Tribunal administratif N° 36691 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 juillet 2015 3e chambre Audience publique du 23 mai 2017 Recours formé par la société à responsabilité limitée … S.à r.l., …, contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’impôt sur le revenu des collectivités et d’impôt commercial communal
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 36691 du rôle et déposée le 29 juillet 2015 au greffe du tribunal administratif par Maître Christian ROLLMANN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société à responsabilité limitée … S.à r.l., établie et ayant son siège social à L-…, représentée par son gérant actuellement en fonctions, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, tendant principalement à la réformation, sinon subsidiairement à l’annulation d’une décision rendue le 28 avril 2015 par le directeur de l’administration des Contributions directes, faisant suite à une réclamation dirigée contre les bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités et de l’impôt commercial communal pour les années 2011 et 2012, tous les quatre émis le 10 décembre 2014 ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 2 octobre 2015 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 2 novembre 2015 par Maître Christian ROLLMANN au nom de la société à responsabilité limitée … S.à r.l., préqualifiée ;
Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 30 novembre 2015 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Christian ROLLMANN et Monsieur le délégué du gouvernement Sandro LARUCCIA en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 18 janvier 2017.
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Par courrier du 20 septembre 2011, la société à responsabilité limitée … S.à r.l. adressa une demande d’obtention d’un accord d’interprétation concernant la valorisation de la propriété intellectuelle de la société à responsabilité limitée … S.à r.l., ci-après désignée par « la société … », au bureau d’imposition … de l’administration des Contributions directes, ci-
après désigné par « le bureau d’imposition ». La demande portait sur le cas de Monsieur …, de nationalité allemande et de résidence luxembourgeoise, qui souhaitait faire l’apport de ses droits de propriété attachés à son savoir-faire en matière de commercialisation de noms de domaine à la société … qui bénéficierait ainsi de la faculté d’exploiter ces droits de propriété 1intellectuelle en générant d’importants revenus nets avant impôts. La société … bénéficierait ainsi chaque année d’un apport caché pour un montant correspondant à un pourcentage des bénéfices nets avant impôts, estimé à 80 % de son revenu net avant impôts, et qui serait déductible du revenu soumis à l’impôt sur le revenu des collectivités et à l’impôt commercial communal pour une période estimée à 10 ans.
Ce courrier a été retourné à la société … le 23 décembre 2011 par le bureau d’imposition, après avoir été signé et tamponné dans les termes suivants : « Il est bien entendu que mon accord ne peut être utilisée que dans le cadre de la présente structure, que les principes détaillés ci-dessus ne sont pas transposables ipso facto à d’autres cas d’espèce. […] ».
La société … déposa ses déclarations pour l’impôt sur le revenu des collectivités et pour l’impôt commercial des années 2011 et 2012 le 23 janvier 2012, respectivement le 2 mai 2014.
Par un courrier du 10 octobre 2014, le bureau d’imposition s’adressa à la société … en sollicitant la communication « […] d’une étude d’évaluation du savoir-faire de M. … « en matière de commercialisation de noms de domaine internet » […] » pour le 3 novembre 2014 au plus tard. Aucune suite ne fut réservée par la société … à ce courrier du bureau d’imposition du 10 octobre 2014.
Par un courrier du 6 novembre 2014, le bureau d’imposition s’adressa à la société …, sur le fondement du § 205, paragraphe 3 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, appelée « Abgabenordnung », en abrégée « AO », afin de l’informer qu’il avait l’intention de s’écarter sur différents points des déclarations fiscales des années 2011 et 2012 en précisant que :
« […] Apport caché En date du 20 septembre 2011 la société « … s. à r.l. » a demandé au bureau d’imposition … une confirmation du traitement fiscal de l’apport d’un certain savoir-faire à la société liquidée « … s.à r.l. ». Cette demande a été approuvée le 23 décembre 2011 en l’absence d’une étude d’évaluation de ce savoir-faire, une déduction forfaitaire de 80% des bénéfices nets avant impôts ayant été accordée.
Conformément au §§ 171 et 205 al.1 et 2 de la L.G.I., le bureau d’imposition … a demandé lors d’un courrier daté du 10 octobre 2014 la production d’une étude d’évaluation du savoir-faire de M. … en matière de commercialisation de noms de domaine.
