Tribunal administratif Numéro 37308 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 décembre 2015 3e chambre Audience publique du 24 mai 2017 Recours formé par Madame …, …(Allemagne) contre une décision du ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche en matière de reconnaissance d’équivalence de diplômes
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 37308 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 18 décembre 2015 par Maître Georges PIERRET, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, demeurant à D-… (Allemagne), tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du 22 septembre 2015 du ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche refusant la reconnaissance d’équivalence du diplôme allemand de « Bachelor of Arts (B.A.) im Fach Sprachwissenschaft », ainsi que de son diplôme autrichien de « Master of Science in Klinischer Linguistik » au diplôme d’Etat luxembourgeois d’orthophoniste ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 17 mars 2016 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 13 avril 2016 par Maître Goerges PIERRET au nom de la demanderesse ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Sébastien COÏ, en remplacement de Maître Georges PIERRET, et Monsieur le délégué du gouvernement Luc REDING en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 25 janvier 2017.
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Le 17 décembre 2012, Madame … introduisit une demande en vue de la reconnaissance d’équivalence de son diplôme allemand « Bachelor of Arts (B.A.) im Fach Sprachwissenschaft » et de son diplôme autrichien « Master of Science in Klinischer Linguistik » au diplôme d’Etat luxembourgeois d’orthophoniste.
Par arrêté ministériel du 21 décembre 2012, le diplôme allemand intitulé « Bachelor of Arts (B.A.) im Fach Sprachwissenschaft », obtenu par Madame … en 2008, fut inscrit au registre des diplômes prévu à l’article 1er de la loi du 17 juin 1963.
Par arrêté ministériel du même jour, son diplôme autrichien intitulé « Master of Science in Klinischer Linguistik », fut inscrit au registre des diplômes prévu à l’article 1er de la loi du 17 juin 1963.
Le 8 février 2013, Madame … introduisit une nouvelle fois une demande en vue de la reconnaissance d’équivalence de ses diplômes précités au diplôme d’Etat luxembourgeois d’orthophoniste.
Par arrêté ministériel du 8 novembre 2013, le ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, ci-après désigné par « le ministre », sur base d’un avis négatif du 31 octobre 2013 de la commission ad hoc du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche chargée d’apprécier les titres et diplômes ainsi que les qualifications professionnelles afférentes des professions réglementées du domaine de la santé, ci-après dénommée « la commission », refusa la reconnaissance d’équivalence du diplôme allemand « Bachelor of Arts (B.A.) im Fach Sprachwissenschaft » et du diplôme autrichien « Master of Science in Klinischer Linguistik » de Madame … au diplôme d’Etat luxembourgeois d’orthophoniste, sollicitée le 17 décembre 2012, de même que son inscription au registre des titres professionnels prévu à l’article 2 (3) de la loi modifiée du 17 juin 1963 ayant pour objet de protéger les titres d’enseignement supérieur, ci-après dénommé « la loi du 17 juin 1963 ». Aucun recours n’a été introduit contre cette décision.
Sur base d’un avis négatif de la commission, le ministre refusa encore par un arrêté ministériel du 22 septembre 2015 la reconnaissance d’équivalence du diplôme allemand « Bachelor of Arts (B.A.) im Fach Sprachwissenschaft » et du diplôme autrichien « Master of Science in Klinischer Linguistik » de Madame …, sollicitée le 8 février 2013, au diplôme d’Etat luxembourgeois d’orthophoniste.
