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29/05/2017 | LUXEMBOURG | N°37883

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 29 mai 2017, 37883


Tribunal administratif Numéro 37883 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 mai 2016 2e chambre Audience publique du 29 mai 2017 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l'Immigration et de l'Asile en matière de police des étrangers

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 37883 du rôle et déposée le 9 mai 2016 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Liban), de nationalité

libanaise, et de Madame …, née le … à … (France), demeurant ensemble à L-

…, tendant à...

Tribunal administratif Numéro 37883 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 mai 2016 2e chambre Audience publique du 29 mai 2017 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l'Immigration et de l'Asile en matière de police des étrangers

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 37883 du rôle et déposée le 9 mai 2016 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Liban), de nationalité libanaise, et de Madame …, née le … à … (France), demeurant ensemble à L-

…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l'Immigration et de l'Asile du 22 avril 2016 portant rejet de leur demande tendant à l’octroi, à Monsieur …, préqualifié, d’un droit de séjour en qualité de membre de famille d’un citoyen de l’Union européenne et ayant déclaré irrecevable leur demande tendant à l’obtention, pour Monsieur … …, d’une autorisation de séjour pour raisons privées ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 7 octobre 2016 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 27 octobre 2016 par Maître Ardavan Fatholahzadeh au nom de ses mandants ;

Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 28 novembre 2016 par le délégué du gouvernement ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport ainsi que Maître Ardavan Fatholahzadeh et Madame le délégué du gouvernement Christiane Martin en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 20 mars 2017.

Le 16 mars 2012, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, actuellement abrogée par la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Par décision du 16 avril 2013, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration rejeta la demande de protection internationale de Monsieur ….

Le recours contentieux introduit contre cette décision fut rejeté comme non fondé par un jugement du tribunal administratif du 13 février 2014, inscrit sous le numéro 32553 du rôle, confirmé par un arrêt de la Cour administrative du 20 mai 2014, inscrit sous le numéro 34240C du rôle.

Suite à la radiation d’office des registres de la population par l’administration communale de Sanem en date du 14 avril 2014, il fut procédé au signalement national de Monsieur … en date du 11 août 2014.

Par courrier de son litismandataire de l’époque du 20 novembre 2014, Monsieur … introduisit une demande tendant à l’obtention d’une autorisation de séjour pour raisons privées, respectivement d’un report à l’éloignement, qui fut refusée par décision du 16 décembre 2014.

Par courrier de leur litismandataire du 30 mars 2016, Monsieur … et Madame … introduisirent une demande tendant à l’octroi, à Monsieur …, d’une autorisation de séjour en qualité de membre de famille d’un citoyen de l’Union européenne, respectivement d’une autorisation de séjour pour raisons privées « ou [de] toute autre autorisation de séjour sur base de toute autre disposition applicable favorable à la régularisation de Monsieur … sur le territoire luxembourgeois ».

Par décision du 22 avril 2016, le ministre de l’Asile et de l’Immigration, ci-après dénommé « le ministre », refusa de faire droit auxdites demandes aux termes de la motivation suivante :

« (…) Je suis au regret de vous informer que je ne suis pas en mesure de faire droit à votre requête, alors que votre mandant Monsieur … est en situation irrégulière sur le territoire luxembourgeois.

En effet, d’après les dispositions de l’article 13, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, les membres de la famille définis à l’article 12 qui sont ressortissants d’un pays tiers et qui accompagnent ou rejoignent le citoyen de l’Union ont le droit d’entrer sur le territoire du Grand-duché de Luxembourg et d’y séjourner pour une période allant jusqu’à trois mois s’ils sont munis d’un passeport en cours de validité et le cas échéant du visa requis pour l’entrée sur le territoire.

Or, force est de constater que votre mandant séjourne au Luxembourg depuis plus de trois mois, sans bénéficier d’une autorisation de séjour.

Au vu de ce qui précède, il ne remplit pas les conditions afin de pouvoir bénéficier du droit de séjour de membre de famille d’un citoyen de l’Union.

En ce qui concerne votre demande en obtention d’une autorisation de séjour pour des raisons privées sur base de l’article 78, paragraphe (1), point c) de la loi du 29 août 2008 précitée, je vous signale que la demande est irrecevable conformément à l’article 39, paragraphe (1) de la loi étant donné qu’elle doit être introduite et avisée favorablement avant l’entrée sur le territoire.

Je tiens à vous rappeler que votre mandant a été invité à quitter le territoire par décision ministérielle du 16 avril 2013, décision confirmée par le tribunal administratif en date du 13 février 2014 (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 9 mai 2016, Monsieur … et Madame … ont fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 22 avril 2016.

