Tribunal administratif N° 38142 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 juillet 2016 3e chambre Audience publique du 24 mai 2017 Recours formé par Monsieur …et consorts, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 38142 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 6 juillet 2016 par Maître Olivier LANG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à …(Biélorussie), et de son épouse, Madame …, née le … à … , accompagnés de leurs enfants mineurs communs …, née le … à …, …, née le … à …, …, née le … à …, …, née le … à … et …, né le … à …, tous de nationalité biélorusse, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 2 juin 2016 portant refus de faire droit à leur demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 11 août 2016 ;
Vu la constitution de nouvel avocat à la Cour déposée au greffe du tribunal administratif en date du 17 octobre 2016 par Maître Sarah MOINEAUX, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg,;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Mariana LUNCA-MULLER et Monsieur le délégué du gouvernement Luc REDING en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 15 février 2017.
Le 6 août 2014, Monsieur …et son épouse, Madame …, accompagnés de leurs enfants mineurs …, …, …, … et …, ci-après désignés par « les consorts … », introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, entretemps abrogée par la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
1 Les déclarations des époux … sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, dans un rapport du même jour.
En date du 20 août 2014, Monsieur … et son épouse, Madame …, furent auditionnés séparément par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de leur demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, dit « règlement Dublin III ».
En date des 17 mars, 4 mai, 2 juin, 8 juillet et 11 août 2015, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale, tandis que Madame … fut quant à elle entendue pour les mêmes raisons en date des 19 mars, 10 avril et 6 mai 2015.
Par décision du 2 juin 2016, notifiée aux intéressés par lettre recommandée envoyée le lendemain, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », résuma les déclarations des époux …comme suit : « […] Monsieur, il résulte de vos déclarations que vous auriez déposé une demande de protection internationale parce que vous auriez été chicané par certaines autorités locales ou régionales de votre pays d'origine. Vous signalez avoir par le passé soutenu le président LOUKACHENKO et avoir rejoint « l'union patriotique des jeunes de Biélorussie » en 1997, sur demande du maire de …, . . Fin 1998, début 1999, vous auriez changé de convictions politiques et vous auriez présenté votre démission à … qui vous aurait prévenu que vous ne trouviez alors plus jamais du travail à … . Toutefois, en 1999, vous auriez été employé au sein d'un club pour jeunes, un travail que vous auriez gardé jusqu'en 2002.
En 2002, vous auriez décidé de vous installer avec votre épouse à … dans le but de changer de travail et de gagner plus d'argent. Fin 2002, vous auriez ouvert votre propre commerce situé au marché « … » et vous auriez été en contact avec des commerçants politisés. A cette époque, LOUKACHENKO aurait fait remplacer beaucoup d'« opposants » parmi ces commerçants avec ses propres candidats. Vous dites qu'il aurait commencé son « nettoyage » des commerçants en augmentant les taxes, les impôts, les amendes et les contrôles arbitraires des commerces. Vous précisez ne jamais avoir été membre d'un parti politique mais que « le plus important c'était de soutenir les personnes qui n'étaient pas d'accord avec le pouvoir actuel ».
Ainsi, vous auriez contribué à organiser des manifestations, dont celle du 1er mars 2005 sur la place … , organisée contre la hausse de la TVA. Vous précisez que les autorités auraient ordonné aux manifestants de quitter les lieux. Le 25 mars 2005, vous auriez participé à une autre manifestation qui aurait de nouveau été dispersée par les forces de l'ordre. Vous auriez par la suite été arrêté et placé en garde à vue pendant trois jours. Le 28 mars 2005, vous auriez été libéré après avoir été présenté à un juge. Vous prétendez que vous auriez par la suite été placé sur une « liste noire » comprenant les noms des personnes arrêtées et qui ne seraient pas « fiables ». Cette liste serait ensuite envoyée à l'administration régionale de la personne 2concernée, à la « milice » et au KGB et risquerait de détériorer les opportunités professionnelles des personnes concernées. Personnellement, cette liste, vous aurait « couté » le déplacement de votre commerce vers une rue moins fréquentée ainsi que plusieurs contrôles de différents services étatiques. Vous signalez avoir contesté un des comptes-rendus rédigés lors d'un de ces contrôles et avoir porté plainte auprès du Ministère. Ce dernier vous aurait promis d'examiner votre cas et n'aurait pas trouvé d'irrégularité concernant la gestion de votre commerce. En août 2005, vous auriez été obligé par l'inspection fiscale régionale à payer une amende. Vous auriez de nouveau contesté cette amende en signalant au chef du service fiscal de … qu'elle constituerait une violation de la loi. Le chef en question vous aurait donné raison tout en signalant qu'elle aurait reçu des directives de la part de l'inspection régionale. En 2006, vous auriez arrêté vos activités commerciales à … et seriez retourné à … en s'engageant dans une activité agricole, et en 2007, vous auriez commencé votre travail pour l'Etat en tant que gardien de sécurité.
En 2010, vous auriez été contrôlé par une instance locale qui vous aurait forcé à vendre vos vaches étant donné que la tenue de bêtes en ville serait interdite par la loi. Par contre, d'après vous, d'autres ménages possédant des bêtes, n'auraient pas été contrôlés par cette instance. Une personne du service d'aménagement territorial vous aurait ensuite expliqué que vous auriez la possibilité d'ouvrir une ferme en zone rurale. Vous vous seriez alors adressé au Conseil de village d'… qui aurait accepté, sous certaines conditions, votre demande d'un bail à fermage. Ainsi, en 2011, vous auriez commencé à construire votre ferme, mais en automne 2012, alors que toutes les conditions auraient été réunies, le président dudit Conseil vous aurait expliqué que l'hiver approcherait, que vous n'auriez donc pas tout de suite besoin de ces terres et que vous devriez revenir au printemps. Or, le printemps venu, on ne vous aurait plus accordé ce bail à fermage, tout en vous informant de la possibilité d'un bail de deux terres plus petites. Vous n'auriez pas accepté cette offre et en juin 2013, vous vous seriez plaint auprès du président de l'administration de …, un dénommé …, au sujet de ce refus. Ce dernier aurait promis d'examiner votre demande, mais ne vous aurait plus contacté par la suite. Par contre, deux semaines après vous être plaint à …, …, le chef des sapeurs-pompiers, serait passé pour inspecter votre maison.