Cet arrêté est libellé comme suit :
« […] Vu l'article 12 de la loi modifiée du 11 janvier 1995 portant réorganisation des écoles publiques et privées d'infirmiers et infirmières et réglementant la collaboration entre le ministère de l'Education Nationale et le ministère de la Santé ;
Vu la loi du 19 juin 2009 ayant pour objet la transposition de la directive 2005/36/CE pour ce qui est a) du régime général de reconnaissance des titres de formation et des qualifications professionnelles ;
b) de la prestation temporaire de service ;
Vu l'arrêté ministériel du 1er juin 2015 portant nomination de la commission ad hoc chargée d'apprécier les titres et diplômes ainsi que les qualifications professionnelles afférents des professions réglementées du domaine de la santé ;
Vu la demande présentée par Madame …, née le … à … et les pièces produites à l'appui de cette demande ;
Vu la demande de reconnaissance d'un diplôme allemand de « Bachelor of Arts (B.A.) Sprachwissenschaft », décerné en date du 15 septembre 2008 par la « Universität Konstanz » suivi d'un diplôme autrichien « Master of Science (MSc) in Klinischer Linguistik », décerné en date du 31 octobre 2012, par la « Universität Salzburg » à Madame …, née le … à … et les pièces produites à l'appui de cette demande ;
Vu l'avis de la commission ad hoc et d'experts du domaine de la santé en date du 27 août 2015 ;
Considérant qu'il s'agit de diplômes relevant de la directive 2005/36/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 septembre 2005 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles et correspondant selon l'article 11 au niveau e ;
Considérant que les études mentionnées ne donnent pas accès dans les États membres de formation à l'autorisation d'exercer la profession de santé d'orthophoniste;
Considérant que les matières des études mentionnées ne correspondent pas à celles prévues par la réglementation luxembourgeoise en ce qui concerne la profession d'orthophoniste, ni quant au contenu du programme théorique, technique et pratique, ni quant à la spécificité;
Arrête:
Art. 1er.- Le diplôme allemand de ‘Bachelor of Arts (B.A.) Sprachwissenschaft’ et le diplôme autrichien de ‘Master of Science (MSc) in Klinischer Linguistik’ de Madame … sont refusés.
Art 2.- Le présent arrêté sera expédié à l'intéressée.
[…] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 18 décembre 2015, Madame … a fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation contre la décision précitée du ministre du 22 septembre 2015, portant refus de la reconnaissance d’équivalence de son diplôme allemand « Bachelor of Arts (B.A.) im Fach Sprachwissenschaft » et de son diplôme autrichien « Master of Science in Klinischer Linguistik ».
Aucune disposition légale ne prévoyant un recours au fond en matière de reconnaissance d’équivalence de diplômes, seul un recours en annulation a pu être introduit contre la décision litigieuse.
Le tribunal est dès lors incompétent pour statuer sur le recours principal en réformation.
Le recours subsidiaire en annulation est recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours et en fait, la demanderesse fait valoir qu’elle aurait obtenu le 15 septembre 2008 le diplôme de « Bachelor of Arts Sprachwissenschaft » délivré par l’Université Konstanz en Allemagne puis le diplôme de « Master of Science in Klinischer Linguistik » le 31 octobre 2012 délivré par l’Université Salzburg en Autriche. Après ses études, elle aurait été engagée sous contrat de travail à durée déterminée du 15 juin 2014 au 14 juin 2015 par la … en qualité d’apprentie en vue de suivre la formation « Postgraduiertenpraktikum als Linguistin im Praktikum ». Elle aurait ensuite été engagée par la même clinique sous contrat de travail à durée déterminée à compter du 15 juin 2015 en qualité de « Klinische Linguistin ».
Entretemps elle aurait eu le projet de s’installer au Luxembourg et dans la mesure où le Luxembourg ne dispenserait pas de formation en orthophonie, de sorte que les étudiants souhaitant exercer cette profession seraient obligés de suivre leur formation dans les pays limitrophes, dont notamment l’Allemagne et l’Autriche, elle aurait introduit une demande en vue de la reconnaissance d’équivalence de ses diplômes, demande ayant donné lieu à la décision déférée.
