Tribunal administratif N° 39342 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 30 mars 2017 1re chambre Audience publique extraordinaire du 30 mai 2017 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 28 (2), L.18.12.2015)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 39342 du rôle et déposée le 30 mars 2017 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Iran), de nationalité iranienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 23 mars 2017 ayant déclaré sa demande de protection internationale irrecevable aux termes de l’article 28 (2) a) de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, et de la décision du même ministre du même jour portant ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 8 mai 2017 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Marlène Aybek, en remplacement de Maître Ardavan Fatholahzadeh, et Monsieur le délégué du gouvernement Luc Reding en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 22 mai 2017.
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Le 20 janvier 2017, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande en obtention d’une protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Monsieur … fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.
A cette occasion, la police grand-ducale fit procéder à la prise des empreintes digitales de Monsieur … ainsi qu’à une recherche dans le système Eurodac : il apparut à cette occasion que l’intéressé avait déposé une demande de protection internationale en date du 12 mai 2014 en Grèce, ainsi qu’en date du 26 novembre 2015 aux Pays-Bas, et qu’il avait obtenu le statut de réfugié en Grèce en date du 3 juillet 2014.
Le 23 janvier 2017, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».
Les autorités luxembourgeoises contactèrent les autorités grecques le 10 février 2017 en vue de la reprise en charge de Monsieur …. Par courrier du 24 février 2017, les autorités grecques informèrent les autorités luxembourgeoises que cette reprise en charge ne pourrait pas avoir lieu dans le chef de Monsieur … en application des dispositions du règlement Dublin III, alors qu’il bénéficie d’ores et déjà d’une protection internationale en Grèce, la réadmission de Monsieur … devant s’opérer par le biais de la coopération policière.
Le 13 mars 2017, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale, ainsi que sur la recevabilité de sa demande de protection internationale déposée au Luxembourg le 20 janvier 2017.
Par décision du 23 mars 2017, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé expédié le lendemain, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », rejeta la demande de protection internationale de Monsieur … pour être irrecevable en application de l’article 28, paragraphe (2) a) de la loi du 18 décembre 2015, ladite décision étant libellée comme suit :
« […] II ressort du rapport du Service de Police Judiciaire que vous avez introduit des demandes de protection internationale en Grèce le 12 mai 2014 et aux Pays-Bas le 26 novembre 2015.
Vous signalez avoir quitté l'Iran en 2013 ou 2014 par avion en direction de la Grèce muni d’un visa valable. Après trois ans, vous auriez quitte la Grèce en direction des Pays-
Bas.
II ressort de vos déclarations auprès de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes que « malheureusement » (p. 2 du rapport d'entretien) vous bénéficieriez d’une protection internationale en Grèce. Vous auriez cependant quitté la Grèce parce que le pays serait « en faillite » et que vous souffririez de graves problèmes de santé.
Vous signalez avoir été obligé de dormir dans la rue et de « fouiller les poubelles ».
En plus, vous n’auriez pas pu vous payer une assurance maladie et vous n’auriez pas pu trouver un travail déclaré en Grèce afin de bénéficier d'une couverture sociale. Etant donné que vous auriez besoin « d’un minimum d’assistance médicale » et qu’il aurait été «impossible de rester en Grèce», vous seriez parti aux Pays-Bas où votre demande de protection internationale n’aurait toutefois pas été acceptée. A cela s’ajoute que vous auriez plusieurs fois été « chassé » dans les rues par des membres de l’« Aube doré ».
Je suis au regret de vous informer qu’en vertu des dispositions de l’article 28 (2) a) de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, votre demande de protection internationale est irrecevable au motif qu’une protection internationale vous a été accordée par un autre Etat membre de l'Union européenne.
En effet, il résulte des informations dont nous avons connaissance que, suite à la demande de reprise en charge adressée aux autorités grecques le 10 février 2017, celles-ci ont confirmé au Ministère des Affaires étrangères et européennes par télécopie du 24 février 2017 que vous bénéficiez du statut de réfugié en Grèce.
Bien que vous précisiez avoir quitté la Grèce parce que vous auriez été obligé de dormir dans la rue, que vous n’auriez pas eu d’assistance médicale et que vous auriez quelques fois été « chassé » par des membres de l’« Aube dorée », il ne ressort pas des éléments en notre possession que vous auriez à craindre pour votre vie ou pour votre liberté en raison de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social particulier ou de vos opinions politiques.