« Il incombe au contribuable de fournir la preuve de l’exactitude de ses déclarations.
Spécialement à la requête de l’administration le commerçant doit prouver à suffisance de droit que les nouveaux apports proviennent de fonds étrangers à l’exploitation et non de revenus professionnels dissimulés. » (CE 25 juillet 1964 n°5925).
Comme votre société refuse de fournir des explications supplémentaires au bureau d’imposition … notamment la production d’une étude d’évaluation de savoir-faire, l’obligation de collaboration du contribuable avec l’administration ne se trouve pas remplie.
2Le bureau d’imposition … estime donc que les chiffres indiqués dans la demande d’accord préalable du 20 septembre 2011 ne correspondent pas à la réalité respectivement que la restructuration est menée avec la seule intention d’éviter l’impôt par le montage d’une structure artificielle c’est-à-dire motivée principalement à des fins de considérations fiscales (§ 6 StAnpG). De ce fait le bureau d’imposition … n’est pas tenu de conformer à l’accord fiscal obtenu le 23 décembre 2011.
A défaut d’un rapport d’évaluation fondé le bureau d’imposition … refuse la déduction de 80% des bénéfices nets avant impôts et procède à l’imposition suivant le détail ci-après :
Résultat de l’année 2011 :
Bénéfice svt. bilan commercial :
… EUR Impôt sur le revenu des collectivités :
… EUR Revenu imposable :
… EUR Revenu imposable arrondi :
… EUR Résultat de l’année 2012 :
Bénéfice svt. bilan commercial :
… EUR Impôt sur le revenu des collectivités :
… EUR Impôt sur la fortune :
… EUR Impôt commercial :
… EUR Amendes pénales (art. 12 LIR) :
… EUR Revenu imposable :
… EUR Revenu imposable arrondi :
… EUR Je vous prie de formuler vos objections éventuelles pour le 1er décembre 2014 au plus tard. Ce délai passé je me permets d’admettre votre approbation […] ».
Par courrier du 27 novembre 2014, la société … prit position par rapport aux redressements envisagés de ses déclarations d’impôt pour les années 2011 et 2012.
En date du 10 décembre 2014, le bureau d’imposition émit à l’égard de la société … les bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités pour les années 2011 et 2012, ainsi que les bulletins de l’impôt commercial communal pour les mêmes années.
Par un courrier de son mandataire du 10 mars 2015, la société … fit introduire une réclamation à l’encontre de ces quatre bulletins auprès du directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par « le directeur ».
Par une décision du 28 avril 2015, référencée sous le numéro …, le directeur rejeta comme non fondée ladite réclamation en les termes suivants :
« […] Vu la requête introduite le 10 mars 2015 par Maître Christian ROLLMANN, au nom de la société à responsabilité limitée …, avec siège social à L-…, pour réclamer contre les bulletins de l'impôt sur le revenu des collectivités des années 2011 et 2012, et contre les bulletins de l'impôt commercial communal des années 2011 et 2012, tous émis en date du 10 décembre 2014 ;
Vu le dossier fiscal ;
3Vu les §§ 102, 107, 228, 238, 254, alinéa 2 et 301 de la loi générale des impôts (A0) ;
Considérant que les bulletins de l'impôt commercial communal des années 2011 et 2012 sont critiqués à l'aide de moyens qui visent les bulletins de la base d'assiette y afférente ;
qu'en application du paragraphe 5 de la 2e GewStVV du 16 novembre 1943 et de la GewStR 13 (cf. paragraphe 7 GewStG), les bulletins de la base d'assiette de l'impôt commercial communal des années 2011 et 2012 se trouvent affectés d'office pour le cas où il résulterait du recours sous analyse une variation du bénéfice d'exploitation soumis à l'impôt commercial communal ;
Considérant que si l'introduction de plusieurs instances par une seule et même requête n'est incompatible, en l'espèce, ni avec le secret fiscal, ni avec les règles de compétence et de procédure, elle ne dispense pas d'examiner chaque acte attaqué en lui-même et selon ses propres mérites et ne saurait imposer une jonction qu'il est loisible au directeur des contributions de prononcer lorsque les instances lui paraissent suffisamment connexes ; qu'il n'y a pas lieu de la refuser en la forme ;
Considérant que les réclamations ont été introduites par qui de droit dans les forme et délai de la loi ; qu'elles sont partant recevables ;