En droit, elle se réfère à la loi modifiée du 18 novembre 1967 portant règlementation de certaines professions paramédicales, ci-après désignée par « la loi du 18 novembre 1967 », prévoyant dans son article 1er la création d’un diplôme d’Etat notamment pour la profession d’orthophoniste et au règlement grand-ducal du 30 juin 1970 portant exécution des articles 1er et 5 de la loi du 18 novembre 1967 portant règlementation de certaines professions paramédicales en ce qui concerne la profession d’orthophoniste, ci-
après désigné par « le règlement grand-ducal du 30 juin 1970 », qui prévoit les modalités d’obtention du diplôme d’Etat d’orthophoniste.
Elle se réfère ensuite aux articles 2 et 3 de la loi modifiée du 26 mars 1992 sur l’exercice et la revalorisation de certaines professions de santé, ci-après désignée par « la loi du 26 mars 1992 » concernant l’autorisation d’exercer certaines professions, dont celle d’orthophoniste, et les modalités de reconnaissance des diplômes afférents.
En outre, la demanderesse entend se prévaloir des dispositions de la Directive 2005/36/CE du Parlement Européen et du Conseil du 7 septembre 2005 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles, ci-après désignée par « la directive 2005/36/CE », et plus particulièrement de son article 11 c) ii), renvoyant à l’annexe II dénommée « Liste des formations à structure particulière visées à l’article 11, paragraphe 6, point c) ii) », de son article 12, paragraphe 1er relatif aux « Formations assimilées » et de son article 13 relatif aux « Conditions de la reconnaissance ».
La demanderesse fait valoir que, puisqu’elle aurait été engagée à compter du 15 juin 2015 en qualité de « Logopädin (orthophoniste) » par la … en Allemagne, la formation qu’elle aurait accompli en Allemagne et en Autriche l’autoriserait à exercer la profession d’orthophoniste en Allemagne, de sorte qu’en lui refusant « l’homologation des diplômes obtenus tant en Allemagne qu’en Autriche », et l’empêchant ainsi d’obtenir son diplôme d’Etat au Luxembourg et d’y exercer la profession d’orthophoniste, le ministre aurait méconnu les dispositions de la loi du 18 novembre 1967, combinées à celles de la loi du 26 mars 1992, l’article 2 du règlement grand-ducal du 30 juin 1970 et enfin la Directive 2005/36/CE.
Le délégué du gouvernement, après avoir rappelé les dispositions du règlement grand-ducal du 30 juin 1970, fait valoir que les programmes d’études du « Bachelor of Arts (B.A.) Sprachwissenschaft » et du « Master of Science (MSc) in Klinischer Linguistik » ne correspondraient pas au contenu demandé pour avoir l’équivalence avec le diplôme d’orthophoniste luxembourgeois. En effet, la commission aurait constaté des différences essentielles entre les études effectuées par la demanderesse et celles énumérées par le règlement grand-ducal précité, de sorte qu’elle ne saurait obtenir l’équivalence avec le diplôme luxembourgeoise d’orthophoniste, ni même bénéficier d’une épreuve d’aptitude ou d’un stage d’adaptation.
Il rappelle quant à l’application de l’article 2 de la loi du 26 mars 1992 que, faute de reconnaissance d’équivalence des diplômes de Madame …, celle-ci ne pourrait pas obtenir l’autorisation de travailler comme orthophoniste au Grand-Duché de Luxembourg.
En ce qui concerne ensuite l’article 13 de la Directive 2005/36/CE, il fait valoir que la demanderesse n’aurait jamais fourni un quelconque document officiel attestant qu’elle aurait le droit d’exercer la profession d’orthophoniste en Allemagne ou en Autriche. Le fait qu’elle ait été engagée comme « Klinische Linguistin » en Allemagne à partir du 15 juin 2015 n’impliquerait pas ipso facto que les diplômes obtenus en Allemagne et en Autriche soient des diplômes reconnus comme étant équivalents au diplôme luxembourgeois d’orthophoniste, et elle en conclut que le contrat de travail versé par Madame … à l’appui de son recours ne changerait rien à ce constat.
