Tribunal administratif N° 38284 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 août 2016 4e chambre Audience publique du 30 mai 2017 Recours formé par Madame …, …, contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’impôt sur le revenu
________________________________________________________________________
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 38284 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 2 août 2016 par laquelle Madame …, demeurant à L-…, portant introduction d’un recours contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 3 mai 2016 répertoriée sous le numéro C21999 du rôle, ayant rejeté sa réclamation du 26 février 2016 dirigée contre le bulletin de l’impôt sur le revenu de l’année 2014, émis le 2 décembre 2015 ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 21 novembre 2016 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 16 décembre 2016 par Madame …, préqualifiée ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame … en ses explications et Monsieur le délégué du gouvernement Eric Pralong en sa plaidoirie.
En date du 2 décembre 2015, le bureau d’imposition Luxembourg 5 de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par « le bureau d’imposition », émit à l’égard de Madame … le bulletin de l’impôt sur le revenu pour l’année 2014 portant notamment la mention dans la rubrique « L’imposition diffère de la déclaration sur les points suivants » selon laquelle « (…) Charges extraordinaires : Les conditions de l’article 127 L.I.R. ne sont pas remplies ».
Madame … introduisit en date du 21 février 2016 une réclamation contre ledit bulletin auprès du directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après dénommé « le directeur ».
Par une décision du 3 mai 2016 référencée sous le numéro C 21999, le directeur rejeta cette réclamation comme étant non fondée. Cette décision est fondée sur les motifs et considérants suivants :
1 « Vu la requête introduite le 26 février 2016 par la dame …, demeurant à L-…, pour réclamer contre le bulletin de l'impôt sur le revenu de l'année 2014, émis le 2 décembre 2015 ;
Vu le dossier fiscal ;
Vu les §§ 228 et 301 de la loi générale des impôts (AO) ;
Considérant que la réclamation a été introduite par qui de droit (§ 238 AO), dans les forme (§ 249 AO) et délai (§ 245 AO) de la loi, qu'elle est partant recevable ;
Considérant que la réclamante fait grief au bureau d'imposition de ne pas avoir accordé un abattement pour charges extraordinaires ;
Considérant qu'en vertu du § 243 AO, une réclamation régulièrement introduite déclenche d'office un réexamen intégral de la cause, sans égard aux conclusions et moyens de la réclamante, la loi d'impôt étant d'ordre public ; qu'à cet égard, le contrôle de la légalité externe de l'acte doit précéder celui du bien-fondé ;
qu'en l'espèce la forme suivie par le bureau d'imposition ne prête pas à critique ;
Considérant qu'en 2014, la réclamante a subi des frais d'éducation pour ses quatre enfants, dont elle a l'intention de les faire valoir en tant que charges extraordinaires, conformément à l'article 127 L.I.R. ;
Considérant qu'aux termes de l'article 123, alinéa 3 L.I.R., le contribuable a droit à une modération d'impôt en raison des enfants ayant fait partie, au cours de l'année d'imposition, de son ménage et qui ont été âgés, au début de l'année d'imposition, de moins de vingt et un ans ;
Considérant qu'en vertu de l'alinéa 4 de l'article 123 L.I.R. le contribuable obtient de même une modération d'impôt en raison des enfants ayant fait partie, au cours de l'année d'imposition, de son ménage et âgés d'au moins vingt et un ans au début de l'année d'imposition, à condition que les enfants aient poursuivi de façon continue des études de formation professionnelle à plein temps s'étendant sur plus d'une année ;
Considérant que l'article 123, alinéa 6 L.I.R. prévoit expressis verbis que des charges extraordinaires au sens de l'article 127 L.I.R. ne peuvent être demandées pour les frais d'entretien, d'éducation et de formation professionnelle des enfants ayant donné lieu à l'octroi d'une modération d'impôt ;
Considérant qu'en l'espèce la réclamante ayant bénéficié pour l'année litigieuse de la modération d'impôt prévue à l'article 122 L.I.R. pour les enfants dont question ci-avant, la mise en compte d'un abattement pour charges extraordinaires au sens de l'article 127 L.I.R.
du même chef est à refuser ;
Considérant en outre qu'«un contribuable ne peut demander la reconnaissance des frais d'entretien et d'éducation de ses enfants à titre de charges extraordinaires en choisissant entre les dispositions des articles 123 et 127 L.I.R. et renoncer ainsi implicitement à la modération d'impôt de l'article 123 L.I.R., parce que l'alinéa 6 de l'article 123 L.I.R. précité 2 s'oppose formellement à cette demande» (Cour administrative du 11 juin 2004, n°18206 C du rôle) ;
Considérant que c'est donc par une juste application des dispositions légales que le bureau d'imposition a refusé un abattement de revenu imposable du fait de charges extraordinaires ;
Considérant que pour le surplus, l'imposition est conforme à la loi et aux faits de la cause et n'est d'ailleurs pas autrement contestée ; (…) Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 2 août 2016, Madame … a introduit un recours contre la décision précitée du directeur du 3 mai 2016.
Conformément aux dispositions combinées du paragraphe 228 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, appelée « Abgabenordnung », en abrégé « A.O. » et de l’article 8 (3) 1. de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l'ordre administratif, ci-après désignée par « la loi du 7 novembre 1996 », le tribunal est compétent pour statuer comme juge du fond sur le recours dirigé par un contribuable contre une décision du directeur ayant statué sur les mérites d’une réclamation de sa part contre un bulletin de l’impôt sur le revenu.
