Tribunal administratif N° 38335 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 août 2016 1re chambre Audience publique du 10 mai 2017 Recours formé par Monsieur …, …, contre des décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 38335 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 11 août 2016 par Maître Faisal Quraishi, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Inde), demeurant à L-…, tendant, d’une part, à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 12 juillet 2016 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale, et, d’autre part, à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 15 septembre 2016 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Faisal Quraishi et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline Jacques en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 24 avril 2017.
Le 3 mai 2012, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, entretemps abrogée par la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Les déclarations de Monsieur… sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, dans un rapport du même jour.
En date des 8 avril, 16 avril, 29 avril, 16 mai, 22 mai, 30 mai et 2 juin 2014, Monsieur… fut entendu par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
Par décision du 12 juillet 2016, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée envoyée le 14 juillet 2016, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », résuma les déclarations de Monsieur… auprès de la direction de l’Immigration comme suit : « Monsieur, il résulte de vos déclarations que vous auriez rencontré … … en mars ou avril 2006 et que vous vous seriez fréquentés en cachette les quatre années suivantes.
Elle aurait vécu dans le même village que vous et vous vous seriez rencontrés à la cantine scolaire ou dans la maison de ses parents quand ces derniers étaient absents. En 2010, vous auriez dit à vos parents que vous aimeriez vous marier avec …, âgée de dix-sept ans à l’époque. Ils étaient d’abord opposés parce que votre famille serait sikhe et … musulmane, mais vous auriez réussi à les convaincre de demander la main de … à ses parents. Pourtant, le père de … n’aurait pas accepté que sa fille fréquente, voire se marie avec un homme sikh. A partir d’avril ou mai 2010, les frères de … se seraient souvent bagarrés avec vous et vous auraient surveillé. Ils vous auraient agressé « six ou sept fois » (p. 17/25 du rapport d’entretien du 16 mai 2014).
Vous auriez alors décidé de vous marier sans l’autorisation des parents de …. Vous auriez rassemblé les documents nécessaires et vous vous seriez rencontrés en juin 2010 pour organiser votre trajet au tribunal de …. Or, les frères de … vous auraient attrapés ensemble dans le bus. Ils vous auraient frappé et ils auraient pris … avec eux. Vous ne l’auriez plus revue après cet incident, mais vous lui auriez parlé parfois au téléphone. Le père de … aurait déposé une plainte contre vous et aurait forcé … à signer un papier disant que vous l’auriez forcée à vous marier. Il aurait aussi donné de l’argent à des policiers pour qu’ils vous maltraitent. Quand vous vous seriez présenté au commissariat, les policiers vous auraient frappé, insulté et menacé. Ils vous auraient reproché d’avoir eu des relations sexuelles avec une musulmane. Ils seraient également passés chez vous pour vous menacer et vous auraient suivi dans la rue. Vous n’auriez pas porté plainte contre eux par peur qu’ils engagent un homme de main pour vous tuer. Vous auriez commencé à loger chez des proches et des amis pour que les policiers ou les frères de … ne vous retrouvent pas.
Vous auriez finalement quitté l’Inde le 28 décembre 2010 et vous seriez arrivé le 29 décembre 2010 en Italie. Après un mois, vous seriez allé à Paris où vous auriez rencontré en juin 2011 pour la première fois votre épouse qui est résidente au Luxembourg. Par peur d’être retrouvé par des membres de la famille …, habitant à Paris, et étant donné que vous auriez été sans emploi, vous auriez décidé de venir au Luxembourg le 11 août 2011. En mai 2012, vous auriez déposé votre demande de protection internationale.
Enfin, il ressort du rapport d’entretien des 8, 16 et 29 avril 2014, des 16, 22 et 30 mai 2014 ainsi que du 2 juin 2014 qu’il n’y a plus d’autres faits à invoquer au sujet de contre demande de protection internationale et aux déclarations faites dans ce contexte. […] », pour ensuite informer Monsieur… que sa demande de protection internationale avait été refusée comme étant non fondée sur base des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.