Aucune disposition légale ne prévoyant un recours au fond à l’égard d’une décision rendue en la présente matière, seul un recours en annulation a pu être introduit contre la décision litigieuse.

Le recours en annulation, ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, est recevable.

A l’appui de leur recours et en fait, les demandeurs, après avoir rappelé les rétroactes de l’affaire, expliquent qu’ils se fréquenteraient depuis deux années, qu’ils vivraient ensemble et qu’ils souhaiteraient régulariser leur union qui serait stable, sérieuse et continue, tel qu’il ressortirait des nombreuses attestations testimoniales versées à l’appui de leur recours. Ils donnent à considérer que Madame …, qui en date du 15 janvier 2016 aurait signé un engagement de prise en charge en faveur de Monsieur …, s’adonnerait à une activité rémunérée par laquelle elle percevrait un salaire mensuel brut de … euros.

En droit, et en ce qui concerne leur demande en obtention d’une autorisation de séjour en qualité de membre de famille d’un citoyen de l’Union européenne dans le chef de Monsieur …, les demandeurs reprochent au ministre d’avoir violé l’article 12, paragraphe 3 de la loi du 29 août 2008 sur la libre circulation et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », dans la mesure où l’intention du législateur aurait été de réunir les familles qui ne rempliraient pas stricto sensu les conditions de l’article 12, paragraphe (1) énumérant les personnes pouvant être qualifiées de membre de famille.

En ce qui concerne la demande subsidiaire en obtention d’une autorisation de séjour pour raisons privées, les demandeurs soutiennent, en se basant sur les attestations testimoniales versées en cause, que Monsieur … remplirait les conditions de l’article 78, paragraphe 1, point c) de la loi du 29 août 2008, étant donné que la relation qui les unirait serait intense, ancienne et stable, de sorte que le fait de refuser une autorisation de séjour à Monsieur … porterait une atteinte disproportionnée à leur droit au respect de leur vie privée et familiale.

Ils se basent sur les fiches de salaire de Madame … et sur ledit engagement de prise en charge afin de justifier de l’existence, dans le chef de celle-ci, de ressources suffisantes pour prendre en charge Monsieur ….

Les demandeurs reprochent ensuite au ministre d’avoir violé le principe de proportionnalité tout en insistant sur le fait que Monsieur … aurait demandé une autorisation de séjour « en raison de la situation de guerre au proche et moyen Orient, et en raison du fait qu’il n’y avait plus aucune attache, alors que les membres de sa famille se trouvent en Europe (…) » et qu’il aurait « fondé une vie familiale sur le territoire » luxembourgeois. Ils soulignent que le refus d’une autorisation de séjour pour raisons privées aurait une portée disproportionnée par rapport au but qui pourrait être légitimement poursuivi par l’autorité administrative.

Les demandeurs reprochent au ministre d’avoir violé les articles 13, paragraphe 1 et 39, paragraphe 1 de la loi du 29 août 2008 et donnent à considérer que le ministre aurait également violé le principe de l’égalité des administrés devant la loi, dans la mesure où un certain nombre de personnes se seraient trouvées dans la même situation et auraient reçu une autorisation de séjour sans remplir les conditions prescrites par les articles 13, paragraphe 1 et 39, paragraphe 1. Ils citent dans ce contexte deux dossiers précis et reprochent au ministre d’avoir commis une erreur manifeste d’appréciation.

Les demandeurs reprochent finalement au ministre d’avoir violé l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », en soulignant que la notion de vie familiale serait appréciée de façon large et qu’ils n’entendraient pas continuer leur vie au Liban, dans la mesure où Monsieur … n’aurait plus d’attaches familiales dans ce pays qui devrait faire face à un afflux massif de demandeurs d’asile syriens et dans la mesure où tous les membres de la famille de Madame … vivent au Luxembourg.

Le délégué du gouvernement fait valoir que les demandeurs ne soulèveraient aucun moyen direct par rapport aux articles 13, paragraphe 1 et 39, paragraphe 1 de la loi du 29 août 2008.

Il souligne, en se basant sur l’article 13, paragraphe 1 de la loi du 29 août 2008, que la légalité du séjour du membre de famille ressortissant de pays tiers serait une condition légale pour l’obtention d’une carte de séjour d’un membre de famille d’un citoyen de l’Union européenne et que dans la mesure où Monsieur … serait entré dans l’espace Schengen moyennant un visa touristique en 2009 et qu’il se maintiendrait sur le territoire luxembourgeois malgré le fait qu’il serait sous le coup d’un ordre de quitter le territoire depuis le rejet définitif de sa demande de protection internationale, il ne remplirait pas les conditions de séjour pour une durée de trois mois sur le territoire luxembourgeois.