A l’appui de son mémoire en réplique, la demanderesse verse encore une attestation du 7 janvier 2016 et un certificat du 21 janvier 2016 du « Bundesverband Klinische Linguistik e.V. » attestant qu’elle serait habilitée à pratiquer en Allemagne la « Sprachtherapie », de sorte que la décision déférée devrait partant être réformée sinon annulée.
Le juge administratif saisi d’un recours en annulation est appelé à vérifier, d’un côté, si, au niveau de la décision administrative querellée, les éléments de droit pertinents ont été appliqués et, d’un autre côté, si la matérialité des faits sur lesquels l’autorité de décision s’est basée est établie. Au niveau de l’application du droit aux éléments de fait, le juge de l’annulation vérifie encore s’il n’en est résulté aucune erreur d’appréciation se résolvant en un dépassement de la marge d’appréciation de l’auteur de la décision querellée. Le contrôle de légalité à exercer par le juge de l’annulation n’est pas incompatible avec le pouvoir d’appréciation de l’auteur de la décision qui dispose d’une marge d’appréciation. Ce n’est que si cette marge a été dépassée que la décision prise encourt l’annulation pour erreur d’appréciation. Ce dépassement peut notamment consister dans une disproportion dans l’application de la règle de droit aux éléments de fait. Le contrôle de légalité du juge de l’annulation s’analyse alors en contrôle de proportionnalité1.
Il y encore a lieu de rappeler que dans le cadre d’un recours en annulation, seules les dispositions de la loi applicable au jour où l’administration a statué sont à examiner par le juge administratif afin de vérifier la légalité de la décision lui soumise.2 Il y a tout d’abord lieu de retracer le cadre normatif du présent litige.
Il est constant en cause que la profession d’orthophoniste est une profession de santé tombant sous le champ d’application de l’article 1er de la loi du 26 mars 1992.
Force est tout d’abord au tribunal de constater que le litige sous examen a trait non pas aux conditions de formation pour accéder au diplôme d’Etat d’orthophoniste en tant que telles, conditions qui sont régies, au vœu de l’article 43 de la loi du 26 mars 19923, par les dispositions du règlement grand-ducal d’exécution du 30 juin 1970, la demanderesse n’ayant pas formulé de moyens dans ce sens, mais au deuxième volet des dispositions maintenues en vigueur par l’effet de l’article 43 en question relatif aux conditions de reconnaissance des diplômes étrangers. En effet, la demanderesse n’entend pas se voir admettre à l’examen pour le diplôme d’Etat luxembourgeois d’orthophoniste, mais bien obtenir la reconnaissance d’équivalence de ses diplômes allemand et autrichien, qui, d’après elle, l’autoriserait à exercer la profession d’orthophoniste en Allemagne, au diplôme d’Etat luxembourgeois final d’orthophoniste, pour pouvoir exercer cette même profession au Grand-Duché du Luxembourg.
Dans la mesure où la formation d’orthophoniste n’est pas dispensée au Luxembourg, il y a lieu de se référer aux dispositions de l’article 12 de la loi du 11 janvier 1995 aux termes duquel, « La reconnaissance des diplômes se fait selon les dispositions de la loi du 19 juin 2009 ayant pour objet la transposition de la directive 2005/36/CE pour ce qui est a) du régime général des titres de formation et des qualifications professionnelles, b) de la prestation temporaire de service ainsi que des dispositions de la loi du 26 juillet 2010 portant organisation de la formation à la profession réglementée de l'infirmier responsable de soins généraux et à la formation de sagefemme et portant reconnaissance des titres de certaines professions réglementées.
1 Cour adm., 9 décembre 2010, n° 27018C du rôle, Pas. adm. 2016, V° Recours en annulation, n° 43 et les autres références y citées.