Le ministre, après avoir soulevé un certain nombre d’interrogations quant à l’identité du requérant et quant aux raisons l’ayant amené à ne déposer une demande de protection internationale qu’en date du 3 mai 2012, soit neuf mois après son arrivée au Luxembourg, estima que les faits invoqués par Monsieur… à l’appui de sa demande de protection internationale, à savoir des problèmes qu’il aurait rencontrés en raison de sa relation avec son ex-fiancée, ne seraient pas de nature à établir dans son chef une crainte fondée d’être persécuté motivée par l’un des critères de fond définis par la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et le Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par le règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après désigné par « la Convention de Genève », et par la loi du 18 décembre 2015, puisqu’il s’agirait de problèmes d’ordre privé. Tout en émettant un certain nombre de doutes quant à la crédibilité de certains éléments du récit du demandeur, sans toutefois en tirer un quelconque motif de refus, le ministre constata que les problèmes qu’il aurait rencontrés avec les frères de son ex-fiancée seraient des actes de droit commun punissables en tant que tels selon la loi indienne. Il constata, par ailleurs, que dans la mesure où ces actes auraient été commis par des personnes privées, il ne pourrait invoquer une crainte fondée de persécution que s’il établissait que les autorités de son pays d’origine étaient restées en défaut de lui fournir une protection adéquate contre les agissements allégués, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce puisqu’en Inde les couples mixtes qui sont menacés pourraient notamment obtenir une protection policière, ordonnée par la Cour suprême. Pour ce qui est des problèmes qu’il déclare avoir rencontrés avec des policiers du commissariat de …, le ministre releva qu’il s’agirait de simples allégations qui seraient d’autant plus douteuses qu’elles seraient peu précises, voire contradictoires.
Le ministre ajouta que le requérant n’aurait présenté aucune raison valable pour justifier son impossibilité de s’installer dans une autre partie de son pays d’origine afin d’échapper aux difficultés y rencontrées.
S’agissant finalement de la protection subsidiaire, le ministre conclut que Monsieur… ne ferait état d’aucun motif sérieux et avéré de croire qu’il courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 en cas de retour dans son pays d’origine.
En conséquence, il constata que le séjour de Monsieur… sur le territoire luxembourgeois était illégal et lui enjoignit de quitter ledit territoire dans un délai de trente jours.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 11 août 2016, Monsieur… a fait déposer un recours tendant, d’une part, à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du ministre du 12 juillet 2016 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et, d’autre part, à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.
Avant tout autre progrès en cause, il y a lieu de donner acte à Monsieur… qu’il renonce à sa demande, telle que formulée dans le seul dispositif de la requête introductive d’instance, à voir ordonner à la partie étatique de produire en copie aux débats l’ensemble des pièces remises par lui et figurant au récépissé contresigné par ses services.
1) Quant au recours visant la décision du ministre portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation dirigé contre la décision du ministre du 12 juillet 2016, telle que déférée. Ledit recours ayant encore été introduit dans les formes et délai de la loi, il est à déclarer recevable.
Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
A l’appui de son recours et en fait, Monsieur… renvoie, en substance, aux faits et rétroactes de sa demande en obtention d’une protection internationale tels que retranscrits dans le rapport d’entretien auprès de l’agent compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes.
En droit, le demandeur fait valoir que la décision ministérielle portant refus de lui accorder l’un des statuts conférés par la protection internationale serait entachée d’illégalité au motif qu’il remplirait les conditions prévues dans la loi du 18 décembre 2015 pour obtenir soit le statut de réfugié, soit celui conféré par la protection subsidiaire, ce d’autant plus que ses affirmations quant aux évènements qu’il déclare avoir subis n’auraient pas été utilement critiquées par le ministre, de sorte à devoir être considérées comme étant établies.
Ensuite, le demandeur reproche, en substance, au ministre d’avoir basé sa décision sur un examen superficiel et insuffisant des faits de l’espèce, respectivement d’avoir procédé à une analyse erronée de ces mêmes faits. Ainsi, contrairement aux conclusions retenues par le ministre, les insultes, les violences, les menaces et la tentative d’homicide dont il aurait été victime et qui auraient trouvé leur origine dans sa croyance religieuse, établiraient à suffisance dans son chef une crainte fondée de persécution. Le ministre n’aurait plus particulièrement pas tiré les conséquences qui s’imposeraient au regard de ces agissements et des différences qui existeraient en Inde entre les castes, ce d’autant plus au vu de l’absence de protection de la part des autorités indiennes face à de tels agissements. Le ministre aurait ainsi omis d’analyser à suffisance les problèmes rencontrés par des couples issus de croyances ou de castes différentes, qui seraient très fréquents en Inde, tel qu’en témoignerait un rapport du Immigration and Refugee Board du Canada du 11 mai 2012.