Le délégué du gouvernement fait ensuite valoir que l’article 39, paragraphe 1 de la loi du 29 août 2008 exigerait que le ressortissant d’un pays tiers qui a l’intention de séjourner sur le territoire luxembourgeois pour une durée supérieure à trois mois devrait disposer d’une autorisation de séjour avant son entrée sur le territoire et qu’uniquement dans certains cas exceptionnels, définis à l’alinéa 3 de l’article 39, paragraphe 1, le ressortissant de pays tiers se trouvant déjà sur le territoire pourrait solliciter une autorisation de séjour.

Il conclut ensuite que la protection de l’article 8 de la CEDH ne saurait être admise qu’à condition que la vie familiale invoquée soit effective et qu’elle ait été préexistante à l’entrée sur le territoire national. Il donne à considérer dans ce contexte que Monsieur … aurait formulé en 2014 une demande d’autorisation de séjour pour raisons privées sans faire mention de l’existence d’une relation amoureuse au Luxembourg.

Le délégué du gouvernement conclut finalement au rejet du moyen relatif à une violation du principe d’égalité.

Le tribunal n'étant pas lié par l'ordre des moyens dans lequel ils lui ont été soumis, il détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l'effet utile s'en dégageant.

S’agissant du volet de la demande basé sur l’article 78, paragraphe 1, point c) de la loi du 29 août 2008, force est au tribunal de relever qu’aux termes de cette disposition légale :

«(1) A condition que leur présence ne constitue pas de menace pour l’ordre public, la santé ou la sécurité publiques et qu’ils disposent de la couverture d’une assurance maladie et d’un logement approprié, le ministre peut accorder une autorisation de séjour pour raisons privées: (…) c) au ressortissant de pays tiers qui ne remplit pas les conditions du regroupement familial, mais dont les liens personnels ou familiaux, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, sont tels que le refus d’autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs de refus ; (…) » L’article 39 de la loi du 29 août 2008 sur le fondement duquel le ministre a déclaré irrecevable la demande en obtention d’une autorisation de séjour introduite par les demandeurs, dans sa version applicable à la date de la décision, dispose que : « (1) La demande en obtention d’une autorisation de séjour visée à l’article 38, point 1, à l’exception des autorisations régies par les articles 78, paragraphe (3) et 89, doit être introduite par le ressortissant d’un pays tiers auprès du ministre et doit être favorablement avisée avant son entrée sur le territoire. La demande doit sous peine d’irrecevabilité être introduite avant l’entrée sur le territoire du ressortissant d’un pays tiers. (…) ».

En l’espèce, il ne ressort pas des pièces et éléments soumis à l’examen du tribunal que Monsieur … ait fait état de motifs exceptionnels et dûment motivés au sens des articles 78, paragraphe (3) et 89 de la loi du 29 août 2008, de sorte qu’il appartenait à ce dernier, en vertu de l’article 39 de la loi du 29 août 2008 d’introduire sa demande en obtention d’une autorisation de séjour avant son entrée sur le territoire luxembourgeois.

Il est constant en cause que le demandeur est entré sur le territoire luxembourgeois au courant de l’année 2009, soit avant l’introduction de sa demande en obtention d’une autorisation de séjour. Il s’ensuit que la condition préalable à l’examen au fond de la demande d’autorisation de séjour, à savoir le fait que la demande soit introduite avant l’entrée sur le territoire, n’est pas remplie dans le chef de Monsieur …. A cet égard, il convient de rappeler que la finalité de l’article 39 de la loi du 29 août 2008 implique que le ministre doit être admis à refuser l’examen au fond de la demande si la condition de l’introduction par l’étranger de sa demande en obtention d’une autorisation de séjour avant son entrée sur le territoire luxembourgeois ne se trouve pas remplie, étant donné qu’admettre la solution contraire reviendrait à priver cette disposition de toute portée concrète, le ministre étant en tout cas obligé d’examiner le fond d’une demande, et à permettre à l’étranger de mettre le ministre compétent devant le fait accompli, hypothèse que le législateur entendait précisément empêcher. 12 1 Projet de loi 58021 portant sur la libre circulation des personnes et l'immigration, Avis du Conseil d'Etat, 20 mai 2008, p.14.

2 Cour adm. 18 novembre 2010, n° 27084C du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu C’est dès lors à bon droit que le ministre a déclaré irrecevable la demande en autorisation de séjour pour raisons privées pour violation des prescriptions de l’article 39, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008.

