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07/04/2017 | LUXEMBOURG | N°39329

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 07 avril 2017, 39329


Tribunal administratif Numéro 39329 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 mars 2017 4e chambre Audience publique du 7 avril 2017 Recours formé par Monsieur …, Findel, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.8.2008)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 39329 du rôle et déposée le 29 mars 2017 au greffe du tribunal administratif par Maître Nicky Stoffel, avocat à la Cour, ins

crite au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant êt...

Tribunal administratif Numéro 39329 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 mars 2017 4e chambre Audience publique du 7 avril 2017 Recours formé par Monsieur …, Findel, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.8.2008)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 39329 du rôle et déposée le 29 mars 2017 au greffe du tribunal administratif par Maître Nicky Stoffel, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à … (Mauritanie) et être de nationalité mauritanienne, respectivement être de nationalité marocaine, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d'une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 15 mars 2017 ayant ordonné une nouvelle prorogation de son placement au Centre de rétention pour une nouvelle durée d’un mois à partir de la notification de la décision en question ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 31 mars 2017 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Marcel Marigo, en remplacement de Maître Nicky Stoffel, et Monsieur le délégué du gouvernement Daniel Ruppert en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 14 mai 2010, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après désignée par « la loi du 5 mai 2006 ».

Par une décision du 6 septembre 2010, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration considéra la demande de protection internationale comme ayant été implicitement retirée par Monsieur …, au motif que ce dernier ne s’était plus présenté au guichet du ministère.

Le 21 novembre 2013, les autorités suisses sollicitèrent la reprise en charge, par le Luxembourg, de Monsieur …, qui y avait déposé une demande de protection internationale, le transfert de ce dernier ayant eu lieu le 11 février 2014.

Le 31 mars 2014, les autorités allemandes sollicitèrent la reprise en charge de Monsieur … par le Luxembourg, le transfert de ce dernier ayant eu lieu le 30 septembre 2015.

Par arrêté du 5 octobre 2015, notifié à l’intéressé en mains propres le 8 octobre 2015, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », constata que le séjour de Monsieur … sur le territoire luxembourgeois était irrégulier et lui ordonna de quitter le territoire dans un délai de 30 jours sur le fondement des articles 100 et 109 à 115 de la loi modifiée du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-

après désignée par « la loi du 29 août 2008 ».

En date du 8 octobre 2015, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une nouvelle demande de protection internationale, qui fut déclarée irrecevable par une décision du ministre du 9 novembre 2015 sur base de l’article 23 de la loi du 5 mai 2006.

Le 26 janvier 2016, les autorités allemandes sollicitèrent, une nouvelle fois, la reprise en charge de Monsieur … par le Luxembourg, le transfert de ce dernier ayant eu lieu le 25 juillet 2016.

Par arrêté du 21 juillet 2016, notifié à l’intéressé le 25 juillet 2016, le ministre interdit à Monsieur … l’entrée sur le territoire pour une durée de trois ans sur le fondement de l’article 124, paragraphe (2) de la loi du 29 août 2008.

Par un arrêté pris le même jour, et notifié à l’intéressé le 25 juillet 2016, le ministre ordonna le placement en rétention de Monsieur … pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision en question, sur base des motifs et considérations suivants :

« (…) Vu les articles 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;

Vu la loi du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu ma décision de retour du 9 novembre 2015 ;

Vu ma décision d’interdiction d’entrée sur le territoire du 21 juillet 2016 ;

Attendu qu’il existe un risque de fuite dans le chef de l’intéressé, alors qu’il ne dispose pas d’une adresse au Grand-Duché de Luxembourg ;

Attendu par conséquent que les mesures moins coercitives telles qu’elles sont prévues par l’article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;

Considérant que les démarches nécessaires en vue de l’identification et de l’éloignement de l’intéressé seront engagées dans les plus brefs délais ;

Considérant que l’exécution de la mesure d’éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; (…) ».

Par arrêtés des 22 août, 19 septembre, 17 octobre 2016, 14 novembre 2016 et 19 décembre 2016, notifiés respectivement les 24 août, 23 septembre, 21 octobre 2016, 21 novembre 2016 et 21 décembre 2016, le ministre prorogea le placement en rétention de Monsieur …, à chaque fois pour une durée d’un mois à compter de la notification de l’arrêté en question.

Le recours contentieux introduit contre l’arrêté du 22 août 2016 fut rejeté par un jugement du tribunal administratif du 28 septembre 2016, inscrit sous le n° 38498 du rôle.

Le recours contentieux introduit contre l’arrêté du 17 octobre 2016 fut rejeté par un jugement du tribunal administratif du 2 novembre 2016, inscrit sous le n° 38621 du rôle.