Vous dites qu'il aurait noté sept points d'infraction bien que votre maison ait été construite selon le « projet officiel ». On vous aurait fixé un délai jusqu'au 1er octobre 2013 pour fixer ces irrégularités. Le 30 juillet 2013, votre demande d'un bail de fermage auprès du centre d'administration de … aurait définitivement été rejetée parce que « selon eux, je disposais du nécessaire » et que « ce village disposait d'un pâturage à disposition de tous les villageois ».
Vous précisez que cette réponse vous aurait été transmise par l'adjoint de …, le dénommé …, qui vous aurait fait comprendre que vous n'obtiendriez jamais de terre et que vous auriez « trahi la nation ».
En 2013, vous auriez été forcé de démissionner de votre travail parce qu'il ne vous aurait plus été possible de vous occuper en même temps de vos vaches qui auraient pâturé dans la forêt pendant l'été. Votre situation se serait par la suite davantage compliquée et il ne vous aurait plus été possible de nourrir votre famille et de financer la scolarité de vos enfants. Vous auriez alors décidé de quitter la Biélorussie et vous auriez vendu vos biens immobiliers, votre équipement, vos appareils techniques, vos bêtes et votre matériel de construction.
3Vous seriez venu au Luxembourg dans le but d'y porter plainte contre un certain … . Ce dernier, de nationalité luxembourgeoise, vous aurait demandé la somme de 11.300.- euros afin d'organiser les papiers et de vous embaucher dans sa firme d'antiquités. Néanmoins, après versement de ladite somme, il aurait coupé tout contact et aurait disparu. Votre voisine en Biélorussie, … , qui habiterait également au Luxembourg et qui aurait présenté votre cas à …, vous aurait alors aidé à organiser votre départ. Vous précisez que … vous aurait expliqué que votre contrat de travail serait prêt pour mars 2014; néanmoins, à ce moment, … n'aurait déjà plus répondu à vos appels. Vous dites que le juge l'aurait incriminé de magouille financière et vous le soupçonneriez d'avoir envoyé deux livres interdits par les autorités biélorusses à votre adresse en Biélorussie afin de vous faire des problèmes. Vous auriez peur qu'il ne vous tue afin d'échapper à sa condamnation. En avril 2014, vous vous seriez procuré votre visa et le 28 avril 2014, vous seriez monté à bord d'une voiture et vous seriez venu au Luxembourg. Etant donné que vous n'auriez pas réussi à résoudre votre problème avec … en quelques mois, vous seriez retourné en Biélorussie le 13 juillet 2014. Vous signalez être revenu au Luxembourg en compagnie de votre épouse et de vos enfants le 3 août 2014. Vous auriez alors décidé de déposer une demande de protection internationale parce que « Il y avait la question de la sécurité, la réaction négative de la part des autorités biélorusses à notre égard, l'impossibilité de travailler en Biélorussie et de nourrir ma famille. Je considère ces deux livres comme un acte de menace à notre encontre » (p. 13).
Madame, vous confirmez les dires de votre époux.
Vous avez versé les documents suivants à l'appui de vos demandes de protection internationale:
- Une décision du comité exécutif du village d'… datée au 21 mai 2013. Le comité a décidé de vous octroyer deux parcelles de terrain à des fins de « fauchage du foin et de pâturage d'animaux de ferme ».
- Votre demande d'octroi d'un terrain pour y gérer une « exploitation auxiliaire personnelle » datée au 26 juin 2013 et adressée au dénommé …, président du Comité exécutif du district de … .
- Une lettre de l'inspection nationale de la lutte contre les incendies datée au 12 juillet 2013, notant les sept irrégularités constatées lors de l'inspection de votre appartement à … .
- Une lettre du comité exécutif du district de … de l'administration de l'agriculture et de l'alimentation datée au 30 juillet 2013 vous refusant l'octroi d'une parcelle « sur le terrain demandé » tout en rappelant avoir proposé « à plusieurs reprises au demandeur de faire paître ses vaches sur une prairie située à proximité du village où tous les gens qui possèdent des vaches font paître leur bétail ».
- Une lettre du comité exécutif de l'oblast de … datée au 15 août 2013 attestant de vos activités agricoles et vous informant de la possibilité de faire paître vos vaches dans une prairie qu'il a mis à disposition des habitants.
- Plusieurs articles de presse en langue cyrillique, concernant notamment la grève des entrepreneurs du 1er mars 2005.
- Des documents concernant l'enregistrement de votre maison ou la vente de votre hangar.
- Des photos montrant votre étable et vos machines.
4- Un compte-rendu de l'inspecteur des sapeurs-pompiers, daté au 19 juillet 2013 qui constate des manquements par rapport aux normes de construction.
- Un document en langue cyrillique, établi par le Tribunal de Minsk le 28 mars 2005 concernant votre arrestation du 25 mars 2005.
- D'autres documents en langue cyrillique.
- Votre carnet de travail.
Enfin, il ressort des rapports d'entretien qu'il n'y a plus d'autres faits à invoquer au sujet de vos demandes de protection internationale et aux déclarations faites dans ce contexte. […] ».
Le ministre informa ensuite les consorts … que leur demande avait été refusée comme non fondée, tout en leur ordonnant de quitter le territoire.
Le ministre estima que les faits invoqués par les consorts … à l’appui de leur demande de protection internationale ne seraient pas assez graves pour pouvoir retenir dans leur chef l’existence d’une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et le Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par le règlement grand-
ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après désigné par « la Convention de Genève ».