En ce qui concerne le moyen soulevant une inégalité de traitement dans le chef de Monsieur … par rapport à d’autres ressortissants de pays tiers s’étant prétendument trouvés dans des situations similaires, même à supposer qu’il existe des cas où les autorités compétentes auraient traité au fond la demande d’autorisation de séjour d’un ressortissant de pays tiers séjournant au Luxembourg au moment de l’introduction de la demande en violation de l’article 39 de la loi du 29 août 2008, les demandeurs ne sauraient en déduire un quelconque droit à leur profit en vue d’obtenir l’autorisation sollicitée en contravention avec l’article 39, paragraphe (1), dans la mesure où le principe de l’égalité devant la loi ne saurait être invoqué par un administré à l’encontre du principe de légalité, pour se faire délivrer une autorisation pour laquelle les conditions légales ne sont pas réunies. A cela s’ajoute que l’attitude éventuelle de l’administration consistant à ne pas appliquer un même texte avec la même rigueur à tous les administrés, échappe au contrôle de la légalité à effectuer par le juge administratif3.

Au vu de ce qui précède, le moyen soulevé est à écarter pour ne pas être fondé.

En ce qui concerne finalement le moyen relatif à un prétendu caractère disproportionné de la décision déférée, notamment au regard des dispositions de l’article 8 de la CEDH il y a lieu de relever que celui-ci est libellé comme suit : « 1) Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2) Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».

Il y a dès lors lieu de vérifier d’abord si les demandeurs peuvent se prévaloir d’une vie privée et familiale effective, caractérisée par des relations réelles et suffisamment étroites ainsi que de vérifier, dans l’affirmative, si la décision de refus d’une autorisation de séjour a porté une atteinte injustifiée à cette vie familiale devant, le cas échéant, emporter son annulation pour cause de violation de l’article 8 de la CEDH.

Il convient encore de relever que la garantie du respect de la vie privée et familiale comporte des limites. En premier lieu, elle ne comporte pas le droit de mener une vie privée et familiale dans le pays de son choix, de sorte qu’on ne saurait obliger un Etat à laisser accéder un étranger sur son territoire pour y créer des liens familiaux nouveaux. En second lieu, elle ne s’applique qu’à une vie familiale effective, c’est-à-dire caractérisée par des relations réelles et suffisamment étroites parmi ses membres, et, en principe, existante, voire préexistante à l’entrée sur le territoire national.

En effet, l’article 8 de la CEDH n’est pas absolu et ne confère pas directement aux étrangers un droit de séjour dans un pays précis, l’article 8 ne garantissant en particulier pas le droit de choisir le lieu le plus approprié pour développer une vie privée et familiale4. Pour 3 trib. adm, 28 avril 2010, n° 25954 du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu 4 Voir Cour eur. D.H., Abdulaziz, Cabales and Balkandali c. Royaume-Uni, du 28 mai 1985, et Ahmut c. Pays-

Bas,. du 28 novembre 1996.

qu’il y ait ingérence intolérable au sens de l’article 8, il faut l’existence d’une vie privée et familiale effective et, cumulativement, l’impossibilité pour les intéressés de s’installer et mener une vie privée et familiale normale dans un autre pays5.

Il y a encore lieu de retenir que, contrairement aux affirmations du délégué du gouvernement, l’article 8 précité garantit non seulement le respect à la vie privée et familiale préexistante avant l’entrée sur le territoire luxembourgeois de deux personnes formant un couple, mais également la vie privée et familiale créée au Luxembourg à partir du moment où elle a un caractère effectif et a perduré pendant une période prolongée au cours de laquelle les deux personnes ont vécu une relation réelle et suffisamment étroite permettant de conclure à une vie familiale effective devant bénéficier de la protection prévue par l’article 8, paragraphe 1er de la CEDH6.

En l’espèce, il échet tout d’abord de relever qu’il n’est pas allégué ni établi qu’une vie familiale effective ait existé entre Monsieur … et Madame … antérieurement à l’entrée de Monsieur … sur le territoire national.

En ce qui concerne la création d’une vie familiale entre les demandeurs au Luxembourg, il ressort des développements de ces derniers, ainsi que des attestations testimoniales de la part des membres de leurs familles respectives, ainsi que de collègues de travail et d’amis de Madame … qu’ils entretiennent une relation depuis 2014 et qu’ils résident à la même adresse au moins depuis le 15 janvier 2016, date figurant sur l’engagement de prise en charge signé par Madame ….

