dans la mesure où leur père aurait reçu en échange de la promesse de mariage une pièce d’or ainsi que la somme d’argent de 1.500 € censée compenser, d’après les demanderesses, des « services sexuels non consentant et des travaux forcés à fournir », elles seraient en outre victimes d’une véritable traite des femmes, en violation de la convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains et d’autres instruments internationaux.

S’agissant de l’affirmation du ministre qu’elles proviendraient d’un pays d’origine sûr, les demanderesses font valoir que leur récit, qui serait cohérent, crédible et exposé de bonne foi, permettrait de penser que l’Albanie ne constitue pas un pays d’origine sûr en raison de leur situation personnelle.

Elles font encore valoir que leur crédibilité ne pourrait être remise en doute en renvoyant à la note du UNHCR suivant laquelle la crédibilité est établie lorsque le demandeur a présenté un récit cohérent et vraisemblable.

Elles font en outre valoir que la protection de la police serait inabordable puisque les agents de police n’accepteraient généralement pas de se mêler à des conflits entre familles ou des clans basés sur le Kanun et/ou sur la religion, de peur de se voir eux-mêmes et leurs familles impliqués personnellement dans un conflit de vengeance.

Elles donnent à considérer qu’une décision de refoulement vers l’Albanie serait à qualifier de décision implicite de condamnation à mort, cela en violation de l’article 18 de la Constitution luxembourgeoise et de l’article 33 de la Convention de Genève. Un refoulement vers l’Albanie serait encore à proscrire compte tenu également des horreurs auxquelles des islamistes, les deux frères auxquels elles auraient été promises étant islamistes, seraient capables au vu des événements dramatiques qui se sont produits en 2015 à Paris.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours pour ne pas être fondé.

A l’audience des plaidoiries, le mandataire des demanderesses a encore soulevé un moyen fondé sur une violation par le ministre de son obligation d’examiner la demande de protection internationale de manière objective et impartiale.

Or, c’est à bon droit que le délégué du gouvernement a conclu à l’inadmissibilité de ce moyen comme étant un moyen nouveau. En effet, la procédure devant les juridictions administratives étant essentiellement écrite, le tribunal n’a pas à répondre à des moyens nouveaux invoqués pour la première fois oralement à l’audience des plaidoiries, sous réserve de moyens d’ordre public qui sont à soulever d’office. Or, le moyen fondé sur une violation, de manière générale, de son obligation de procéder à un examen objectif et impartial n’ayant pas été invoqué en tant que tel dans la requête introductive, les demanderesses ayant seulement critiqué l’impartialité du ministre s’agissant des contestations par celui-ci des attestations produites par elles, il est à écarter des débats.

Le tribunal relève ensuite que si, dans leur requête introductive, les demanderesses critiquent certaines citations faites par le ministre de leur récit et soutiennent que les copies des rapports d’audition qui leur ont été délivrées auraient moins de pages que celles figurant au dossier administratif, au-delà du constat que les demanderesses ne tirent aucune conclusion en droit de cette affirmation, force est au tribunal de constater que, d’une part, il ne se dégage pas des éléments à sa disposition que les déclarations des demanderesses aient été mal retranscrites, celles-ci affirmant d’ailleurs que le résumé de leurs déclarations fait par le ministre serait conforme à leur récit et, d’autre part, la différence de numérotation critiquée par les demanderesses s’explique par la circonstance que sur la copie des rapports d’audition délivrée aux demanderesses et versée par celles-ci parmi les pièces ne figurent pas les pages comportant les signatures des personnes ayant assisté aux entretiens respectifs.

Par ailleurs, le reproche suivant lequel le ministre n’aurait pas analysé objectivement leur demande au motif qu’il leur aurait implicitement reproché de ne pas avoir mentionné lors de leurs auditions l’existence d’n dossier ouvert auprès de a police est encore à rejeter, un tel reproche ne se dégageant pas des éléments du dossier, le seul fait que le ministre a pris une décision négative ne permettant pas de retenir une telle conclusion.

Ensuite, c’est encore en vain que les demanderesses reprochent au ministre de ne pas avoir suffisamment motivé le refus de leur accorder une protection subsidiaire, dans la mesure où la décision contient à suffisance les éléments de fait et de droit à sa base.