Considérant que la réclamante fait grief au bureau d'imposition d'avoir refusé, après coup, de se conformer à un rescrit fiscal auquel le préposé du bureau d'imposition d'antan aurait tout de même valablement consenti en date du 23 décembre 2011, notamment en le munissant de sa signature, de sorte qu'elle se serait dorénavant retrouvée dans une situation d'incertitude totale face à ses obligations fiscales ;
Considérant qu'en vertu du § 243 AO, une réclamation régulièrement introduite déclenche d'office un réexamen intégral de la cause, sans égard aux conclusions et moyens du réclamant, la loi d'impôt étant d'ordre public ;
qu'à cet égard, le contrôle de la légalité externe de l'acte doit précéder celui du bien-
fondé ;
qu'en l'espèce la forme suivie par le bureau d'imposition ne prête pas à critique ;
Considérant que suivant ses statuts, la réclamante a pour objet principalement l'exploitation de la propriété intellectuelle ainsi que la prise de participations, sous quelque forme que ce soit, dans des sociétés luxembourgeoises et étrangères ;
Considérant tout d'abord que le rescrit fiscal en cause porte en particulier sur le traitement fiscal d'un soi-disant « goodwill », dont la valeur reste à être déterminée et que la réclamante souhaite voir porter dans son patrimoine d'exploitation, notamment afin de l'amortir au fur et à mesure des années à venir, diminuant de cette manière son bénéfice imposable ; qu'en l'espèce force est d'entendre par la notion de « goodwill », terme technique et harmonieux pour désigner le savoir-faire (know-how), l'ensemble des capacités « en matière de commercialisation de noms de domaine internet », selon les termes du rescrit fiscal, du bénéficiaire économique effectif de la requérante, en l'espèce le sieur …, résident luxembourgeois ; qu'il importe encore de mettre en exergue, d'un point de vue purement 4technique, que le goodwill constitue en l'espèce la contrepartie d'un apport caché de capital de la part de l'actionnaire de la réclamante, cet apport caché, s'il devait être qualifié de tel, s'avérant fiscalement neutre de par sa nature tout en tirant ses origines directement de l'article 164, alinéa 3 de la loi concernant l'impôt sur le revenu (LIR) ;
Considérant qu'afin d'être en mesure de vérifier si tous les points importants du rescrit fiscal s'avéraient parfaitement remplis, donc afin de savoir s'il pouvait valablement imposer la réclamante selon les accords pris, le bureau d'imposition s'est adressé moyennant missive datant du 10 octobre 2014 à la réclamante, afin qu'elle lui fournisse « une étude d'évaluation du savoir-faire de M. … « en matière de commercialisation de noms de domaine internet » » ;
que le bureau d'imposition s'est donc borné à n'exiger de la part de la requérante que ce qui avait été convenu, à la lettre près, à l'endroit du rescrit fiscal, signé en date du 23 décembre 2011 ; que la réclamante, au lieu de se voir aisément capable de suivre le souhait du bureau d'imposition, a préféré, pour quelque raison que ce soit, botter en touche en ce qui concerne les pièces sollicitées, ceci jusqu'à émission, après expiration du délai lui accordé, d'un deuxième courrier de la part du bureau d'imposition, destiné cette fois-ci à informer la réclamante, préalablement à l'imposition et en pleine conformité avec les dispositions du § 205, alinéa 3 AO, qu'il envisageait de s'écarter sur différents points des déclarations remises ; que ce deuxième courrier, datant du 6 novembre 2014 et reproduit par extraits infra, fut libellé comme suit :
« (…) Comme votre société refuse de fournir des explications supplémentaires au bureau d'imposition (…) notamment la production d'une étude d'évaluation de savoir-faire, l'obligation de collaboration du contribuable avec l'administration ne se trouve pas remplie.
Le bureau d'imposition (…) estime donc que les chiffres indiqués dans la demande d'accord préalable du 20 septembre 2011 ne correspondent pas à la réalité respectivement que la restructuration est menée avec la seule intention d'éviter l'impôt par le montage d'une structure artificielle c'est-à-dire motivée principalement à des fins de considérations fiscales (§ 6 StAnpG). De ce fait le bureau d'imposition (…) n'est pas tenu de se conformer à l'accord fiscal obtenu le 23 décembre 2011.