2 Trib. adm. 8 janvier 2016, n°37265 du rôle, Pas. adm. 2016, V° Lois et Règlements, n°52 et l’autre référence y citée.
3 « La loi du 18 novembre 1967 portant réglementation de certaines professions paramédicales est abrogée, à l’exception des dispositions ayant trait aux conditions de formation et de reconnaissance des diplômes étrangers.
Les règlements pris sur base de cette loi resteront en vigueur aussi longtemps qu’ils n’auront pas été remplacés par des règlements à prendre en vertu de la présente loi. » La reconnaissance sort son effet au moment de l'inscription du titre visé au registre des titres de l'enseignement supérieur. » En ce qui concerne la directive 2005/36/CE invoquée par la demanderesse à cet égard, celle-ci, conformément à son article 1er, établit « les règles selon lesquelles un Etat membre qui subordonne l’accès à une profession réglementée ou son exercice, sur son territoire, à la possession de qualifications professionnelles déterminées […] reconnaît, pour l’accès à cette profession et son exercice, les qualifications professionnelles acquises dans un ou plusieurs autres Etats membres […] et qui permettent au titulaire desdites qualifications d’y exercer la même profession ». Aux termes de son article 2, la directive 2005/36 CE « s’applique à tout ressortissant d’un Etat membre, y compris les membres des professions libérales, voulant exercer une profession réglementée dans un Etat membre autre que celui où il a acquis ses qualifications professionnelles, soit à titre indépendant, soit à titre salarié […] ». La notion de qualification professionnelle est définie conformément à l’article 3 (1) b) de ladite directive comme « les qualifications attestées par un titre de formation, une attestation de compétence visée à l’article 11, point a) i) et/ou une expérience professionnelle ».
Cette directive a été transposée en droit luxembourgeois par la loi du 19 juin 2009, 1) ayant pour objet la transposition de la directive 2005/36/CE pour ce qui est a) du régime général de reconnaissance des titres de formation et de qualification professionnelles b) de la prestation temporaire de service, 2) modifiant la loi du 17 juin 1963 ayant pour objet de protéger les titres de l’enseignement supérieur, 3) abrogeant la loi du 13 juin 1992 portant a) transposition de la directive du Conseil (8948 CEE) relative à un système général de reconnaissance des diplômes d’enseignement supérieur qui sanctionnent des formations professionnelles d’une durée minimale de trois ans, b) création d’un service de coordination pour la reconnaissance de diplômes à des fins professionnelles, ci-après désignée par « la loi du 19 juin 2009 ».
Dans la mesure où la directive 2005/36/CE a été transposée en droit luxembourgeois par la loi du 19 juin 2009, et à défaut par la demanderesse d’invoquer une mauvaise transposition ou une transposition incomplète de la directive de manière à pouvoir, le cas échéant, invoquer l’effet direct des directives communautaires devant le juge national, la demanderesse ne saurait en toute hypothèse fonder son argumentation directement sur la directive 2005/36/CE.
Quant à l’applicabilité de la loi du 19 juin 2009 en l’espèce, il échet de souligner qu’en vertu de son article 3 celle-ci est applicable à tout ressortissant d’un Etat membre « voulant exercer une profession réglementée au Grand-Duché de Luxembourg, soit à titre indépendant, soit à titre salarié », parmi lesquelles figure notamment celle d’orthophoniste.
En vertu de l’article 4 de la même loi, « (1) Lorsque les autorités compétentes luxembourgeoises subordonnent l’accès à une profession réglementée ou son exercice à la possession de qualifications professionnelles déterminées, la présente loi établit les règles générales selon lesquelles, en application de la directive, elles reconnaissent, pour l’accès à cette profession et son exercice, les qualifications professionnelles acquises dans un ou plusieurs autres Etats membres et qui permettent au titulaire de ladite qualification d’y exercer la même profession.