Quant au bien-fondé de la décision du ministre, il convient de relever qu’aux termes de l’article 2 b) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « demande de protection internationale » se définit comme correspondant à une demande visant à obtenir le statut de réfugié, respectivement celui conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de ladite loi comme étant «tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […]», tandis que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » est définie par l’article 2 g) de la même loi comme « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir des atteintes graves et que cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

Force est au tribunal de constater que tant la notion de « réfugié », que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » impliquent nécessairement des persécutions ou des atteintes graves, ou à tout le moins un risque de persécution ou d’atteintes graves dans le pays d’origine.

Par ailleurs, l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015 dispose « (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1 A de la Convention de Genève doivent :

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l'homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d'une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). ».

Quant aux atteintes graves, l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 les définit comme :

« a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Dans les deux hypothèses, les faits dénoncés doivent être perpétrés par un acteur de persécutions ou d’atteintes graves au sens de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, lesquels peuvent être :

« a) l’Etat ;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. », et aux termes de l’article 40 de la même loi : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. […] ».

Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine. Cette dernière condition s’applique également au niveau de la demande de protection subsidiaire, conjuguée avec les exigences liées à la définition de l’atteinte grave reprises à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 et rappelées précédemment.

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur de protection internationale ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire. Particulièrement, si l’élément qui fait défaut touche à l’auteur des persécutions ou des atteintes graves, aucun des deux volets de la demande de protection internationale ne saurait aboutir, les articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015 s’appliquant, comme relevé ci-avant, tant à la demande d’asile qu’à celle de protection subsidiaire.

Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », tandis que l’article 2 g) de la même loi définit la personne pouvant bénéficier du statut de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », de sorte que ces dispositions visent une persécution, respectivement des atteintes graves futures sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté ou qu’il ait subi des atteintes graves avant son départ dans son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, les persécutions ou atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies instaurent une présomption réfragable que de telles persécutions ou atteintes graves se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine aux termes de l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015, de sorte que, dans cette hypothèse, il appartient au ministre de démontrer qu’il existe de bonnes raisons que de telles persécutions ou atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra porter en définitive sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté ou de subir des atteintes graves qu’il encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.

En l’espèce, indépendamment de la question de la crédibilité du récit des demanderesses et de la qualification des faits invoqués à l’appui de la demande de protection internationale ou encore de la question de savoir si les actes invoqués sont d’une gravité suffisante pour être qualifiés de persécutions ou d’atteintes graves au sens de la loi du 18 décembre 2015, force est au tribunal de relever que les auteurs des agissements dont les demanderesses déclarent être les victimes ou craindre être les victimes, à savoir leurs époux promis et leur père, sont des personnes privées, sans lien avec l’Etat.

Les demanderesses ne peuvent dès lors faire valoir un risque réel de subir des atteintes graves que si les autorités albanaises ne veulent ou ne peuvent leur fournir une protection effective contre les agissements dont elles font état, en application de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015, ou si elles ont de bonnes raisons de ne pas vouloir se réclamer de la protection des autorités de leur pays d’origine.

En effet, chaque fois que la personne concernée est admise à bénéficier de la protection du pays dont elle a la nationalité, et qu’elle n’a aucune raison, fondée sur une crainte justifiée, de refuser cette protection, l’intéressé n’a pas besoin de la protection internationale1. En toute hypothèse, il faut que l’intéressé ait tenté d’obtenir la protection des autorités de son pays pour autant qu’une telle tentative paraisse raisonnable en raison du contexte. Cette position extensive se justifie au regard de l’aspect protectionnel du droit international des réfugiés qui consiste à substituer une protection internationale là où celle de l’Etat fait défaut2.

L’essentiel est en effet d’examiner si la personne peut être protégée compte tenu de son profil dans le contexte qu’elle décrit. C’est l’absence de protection qui est décisive, quelle que soit la source de la persécution ou de l’atteinte grave infligée.