Le recours contentieux introduit contre l’arrêté du 14 novembre 2016 fut rejeté par un jugement du tribunal administratif du 7 décembre 2016, inscrit sous le n° 38777 du rôle.

Le recours contentieux introduit contre l’arrêté du 19 décembre 2016 fut rejeté par un jugement du tribunal administratif du 30 décembre 2016, inscrit sous le n° 38910 du rôle.

Une demande de Monsieur … en obtention d’un sursis à l’éloignement pour raisons médicales fut refusée par une décision du ministre du 28 décembre 2016.

Après sa remise en liberté le 20 janvier 2017 et suite à un contrôle d’identité à la Gare de Luxembourg, effectué par la police grand-ducale, unité C.I. Luxembourg, le même jour, le ministre prit, en date du 20 janvier 2017, un nouvel arrêté de placement en rétention à l’encontre de Monsieur …, lui notifié en mains propres le même jour. Cette décision est motivée comme suit :

« (…) Vu les articles 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu le rapport no SPJ15/2016/47190/6/SPJ ;

Vu le rapport no R25023/2017 du 21 juillet 2017 ; établi par la Police grand-ducale ;

Vu ma décision de retour du 5 octobre 2015 ;

Vu ma décision d’interdiction d’entrée sur le territoire du 21 juillet 2016 ;

Attendu que l’intéressé est démuni de tout document d’identité et de voyage valable ;

Attendu qu’il existe un risque de fuite dans le chef de l’intéressé, alors qu’il ne dispose pas d’une adresse au Grand-Duché de Luxembourg ;

Attendu que l’intéressé évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement ;

Attendu par conséquent que les mesures moins coercitives telles qu’elles sont prévues par l’article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;

Considérant que les démarches nécessaires en vue de l’identification et de l’éloignement de l’intéressé ont été engagées et que l’identification de l’intéressé est en cours auprès des autorités compétentes ;

Considérant que l’exécution de la mesure d’éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 10 février 2017, Monsieur … fit introduire un recours tendant à la réformation de l’arrêté ministériel précité du 20 janvier 2017 qui fut annulé dans le cadre dudit recours en réformation par un jugement du tribunal administratif du 17 février 2017, inscrit sous le numéro 39082 du rôle. Sur requête d’appel introduite par le gouvernement à l’encontre du jugement précité du 17 février 2017, la Cour administrative, par un arrêt du 28 février 2017, inscrit sous le n° 39129C du rôle, déclara ladite requête d’appel justifiée et, par réformation du jugement du 17 février 2017, rejeta comme non fondé le recours en réformation introduit par Monsieur … à l’encontre de l’arrêté du ministre du 20 janvier 2017 ordonnant son placement au Centre de rétention.

Par arrêté du 15 mars 2017, notifié en date du 20 mars de la même année, le ministre prorogea pour une nouvelle durée d’un mois le placement en rétention de Monsieur ….

Ledit arrêté est basé sur les motifs et considérations suivants :

« Vu les articles 111 et 120 à 123 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 août 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu mes arrêtés des 20 janvier et 16 février 2017, notifiés le 20 janvier respectivement le 20 février 2017, décidant de soumettre l’intéressé à une mesure de placement ;

Attendu que les motifs à la base de la mesure de placement du 20 janvier 2017 subsistent dans le chef de l’intéressé ;

Considérant que toutes les diligences en vue de l’identification de l’intéressé afin de permettre son éloignement ont été entreprises auprès des autorités compétentes ;

Considérant que ces démarches n’ont pas encore abouti ;

Considérant qu’il y a lieu de maintenir la mesure de placement afin de garantir l’exécution de la mesure de l’éloignement ; ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 29 mars 2017, Monsieur … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de l’arrêté ministériel précité du 15 mars 2017.

Etant donné que l'article 123, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit contre l’arrêté ministériel du 15 mars 2017. Il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation introduit contre le même arrêté ministériel.

Le recours principal en réformation est recevable pour avoir été, par ailleurs, introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, et en droit, le demandeur reproche tout d’abord au ministre d’avoir fait une application erronée, sinon fausse de la loi du 29 août 2008, en soutenant que toutes les démarches qu’il aurait entreprises en vue de l’éloigner du territoire luxembourgeois se seraient soldées « par un échec total » et qu’il y aurait actuellement lieu de constater qu’il n’existerait aucune perspective de l’éloigner ni vers le Maroc, ni vers la Mauritanie. Même s’il concède que les mesures de placement des 20 janvier et 15 mars 2017 ne peuvent pas être qualifiées de prolongations illégales de la première série de mesures de placement en rétention, le demandeur déclare ne pas pouvoir se « défaire de l’idée que la nouvelle série de mesures de placement constitue[rait] un détournement de la durée légale de la rétention », étant donné qu’il y aurait lieu de constater que tout de suite après sa libération en date du 20 janvier 2017, après avoir été retenu au Centre de rétention pendant la durée maximale de rétention légalement admissible, des agents de police du Centre d’intervention, et non pas des agents de police du quartier de la Gare Centrale, l’auraient intercepté, ce qui lui ferait croire que ces agents auraient eu « une mission bien déterminée », afin de l’arrêter « à la première occasion ». Sur base de ces considérations, le demandeur estime que les conditions légales afin d’assurer son maintien au Centre de rétention ne seraient pas remplies en l’espèce.