Le demandeur estime dès lors qu’un retour en Inde l’exposerait certainement à des violences, injures, insultes, discriminations, sinon à des traitements inhumains et dégradants dans un laps de temps plus ou moins court. Au vu de son récit, il ferait dès lors non seulement état de l’existence dans son chef d’une crainte suffisante pour se voir reconnaître le statut de réfugié, mais également celui conféré par la protection subsidiaire.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours pour ne pas être fondé.
Aux termes de l'article 2 b) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « demande de protection internationale » se définit comme correspondant à une demande visant à obtenir le statut de réfugié, respectivement celui conféré par la protection subsidiaire.
La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de ladite loi comme étant «tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […]».
Par ailleurs, l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015 dispose « (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1 A de la Convention de Genève doivent :
a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l'homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d'une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). ».
Finalement, aux termes de l’article 39 de la loi du 5 mai 2006 : « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être:
« a) l’Etat ;
b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;
c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves. », et aux termes de l’article 40 de la même loi : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:
a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.
(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. (…) ».
Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.
Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur de protection internationale ne saurait bénéficier du statut de réfugié.
Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte que ces dispositions visent une persécution future sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ dans son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, les persécutions antérieures d’ores et déjà subies instaurent une présomption réfragable que de telles persécutions se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine aux termes de l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015, de sorte que, dans cette hypothèse, il appartient au ministre de démontrer qu’il existe de bonnes raisons que de telles persécutions ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra porter en définitive sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté qu’il encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.
En l’espèce, indépendamment de toutes les considérations relatives à la crédibilité du récit de l’intéressé telles que mises en avant par la partie étatique, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de ses auditions, ainsi que des moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse, ainsi que des pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure qu’il reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle fondée de persécutions du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social ainsi que le prévoit l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015.
Il ressort, en effet, sans équivoque de ses déclarations que les raisons l’ayant décidé à quitter son pays d’origine trouvent leur origine dans les problèmes qu’il aurait rencontrés pour avoir entretenu, en tant que membre de la communauté sikhe, une relation avec une jeune fille de croyance musulmane qu’il aurait voulue épouser en cachette. Il aurait ainsi été régulièrement frappé et menacé par les frères de cette jeune fille, de même qu’il aurait été menacé et maltraité par des policiers que le père de la jeune fille en question aurait soudoyés pour l’intimider et le dissuader de la revoir.
Or, en ce qui concerne précisément les problèmes dont le demandeur fait état, force est de retenir que si ceux-ci se meuvent certes sur une toile de fond religieuse, ils se situent cependant dans un cadre strictement familial et privé, de sorte à ne pas pouvoir fonder une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.
Il s’ensuit que le demandeur n’a pas fait état et n’a pas établi des raisons de nature à justifier dans son chef dans son pays de provenance une crainte fondée de persécution pour les motifs énumérés à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015.
Quant au volet de la décision litigieuse portant refus d’accorder le bénéfice du statut conféré par la protection subsidiaire, il y a lieu de relever que la notion de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » est définie par l’article 2 g) de la loi du 18 décembre 2015 comme « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir des atteintes graves et que cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».
L’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 définit comme atteintes graves : « a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou les traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international. » Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48 précité de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.
Force est encore de relever que l’article 2 g), précité, de la loi du 18 décembre 2015 définit la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », de sorte à viser des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, les atteintes graves d’ores et déjà subies instaurent une présomption réfragable que de telles atteintes graves se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine aux termes de l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015, de sorte que, dans cette hypothèse, il appartient au ministre de démontrer qu’il existe de bonnes raisons que de telles atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra porter en définitive sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque de subir des atteintes graves qu’il encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.