A défaut d'un rapport d'évaluation fondé le bureau d'imposition (…) refuse la déduction de 80% des bénéfices nets avant impôts et procède à l'imposition suivant le détail ci-après :
(…) » ;
Considérant qu'il s'impose dès lors de rechercher, dans le cadre des considérations ci-
dessus, i.e. face à la constatation que le bureau d'imposition a refusé l'application des principes et modalités adoptés et retenus à travers le rescrit fiscal, si cette manière d'agir de la part du bureau d'imposition s'avère de droit ; qu'il y a lieu, dans ce contexte, de mettre en relief les dispositions du § 171 AO, celles-ci ayant trait, entre autres, au fait qu'il incombe au contribuable de fournir la preuve de l'exactitude de ses déclarations ; qu'en cas de contestations émises par l'Administration des contributions directes sur la déclaration et les indications faites par le contribuable, celui-ci est légalement tenu à faire parvenir à l'administration les renseignements et explications demandés, étant donné que la charge de la 5preuve de l'exactitude des déclarations faites pèse désormais sur lui (Tribunal administratif du 17 octobre 2007, n° 22366) ;
Considérant dès lors que la réclamante n'a, même à ce jour et malgré qu'elle soit parfaitement au courant de ce qui est exigé d'elle, daigné remettre la moindre pièce ou le moindre justificatif qui aurait permis de se faire une idée exacte de la valeur du savoir-faire du sieur …, de sorte qu'il ne reste autre chose que d'admettre qu'elle refuse carrément de se conformer à ces dispositions, notamment en esquivant toute collaboration aussi bien avec le bureau d'imposition qu'avec le directeur, celui-ci se voyant dès lors dans l'impossibilité pure et simple de changer le moindre détail quant aux impositions litigieuses et notamment pour ce qui est de l'évaluation du goodwill « en matière de commercialisation de noms de domaine Internet » ;
Considérant que pour le surplus, les impositions sont conformes à la loi et aux faits de la cause et ne sont d'ailleurs pas autrement contestées ;
PAR CES MOTIFS reçoit les réclamations en la forme, les rejette comme non fondées.[…] ».
Par une requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 29 juillet 2015, la société … a fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation contre la décision du directeur du 28 avril 2015, précitée.
Conformément aux dispositions combinées du § 228 AO et de l’article 8 (3) 1. de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l'ordre administratif, le tribunal est compétent pour statuer comme juge du fond sur le recours dirigé par un contribuable contre une décision du directeur ayant statué sur les mérites d’une réclamation de sa part contre un bulletin de l’impôt sur le revenu des collectivités ou encore un bulletin de l’impôt commercial communal.
Le tribunal est partant compétent pour connaître du recours principal en réformation dirigé contre la décision du directeur du 28 avril 2015 qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
A l’appui de son recours, la demanderesse expose les faits et rétroactes gisant à la base du présent litige en mettant en exergue sa demande du 20 septembre 2011 ayant donné lieu au rescrit fiscal du 23 décembre 2011. Après avoir fourni des explications sur les notions fiscales en jeu dans le présent litige, ainsi que sur la technique comptable fiscale du rescrit, la demanderesse fait valoir que l’objectif de cette demande de rescrit fiscal aurait été de déterminer le mode d’évaluation, ainsi que le traitement fiscal subséquent, des revenus générés par son savoir-faire en matière de commercialisation de noms de domaine internet, mis à sa disposition. Elle aurait ainsi bénéficié, chaque année, à compter de son premier exercice social, d’un apport caché pour un montant correspondant à un pourcentage de son revenu net avant impôts. D’après la demande du 20 septembre 2011, le montant de cet apport aurait été estimé à 80% des bénéfices nets avant impôts, ce que, d’une part, l’administration 6des Contributions directes aurait expressément avalisé dans le prédit rescrit fiscal du 23 décembre 2011 et, d’autre part, elle aurait retenu dans ses déclarations fiscales des années 2011 et 2012.