Il constata que Monsieur … aurait par le passé travaillé comme agent ou fonctionnaire d’Etat, qu’il aurait été employé par la mairie, ainsi que par un centre administratif et ceci même après avoir quitté « l’union patriotique des jeunes de Biélorussie » en 1999, et après sa prétendue inscription sur une « liste noire » en tant qu’opposant politique. Il releva, par ailleurs, que Monsieur … aurait été propriétaire de terres, d’immeubles et de machines agricoles lourdes et qu’il lui aurait été possible de construire une maison en 2011. Ces informations seraient ainsi en contradiction avec le récit du demandeur, selon lequel il serait considéré comme « ennemi d’Etat », le ministre ayant encore ajouté que même à admettre les menaces verbales invoquées soient réelles, elles n’auraient jamais connu de suites.
Il ressortirait encore des pièces versées en cause, que suite à un refus de l’administration communale concernant une demande de lui attribuer deux terrains sous forme de bail rural, celle-ci aurait proposé à Monsieur … deux autres terrains à bail en compensation. Cette décision aurait par ailleurs été motivée par le fait que la détention de vaches serait interdite en ville et que des prairies seraient mises à disposition de tous les villageois pour faire paître leurs bêtes aux alentours de la ville. Le ministre arriva ainsi à la conclusion que malgré le fait que les surfaces des terrains proposés à bail ne correspondraient pas aux attentes du demandeur, cette circonstance n’équivaudrait pas à une persécution de la part des autorités publiques dans son chef.
Quant aux taxes, aux contrôles de la part de l’inspection du travail, aux amendes à payer ou aux constatations par un sapeur-pompier d’irrégularités par rapport à la sécurité de leur appartement, dont les consorts … ont fait état, le ministre retint qu’il s’agirait de pratiques administratives légitimes, respectivement de mesures administratives légales qui ne sauraient être perçues comme des actes de persécutions au sens de la Convention de Genève.
5 En ce qui concerne la participation de Monsieur … à une manifestation en 2005 à …, qui aurait été suivie par une garde à vue, le ministre retint que cet incident unique ne saurait suffire pour justifier une crainte fondée de persécution dans le chef des demandeurs dans la mesure où il n’y aurait eu aucun incident lors de cette garde à vue unique, et que Monsieur … n’aurait plus participé à d’autres manifestations ou exprimé ses opinions politiques publiquement depuis 2005, et il conclut que les craintes exprimées par les demandeurs se traduiraient en un sentiment général d’insécurité plutôt qu’en crainte fondée de persécutions au sens de la Convention de Genève ou de la loi du 18 décembre 2015.
Ce constat serait confirmé par le fait que les consorts … auraient obtenu leurs passeports, émis en septembre 2013, et des visas pour le territoire Schengen, ce qui n’aurait pas été le cas s’ils avaient été considérés comme opposants au régime de LOUKACHENKO figurant sur une « liste noire », le ministre ayant encore précisé qu’il existerait effectivement une liste de personnes interdites de voyager à l’étranger en Biélorussie, liste sur laquelle les demandeurs ne figureraient pas.
Le ministre estima encore que les motifs ayant conduit les consorts … à quitter la Biélorussie seraient plutôt liés à leurs soucis financiers ainsi qu’au problème avec le dénommé …, problèmes non susceptibles de justifier l’octroi d’une protection internationale.
Le ministre retint encore que les demandeurs auraient pu profiter d’une fuite interne dans leur pays d’origine puisque leurs problèmes auraient un caractère purement local.
S’agissant finalement de la protection subsidiaire, le ministre conclut que les consorts … ne feraient état d’aucun motif sérieux et avéré de croire qu’ils courraient un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 en cas de retour dans leur pays d’origine et qu’il ne ressortirait pas des recherches étatiques que des personnes ayant déposé une demande de protection internationale à l’étranger feraient l’objet de poursuites judiciaires en Biélorussie.
En conséquence, il constata que le séjour des consorts … sur le territoire luxembourgeois est illégal et leur enjoignit de quitter ledit territoire dans un délai de trente jours.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 6 juillet 2016, les consorts … ont fait déposer un recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 2 juin 2016 portant refus de faire droit à leur demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.
1) Quant au recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 2 juin 2016 portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre la décision du ministre du 2 juin 2016, telle que déférée.
6 Ledit recours ayant encore été introduit dans les formes et délai de la loi, il est à déclarer recevable.
A l’appui de leur recours et en fait, les demandeurs renvoient à leurs déclarations formulées lors de leurs auditions auprès de la direction de l’Immigration.
En droit, les demandeurs relèvent à titre liminaire que le ministre aurait basé sa décision sur des considérations sans pertinence quant à leur demande de protection internationale.
En ce qui concerne l’inscription sur la « liste noire » de LOUKACHENKO, les demandeurs affirment que la conclusion du ministre résulterait d’une mauvaise lecture de leurs rapports d’entretiens, dans la mesure où ils n’auraient jamais prétendu que Monsieur … se trouverait sur la « liste » des autorités biélorusses relative aux personnes interdites de voyage à l’étranger, mais sur une « liste noire » de citoyens « considérés comme des personnes en lesquelles on ne [pourrait] pas avoir confiance ». L’inscription sur une telle liste aurait des répercussions sur la vie sociale et professionnelle des personnes y inscrites et ne viserait pas en particulier l’interdiction de voyager. Dans ce contexte, ils expliquent encore que l’obtention d’un visa ne serait pas incompatible avec les persécutions dont ils seraient victimes de la part des autorités biélorusses puisque les visas seraient délivrés par des autorités étrangères. En ce qui concerne l’obtention de leurs passeports, les demandeurs se réfèrent à une publication de l’UNHCR intitulée « Guide et principes directeurs sur les procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut des réfugiés au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatif au statut des réfugiés », publiée en décembre 2011, d’après laquelle « la simple possession d’un passeport national valide [ne serait] pas un obstacle à la reconnaissance du statut de réfugié ». Ils affirment ensuite, source à l’appui1, que les autorités biélorusses feraient pression pour que les opposants au régime, à l’instar du demandeur, quittent la Biélorussie2.