(2) La reconnaissance des qualifications professionnelles permet au bénéficiaire d’accéder au Grand-Duché de Luxembourg à la même profession que celle pour laquelle il est qualifié dans l’Etat membre d’origine et de l’exercer dans les mêmes conditions que les ressortissants luxembourgeois suivant les règles établies par la présente loi (3) Aux fins de la présente loi, la profession que veut exercer le demandeur est la même que celle pour laquelle il est qualifié dans son Etat d’origine si les activités couvertes sont comparables. » La loi du 19 juin 2009 détermine dès lors les conditions de reconnaissance des qualifications professionnelles acquises dans un ou plusieurs autres Etats membres et qui permettent au titulaire de ladite qualification d’accéder à la même profession réglementée au Luxembourg que celle pour laquelle il est qualifié dans l’Etat membre d’origine.
En ce qui concerne la formation d’orthophoniste, l’article 6, paragraphe (1) de la loi du 19 juin 2009 qui regroupe les qualifications professionnelles selon différents niveaux précise que « pour l’application de l’article 8 ci-dessous et aux fins de l’appréciation par l’autorité compétente des qualifications professionnelles du demandeur qui souhaite exercer les activités visées à l’article 3 de la présente loi, celles-ci sont regroupées selon les niveaux tels que définis à l’article 11 de la directive et tels que décrits ci-après. […] », le point 3° de cet article vise le « diplôme sanctionnant : […] b) dans le cas d’une profession réglementée, une formation à structure particulière équivalente au niveau de formation mentionné au point 3° a) du présent article, conférant un niveau professionnel comparable et préparant à un niveau comparable de responsabilités et de fonctions, telles que visées à l’annexe II de la directive ; […] ».
Il y a ainsi lieu de se référer à l’annexe II de ladite directive afin d’évaluer les qualifications professionnelles de la demanderesse qui dispose de diplômes relevant de l’article 11 de la directive 2005/36/CE et qui désire accéder à la profession réglementée d’orthophoniste.
L’annexe II de la directive 2005/36/CE vise spécifiquement dans le domaine paramédical et socio-pédagogique la formation en Allemagne d’orthophoniste « Logopäde/Logopädin ».
En ce qui concerne les conditions de reconnaissance, l’article 8 de la loi du 19 juin 2009 dispose que « Sont censées satisfaire aux conditions de formation et/ou d'expérience professionnelle pour les formations énumérées à l'article 3 ci-dessus, les personnes, qui, à la date de l'introduction de la demande visant à permettre au demandeur d'exercer les activités visées par les lois et règlements grand-ducaux énumérés à l'article 3 ci-dessus.
1° soit possèdent l'attestation de compétence ou le titre de formation qui est prescrit par un autre Etat membre pour accéder à cette même activité sur son territoire ou l'y exercer;
2° soit démontrent avoir exercé à plein temps l'activité visée pendant deux ans au cours des dix années précédant l'introduction de la demande dans un autre Etat membre qui ne réglemente pas ce type d'activité, à condition qu'elles détiennent une ou plusieurs attestations de compétence ou un ou plusieurs titres de formation qui attestent de la préparation du titulaire à l'exercice de l'activité concernée.
Les attestations de compétence ou les titres de formation visés au point 1° du présent article doivent remplir les conditions cumulatives suivantes:
a) avoir été délivrés par une autorité compétente dans un Etat membre, désignée conformément aux dispositions législatives, réglementaires ou administratives de cet Etat;
b) attester d'un niveau de qualification professionnelle au moins équivalent au niveau immédiatement inférieur à celui exigé par les lois et règlements grand-ducaux énumérés à l'article 3 ci-dessus.
Les attestations de compétence ou les titres de formation visés au point 2° du présent article doivent remplir les conditions cumulatives suivantes:
a) avoir été délivrés par une autorité compétente dans un Etat membre, désignée conformément aux dispositions législatives, réglementaires ou administratives de cet Etat;
b) attester d'un niveau de qualification professionnelle au moins équivalent au niveau immédiatement inférieur à celui exigé par les lois et règlements grand-ducaux énumérés à l'article 3 ci-dessus;
c) attester de la préparation du titulaire à l'exercice de la profession concernée.