En ce qui concerne le premier moyen, il échet de se référer à l’arrêt précité de la Cour administrative du 28 février 2017 par lequel elle a décidé que l’arrêté précité du 20 janvier 2017 constitue une nouvelle mesure de placement initiale pouvant être renouvelée à cinq reprises, sous réserve que les conditions légales afférentes soient remplies, la Cour ayant retenu, dans ce contexte, qu’au moment de la prise de l’arrêté ministériel précité, le demandeur s’est trouvé en séjour irrégulier au pays, étant donné qu’une décision de retour et une décision d’interdiction d’entrée sur le territoire avaient été prises par le ministre respectivement en dates des 5 octobre 2015 et 21 juillet 2016, de sorte qu’un risque de fuite a valablement pu être présumé dans son chef. A partir de la conclusion ainsi retenue par la Cour administrative, il échet de conclure que la légalité de la mesure de placement du 20 janvier 2017 ne peut plus être mise en cause, de même que les décisions de renouvellement des 16 février et 15 mars 2017 ont a priori valablement pu être prises par le ministre sur base de sa décision de rétention initiale, à condition que les critères légaux sont remplis.

En deuxième lieu, le demandeur conclut au caractère disproportionné et arbitraire de l’arrêté ministériel sous examen du 15 mars 2017, en soutenant qu’il ferait l’objet d’un placement systématique au Centre de rétention et ce, d’autant plus qu’en date du 20 janvier 2017, il aurait été sur le point « de sortir du territoire pour se rendre en France ». Il reproche encore au ministre de le maintenir en rétention administrative, alors qu’il devrait pertinemment savoir qu’il se trouverait dans l’impossibilité de l’éloigner du territoire luxembourgeois, et ce, en raison du défaut de collaboration des autorités marocaines et mauritaniennes. A cet égard, il y aurait lieu de constater que toutes les démarches effectuées dans le passé par les autorités ministérielles luxembourgeoises auraient échoué, lesdites autorités restant d’ailleurs actuellement en défaut de préciser quelles mesures « concrètes sinon plus réalistes que celles déjà entreprises dans le passé » pourraient encore être envisagées. Dans ce contexte, le demandeur se réfère aux démarches effectuées fin janvier/début février 2017 par le ministre dont il se dégagerait qu’il serait d’origine marocaine, et il estime que les autorités marocaines semblent toutefois être dans l’impossibilité de l’identifier comme l’un de leurs ressortissants.

Au vu de l’ensemble des diligences accomplies par le ministre, il y aurait lieu de constater l’inefficacité de celles-ci, en ce que le ministre serait dans l’impossibilité de l’éloigner soit vers le Maroc, soit vers la « Tunisie », aucune démarche ne semblant avoir été récemment initiée par le ministre suivant les développements du demandeur.

En ce qui concerne encore les démarches effectuées par le ministre auprès du Consulat du Royaume du Maroc, le demandeur soutient qu’en considération de ce que les recherches effectuées par les autorités marocaines dans le système automatique par empreintes digitales n’auraient donné aucune concordance, la recherche actuellement en cours sur base de ses empreintes prendrait un temps indéterminé, du fait que ses « formules » correspondraient « à un nombre élevé de candidats ». Or, en tant que personne faisant l’objet d’une mesure de rétention administrative, il serait en droit de s’attendre « à un résultat rapide et à un traitement prioritaire de son dossier », afin que sa libération puisse avoir lieu rapidement. Comme la prorogation actuellement critiquée de la mesure initiale de placement ne correspondrait plus à « la réalité actuelle du dossier », il y aurait lieu de retenir une violation des dispositions de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ci-après dénommée la « CEDH », en ce qu’il serait arbitrairement soumis à une mesure de privation de sa liberté de circulation, déclarant ne pas comprendre l’acharnement des autorités luxembourgeoises à son égard.