Finalement les demandeurs citent encore un article du Guardian, publié le 3 juillet 2014 et intitulé « … ? », selon lequel le passeport national biélorusse serait désormais automatiquement valide pour les voyages à l’étranger et qu’il serait de façon générale possible de quitter la Biélorussie et d’y retourner à l’exception de pressions exercées sur quelques opposants politiques notables.
En ce qui concerne les prétendus motifs économiques et les problèmes avec le dénommé …, les demandeurs se réfèrent de nouveau à la publication de l’UNHCR3, prémentionnée, afin d’expliquer la distinction entre migrants économiques et réfugiés, tout en relevant que les difficultés économiques auxquelles ils auraient été confrontées en Biélorussie seraient précisément la conséquence de l’expression par le demandeur de ses opinions politiques.
Les procédures juridiques qui les opposeraient actuellement au dénommé … ne seraient pas non plus à la base de leur demande de protection internationale. Ils ne les auraient invoquées 1 Rapport du US Department of State, du 25 juin 2015, intitulé « Belarus 2014 Country Reports of Human Rights Practices » 2 Déclaration du Committee to Protect Journalists, du 19 février 2013, intitulée « Belarusian authorities push Khalip to go into exile » 3 UNHCR, « Guide et principes directeurs sur les procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut des réfugiés au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatif au statut des réfugiés », Genève, décembre 2011 7qu’en raison de l’envoi de deux livres interdits par les autorités biélorusses à leur domicile, ce qui n’aurait fait qu’accentuer leurs craintes. Or, seules les persécutions vécues par eux et leur crainte de subir de nouvelles persécutions, sinon des traitements inhumains et/ou dégradants, auraient motivé leur demande de protection internationale.
Ils estiment ainsi avoir fait état de craintes de persécution au sens de l’article 43 (1) et (2) de la loi du 18 décembre 2015 en raison des opinions politiques de Monsieur …, lequel serait à qualifier de contestataire au régime de LOUKACHENKO, ainsi qu’en raison des opinions politiques qui lui seraient prêtées par les autorités biélorusses. Leur récit démontrerait que Monsieur … ne se serait jamais résigné face aux mesures injustes, voire illégales entreprises par les autorités biélorusses à son encontre et aurait tenté à chaque fois de défendre ses droits. Il aurait ainsi toujours été perçu comme un contestataire du régime politique de Biélorussie, en raison du désaccord qu’il aurait exprimé ouvertement quant aux méthodes employées par le président LOUKACHENKO et par ses exécutants. Ainsi, le simple fait de manifester son indignation face aux actes infligés par les autorités biélorusses serait perçu comme l’expression d’une opposition au pouvoir.
Quant aux emplois occupés par les demandeurs auprès d’entités étatiques, ils expliquent en se basant sur un article du Washington Post, du 5 juin 2014, intitulé « … », qu’au vu de la pénurie de main-d’œuvre pour des emplois mal rémunérés, il ne serait pas étonnant que les autorités acceptent qu’ils puissent occuper ce genre d’emploi. Par ailleurs, Madame … n’aurait pas figuré sur cette liste, de sorte qu’il n’importerait pas qu’elle ait pu occuper un poste dans un hôpital. Le ministre ne pourrait ainsi pas nier que Monsieur … soit considéré dans son pays d’origine comme un contestataire du régime en se basant sur le simple fait que lui-même et son épouse aient occupé des emplois étatiques.
Ensuite, les demandeurs considèrent que contrairement aux considérations du ministre, les contrôles et inspections administratifs opérés par les autorités biélorusses à leur encontre, ainsi que le refus de leur mettre à disposition des terres pour leur bétail, auraient été motivés par les opinions politiques de Monsieur ….
Les demandeurs rappellent que Monsieur … aurait été mis en détention, sans avoir eu accès à un avocat, et aurait été condamné, dans le cadre d’un procès vicié sur la base de faux témoignages et au mépris des droits de la défense les plus élémentaires, pour avoir participé à une manifestation contre de nouvelles mesures adoptées par LOUKACHENKO à l’encontre des commerçants.
Les demandeurs ont encore fait valoir qu’il appartiendrait au ministre d’apprécier leur situation individuelle dans le contexte général de leur pays d’origine dans lequel elle s’inscrirait conformément à l’article 37 (3) a) de la loi du 18 décembre 2015. Tous les événements décrits par Monsieur … seraient à mettre en relation avec la situation sécuritaire en Biélorussie et les violations des droits de l’Homme perpétrées par le régime en place, à savoir par le président Alexandre LOUKACHENKO.
Quant à la situation générale en Biélorussie, les consorts … se prévalent d’un rapport du 21 avril 2016 d’un rapporteur spécial, …, d’un rapport de l’ONG Human Rights Watch, du 27 8janvier 2016, intitulé « … », d’un rapport de l’United States Departement of State du 13 avril 2016, intitulé « … », pour conclure que les droits de l’Homme n’y seraient pas respectés, fait qui aurait dû être pris en considération dans le cadre de l’examen individuel de leur demande de protection internationale.
Quant à la gravité des faits, les demandeurs invoquent l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015 et rappellent les éléments clés de leur vécu en Biélorussie, à avoir (i) l’impossibilité pour Monsieur … d’accéder depuis 1999 à des emplois étatiques autres que des emplois subalternes et mal rémunérés en raison de ses opinions politiques, (ii) une arrestation musclée pour avoir participé à une manifestation politique, suivie d’insultes policières, d’une privation arbitraire de liberté pendant trois jours, sans accès à un avocat et une condamnation à trois jours de prison dans le cadre d’un procès vicié, ainsi que (iii) de multiples contrôles, inspections et mesures administratives discriminatoires et abusifs, sans garantie du droit à un recours effectif, visant à les affaiblir en les empêchant d’avoir des activités commerciales et agricoles, et ainsi subvenir aux besoins élémentaires de la famille.
Les demandeurs considèrent que les actes déjà subis et leurs craintes seraient suffisamment graves tant par leur nature, que par le fait de leur caractère répété et de la période sur laquelle ils s’étendent. Les demandeurs considèrent, par ailleurs, que les diverses mesures administratives, tout comme les peines de prison que Monsieur … aurait dû purger ne pourraient pas être justifiées par le cadre « légal » dans lesquels elles seraient intervenues. Il ressortirait en effet du récit des requérants que les autorités biélorusses auraient tenté de masquer la nature discriminatoire et abusive de ces actes derrière un semblant de légalité.