Le tribunal constate qu’à l’appui du volet du recours visant le refus de lui octroyer le statut conféré par la protection subsidiaire, le demandeur invoque les mêmes motifs que ceux qui sont à la base de sa demande de reconnaissance du statut de réfugié.
Comme il n’y a actuellement pas de conflit armé en Inde et que le demandeur n’allègue pas risquer la peine de mort ou l’exécution dans son pays d’origine, il y a seulement lieu de vérifier si les agissements dont il fait état peuvent être qualifiés de torture ou de traitements, respectivement sanctions inhumains ou dégradants.
En ce qui concerne tout d’abord les problèmes que le demandeur aurait rencontrés avec la famille de son ex-fiancée et plus particulièrement avec les frères de celle-ci, problèmes qui se résument, d’après ses déclarations, en ce qu’à partir du mois d’avril/mai 2010, ils auraient commencé à le suivre dans la rue et à le surveiller afin qu’il ne s’approche plus de leur soeur, respectivement à six ou sept bagarres - dont il n’est pas clair s’il s’agissait toujours d’altercations physiques ou bien également, pour certaines, d’altercations simplement verbales -, qu’il aurait eus avec eux, le tribunal relève que ces agissements, tant pris isolément que par leur effet cumulé, ne sauraient être considérés comme ayant pu atteindre un niveau de gravité tel qu’ils puissent être qualifiés d’atteintes graves au sens de l’article 48 b) de la loi du 18 décembre 2015.
A cela s’ajoute que le demandeur a déclaré lors de ses auditions que depuis son départ de son pays d’origine, il n’aurait plus aucune nouvelle de la famille de son ex-fiancée, de sorte que sa crainte d’être à nouveau victime d’agissements similaires de la part des frères de son ex-fiancée en cas de retour en Inde doit être considérée comme purement hypothétique.
Ce constat est conforté par le fait que cela fait plus de six ans qu’il a quitté le pays et qu’il a déclaré ne plus avoir le moindre contact avec son ex-fiancée dont il ne connaît même pas l’adresse actuelle. S’il a encore déclaré, sans autres précisions, que des connaissances de la famille de son ex-fiancée vivant à Paris l’y auraient retrouvé et suivi, il ne ressort pas de ses déclarations qu’à un moment donné, il aurait été importuné par ces personnes. A cela s’ajoute que s’il ressort certes du rapport invoqué par le demandeur dans le cadre de son recours que des crimes d’honneur sont encore pratiqués dans certaines régions de l’Inde sur des personnes de différentes castes ou religions qui se sont effectivement mariées et que la situation de ces personnes n’y est pas facile, force est de constater que la situation du demandeur n’est aucunement comparable puisqu’aucun mariage n’a été célébré.
Le demandeur a ensuite fait état de problèmes qu’il aurait rencontrés avec des policiers qui auraient été soudoyés par la famille de son ex-fiancée pour l’intimider et le dissuader de s’approcher d’elle, ce que lesdits policiers auraient tenté de faire notamment en le menaçant de l’emprisonner, en l’insultant ou en le verbalisant sans raison. Si des chicaneries policières régulières, ainsi que les coups qui lui auraient été infligés à une occasion au commissariat de police où il se serait présenté après que le père de son ex-fiancée aurait porté plainte contre lui pour avoir forcé sa fille à l’épouser, constituent des pratiques certes condamnables, ils ne sont toutefois pas d’une gravité telle qu’ils puissent justifier une crainte fondée de subir des atteintes graves au sens de la loi, ce d’autant plus que le demandeur a déclaré n’avoir jamais été poursuivi ni incarcéré avec ou sans jugement. A cela s’ajoute que dans la mesure où plus de six ans se sont écoulés depuis que le demandeur a quitté son pays d’origine, sa crainte d’être à nouveau victime de chicaneries policières en raison de la relation qu’il a entretenue avec son ex-fiancée doit également être considérée comme purement hypothétique.