En se fondant sur la légalité du rescrit fiscal du 23 décembre 2011 dont l’objet s’apparenterait, en l’espèce, au concept légal prévu à l’ancien article 56 de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l'impôt sur le revenu, ci-après désignée par « LIR », la demanderesse fait valoir que le prédit rescrit aurait admis l’existence d’un apport caché qui aurait été déductible du résultat brut d’exploitation à hauteur de 80% de ce résultat, nonobstant la question de la territorialité de l’impôt. La décision déférée du 28 avril 2015 devrait partant être réformée pour violation des articles 18 (1), 56 et 164 (3) LIR, en ce qu’elle aurait refusé la déduction du prédit apport caché. La demanderesse invoque finalement un arrêt de la Cour administrative du 27 juillet 2011, inscrit sous le n° 28117C du rôle, qui dicterait « […] un traitement administratif en accord avec le principe général du droit contenu à l’article 2 du code civil qui dit que les lois et les traitements plus dures n’agissent que quand on en a eu nouvelle, en temps utile, et non pas après les faits […] ». La décision déférée du 28 avril 2015 devrait partant être réformée pour violation des articles 18 (1), 56 et 164 (3) LIR, en ce qu’elle aurait refusé la déduction du prédit apport caché.
Le délégué du gouvernement, dans son mémoire en réponse, soutient que la société … serait restée en défaut de fournir une étude d’évaluation du savoir-faire de Monsieur … en matière de commercialisation de noms de domaine, telle que sollicitée par le bureau d’imposition par courrier du 10 octobre 2014 sur le fondement des §§ 171 et 205 AO. En raison du manque de collaboration de la part du contribuable, le bureau d’imposition se serait ainsi trouvé dans l’impossibilité de vérifier l’exactitude des déclarations fiscales et d’appliquer les principes et modalités d’imposition retenus à travers le rescrit fiscal. La demanderesse, sur qui reposerait la charge de la preuve des faits réduisant sa cote d’impôts en vertu de l’article 59 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, n’aurait ni produit dans le cadre de son recours une telle étude d’évaluation ni dans le cadre de la procédure non-contentieuse, et serait partant à débouter de son recours.
Dans le cadre de son mémoire en réplique, après avoir mentionné l’existence et le contexte d’une plainte pénale diligentée contre son litismandataire, la demanderesse fournit des explications quant aux moyens de preuve admissibles en droit fiscal, tels que le rescrit fiscal sous examen, les comptabilités commerciales du contribuable concerné, ainsi que les déclarations fiscales afférentes, tout en mettant en exergue l’impossibilité matérielle quant à la production, en l’espèce, d’une étude d’évaluation du savoir-faire en matière de commercialisation de noms de domaine. Elle se prévaut de la légalité du rescrit fiscal sous examen, ainsi que sur sa légitimité en s’appuyant sur les articles 18 (1), 56 et 164 (3) LIR, dans leur version applicable aux années d’imposition litigieuses, ainsi que sur l’état et la logique des finances publics luxembourgeois en compétition féroce avec d’autres Etats connaissant également un nombre important de brevets ou de secrets d’affaires par tête d’habitants. Quant à l’ampleur de la marge de 20 % retenue par le rescrit fiscal litigieux, la demanderesse la justifie, d’une part, par référence aux marges usuellement pratiquées en matière de commercialisation de noms de domaine, et, d’autre part, par le fait que 80 % des recettes seraient, en l’espèce, réalisées dans un pays autre que le Luxembourg, de sorte qu’une taxation de plus de 20 % conduirait à une double imposition. En ce qui concerne la preuve in concreto, la demanderesse affirme, chiffres à l’appui, avoir, sur base des stipulations du rescrit fiscal, établi tant sa comptabilité commerciale, qui n’aurait pas fait l’objet de 7contestations de la part des autorités fiscales, que ses déclarations fiscales pour les années d’imposition litigieuses. La demanderesse réitère finalement ses développements, contenus dans la requête introductive d’instance, quant à l’arrêt, précité, de la Cour administrative du 27 juillet 2011, inscrite sous le n° 28117C du rôle.