Nonobstant la circonstance que la requête introductive d’instance n’indique pas le type de recours que Madame … introduit à l’encontre de la décision du directeur du 3 mai 2016, il y a lieu de considérer que cette dernière, qui est un particulier et non un professionnel de la postulation, a entendu introduire le recours prévu par la loi dirigé contre la décision directoriale du 3 mai 2016. Ledit recours en réformation est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours, la demanderesse fait valoir que « pour des raisons dues à [s]a situation familiale […], [elle serait] « victime » de charges extraordinaires, qui même de par la loi, [seraient] inévitables et rédui[raient] considérablement [s]a faculté contributive ».
Tout en se référant à la circulaire du directeur LIR n°127/1 du 2 avril 2012, elle soutient qu’elle se trouverait dans une situation extraordinaire, au motif qu’elle devrait supporter une charge extraordinaire pour l’éducation de ses quatre enfants. Elle réfute ensuite l’argument selon lequel deux de ses enfants auraient bénéficié de modérations d’impôts pour l’année référencée.
Dans son mémoire en réplique, en réponse à l’argument du délégué du gouvernement selon lequel l’alinéa 6 de l’article 127 de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu, désignée ci-après par « L.I.R. » prévoirait que des charges extraordinaires au sens de l’article 127 L.I.R. ne pourraient être déduites que pour des frais d’entretien, d’éducation et de formation professionnelle des enfants ayant donné lieu à une modération d’impôt, elle rétorque que ledit alinéa habiliterait néanmoins « l’exécutif à prévoir pour des catégories de charges extraordinaires des abattements forfaitaires à déroger à l’occasion de ces forfaits aux dispositions de l’alinéa 4 et 4a qui fixe[rait] les limites à partir desquelles le contribuable peut faire valoir une charge extraordinaire », de sorte qu’« [elle] [s]e [verrait] en droit de demander à l’exécutif de déroger à l’article 4a ». Elle soutient encore que suite à l’entrée en vigueur de la loi du 24 juillet 2014, elle aurait vu l’aide financière de ses enfants réduite d’un montant qu’elle évalue comme étant équivalant à celui de la modération d’impôt. Elle conclut en indiquant que le fait « de ne pas avoir droit à une 3 modération d’impôt pour enfant ne [serait] pas une condition sine qua non pour refuser d’office un abattement pour charges extraordinaires » et que « l’article 122 L.I.R. de 2011 [serait] devenu désuet par la loi du 24 juillet 2014 concernant l’aide financière de l’Etat pour études supérieures à propos du bénéfice d’une quelconque modération d’impôt par le biais de la bourse pour tous les étudiants ».
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours.
L’article 127, alinéa 1er L.I.R., pose le principe selon lequel le contribuable obtient, sur demande, un abattement de revenu imposable du fait de charges « extraordinaires » qui sont « inévitables » et qui « réduisent d’une façon considérable sa faculté contributive ». Les alinéas 2, 3 et 4 de l’article 127 L.I.R. précisent les conditions suivant lesquelles les charges sont à considérer comme extraordinaires (alinéa 2) et inévitables (alinéa 3) et les circonstances qui entraînent la réduction d’une façon considérable de la faculté contributive du contribuable (alinéa 4).
Pour qu’un contribuable puisse faire valoir l’abattement, la charge par lui avancée doit répondre cumulativement aux trois conditions de fond posées par l’article 127, alinéa 1er L.I.R.
Concernant le caractère extraordinaire d’une charge, l’article 127, alinéa 2 L.I.R.
dispose que « le contribuable est censé avoir des charges extraordinaires lorsqu’il a des obligations qui n’incombent normalement pas à la majorité des contribuables se trouvant dans une situation analogue quant à la situation familiale et quant à l’importance des revenus et de la fortune. Ne sont toutefois pas à prendre en considération les charges et dépenses déductibles à titre de dépenses d’exploitation, de frais d’obtention ou de dépenses spéciales ».
Enfin, l’article 123 alinéa 6 L.I.R. dispose que « Des charges extraordinaires au sens de l’article 127 ne peuvent être demandées pour les frais d’entretien, d’éducation et de formation professionnelle des enfants ayant donné lieu à l’octroi d’une modération d’impôt ».
Il est constant en cause pour ressortir de la rubrique intitulée « Détail concernant l’imposition » du bulletin de l’impôt sur le revenu concerné que le nombre de modérations d’impôt pour enfants au sens de l’article 122(1) L.I.R. s’élève à 4, soit les quatre enfants de la demanderesse.
Il est ainsi manifeste que nonobstant la situation décrite par la demanderesse qui s’estime être « « victime » de charges extraordinaires », cette dernière a bénéficié pour ses quatre enfants d’une modération d’impôt au sens de l’article 122(1) L.I.R., de sorte qu’elle ne peut demander la reconnaissance des frais d’entretien et d’éducation de ses enfants au titre de charges extraordinaires, au motif que le libellé clair de l’article 123 alinéa 6 L.I.R. s’y oppose formellement.
Cette conclusion n’est pas énervée par les affirmations de la demanderesse selon lesquelles « [elle] [s]e [verrait] en droit de demander à l’exécutif de déroger à l’article 4a », étant donné que cette demande dépasse le cadre de la mission du tribunal de céans en la présente cause en ce qu’elles relèveraient plutôt d’une critique envers les pouvoirs législatif et exécutif quant aux lois et règlements qui seraient « tout sauf synonymes de justice ».
4 Au vu des développements qui précèdent, il y a lieu de rejeter le recours pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit le recours en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant le rejette ;
condamne la demanderesse aux frais.
Ainsi jugé par :
Carlo Schockweiler, premier vice-président, Anne Gosset, premier juge, Olivier Poos, premier juge, et lu à l’audience publique du 30 mai 2017 par le premier vice-président, en présence du greffier Marc Warken.
s.Marc Warken s.Carlo Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 30 mai 2017 Le greffier du tribunal administratif 5