Si la partie étatique émet certes des doutes quant à la date de début de leur relation, dans la mesure où Monsieur … n’aurait pas fait état de sa relation avec Madame … dans le cadre de sa demande d’autorisation de séjour du 20 novembre 2014, il résulte cependant des 18 attestations testimoniales versées en cause qu’ils vivent en concubinage depuis l’année 2014, d’autant plus qu’ils ont expliqué de façon compréhensible que Monsieur … n’aurait pas voulu faire état de sa toute nouvelle relation dans le cadre de sa demande du 20 novembre 2014.

Ainsi, si les deux concubins ne sont certes pas mariés, il y a lieu de rappeler que la notion de vie familiale ne se résume pas uniquement à l'existence d'un lien de parenté, mais requiert un lien réel et suffisamment étroit entre les différents membres dans le sens d'une vie familiale effective, c'est-à-dire caractérisée par des relations réelles et suffisamment étroites parmi ses membres. De même, il y a lieu de rappeler que le mariage d’un couple n’est pas forcément un critère nécessaire pour constater l’existence d’une vie familiale au sens de l’article 8 CEDH. En effet, l’effectivité d’une vie familiale est un des critères déterminants afin de retenir l’existence d’une vie familiale au sens de l’article 8 CEDH, qui désigne une relation effectivement vécue et s’attache moins aux catégories juridiques qu’au tissu affectif existant7. Il faut ainsi, au-delà de la conclusion d’un mariage, que soit démontrée l’effectivité d’une relation stable et étroite, qui se manifeste en principe pour un couple par une cohabitation durable ou du moins par un projet sérieux de vie commune89.Or, au vu des 5 Cour adm., 12 octobre 2004, n°18241 C, Pas. adm. 2016, V° Etrangers, n°402 et autres références y citées.

6 trib. adm. 23 août 2006, n° 21278 du rôle, Pas. adm. 2016, V° Etrangers, n° 407 et l’autre référence y citée.

7 Le droit au respect de la vie familiale au sens de la Convention européenne des droits de l’homme par Frédéric Sudre, Droit et Justice n° 37, page 18 8 Ibidem, pages 20 et suivants 9 trib. adm. 15 décembre 2010, n°27030 du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu développements qui précèdent, il n’est pas contestable que Monsieur … et Madame … entretiennent une relation suivie et stable depuis 2014. Force est également au tribunal de constater qu’il ressort des explications non contestées des demandeurs que Monsieur … n’a plus aucun lien avec son Etat d’origine hormis le lien de nationalité10, ses parents étant décédés et ses frère et sœurs habitant au Luxembourg.

Il suit de l’ensemble des éléments qui précèdent que les demandeurs, malgré la précarité du séjour de Monsieur …, peuvent se prévaloir de l’existence d’une « vie familiale et privée », laquelle, même si elle n’a été créée qu’une fois que Monsieur … était arrivé sur le territoire luxembourgeois, doit, au regard des circonstances de l’espèce, et plus particulièrement du fait que Madame … ne saurait raisonnablement continuer sa vie en France ou au Liban, étant donné qu’elle dispose d’un contrat de travail à durée indéterminée depuis 2011, qu’elle est propriétaire d’un immeuble au Luxembourg où tous les membres de sa famille résident, bénéficier de la protection prévue par l’article 8, paragraphe 1er de la CEDH, de sorte que la décision refusant à Monsieur … une autorisation de séjour pour motifs privées s’analyse en une ingérence dans le droit des demandeurs au respect de leur vie privée et familiale.

Aux termes du paragraphe 2 de l’article 8 précité, il peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui.

La partie étatique est toutefois restée en défaut de faire état d’un élément précis et circonstancié de nature à justifier une ingérence par les autorités publiques luxembourgeoises dans l’exercice par les demandeurs de leur droit à leur vie privée et familiale pour l’un des motifs énoncés ci-dessus, et a fortiori, elle n’a pas établi que la décision litigieuse respecte un juste équilibre entre les intérêts en cause, de sorte qu’il y a violation de l’article 8 de la CEDH.

Il s’ensuit que la décision attaquée encourt l’annulation pour violation de l’article 8 CEDH.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, déclare le recours justifié, partant, annule la décision déférée du 22 avril 2016 et renvoie le dossier en prosécution de cause devant le ministre de l’Immigration et de l’Asile;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par :

10 Voir en ce sens Cour adm. 12 octobre 2000, n°11959C du rôle, Pas. adm. 2016, V°Etrangers, n° 405 Françoise Eberhard, vice-président, Daniel Weber, juge, Michèle Stoffel, juge, et lu à l’audience publique du 29 mai 2017, par le vice-président, en présence du greffier Goreti Pinto.

s. Goreti Pinto s. Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 30 mai 2017 Le Greffier du Tribunal administratif 9


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 37883
Date de la décision : 29/05/2017

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2017-05-29;37883 ?

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