Le délégué du gouvernement, dans son mémoire en duplique, conteste que la demanderesse pourrait se prévaloir du principe de la confiance légitime et de sécurité juridique, en ce que les conditions d’application de ce principe général du droit ne seraient pas remplies en l’espèce. Plus particulièrement, il donne à considérer que la demanderesse serait, tout d’abord, restée en défaut de poser, de manière précise, une question à l’administration fiscale lui permettant d’analyser convenablement la situation exposée par le contribuable, dans la mesure où sa demande n’aurait été que sommaire, respectivement lacunaire, n’aurait mentionné aucune base légale et n’aurait été accompagnée d’aucun rapport d’évaluation du savoir-faire de Monsieur … en matière de commercialisation de noms de domaine. En ne contestant pas le fait que la réponse fournie à la demande du contribuable du 20 septembre 2011 provient d’un fonctionnaire compétent, la partie étatique donne néanmoins à considérer que cette réponse, en l’absence de précision de la demande du contribuable, ne pourrait pas être qualifiée d’accord ferme et définitif, mais tout au plus « […] d’un accord donné prime facie subordonné au fait que le contribuable soit en mesure de verser sur demandes les pièces justificatives nécessaires […] ». Finalement, le délégué du gouvernement fait valoir que la demanderesse serait restée en défaut de prouver que les renseignements fournis par le bureau d’imposition auraient eu une influence déterminante sur elle. En ce qui concerne les développements de la demanderesse, contenues dans son mémoire en réplique, la partie étatique en demande le rejet pour défaut de pertinence.
Etant rappelé que le rôle du tribunal administratif consiste à dégager les règles de droit et à opérer les qualifications nécessaires à l’application utile de la législation fiscale, force est tout d’abord au tribunal de constater, en ce qui concerne la question de l’existence, en l’espèce, d’un accord liant l’administration, tel que soulevé par la demanderesse, que suivant la législation applicable au courant des années d’imposition litigieuses, les conditions d’une décision préalable de l’administration sur un cas d’imposition individuel n’étaient pas réglementées. Toutefois les conditions et la portée d’un tel accord préalable peuvent être déterminées sur le fondement du principe général du droit de la confiance légitime et de sécurité juridique.
En effet, pour des raisons tenant au respect du principe de sécurité juridique, il faut que les autorités fiscales qui ont donné des assurances ou fait une promesse soient tenues d’honorer les expectatives ainsi créées. Dans cette hypothèse, la réponse personnelle que l’administration fiscale aura donnée le cas échéant au contribuable liera celle-ci à ce dernier1 si des conditions déterminées sont réunies.2,3 Ainsi, le contribuable doit d’abord avoir posé une question par écrit de façon à permettre à l’administration fiscale d’analyser convenablement la situation exposée par lui. Le 1 Voir réponse du ministre des Finances Luc Frieden à la question parlementaire n° 354 du 7 janvier 2010 de Monsieur François Bausch.
2 André Elvinger, Jean Hoss, Congrès IFA 1976, Rapport Luxembourgeois : La protection juridique du contribuable (Contacts avec l’administration et sécurité juridique), pp.4-5, et Alain Steichen, op.cit., n° 542, p.552.
3 Trib. adm. 14 février 2011, n° 26812 du rôle, Pas. adm. 2016, V° Impôts, n° 595, confirmé en appel par un arrêt du 27 juillet 2011, n° 28115C du rôle 8contribuable doit plus particulièrement avoir exposé clairement et de façon complète son cas, de façon à mettre l’administration en état de se prononcer en pleine connaissance de cause. La réponse individuelle fournie doit ensuite émaner d’un fonctionnaire compétent, ou à tout le moins d’un fonctionnaire dont le contribuable a légitimement pu croire qu’il était investi des pouvoirs suffisants. L’administration doit encore avoir voulu se lier par les renseignements donnés au contribuable, c’est-à-dire que la réponse fournie l’aura été sans restrictions ni réserves. Enfin, les renseignements fournis par l’administration doivent avoir eu une influence déterminante sur le contribuable.
Force est de constater qu’il se dégage du courrier du 20 septembre 2011 adressé par la fiduciaire de l’époque de la société … à l’administration que le cas d’imposition a été exposé de façon détaillée, la fixation forfaitaire à hauteur de 80 % des bénéfices nets de l’apport caché sur les 10 ans à venir, actuellement critiquée par la partie étatique, y figurant, la fiduciaire ayant plus particulièrement expliqué le choix de procéder par cette évaluation forfaitaire de la valeur de l’apport caché par la considération que le savoir-faire en question ne pourrait pas faire l’objet d’un dépôt de marque, respectivement de licence, comme prévu à l’article 50 bis LIR, et que la taxation proposée correspondrait à celle visée par le prédit article.