Ils rappellent ensuite qu’en raison de leurs opinions politiques, Monsieur … aurait d’ores et déjà fait l’objet d’actes de persécution et ils précisent qu’ils craindraient de faire l’objet d’actes étatiques discriminatoires et arbitraires, dont des arrestations arbitraires, suivies d’une déchéance de l’autorité parentale pour avoir demandé une protection internationale au Luxembourg en cas de retour en Biélorussie.
Ils soutiennent encore que les persécutions dont ils auraient été victimes respectivement celles qu’ils craindraient proviendraient notamment d’agents étatiques, de sorte que toute protection nationale serait impossible. A cet égard, les demandeurs se basent sur le considérant numéro 27 de la directive 2011/95/UE du Parlement Européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection, ci-après désignée par la « directive 2011/95/UE », en vertu duquel, lorsque les acteurs des persécutions ou des atteintes graves sont l’Etat ou ses agents, il devrait exister une présomption selon laquelle une protection effective n’est pas offerte aux demandeurs de protection internationale. Les demandeurs rappellent encore à cet égard que selon une certaine interprétation du droit communautaire, une directive devrait être interprétée par les Etats-membres lors de la transposition conformément à ses considérants. Ils rappellent que toutes les persécutions subies par eux proviendraient d’acteurs étatiques au sens de l’article 39 a) de la loi du 18 décembre 2015. Ils donnent encore à considérer que l’article 39 a) de la loi du 18 9décembre 2015, ne serait pas assorti de la condition que les autorités biélorusses ne pourraient ou ne voudraient pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves.
Quant à la possibilité de fuite interne relevée par le ministre, les demandeurs soutiennent que celui-ci devrait démontrer de manière plausible pour quelle raison il estime devoir et pouvoir refuser la protection internationale au motif qu’une fuite interne serait possible. Ils estiment qu’en tout état de cause les conditions d’une fuite interne au sens de l’article 41 de la loi du 18 décembre 2016 ne seraient pas remplies dans leur chef et que le ministre n’aurait désigné aucune partie du territoire biélorusse qui serait sûre dans leur chef. En s’appuyant sur un rapport de l’US Département of State, du 25 juin 2015, intitulé « … », les demandeurs mettent encore en exergue les difficultés rencontrées par les citoyens en Biélorussie pour choisir librement leur lieu de résidence.
Par ailleurs, sur base de l’article 37, paragraphe (4) de la loi 18 décembre 2015, les demandeurs font valoir que les persécutions d’ores et déjà subies dans leur pays d’origine, auraient comme conséquence qu’il serait présumé qu’ils devraient subir les mêmes actes en cas de retour. S’y ajouterait, qu’ils craindraient d’être emprisonnés en cas de retour en Biélorussie puisqu’en raison de leur rapatriement ils pourraient être considérés par les autorités biélorusses comme ayant discrédité l’Etat biélorusse et seraient ainsi passibles d’une peine au titre des articles 361 et 369 du code criminel biélorusse. Ils rappellent dans ce contexte qu’aux termes de l’article 38 (1) de la loi du 18 décembre 2015 qu’une crainte fondée d’être persécutée ou un risque réel de subir des atteintes graves peut s’appuyer sur des événements ayant eu lieu depuis le départ des demandeurs de leur pays d’origine et qu’en l’espèce la milice serait à la recherche des enfants suite à leur absence à l’école et qu’elle tenterait de les localiser. Ils indiquent, par ailleurs, que leurs communications internet seraient sous la surveillance des autorités biélorusses.
Quant à la protection subsidiaire, les demandeurs affirment avoir fait état de motifs sérieux et avérés de croire qu’ils courent un risque réel de subir des atteintes graves au regard de leur argumentation présentée dans le contexte de l’analyse du volet de la décision leur refusant le statut de réfugié.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours pour ne pas être fondé.
Aux termes de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] ».
10Par ailleurs, aux termes de l’article 42, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 :
« Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent :
a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). […] ».
Finalement, aux termes de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 : « Les acteurs des persécutions ou atteintes graves peuvent être :
a) l’Etat ;
b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;
c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves. », et aux termes de l’article 40 de la même loi: « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :
a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient déposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.
(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection.
(3) Lorsqu’il détermine si une organisation internationale contrôle un Etat ou une partie importante de son territoire et si elle fournit une protection au sens du paragraphe (2), le ministre tient compte des orientations éventuellement données par les actes du Conseil de l’Union européenne en la matière.».
11Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.
Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait qu’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.
Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 établit une présomption simple que de telles persécutions se poursuivront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces persécutions ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.
Le tribunal est à cet égard tout d’abord amené à rappeler qu’en tant que juge du fond en matière de demandes d’asile, il doit examiner, en plus de la situation générale du pays d’origine, la situation particulière du demandeur d’asile et vérifier, concrètement, si sa situation subjective a été telle qu’elle laissait supposer un danger pour sa personne.
En l’espèce, l’examen des faits et motifs invoqués par les consorts … à l’appui de leur demande en obtention d’une protection internationale dans le cadre de leurs auditions, ainsi qu’au cours de la procédure contentieuse et des pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que ceux-ci restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle fondée de persécutions du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leurs opinions politiques ou de leur appartenance à un certain groupe social tel que le prévoit l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015.
En effet, Monsieur … déduit de sa participation à une manifestation contre la hausse de la TVA à … en 2005, suivi d’une détention préventive de trois jours, qu’il serait désormais inscrit sur une « liste noire », transmise à toutes les autorités locales biélorusses. Les demandeurs fondent ainsi leurs craintes de persécution essentiellement sur le fait que Monsieur … serait 12inscrit sur ladite « liste noire » comme opposant au régime du président LOUKACHENKO, ce qui aurait comme conséquence que lui-même et sa famille seraient en proie à des discriminations quant à l’accès au travail dans leur pays d’origine et à des chicaneries de la part d’entités étatiques rendant leur survie économique impossible en Biélorussie.