Finalement, le tribunal relève que le demandeur lui-même ne semble pas avoir estimé que sa situation en Inde était à ce point intolérable qu’il devait rechercher une protection dans un autre pays. En effet, il ressort du dossier administratif qu’il est arrivé en Italie en 2010, pour ensuite habiter quelques mois en France avant de rejoindre le Luxembourg en août 2011, sans qu’il n’ait jamais cherché à demander une protection internationale auprès des autorités italiennes ou françaises. Ce n’est d’ailleurs qu’en date du 3 mai 2012, soit neuf mois après son arrivée au Luxembourg qu’il y a finalement déposé sa demande de protection internationale et cela seulement parce que des personnes rencontrées au Centre de rétention le lui auraient conseillé.
Au vu des considérations qui précèdent, le tribunal est amené à conclure que le demandeur n’a pas fait état et n’a pas établi qu’il existerait de sérieuses raisons de croire qu’il encourrait, en cas de retour dans son pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015.
C’est dès lors à bon droit que le ministre a rejeté comme étant non fondée la demande de Monsieur… tendant à l’obtention du statut conféré par la protection internationale prise en son double volet.
2. Quant au recours visant l’ordre de quitter le territoire A l’audience des plaidoiries, le tribunal a soulevé d’office la question de la recevabilité du recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire étant donné que suivant la requête introductive d’instance, le demandeur a déclaré introduire un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, alors que l’article 35 (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre une telle décision.
Le litismandataire du demandeur a déclaré, à cet égard, qu’il s’agissait d’une erreur matérielle et qu’il aurait entendu introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la décision ministérielle du 12 juillet 2016, tout en se rapportant à titre subsidiaire à prudence de justice.
Le tribunal ne saurait toutefois suivre l’argumentation du demandeur fondée sur une simple erreur matérielle qui pourrait être redressée, ladite erreur ne s’étant, en effet, pas glissée dans le seul dispositif de la requête introductive d’instance, mais le demandeur ayant réitéré sa demande tendant à la seule annulation de l’ordre de quitter le territoire litigieux à divers endroits dans le corps de la requête introductive d’instance, de sorte qu’il y a lieu de retenir que seul un recours en annulation a été introduit en l’espèce contre l’ordre de quitter le territoire.
Or, s’il est admis que dans une matière dans laquelle la loi a institué un recours en réformation, comme cela est le cas en l’espèce, le demandeur peut conclure à la seule annulation de la décision attaquée, le recours étant dans cette hypothèse néanmoins recevable dans la mesure où le demandeur se borne à indiquer des moyens de légalité et à condition d’observer les règles de procédure spéciale pouvant être prévues et les délais dans lesquels le recours doit être introduit1, force est toutefois de constater que le demandeur a, suivant les termes de la requête introductive d’instance, déclaré introduire un recours en annulation contre la décision litigieuse sans autre précision et plus particulièrement sans qu’il n’ait clarifié ses intentions en ce sens qu’il ait, le cas échéant, entendu se limiter à invoquer des moyens de légalité dans le cadre du recours en réformation prévu par la loi. Dès lors, à défaut d’autres explications fournies à cet égard à l’audience des plaidoiries, il y a lieu de suivre les termes de la requête introductive d’instance et d’admettre que le demandeur a entendu introduire un recours en annulation, recours qui doit dès lors être déclaré comme étant irrecevable, la loi prévoyant un recours en réformation contre l’ordre de quitter le territoire.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit en la forme le recours principal en réformation introduit contre la décision ministérielle du 12 juillet 2016 portant rejet d’un statut de protection internationale dans le chef de Monsieur … ;
au fond, déclare le recours principal en réformation non justifié et en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation introduit contre la décision ministérielle du 12 juillet 2016 portant rejet d’un statut de protection internationale dans le chef de Monsieur … ;
déclare irrecevable le recours en annulation introduit contre l’ordre de quitter le territoire ;
1 Trib. adm. 3 mars 1997, n°9693 du rôle, Pas. adm. 2016, V° Recours en réformation, n°2.
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par :
Annick Braun, vice-président, Alexandra Castegnaro, premier juge, Emina Softic, attaché de justice, et lu à l’audience publique du 10 mai 2017 par le vice-président en présence du greffier Michèle Hoffmann.
s. Michèle Hoffmann s. Annick Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 10/5/2017 Le Greffier du Tribunal administratif 10