Après avoir expliqué en détail la structure qui allait être mise en place, la fiduciaire a repris en résumé les idées de base comme suit :
« - … Sàrl bénéficie d’un apport caché, estimé à 80 % des bénéfices nets avant impôts.
Cet apport caché sera déductible chaque année du revenu imposable à l’IRC et à l’ICC.
- … Sàrl bénéficiera de cet accord fiscal sur une période estimée à 10 ans ».
Le tribunal est dès lors amené à retenir que la première condition décrite ci-dessus et tenant à l’exposé clair du cas d’imposition se trouve vérifiée.
D’autre part, il n’est pas contesté par la partie étatique que la réponse fournie émane d’un fonctionnaire compétent pour ce faire, de sorte que cette condition se trouve également vérifiée.
S’agissant de la condition tenant à la volonté de l’administration de se lier, le préposé du bureau d’imposition a confirmé, le 23 décembre 2011, son accord quant à la proposition de taxation de la société …, de manière à conforter la société … par la circonstance que la structure qui allait être mise en place et le mode d’imposition proposé sont conformes à la loi, sans que le préposé du bureau d’imposition n’ait formulé une quelconque réserve, mis à part la remarque relative au constat que cette confirmation ne couvre pas d’autres structures et est limitée au seul cas de l’espèce. La condition tirée de la volonté de l’administration de se lier se trouve ainsi remplie.
Enfin, et en ce qui concerne la dernière condition, le tribunal constate que les renseignements ainsi donnés ont eu une influence déterminante sur le contribuable, étant donné que la structure telle qu’elle a été exposée dans le cadre du courrier précitée du 20 septembre 2011 a été suivie d’effets pour avoir été mise en place par la suite.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que l’administration fiscale est tenue à respecter en l’espèce l’accord préalable accordé le 23 décembre 2011.
9 Si la partie étatique met actuellement en question l’évaluation faite de l’apport du savoir-faire en matière de commercialisation de noms de domaine de Monsieur … à la société … à hauteur de 80% des bénéfices nets avant impôts et requiert dans ce contexte un rapport d’évaluation indépendant, il n’en demeure pas moins, tel que cela a été relevé ci-avant, d’une part, que le principe de cette évaluation forfaitaire a été clairement exposé dans la lettre de demande d’un accord préalable, et, d’autre part, qu’à défaut d’avoir formulé une quelconque réserve dans l’accord du 23 décembre 2011 par rapport à cette évaluation, que ce soit quant au principe d’une évaluation forfaitaire ou quant au pourcentage retenu, le bureau d’imposition ne saurait plus revenir sur sa position.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que dans la mesure où, tel que cela a été retenu ci-avant, les éléments du cas d’imposition tels que soumis au bureau d’imposition ont été suffisamment précis, d’une part, et à défaut d’éléments nouveaux qui auraient été révélés au moment de l’imposition, d’autre part, l’accord du bureau d’imposition empêche en l’espèce la partie étatique de contester l’évaluation faite de l’apport caché, dont la fixation à 80% des bénéfices nets avant impôts avait été avalisée par le rescrit fiscal du 23 décembre 2011, de sorte à s’imposer désormais à l’administration des Contributions directes, respectivement de reprocher un quelconque défaut de collaboration au contribuable concerné.
La décision directoriale déférée du 28 avril 2015 encourt partant la réformation, sans qu’il n’y ait lieu d’examiner les éventuels autres moyens présentés par la demanderesse, cet examen devenant surabondant.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours principal en réformation en la forme ;
au fond le déclare fondé ;
partant, par réformation de la décision du 28 avril 2015 du directeur de l’administration des Contributions directes, dit que l’apport caché du « savoir-faire de Monsieur … en matière de commercialisation de noms de domaine internet », correspondant à 80 % des bénéfices nets de la société … S.à r.l., est déductible du revenu imposable soumis à l’impôt sur le revenu des collectivités et à l’impôt commercial communal ;
condamne l’Etat aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 23 mai 2017 par :
Thessy Kuborn, vice-président, Paul Nourissier, premier juge, Géraldine Anelli, juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
10 s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 23 mai 2017 Le greffier du tribunal administratif 11