Hormis le fait que des motifs médicaux ou financiers ne sauraient de toute façon pas fonder une demande en obtention d’une protection internationale, la Grèce respecte le principe de non refoulement conformément à la Convention de Genève et l’interdiction de prendre des mesures d’éloignement contraires à l’interdiction de la torture et des traitements cruels, inhumains ou dégradants. […] » Par courrier électronique du 22 avril 2017, les autorités grecques acceptèrent le retour de Monsieur … en Grèce en application de l’article 6 de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, sur le fondement de la considération que l’intéressé s’est vu accorder le statut de réfugié le 3 juillet 2014 et dispose en Grèce d’un titre de séjour jusqu’au 23 octobre 2017.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 30 mars 2017, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 23 mars 2017 par laquelle sa demande en obtention de la protection internationale a été déclarée irrecevable et de l’ordre de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.
1) Quant au recours visant la décision du ministre ayant déclaré la demande de protection internationale irrecevable Aucune disposition légale ne prévoit de recours au fond en la matière, de sorte que seul un recours en annulation a pu être introduit contre la décision ministérielle précitée du 23 mars 2017 ayant déclaré la demande de protection internationale irrecevable. Le recours en annulation introduit en l’espèce est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours et en fait, Monsieur … explique qu’il aurait quitté son pays d’origine en 2014 avec l’intention de rejoindre un pays « plus avant dans l’ouest européen ».
Une fois arrivé en Grèce, il explique s’être présenté aux autorités grecques en raison de son état de santé qui aurait nécessité « des soins médicaux multidisciplinaires » et par crainte de faire l’objet d’une rétention administrative lors de son séjour clandestin. Toutefois, n’ayant eu aucune intention de rester en Grèce, il aurait indiqué les raisons l’ayant amené à quitter son pays d’origine de manière sommaire afin d’obtenir une décision négative de la part des autorités grecques. Pour le surplus, il reprend ses déclarations telles qu’actées lors de son audition par un agent du ministère compétent.
En droit, le demandeur estime que la décision déférée devrait encourir l’annulation pour violation de la loi et du « règlement communautaire », sinon pour erreur manifeste d’appréciation des faits dans le chef du ministre.
Le demandeur invoque de prime abord les dispositions de la directive 2011/95/CE du Parlement européen et du conseil du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection, ci-après désignée par « la directive 2011/95/CE », pour soutenir que les autorités grecques ne respecteraient pas les prescriptions de cette directive ni d’ailleurs celles de la Convention de Genève et d’autres « dispositions communautaires » réglant la prise en charge des réfugiés par les Etats membres. En effet, alors même qu’il s’était vu accorder le statut de réfugié en Grèce pour une durée de trois ans, il aurait été obligé de dormir dans la rue et n’aurait pas eu accès aux soins de santé.
D’autre part, le demandeur fait valoir d’un danger pour sa personne s’il devait retourner en Grèce en raison de membres du groupe d’extrême droite « Aube dorée », étant donné qu’il aurait d’ores et déjà rencontré des problèmes avec ces extrémistes, situation qui aurait été facilitée par le fait qu’il aurait été obligé de dormir dans la rue. Pour appuyer ses dires, le demandeur verse plusieurs articles de presse afin de prouver la montée en puissance de l’extrémisme en Grèce, en l’occurrence deux articles de presse datés du 14 octobre 2016, respectivement du 7 décembre 2016. De plus, les conditions déplorables et affligeantes du traitement des personnes bénéficiant de la protection internationale en Grèce seraient, d’après le demandeur, documentées par de nombreux rapports d’organisations internationales sur la situation en Grèce, ce qui démontrerait que les autorités grecques ne seraient pas en mesure d’offrir des garanties individuelles relatives à une prise en charge adaptée, notamment en termes d’accès aux soins médicaux, au logement et au travail « équitable et efficace », ou de droit à un recours judiciaire.
Dès lors, il existerait un risque sérieux, en cas de son renvoi en Grèce, qu’il soit exposé à un traitement dégradant et humiliant et que ses droits reconnus par les articles 2, 3 et 13 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, dénommée ci-après la « CEDH », soient violés.
Il estime partant qu’au vu de la situation actuelle du système d’accueil et de traitement des réfugiés reconnus en Grèce, il n’existerait aucune garantie d’une prise en charge effective et adaptée à sa situation particulière, - notamment compte tenu du fait qu’il nécessiterait un minimum de soins médicaux -, conformément aux dispositions de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut de réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève », ainsi qu’aux dispositions « communautaires ». Dès lors, compte tenu de cette « défaillance systémique » du système d’asile grec, le ministre aurait dû analyser sa demande de protection internationale sur base de la clause de souveraineté.