Il y a encore lieu de souligner que si une protection n’est considérée comme suffisante que si les autorités ont mis en place une structure policière et judiciaire capable et disposée à déceler, à poursuivre et à sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave et lorsque le demandeur a accès à cette protection, la disponibilité d’une protection nationale exigeant par conséquent un examen de l’effectivité, de l’accessibilité et de l’adéquation d’une protection disponible dans le pays d’origine même si une plainte a pu être enregistrée, - ce qui inclut notamment la volonté et la capacité de la police, des tribunaux et des autres autorités du pays d’origine, à identifier, à poursuivre et à punir ceux qui sont à l’origine des persécutions ou des atteintes graves - cette exigence n’impose toutefois pour autant pas un taux de résolution et de sanction des infractions de l’ordre de 100 %, taux qui 1 Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut des réfugiés, UNHCR, décembre 2011, p.21, n° 100.

2 Jean-Yves Carlier, Qu’est-ce qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 754.

n’est pas non plus atteint dans les pays dotés de structures policière et judiciaire les plus efficaces, ni qu’elle n’impose nécessairement l’existence de structures et de moyens policiers et judiciaires identiques à ceux des pays occidentaux.

En effet, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion.

Or, en l’espèce, il ne ressort pas à suffisance des déclarations des demanderesses, ni des explications de leur litismandataire, ni des pièces produites en cause, que les autorités albanaises compétentes aient refusé ou aient été dans l’incapacité de leur fournir une protection quelconque que ce soit contre le mariage forcé dont elles déclarent craindre être les victimes, y compris les traitements violents subis de la part de leur père, ou que ce soit contre les représailles dans le cadre d’une vengeance à la suite de leur refus d’accepter le mariage forcé.

En effet, les demanderesses déclarent s’être présentées uniquement à une reprise à un commissariat de police pour dénoncer le mariage forcé dont elles craignent être les victimes, sans toutefois avoir pu déposer leur plainte puisque leur père les aurait emmenées après les avoir surprises au commissariat de police. Les demanderesses restent toutefois en défaut de fournir des raisons valables pour expliquer leur omission d’entreprendre par la suite d’autres démarches afin de rechercher l’aide de la police albanaise ou d’autres institutions, au lieu de fuir immédiatement leur pays d’origine. A cet égard, il convient de relever que la circonstance les ayant empêchées de déposer plainte ne réside pas dans un refus de la police d’enregistrer leur plainte, mais dans les agissements de leur père, de sorte que l’échec du dépôt d’une plainte à l’unique occasion à laquelle elles ont essayé de s’adresser à la police ne permet pas de conclure à un défaut de protection dont pourraient bénéficier les demanderesses en Albanie. En toute hypothèse, il ne se dégage pas des éléments à la disposition du tribunal qu’une nouvelle tentative de solliciter de l’aide aurait été vouée à l’échec.

Enfin, de manière générale, le tribunal relève que s’il est certes vrai qu’il se dégage des éléments à la disposition du tribunal, et plus particulièrement des divers rapports versés en cause, que le mariage forcé est une réalité en Albanie, il n’en reste pas moins qu’il se dégage des explications fournies par la partie étatique, sources internationales à l’appui, que l’Etat albanais a pris des dispositions législatives afin de lutter contre le mariage forcé ainsi que contre des violences familiales. Il se dégage, par ailleurs, plus particulièrement d’un rapport du Immigration and Refugee Board of Canada cité par le ministre que l’intervention de la police plus particulièrement s’agissant de violences familiales a montré une certaine efficacité. De même le rapport du UNHCR du 30 avril 2014 versé par les demanderesses fait état de statistiques de la police visant des cas de violence familiale, de sorte qu’il y a lieu d’en déduire que la police ne reste pas inactive face à ce problème. Ces rapports contredisent dès lors l’affirmation des demanderesses que l’application des lois en la matière resterait lettre morte.

S’il ne peut bien évidemment pas être exclu que le système albanais de lutte contre les violences domestiques présente encore certaines défaillances et lacunes, il n’en demeure pas moins qu’un tel système existe et qu’il ne semble pas être inefficace à un tel point que les demanderesses aient valablement pu renoncer à rechercher une protection auprès des autorités locales.