Or, une crainte de persécution au sens de la loi relative au droit d’asile doit nécessairement reposer sur des éléments de fait réels et probables. De simples craintes hypothétiques ne sauraient justifier l’obtention du statut de réfugié au sens de la loi relative au droit d’asile.4 En ce qui concerne plus particulièrement l’arrestation de Monsieur … suite à la manifestation contre la hausse de la TVA en 2005 à Minsk, il appartient au tribunal de rappeler que l’emprisonnement ne constitue pas, à lui seul, un motif de reconnaissance du statut de réfugié, dès lors qu’il n’est pas établi que cet emprisonnement était dû à une persécution en raison d’un des motifs énumérés par la Convention de Genève5. Il ressort des pièces versées par les demandeurs et des déclarations de Monsieur … auprès du ministère de l’Immigration et de l’Asile, qu’il a été arrêté et ensuite condamné par un tribunal à 3 jours de détention administrative pour avoir participé à un rassemblement non autorisé, au cours duquel les manifestants ont fait preuve de violences envers les policiers, notamment par la projection de blocs de glace. Or, une telle arrestation, respectivement détention administrative, dans le cadre d’une procédure pénale engagée en raison de manifestations non autorisées, à l’occasion de laquelle aucune personne n’a été maltraitée ne saurait être considérée comme abusive et constituer un motif valable de reconnaissance du statut de réfugié, le demandeur ayant à cet égard déclaré lui-même « toutes nos manifestations n’étaient pas autorisées »6. En vertu de ce qui précède, il échet de constater qu’aucun élément du dossier ne permet d’établir concrètement et de façon probable que les demandeurs seraient actuellement recherchés ou persécutés dans leur pays d’origine pour une des causes énumérées à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, de sorte qu’une crainte de persécution au sens de l’article 2 f) de la du 18 décembre 2015 ne saurait être retenue dans leur chef.
En ce qui concerne ensuite la hausse de la TVA, il échet au tribunal de constater qu’une telle hausse d’impôt impacte toute une partie de la population, en l’espèce tous les commerçants, indépendamment de leur opinion politique, de sorte que celle-ci ne saurait être perçue comme une action dirigée personnellement contre le demandeur motivée par sa soi-disant opposition au régime de LOUKACHENKO.
Quant au contrôle fiscal, il ressort des déclarations de Monsieur … qu’il a introduit plusieurs recours contre le rapport fiscal établi par un agent étatique à … et que, malgré le fait que ces recours ont, dans un premier temps, été déclarés non-fondés, le prédit rapport a été annulé et remplacé par un second rapport sur base duquel Monsieur … a été condamné à une amende fiscale. Il ressort par ailleurs d’un article publié le 1er mars 2005 versé par les demandeurs et intitulé « Loukachenko n’a pas entendu les entrepreneurs », que 80.000 4 Trib. adm. 23 avril 2008, n° 23746 du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.
5 Trib. adm. 13 novembre 1997, nos du rôle 9407 et 9806, Pas. adm. 2016, V° Etrangers, n° 148 et autre référence y citée.
6 Page 5 de son rapport d’audition.
13entrepreneurs auraient refusé de payer la nouvelle TVA plus élevée et la manifestation à laquelle le demandeur a participé avait justement comme but de faire annuler le paiement de cette TVA, de sorte que l’amende fiscale dont se prévalent les demandeurs trouve davantage sa genèse dans le refus de Monsieur … de payer les taxes redus à l’Etat que dans la volonté des autorités étatiques de condamner abusivement Monsieur … a une taxation erronée en raison de ses opinions politiques.
En ce qui concerne ensuite les autres contrôles par les entités locales, il échet au tribunal de constater que si Monsieur … considère certes que ceux-ci seraient motivés par son inscription sur une « liste noire » en raison de ses opinions politiques, il n’a, à aucun moment, démontré que les manquements constatés par ces autorités étatiques étaient faux, mais s’est contenté d’affirmer qu’il serait plus souvent contrôlé que d’autres personnes. Ainsi, et en ce qui concerne la détention des vaches en ville, il déclare lui-même que « il y a un décret du président qui interdit la possession de bêtes en ville ». Or, dans la mesure où la commune a valablement pu lui demander de ne plus tenir ses vaches en ville, ce comportement ne peut être considéré comme chicanerie de la part des autorités communales, mais résulte de la simple application des règles en vigueur. La même conclusion est à retenir en ce qui concerne le refus d’un bail à fermage. En effet, indépendamment de la question de la légalité de ce refus qui n’est, par ailleurs, pas remise en cause par les demandeurs, le refus était dûment motivé par la considération que d’autres terrains seraient à sa disposition aux alentours de la ville pour faire paître ses bêtes et qu’il disposait déjà d’un terrain mis à sa disposition qu’il n’aurait pas entretenu. Le comportement des autorités communales ne peut ainsi pas être vu comme un acharnement ou une punition à leur égard.
En ce qui concerne les manquements constatés par un sapeur-pompier dans leur logement, les demandeurs se contentent d’affirmer que leur maison a été construite conformément à l’autorisation de bâtir et que le chantier avait été réceptionné comme conforme à celle-ci. Ceci ne veut pourtant pas ipso facto dire que les constatations ultérieures du sapeur-
pompier étaient erronées. En l’espèce, il ne s’agit d’ailleurs qu’une simple injonction de se conformer aux règles relatives à la lutte contre les incendies, notamment en plaçant les réservoirs et appareils à gaz à des distances réglementaires, en équipant les pièces de détecteurs de fumée, dégageant le grenier de matériaux combustibles et en mettant la cheminée aux normes. Ces mises en conformité sont ainsi sans lien avec son autorisation de bâtir et ne sauraient être interprétées comme punition injuste de la part des autorités biélorusses.