Il en conclut que la décision déférée devrait encourir l’annulation pour non-respect par l’autorité ministérielle compétente des dispositions de la directive 2011/95/CE.
D’autre part, il reproche au ministre de ne pas avoir fait usage de la clause discrétionnaire inscrite à l’article 17, paragraphe (1), du règlement Dublin III, indépendamment de son incompétence de principe, et ce, au vu de la « défaillance systémique » du système d’asile en Grèce et compte tenu des traitements inhumains et dégradants qui seraient réservés aux demandeurs et aux bénéficiaires de protection internationale en Grèce. En effet, compte tenu de l’arrivée massive des demandeurs d’asile sur le territoire grec, il donne à considérer qu’il y aurait des raisons sérieuses de penser que ni les demandeurs ni les bénéficiaires d’une protection internationale ne recevraient jamais un traitement conforme au droit communautaire. En l’espèce, même si le ministre n’avait pas eu une obligation légale d’appliquer la clause de souveraineté, le demandeur fait valoir que le ministre aurait eu, sur le fondement d’une application combinée entre le règlement Dublin III et les dispositions de la directive 2011/95/CE, une « obligation morale » à faire jouer la clause de souveraineté, eu égard à la particularité de sa situation.
Partant, le demandeur conclut à l’annulation de la décision ministérielle du 23 mars 2017, prise en son double volet, pour erreur manifeste d’appréciation des faits et pour violation du droit communautaire.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours pour ne pas être fondé.
Il échet tout d’abord de rappeler que le tribunal n’est pas lié par l’ordre des moyens dans lequel ils lui ont été soumis et qu’il détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile qui s’en dégagent.
Aux termes de l’article 28 paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « (…) le ministre peut prendre une décision d’irrecevabilité, sans vérifier si les conditions d’octroi de la protection internationale sont réunies, dans les cas suivants: (…) a) une protection internationale a été accordée par un autre Etat membre de l’Union européenne ; ».
Il ressort de cette disposition que le ministre peut déclarer irrecevable une demande de protection internationale, sans vérifier si les conditions d’octroi en sont réunies, dans le cas où le demandeur s’est vu accorder une protection internationale dans un autre pays membre de l’Union européenne.
En l’espèce, force est de constater qu’il se dégage des éléments du dossier soumis à l’appréciation du tribunal, et plus particulièrement d’une prise de position des autorités grecques du 24 février 2017, sans que cela ne soit d’ailleurs contesté par le demandeur, que celui-ci bénéficie du statut de réfugié en Grèce, ledit statut lui ayant été accordé le 3 juillet 2014, et qu’il s’est vu accorder un titre de séjour jusqu’au 23 octobre 2017, le demandeur ayant déclaré lui-même lors de son audition qu’il dispose d’une protection internationale en Grèce, « Malheureusement, ils m’ont donné le statut pour 3 ans ».
Face à ce constat, le ministre a a priori valablement pu déclarer irrecevable la demande de protection internationale du demandeur sur le fondement de l’article 28, paragraphe (2) a) de la loi du 18 décembre 2015.
Cette conclusion n’est pas invalidée par l’argumentation fournie par le demandeur à l’appui de son recours.
En effet, si le demandeur invoque l’application de l’article 17 du règlement Dublin III, aux termes duquel « Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement […] », le tribunal est amené à relever qu’en l’espèce, le demandeur se trouve dans une situation de fait et de droit se mouvant en dehors du champ d’application du règlement Dublin III, qui conformément à son alinéa 1er, établit les critères et les mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride et qui n’est pas d’application s’agissant de la situation d’un ressortissant du pays tiers s’étant vu reconnaître une protection internationale.
En effet, il est constant en cause que Monsieur … s’est vu octroyer un statut de réfugié en Grèce, de sorte qu’il n’y a plus lieu de déterminer dans son chef l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale. Il ne saurait, dès lors, utilement réclamer l’application à son profit de la clause discrétionnaire prévue à l’article 17 du règlement Dublin III.
En ce qui concerne par ailleurs l’argumentation développée par le demandeur suivant laquelle le ministre n’aurait pas tenu compte de « défaillances systémiques » qui affecteraient le système d’asile grec, le tribunal constate, à cet égard, que le demandeur semble tenter d’invoquer en substance et de manière détournée une violation de l’article 3, paragraphe (2) alinéa 2 du règlement Dublin III, aux termes duquel « Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable. ». Or, dans la mesure où il vient d’être retenu ci-avant que les dispositions du règlement Dublin III ne sont pas d’application en l’espèce, l’argumentaire développé par le demandeur et fondé sur l’existence des défaillances systémiques affectant le système d’asile en Grèce est à rejeter pour ne pas être pertinent dans le cadre du présent recours.