De même, s’agissant du problème de vengeance dont font état les demanderesses, au-

delà du constat qu’à ce stade, les demanderesses n’ont pas fait état d’une menace concrète ou d’incidents concrets, force est de constater que même à admettre le sérieux de leur crainte, les demanderesses auraient pu s’adresser non seulement à la police, mais encore à d’autres instances, étant relevé qu’il se dégage des explications fournies par la partie étatique, sur le fondement d’un rapport du Bundesamt für Migration und Flüchtlinge allemand, - dont les demanderesses mettent à tort en cause l’objectivité, le simple constat que ledit rapport émane de l’autorité allemande ayant l’immigration en ses attribution n’impliquant pas ipso facto une telle conclusion -, qu’il existe notamment des organisations de réconciliation auxquelles les demanderesses auraient pu s’adresser pour résoudre un conflit de vengeance, plutôt que de fuir immédiatement leur pays d’origine. Si les demanderesses affirment encore qu’il aurait été vain de chercher l’aide de la police puisque celle-ci hésiterait à se mêler à des affaires de vengeance, il ressort toutefois des sources internationales invoquées par la partie étatique3 que notamment une unité spéciale a été créée en relation avec des affaires de vengeance et que grâce aux efforts de cette unité, le nombre de crime de sang a diminué. Par ailleurs, la loi albanaise prévoit des sanctions pénales pour des actes de vengeance.

Le tribunal ne saurait en tout cas pas déduire des seules attestations de la police et du Parquet de … des 23 et 26 octobre 2015 produites par les demanderesses, dont l’authenticité et la valeur probante sont contestées par la partie étatique, un défaut de protection des autorités albanaises. En effet, si le tribunal administratif n’a pas compétence pour qualifier une pièce de faux, le faux en écriture ne se présumant en effet pas et le législateur ayant prévu une procédure spécifique à l’article 19 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, à savoir une demande en inscription de faux, il peut néanmoins apprécier le caractère sérieux d’un écrit même s’il n’est pas nécessairement un faux au sens pénal du terme, respectivement indépendamment de la qualification de faux. Or, face aux rapports internationaux cités par le ministre dont il se dégage que la police n’établit plus des attestations concernant l’existence d’une vengeance4, le tribunal est amené à retenir que les certificats de l’espèce, rédigés par ailleurs en des termes tout à fait généraux sans autre précision quant à des incidents précis, mentionnant en plus un contexte de la vengeance différent de celui allégué par les demanderesses, à savoir un conflit en raison de la religion, et ayant, par ailleurs, un libellé quasi identique bien qu’émanant d’autorités différences, sans que les explications fournies par les demanderesses à cet égard soient convaincantes, n’emportent pas sa conviction.

S’il peut encore être admis qu’une sécurité absolue ne peut pas être garantie par la police face à des menaces dans le cadre d’une vengeance selon la loi du Kanun, une telle sécurité absolue ne pouvant être garantie dans aucun pays il n’en reste pas moins que le tribunal ne dispose pas de suffisamment d’éléments permettant de retenir que les autorités albanaises soient dans l’incapacité ou refuseraient d’apporter leur aide dans de telles situations.

S’y ajoute qu’il se dégage de ces deux attestations, indépendamment de leur valeur et de leur authenticité, que des démarches auraient été entreprises par la police face à une affaire de vengeance, de sorte qu’il se dégage des propres pièces des demanderesses, à supposer que leur valeur probante puisse être retenue, que pour le moins il ne peut pas être retenu que la police albanaise refuse d’apporter une aide en cas d’un conflit selon la loi du Kanun.

3 CEDOCA (Centre de recherche et de documentation du commissariat général aux réfugiés et apatrides).

4 Immigration and Refugee Board of Canada du 13 août 2015.

En résumé, au regard des éléments à la disposition du tribunal, il n’est pas établi que les demanderesses ne peuvent pas obtenir une protection suffisante dans leur pays d’origine.

Plus particulièrement au vu des explications et sources internationales fournies par le ministre et la partie étatique quant à la disponibilité d’un système judiciaire et policier, plus particulièrement dans le contexte du mariage forcé et des violences domestiques, d’une part, et de vengeances suivant la loi du Kanun, d’autre part, et à défaut pour les demanderesses d’avoir suffisamment recherché la protection des autorités de leur pays, la seule affirmation qu’elles ne bénéficieraient d’aucune protection dans leur pays d’origine est insuffisante pour emporter le constat que les autorités albanaises seraient dans l’incapacité de leur fournir une protection au sens de l’article 40 (2) de la loi du 18 décembre 2015, de sorte qu’elles ne sauraient, à travers la protection internationale, réclamer la protection d’un autre Etat.