Quant à l’accès au travail, Monsieur … considère qu’il n’aurait eu accès qu’à des postes subalternes. Force est toutefois de constater qu’il ne ressort d’aucun passage de ses déclarations auprès de la direction de l’Immigration qu’il aurait postulé pour un autre emploi et que celui-ci lui aurait été refusé, de sorte que les développements afférents laissent d’être fondés.
Quant à la situation générale régnant en Biélorussie, s’il ne peut être nié que cette situation, eu égard notamment au respect des droits de l’Hommes, reste préoccupante et s’est même détériorée depuis le départ des demandeurs, cette circonstance ne saurait suffire, à défaut d’autres éléments, pour établir dans leur chef une crainte fondée de persécution pour l’un des motifs énumérés à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 ou qu’ils le seraient, pour les mêmes raisons, s’ils y retourneraient, étant rappelé qu’une crainte « avec raison » au regard de la 14Convention de Genève d’être persécuté implique à la fois un élément subjectif et un élément objectif qui doivent tous les deux être pris en considération. La situation générale du pays d’origine ne justifie partant pas à elle seule la reconnaissance du statut de réfugié7. Dans la mesure où le tribunal a toutefois retenu ci-avant que l’élément subjectif fait défaut dans le chef des demandeurs, la seule situation politique le cas échéant tendue en Biélorussie ne saurait suffire pour établir dans leur chef une crainte fondée de persécution, la crainte invoquée par les demandeurs devant s’analyser davantage en un sentiment général d’insécurité.
Relativement à l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme du 2 septembre 2010, … et … c. France (requête n° 32476/06), il y a lieu de préciser qu’il a été rendu par rapport à la situation d’une famille dont l’un des membres avait été à plusieurs fois arrêté, détenu et maltraité en tant que participant actif à un mouvement d'opposition et que c’était son « degré de militantisme » qui justifiait qu’au vu de la situation générale en Biélorussie, un retour forcé vers ce pays aurait constitué une violation de l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Or, les demandeurs n’ont fait état d’aucune activité politique d’opposition personnelle avant leur départ de ce pays. Monsieur … a à ce sujet déclaré lui-même lors de ses auditions « je n’ai jamais été dans un parti oppositionnel »8. En outre, ledit arrêt n’a pas érigé le fait que le dépôt d’une demande d’asile à l’étranger est susceptible d’être analysé par les autorités biélorusses, en application de l’article 361 du Code pénal biélorusse, comme discréditant la Biélorussie et de constituer une infraction passible de prison en vertu du Code pénal biélorusse, en motif autonome permettant à lui seul de considérer tout ressortissant biélorusse ayant déposé une demande d’asile à l’étranger comme concrètement exposé à un risque de représailles, mais seulement en motif complémentaire à l’égard de militants avérés et amplement dévoilés de mouvements d’opposition.9 Il n’est donc pas établi que les demandeurs encourraient en cas de retour dans leur pays d’origine un risque élevé d’être arrêtés et détenus arbitrairement du seul fait d’avoir introduit une demande d’asile au Luxembourg.
Le constat que Monsieur … ne figure pas sur une telle « liste noire » est d’ailleurs accentué par le fait qu’il a pu occuper des emplois publiques, que lui-même et sa famille ont pu obtenir sans aucune difficulté leurs passeports et que Monsieur …, après avoir quitté la Biélorussie en avril 2014, a pu y retourner sans aucune difficulté le 13 juillet 2014, pour ensuite repartir avec toute sa famille en août 2014. Ces faits viennent par ailleurs infirmer la thèse du litismandataire des demandeurs de l’exil forcé en raison de ses opinions politiques.
Au vu de ce qui précède, les demandeurs n’ont pas fait état et n’ont pas établi des raisons de nature à justifier dans leur chef une crainte justifiée de persécution pour les motifs énumérés à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, de sorte que c’est à bon droit que le ministre a rejeté leur demande en obtention du statut de réfugié comme étant non fondée, et que le recours des demandeurs est, pour autant qu’il est dirigé contre le refus du ministre d’accorder aux demandeurs le statut de réfugié, à rejeter.
7 Cour adm. 12 juin 1997, n° 9879C du rôle, Pas. adm. 2016, V° Etrangers, n° 119, et autres références y citées.
8 P.4 de son rapport d’audition.
9 Cour adm. 16 juin 2015, n°36144C du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.
15Quant au volet de la décision litigieuse portant refus dans le chef des demandeurs d’un statut de protection subsidiaire, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 2 g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir des atteintes graves et que cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».
L’article 48 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48 précité de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 48, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.
Par ailleurs, l’article 2 g), précité, définissant la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 établit une présomption simple que les atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque réel de subir des atteintes graves qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.
A l’appui de leur demande de protection subsidiaire, les demandeurs invoquent les mêmes motifs que ceux qui sont à la base de leur demande de reconnaissance du statut de réfugié.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce volet du recours.
Au vu des conclusions dégagées ci-avant au sujet de la demande en reconnaissance du statut de réfugié, dans la mesure où il a été jugé que les craintes de persécution invoquées par les 16demandeurs en cas de retour dans leur pays d’origine ne sont pas fondées et purement hypothétiques, il y a lieu de retenir qu’il n’existe pas davantage d’éléments susceptibles d’établir, sur la base des mêmes arguments, qu’il existerait de sérieuses raisons de croire qu’ils encourraient, en cas de retour dans leur pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 précité. Plus particulièrement, les demandeurs restent en défaut d’établir qu’en cas de retour dans leur pays d’origine, ils risqueraient la peine de mort ou l’exécution, la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, ou encore des menaces graves et individuelles contre leur vie ou leur personne en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
Il s’ensuit en l’absence d’autres éléments que c’est à juste titre que le ministre a retenu que les demandeurs n’ont pas fait état de motifs sérieux et avérés permettant de croire qu’ils courraient le risque de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 et qu’il leur a partant refusé l’octroi d’une protection subsidiaire au sens de l’article 2 g) de ladite loi.
A vu des conclusions dégagées ci-avant, le recours est à rejeter pour ne pas être fondé.