Sur base de ces mêmes considérations, il y a lieu de relever que, de manière générale, les difficultés invoquées par le demandeur, telles qu’elles seraient ressenties par les demandeurs de protection internationale en Grèce, sont à rejeter in globo pour défaut de pertinence, alors que sa situation n’est pas comparable à celle d’un demandeur de protection internationale.
Le demandeur invoque ensuite un moyen fondé sur la violation des dispositions de la directive 2011/95/CE, transposée en droit luxembourgeois par la loi du 19 juin 2013 portant modification de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection, et par la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration, et plus particulièrement un non-respect par les autorités grecques de l’article 27 relatif à l’accès à l’éducation, de l’article 28 relatif à l’accès aux procédures de reconnaissance des qualifications, de l’article 29 relatif à la protection sociale, ainsi que de l’article 30 concernant les soins de santé.
Le tribunal est tout d’abord amené à relever que l’objectif principal de cette directive, tel que cela ressort de son préambule, est, d’une part, d’assurer que tous les Etats membres appliquent des critères communs pour l’identification des personnes qui ont réellement besoin d’une protection internationale et, d’autre part, d’assurer un niveau minimal d’avantages à ces personnes dans tous les Etats membres1.
Force est encore au tribunal de relever que la directive ainsi invoquée, qui opère un rapprochement des règles relatives à la reconnaissance et au contenu du statut de réfugié et de 1 cf considérant n°12 de la directive 2011/95/CE.
la protection subsidiaire2, implique encore l’obligation pour les Etats membres de l’Union de se conformer aux normes minimales communes ainsi édictées, plus particulièrement s’agissant du contenu de la protection internationale.
En effet, il échet de constater que les Etats membres de l’Union européenne se sont dotés d’un mécanisme visant à garantir l’application d’un statut uniforme pour les réfugiés sur l'ensemble du territoire européen et que la Commission européenne, chargée de présenter un rapport au moins tous les cinq ans au Parlement européen et au Conseil sur l’application de cette directive par les Etats membres, veille encore à sa bonne application par les Etats membres.
Le tribunal est amené à retenir que le ministre, ayant agi dans le cadre légal lui conféré par la loi du 18 décembre 2015 a valablement pu prendre une décision d’irrecevabilité de la demande de protection internationale sur base du seul constat qu’une protection internationale a été accordée par un autre Etat membre de l’Union européenne, sans que cette conclusion ne puisse être énervée par la considération avancée par le demandeur fondée sur l’allégation d’une violation par les autorités grecques des normes minimales consacrées par la directive 2011/95/CE et par la Convention de Genève en termes de prise en charge des réfugiés, étant à cet égard relevé que ladite directive a été adoptée notamment afin d’établir des normes relatives à la définition et au contenu du statut de réfugié pour aider les instances nationales compétentes des Etats membres à appliquer la Convention de Genève3.
S’il est vrai que la directive 2011/95/CE impose aux Etats membres de prendre des mesures nationales garantissant un certain nombre de mesures minimales s’agissant plus particulièrement du contenu du statut de réfugié, cette directive ne constitue toutefois pas une base légale suffisante pour obliger le ministre d’examiner, avant de prendre une décision d’irrecevabilité en application de l’article 28, paragraphe (2), point a) de la loi du 18 décembre 2015, si l’Etat membre de l’Union européenne dans lequel un demandeur de protection internationale s’est vu accorder le statut de réfugié a correctement transposé les dispositions de la directive 2011/95/CE, respectivement si cet Etat respecte effectivement le contenu des normes minimales ainsi consacrées. Le même constat s’impose en ce qui concerne l’argumentation corrélative fondée sur la Convention de Genève. Par ailleurs, il convient encore de relever, à cet égard, que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant, telle que la Grèce, respectent les droits fondamentaux ainsi consacrés, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard4.
Le moyen fondé sur une violation de la directive 2011/95/CE et de la Convention de Genève est partant rejeté.