Les deux ans d'expérience professionnelle ne sont pas exigés lorsque le demandeur dispose d'un diplôme ou d'un certificat qui sanctionne une formation réglementée et qui atteste de la préparation du titulaire à l'exercice de l'activité concernée. ».
Il résulte de ces dispositions qu’afin de voir reconnaître sa formation professionnelle « d’orthophoniste » allemande, respectivement autrichienne au Luxembourg, la demanderesse doit posséder une attestation de compétence ou un titre de formation délivrés par une autorité compétente désignée conformément aux dispositions législatives, réglementaires ou administratives de cet Etat-membre, lui permettant d’accéder à la profession d’orthophoniste sur son territoire ou d’y exercer cette profession réglementée.
En l’espèce, il ressort de l’annexe II de la directive 2005/36/CE que la profession d’orthophoniste en Allemagne est une profession réglementée intitulée « Logopäde/Logopädin ».
Ainsi, dans la mesure où la profession d’orthophoniste est une profession réglementée au Luxembourg, le ressortissant d’un Etat membre voulant exercer cette profession au Luxembourg, tel que la demanderesse, doit pouvoir exercer cette même profession réglementée dans son pays d’origine.
Suivant le principe général impliquant que celui qui invoque un fait est tenu d’en établir la preuve, il appartient à la demanderesse de prouver que sa formation de « klinische Linguistin » constitue une profession réglementée en Allemagne lui permettant d’exercer en tant que « Logopädin » en Allemagne.
Or, en l’espèce, tel que relevé à juste titre par le délégué du gouvernement, il ne ressort d’aucune pièce soumise à l’appréciation du tribunal que Madame … puisse exercer en tant que « Logopädin » en Allemagne ou en Autriche, sur base des titres actuellement invoqués dans le cadre du présent litige.
Par ailleurs, même s’il n’est pas contesté que le métier de « Logopädin » est une profession réglementée en Allemagne, il ne ressort d’aucune pièce soumise à l’appréciation du tribunal que la profession de « klinische Linguistin » corresponde à la profession d’orthophoniste et soit une profession réglementée en Allemagne, Etat membre d’origine de la demanderesse.
En effet, s’il est certes exact que la profession de « klinische Linguistin » semble être thématiquement proche de la profession d’orthophoniste, il n’en demeure pas moins qu’aucune pièce soumise au tribunal est de nature à prouver que la profession de « klinische Linguistin » est une profession réglementée en Allemagne et que la demanderesse soit autorisée à exercer en tant que « Logopädin » en Allemagne. S’il est certes indéniable, tel que relevé par la demanderesse, que cette profession s’apparente à celle d’orthophoniste, elle n’en constitue néanmoins pas l’équivalent au sens de la loi du 19 juin 2009.
S’il est vrai que d’après les pièces versées en cause la demanderesse travaille depuis le 15 juin 2015 en tant que « Logopädin (orthophoniste) » en Allemagne en se référant à un « Arbeitsvertrag über ein befristetes Arbeitsverhältnis zwischen … » signé en date du 18 mars 2015 entre Madame … et le responsable du personnel aux termes duquel elle aurait été embauchée en tant que « Klinische Linguistin (Logopädin) » en remplacement d’un congé parental, toutefois il échet au tribunal de constater que les termes utilisés dans un tel contrat privé, en l’espèce un contrat de travail, ne permettent pas de retenir que Madame … dispose en Allemagne du titre de « Logopädin » et peut y exercer le métier de « Logopädin », d’autant plus qu’elle ne donne aucune indication en quoi la … serait à considérer comme « autorité compétente » au sens de l’article 8 de la loi du 19 juin 2009.