Il s’ensuit que les demanderesses n’ont pas fait état et n’ont pas établi des raisons de nature à justifier dans leur chef dans leur pays de provenance une crainte justifiée de persécution pour les motifs énumérés à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, respectivement qu’il existerait de sérieuses raisons de croire qu’elles encourraient, en cas de retour dans leur pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a rejeté comme étant non fondée leur demande tendant à l’obtention du statut conféré par la protection internationale prise en son double volet.

2. Quant au recours visant l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre l’ordre de quitter le territoire, un recours sollicitant la réformation de pareil ordre contenu dans la décision déférée a valablement pu être dirigé contre la décision ministérielle litigieuse. Le recours en réformation, ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, est recevable.

Aux termes de l’article 34, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2 q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34, paragraphe (2), précité, est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Les demanderesses font état des risques qu’elles courraient en cas de retour dans leur pays d’origine et estiment que le fait de les renvoyer dans ces conditions en Albanie équivaudrait à une condamnation à mort, sinon les exposerait à des relations sexuelles non consenties et répétées ainsi qu’à l’esclavage familial de la part des maris leur imposés par leur père, partant à la torture et à l’esclavage perpétuel.

Elles se prévalent dans ce contexte encore de la Constitution luxembourgeoise, interdisant la condamnation à mort, de l’article 33 de la Convention de Genève, ainsi que de l’article 19 de la Charte des droits de l’homme de l’Union européenne.

En cas de non reconnaissance du statut d’une protection internationale, les demanderesses demandent encore au tribunal de « surseoir à l’exécution de tout refoulement ».

Dans la mesure où le tribunal vient cependant de retenir que les demanderesses ne remplissent pas les conditions pour prétendre à l’un des statuts conférés par la protection internationale, le ministre pouvait valablement assortir le refus d’une protection internationale d’un ordre de quitter le territoire.

Si les demanderesses invoquent l’article 18 de la Constitution, interdisant la peine de mort, l’article 33 de la Convention de Genève, aux termes duquel « Aucun des Etats Contractants n’expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques », ainsi que l’article 19 de la Charte des droits de l’homme de l’Union européenne, aux termes duquel « Nul ne peut être éloigné, expulsé ou extradé vers un État où il existe un risque sérieux qu'il soit soumis à la peine de mort, à la torture ou à d'autres peines ou traitements inhumains ou dégradants. », ces dispositions ne sont toutefois pas de nature à mettre en cause la légalité de l’ordre de quitter le territoire, dans la mesure où le tribunal vient de retenir que les demanderesses ne courent pas un risque sérieux de subir des persécutions ou atteintes graves, y compris la mort, sans possibilité d’une protection de leur pays d’origine.

Il s’ensuit que le recours en réformation pour autant qu’il est dirigé contre l’ordre de quitter le territoire est à rejeter comme étant non fondé.

S’agissant de la demande au tribunal de « sursoir à l’exécution de l’ordre de quitter le territoire », le tribunal n’a pas compétence pour ordonner, dans le cadre du présent recours en réformation, une mesure de sursis à exécution.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 25 juillet 2016 portant rejet d’une protection internationale dans le chef de Madame …et de Madame … et contre l’ordre de quitter le territoire ;

au fond, déclare les recours en réformation non justifiés et en déboute ;

se déclare incompétent pour connaître de la demande de sursoir à l’exécution de tout refoulement ;

condamne les demanderesses aux frais.

Ainsi jugé par :

Annick Braun, vice-président, Alexandra Castegnaro, premier juge, Emina Softic, attaché de justice, et lu à l’audience publique du 12 juin 2017 par le vice-président en présence du greffier en chef Arny Schmit.

Arny Schmit Annick Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 12.6.2017 Le greffier du tribunal administratif 15


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 38397
Date de la décision : 12/06/2017

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2017-06-12;38397 ?

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