En ce qui concerne ensuite l’argumentaire du demandeur suivant lequel la Grèce ne respecterait pas les dispositions de la CEDH, en l’occurrence ses articles 2, garantissant le droit à la vie, 3, interdisant la torture et les traitements inhumains et dégradants et 13, garantissant le droit à un recours effectif, le demandeur argumentant en substance qu’en cas de retour en Grèce, il serait confronté à des traitements inhumains et dégradants, le tribunal est amené à relever qu’il ne ressort d’aucun élément du dossier qu’en cas de retour en Grèce le demandeur risque des traitements contraires aux articles 2, 3 et 13 de la CEDH.
2 cf considérant n°13 de la directive 2011/95/CE.
3 cf considérant n°23 de la directive 2011/95/CE.
4 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., (C-411/10) et (C-493/10), point 78.
A cet égard, il convient de relever que si une mesure d’éloignement - tel qu’en l’espèce consécutive à l’expiration du délai imposé au demandeur pour quitter le Luxembourg - relève de la CEDH dans la mesure où son exécution risquerait de porter atteinte aux droits inscrits à l’article 3, ce n’est cependant pas la nature de la mesure d’éloignement qui pose un problème de conformité à la Convention, spécialement à l’article 3, mais ce sont les effets de la mesure en ce qu’elle est susceptible de porter atteinte aux droits que l’article 3 garantit à toute personne. C’est l’effectivité de la protection requise par l’article 3 qui interdit aux Etats parties à la Convention d’accomplir un acte qui aurait pour résultat direct d’exposer quelqu’un à des mauvais traitements prohibés. S’il n’existe pas, dans l’absolu, un droit à ne pas être éloigné, il existe un droit à ne pas être soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants, de sorte et a fortiori qu’il existe un droit à ne pas être éloigné quand une mesure aurait pour conséquence d’exposer à la torture ou à une peine ou des traitements inhumains ou dégradants.
Pour que l’existence de traitements inhumains et dégradants puisse être retenue au sens de la CEDH, les actes doivent toutefois revêtir un certain seuil de gravité entraînant des souffrances physiques ou psychologiques intenses.
S’agissant du contrôle de l’appréciation faite par le ministre des conséquences de la décision d’irrecevabilité prise en l’espèce et de l’ordre de quitter le territoire y attaché, il convient de rappeler que le juge administratif, saisi d’un recours en annulation, est appelé à vérifier, d’un côté, si, au niveau de la décision administrative querellée, les éléments de droit pertinents ont été appliqués et, d’un autre côté, si la matérialité des faits sur lesquels l’autorité de décision s’est basée est établie. Au niveau de l’application du droit aux éléments de fait, le juge de l’annulation vérifie encore s’il n’en est résulté aucune erreur d’appréciation se résolvant en dépassement de la marge d’appréciation de l’auteur de la décision querellée. Le contrôle de légalité à exercer par le juge de l’annulation n’est pas incompatible avec le pouvoir d’appréciation de l’auteur de la décision qui dispose d’une marge d’appréciation. Ce n’est que si cette marge a été dépassée que la décision prise encourt l’annulation pour erreur d’appréciation. Ce dépassement peut notamment consister dans une disproportion dans l’application de la règle de droit aux éléments de fait. Le contrôle de légalité du juge de l’annulation s’analyse alors en contrôle de proportionnalité5.
En l’espèce, le tribunal constate que les difficultés invoquées par Monsieur … se résument en substance à des problèmes d’accès à l’emploi, d’affiliation à une caisse de maladie et d’accès au logement, qui, même à les supposer établis, ne sauraient être considérés comme dépassant le seuil de gravité requis pour être qualifiés de traitement inhumain et dégradant au sens de la CEDH.
Quant aux développements du demandeur suivant lesquels la Grèce connaîtrait une montée en puissance du groupe d’extrême droite «Aube dorée», outre le fait qu’il a fourni seulement des explications vagues en ce qui concerne ses propres expériences avec les membres dudit groupe, les articles de presse invoqués à cet égard ne sont pas de nature à contrecarrer les efforts entrepris par le gouvernement grec pour faire face à ce phénomène de radicalisation. En effet, force est au tribunal de constater, tel que cela se dégage des explications du délégué du gouvernement, que les autorités grecques ont fait procéder à une mise en accusation des membres présumés dudit groupe donnant ainsi suite à des agissements à caractère xénophobe perpétrés par les membres présumés dudit groupe, de sorte qu’il ne saurait être conclu à une absence de protection des droits fondamentaux en Grèce de ce chef.