Force est ensuite au tribunal de constater qu’a l’appui de son recours, la demanderesse a encore versé un certificat du 7 janvier 2016 du « Bundesverband Klinische Linguistik e.V. » selon lequel elle remplirait les critères pour exercer sous le titre de « Klinische Linguistin » et une attestation émise en date du 21 janvier 2016 par la même association selon laquelle elle pourrait pratiquer la « Sprachtherapie », c’est-à-dire des pièces postérieures à la décision déférée. Dans ce contexte, le tribunal est amené à préciser que s’il est exact que, dans la mesure où la légalité d’une décision administrative s’apprécie, dans le cadre d’un recours en annulation, en considération de la situation de droit et de fait ayant prévalu au jour où elle a été prise, une pièce postérieure à la décision déférée ne saurait, en principe, être prise en considération dans le cadre d’un tel recours, il en va autrement dans l’hypothèse où cette pièce se rapporte à une situation de fait ayant existé au jour de la prise de la décision en question, puisqu’elle peut affecter la légalité de la décision litigieuse, qui a alors, le cas échéant, été prise sur base d’une situation de fait erronée.4 Or, le certificat et l’attestation sumentionnés ne sont pas susceptibles d’être pris en considération en l’espèce, dans la mesure où ils se rapportent à une situation de fait n’ayant pas existé au moment de la décision litigieuse, à savoir en date du 22 septembre 2015, étant donné que ce certificat n’a pu être émis que « nach erfolgreich absolviertem Postgraduiertenpraktikum und Prüfungskolloquium am 05.11.2015 ». Le même constat doit être retenu en ce qui concerne le « Zwischenzeugnis » du 31 mars 2016 émis par la … .
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à juste titre que la partie étatique a conclu que la formation de « klinische Linguistin » ne permet pas à la demanderesse d’exercer la profession réglementée de « Logopädin » en Allemagne, de sorte que la demanderesse ne saurait bénéficier de la reconnaissance de l’équivalence sur le fondement de l’article 4 de la loi du 19 juin 2009.
La demanderesse fait en outre valoir que sa formation devrait être assimilée à celle d’orthophoniste au regard des disposition de l’article 7 de la loi du 19 juin 2009 qui prévoit qu’ « Est assimilé à un titre de formation sanctionnant une formation visée à l'article 6 de la présente loi, y compris quant au niveau de formation visé, tout titre de formation ou ensemble de titres de formation qui a été délivré par une autorité compétente dans un Etat membre, dès lors qu'il sanctionne une formation acquise dans la Communauté européenne, reconnue par cet Etat membre comme étant de niveau équivalent et qu'il y confère les mêmes droits d'accès à une formation ou d'exercice de celle-ci, ou qui prépare à l'exercice de cette profession » . Or, en l’espèce la demanderesse, sur laquelle, comme retenu ci-avant, repose la charge de la preuve, ne fournit aucun document, ni aucune explication permettant de retenir qu’en Allemagne la formation de « klinische Linguistin » constituerait une formation équivalente à celle de « Logopädin » et que, par assimilation, la formation qu’elle a poursuivie lui donnerait accès au métier d’orthophoniste en Allemagne, de sorte que ce moyen est également à déclarer non-fondé.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours sous examen est à rejeter comme n’étant pas fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement;
se déclare incompétent pour statuer sur le recours principal en réformation ;
reçoit le recours subsidiaire en annulation en la forme ;
4 En ce sens : Trib. adm., 9 octobre 2013, n° 31156 et 31445 du rôle, confirmé par Cour adm., 30 janvier 2014, n° 33601C du rôle, disponibles sur www.jurad.etat.lu.
au fond, le dit non justifié, partant en déboute ;
condamne la demanderesse aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 24 mai 2017 par :
Thessy Kuborn, vice-président, Paul Nourissier, premier juge, Hélène Steichen, juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 24 mai 2017 Le greffier du tribunal administratif 12