2) Quant au recours tendant à la réformation de l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre l’ordre de quitter le territoire, un recours sollicitant la réformation de pareil ordre contenu dans la décision déférée a valablement pu être dirigé contre la décision ministérielle litigieuse. Le recours en réformation, ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, est recevable.
En l’espèce, les demandeurs sollicitent à titre principal la réformation de l’ordre de quitter le territoire en tant que conséquence de la réformation de la décision de rejet de leur demande de protection internationale.
En ordre subsidiaire, ils concluent à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire, au motif qu’il violerait de façon autonome tant l’article 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration que l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, désignée ci-après « la CEDH ». Les demandeurs estiment en effet que le champ d’application de ces dispositions serait plus large que celui de l’article 2 de la loi du 18 décembre 2015. Ils considèrent que le degré du risque de faire l’objet de mauvais traitements exigé pour obtenir la reconnaissance d’une protection internationale serait beaucoup plus élevé que celui requis pour interdire l’éloignement de l’étranger vers le pays dans lequel ce risque existe et que l’on ne saurait automatiquement conclure qu’un demandeur de protection internationale débouté ne puisse pas valablement faire état d’un risque de traitements inhumains ou dégradants dans son pays d’origine qui interdirait son éloignement vers ce pays. L’ordre de quitter le territoire ne serait pas une conséquence légale du refus de protection internationale alors qu’il existerait des critères bien particuliers qui interdiraient l’éloignement d’un étranger vers un pays où il risquerait d’être soumis à des traitements contraires à l’article 3 de la CEDH, qui seraient étrangers à ceux selon lesquels un statut de protection internationale peut être accordé. Les demandeurs estiment avoir établi la 17réalité du risque pesant sur eux et qui interdirait leur éloignement vers la Biélorussie, et ce, grâce au faisceau d’indices qui serait constitué par tous les agissements étatiques dont ils auraient d’ores et déjà été victimes et dont ils recommenceraient à faire l’objet en cas de retour dans leur pays d’origine. Les demandeurs soutiennent ensuite que la situation de détresse dans laquelle ils seraient plongés en cas de retour en Biélorussie, mêlée au sentiment d’angoisse de subir des mauvais traitements, serait constitutive d’un traitement inhumain et dégradant. Ils soutiennent encore que l’article 3 de la CEDH, combiné à l’article 129 de la loi précitée du 29 août 2008, poserait un principe absolu d’interdiction de refoulement vers un pays où la personne concernée risque de faire l’objet de traitements contraires à l’article 3 de la CEDH.
Aux termes de l’article 34, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2 q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34, paragraphe (2), précité, est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de protection internationale.
Le tribunal vient cependant de retenir que les demandeurs ne remplissent pas les conditions pour prétendre au statut de réfugié, ni au statut conféré par la protection subsidiaire, de sorte que le ministre pouvait a priori valablement assortir le refus d’une protection internationale d’un ordre de quitter le territoire.
Il convient ensuite de rappeler que si l’article 3 de la CEDH proscrit la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants, encore faut-il que le risque de subir des souffrances mentales ou physiques présente une certaine intensité.
En effet, si une mesure d’éloignement - telle qu’en l’espèce consécutive à l’expiration du délai imposé au demandeur pour quitter le Luxembourg - relève de la CEDH dans la mesure où son exécution risquerait de porter atteinte aux droits inscrits à l’article 3, ce n’est cependant pas la nature de la mesure d’éloignement qui pose un problème de conformité à la CEDH, spécialement à l’article 3, mais ce sont les effets de la mesure en ce qu’elle est susceptible de porter atteinte aux droits que l’article 3 garantit à toute personne. C’est l’effectivité de la protection requise par l’article 3 qui interdit aux Etats parties à la CEDH d’accomplir un acte qui aurait pour résultat direct d’exposer quelqu’un à des mauvais traitements prohibés. S’il n’existe pas, dans l’absolu, un droit à ne pas être éloigné, il existe un droit à ne pas être soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants, de sorte et a fortiori qu’il existe un droit à ne pas être éloigné quand une mesure aurait pour conséquence d’exposer à la torture ou à une peine ou des traitements inhumains ou dégradants.
Cependant, dans ce type d’affaires, la Cour européenne des droits de l’Homme soumet à un examen rigoureux toutes les circonstances de l’affaire, notamment la situation personnelle du requérant dans l’Etat qui est en train de mettre en œuvre la mesure d’éloignement. La Cour européenne des droits de l’Homme recherche donc s’il existait un risque réel que le renvoi du 18requérant soit contraire aux règles de l’article 3 de la CEDH. Pour cela, la Cour évalue ce risque notamment à la lumière des éléments dont elle dispose au moment où elle examine l’affaire et des informations les plus récentes concernant la situation personnelle du requérant.
Le tribunal procède donc à la même analyse de l’affaire sous examen.
En l’espèce, il a été retenu dans le cadre de l’examen du recours tendant à la réformation de la décision ministérielle portant refus de leur demande de protection internationale que les demandeurs n’avaient pas invoqué à l’appui de leur demande de protection internationale des faits justifiant l’octroi du statut de réfugié, respectivement celui conféré par la protection subsidiaire. Dès lors, compte tenu du seuil élevé fixé par l’article 3 de la CEDH10, le tribunal est amené à retenir qu’il n’existe pas de risque suffisamment réel pour que le renvoi des demandeurs dans leur pays d’origine soit dans ces circonstances incompatible avec l’article 3 de la CEDH. Il s’ensuit que le moyen afférent est à rejeter.
Il suit des considérations qui précèdent que le recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire est à son tour à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 2 juin 2016 portant rejet d’un statut de protection internationale dans le chef des consorts … ;
au fond, déclare le recours en réformation non justifié et en déboute ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 2 juin 2016 portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
condamne les demandeurs aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 24 mai 2017 par :
Thessy Kuborn, vice-président, Hélène Steichen, juge Géraldine Anelli, juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
10 CedH, arrêt Lorsé et autres c/ Pays-Bas, 4 février 2004, § 59.
19s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 24 mai 2017 Le greffier du tribunal administratif 20