5 Cour adm. 9 novembre 2010, n° 26886C du rôle, Pas. adm. 2016, V° Recours en annulation, n°31.
En ce qui concerne ensuite l’article du journal de Figaro daté du 10 janvier 2017 sur la situation des réfugiés en Grèce, celui-ci, outre le fait qu’il relate plus particulièrement la situation des migrants pendant la période hivernale de 2017 où exceptionnellement la Grèce a été frappée par « le froid et des chutes de neige à un niveau sans précédent à l’échelle nationale », ne permet pas non plus de dégager un risque de traitements inhumains et dégradants dans le chef du demandeur, alors qu’il ressort du document lui-même que des efforts ont été entrepris pour « placer des migrants dans des hôtels» et « dans des appartements vides » « le plus vite possible ». S’y ajoute que ce document semble plutôt concerner la situation des demandeurs de protection internationale venant d’arriver en Grèce, de surcroît à une époque difficile bien précise, sans qu’il ne puisse en être dégagé des conclusions générales sur les conditions d’accueil des bénéficiaires d’une protection internationale. Le même constat s’impose également en ce qui concerne le rapport d’Amnesty international du 7 avril 2016 qui dresse avant tout un bilan négatif des conditions d’accueil matérielles des demandeurs de protection internationale, et non des personnes ayant obtenu le statut de réfugié, tel que c’est le cas de Monsieur ….
D’autre part, il convient de manière générale de relever que le renvoi, sans autre précision, à des documents, sans indication des passages pertinents, sans adaptation du contenu de ces documents à la situation particulière des demandeurs et sans aucune discussion de leur contenu, n’est pas à prendre en considération par le tribunal, étant donné qu’il n’appartient pas au tribunal de suppléer à la carence de la partie demanderesse et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de ses conclusions, en procédant indépendamment des moyens effectivement soutenus par la partie demanderesse à un réexamen général et global de la situation de la partie demanderesse6.
L’ensemble des considérations qui précédent amène dès lors le tribunal à rejeter le moyen fondé sur une violation par le ministre de la CEDH.
Pour ce qui est finalement de l’affirmation générale du demandeur que la décision ministérielle ne respecterait pas le « droit communautaire », le tribunal n’est pas en mesure de prendre position par rapport à un tel moyen simplement suggéré, sans être soutenu effectivement, le demandeur restant en effet en défaut de préciser quelles seraient les dispositions ainsi violées.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent, et à défaut d’autres moyens, que le recours est à rejeter pour ne pas être fondé.
2) Quant au recours visant l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 35, paragraphe (3) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, un recours sollicitant l’annulation de pareil ordre contenu dans la décision déférée a valablement pu être dirigé contre la décision ministérielle litigieuse. Le recours en annulation, ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, est recevable.
Aux termes de l’article 34, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 « une décision du ministre vaut décision de retour, à l’exception des décisions prises en vertu de l’article 28, paragraphe (1) et (2), point d) […] ». La décision de l’espèce étant prise sur le fondement de l’article 28, paragraphe (2), point a) de la loi du 18 décembre 2015, non visé parmi les exceptions de l’article 34, paragraphe (2) précité, l’ordre de quitter est en l’espèce 6 Dans ce sens : Trib.adm. 17 octobre 2016, n° 38451, 38452 et 38453 du rôle.
la conséquence automatique de la décision ministérielle d’irrecevabilité de la demande de protection internationale.
Force est au tribunal de constater que le demandeur se contente d’introduire un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire contenu dans la décision ministérielle déférée du 23 mars 2017, sans invoquer aucun élément en fait et sans en tirer aucun moyen en droit. Or, en l’absence de l’invocation de moyens concrets, il n’appartient pas au tribunal administratif de suppléer à la carence de la partie demanderesse et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base des conclusions de celle-ci7.
Il s’ensuit que le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 23 mars 2017 ayant déclaré la demande de protection internationale de Monsieur … irrecevable aux termes de l’article 28 (2) a) de la loi du 18 décembre 2015 ;
au fond, déclare le recours non justifié, partant en déboute ;
reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 23 mars 2017 portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, déclare le recours non justifié, partant en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par :
Annick Braun, vice-président, Alexandra Castegnaro, premier juge, Emina Softic, attaché de justice, et lu à l’audience publique extraordinaire du 30 mai 2017 à 14:15 heures par le vice-
président, en présence du greffier en chef Arny Schmit.
s. Arny Schmit s. Annick Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 31.5.2017 Le greffier du tribunal administratif 7 Trib.adm. 5 juillet 2000, n°11527 du rôle, Pas. adm. 2016, V° procédure contentieuse, n°409 et les autres références y citées.