Le délégué du gouvernement estime que le dossier administratif documenterait les diligences ministérielles accomplies, afin de procéder à l’éloignement du demandeur vers son pays d’origine, en faisant état, dans ce contexte, de ce que le demandeur aurait donné plusieurs identités dans d’autres pays où il aurait également déposé des demandes de protection internationale et que le fait qu’il serait dépourvu d’un document d’identité rendrait les recherches ministérielles d’autant plus compliquées. A ce sujet, le représentant gouvernemental note que les diligences accomplies jusqu’à présent auraient permis d’écarter la nationalité mauritanienne du demandeur et d’établir qu’il appartiendrait « certainement à l’éthnie Sahraouie », de sorte qu’il devrait en être conclu qu’il serait de nationalité marocaine. D’ailleurs, les autorités marocaines auraient été rendues attentives à cet élément.

Ce serait partant, à tort, que le demandeur estime qu’il n’y aurait aucune perspective de procéder à son éloignement du territoire luxembourgeois. Le seul fait que les autorités marocaines ne seraient pas en mesure de donner une date exacte en vue de l’identification du demandeur, ne permettrait pas de conclure que sa rétention ne serait plus justifiée à l’heure actuelle, alors que les recherches des autorités marocaines se poursuivraient au Maroc et que rien ne permettrait d’affirmer que lesdites autorités « laisse[raient] traîner le dossier ».

Le délégué du gouvernement ajoute que d’une manière générale, il appartiendrait au demandeur de fournir au ministre ses documents d’identité, afin d’accélérer ainsi son rapatriement. Or, il semblerait qu’il n’ait pas l’intention de collaborer en ce sens.

Le délégué du gouvernement conteste encore toute violation de l’article 3 CEDH, étant donné qu’un placement en rétention ne serait pas de nature à constituer un traitement inhumain au sens de la disposition de droit international précitée.

En conclusion, le représentant gouvernemental estime que la décision litigieuse n’aurait aucun caractère arbitraire, voire disproportionné.

Aux termes de l’article 120, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008, : « Afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement en application des articles 111, 116 à 118 (…), l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées. Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. (…) ».

En vertu de l’article 120, paragraphe (3), de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien. Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire. ».

L’article 120, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite notamment l’identification de l’intéressé, s’il ne dispose pas de documents d’identité, ensuite la mise à disposition de documents de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères notamment en vue de l’obtention d’un accord de reprise en charge de l’intéressé. Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.

En vertu de l’article 120, paragraphe (3), de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.

Une décision de prorogation d’un placement en rétention est partant en principe soumise à la réunion de quatre conditions, à savoir que les conditions ayant justifié la décision de rétention initiale soient encore données, que le dispositif de l’éloignement soit toujours en cours, que celui-ci soit toujours poursuivi avec la diligence requise et qu’il y ait des chances raisonnables de croire que l’éloignement en question puisse être « mené à bien ».

A titre liminaire, le tribunal précise qu’il ne saurait suivre l’argumentation du demandeur selon laquelle la mesure litigieuse serait à qualifier de systématique, dans la mesure où il se dégage du libellé de la décision déférée, ensemble les explications fournies par le délégué du gouvernement dans le cadre du présent recours, que le ministre a bien pris en compte sa situation individuelle, contrairement à ce que celui-ci semble suggérer, la mesure en question n’étant, en effet, pas motivée exclusivement par l’irrégularité de son séjour, mais aussi par les diligences entreprises par le ministre en vue de son identification et de ce que celles-ci n’avaient pas encore abouti.

Le tribunal relève ensuite qu’il est effectivement constant en cause que le demandeur est en situation irrégulière au Luxembourg, ce qui ressort, par ailleurs, de l’arrêté ministériel, précité, du 21 juillet 2016, et suivant lequel le demandeur s’est vu interdire l’entrée sur le territoire pour une durée de trois ans, entraînant le constat de son séjour irrégulier sur le territoire luxembourgeois, de sorte que l’existence, dans son chef, d’un risque de fuite est présumé, en vertu de l’article 111, paragraphe (3), c), point 1. de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel « (…) Le risque de fuite est présumé (…) si l’étranger ne remplit pas ou plus les conditions de l’article 34 (…) », étant précisé, à cet égard, que parmi les conditions posées par ledit article 34 de la loi du 29 août 2008, figure justement celle de ne pas être en possession d’un passeport en cours de validité et d’un visa en cours de validité si celui-ci est requis, tel que prévu au paragraphe (2), point 1. de la disposition légale en question.

Il s’ensuit que le ministre pouvait a priori valablement, sur base de l’article 120, paragraphe (1), précité, de la loi du 29 août 2008, placer le demandeur en rétention afin d’organiser son éloignement.

S’agissant ensuite de l’argumentation du demandeur selon laquelle la mesure litigieuse serait disproportionnée, sinon arbitraire, en ce que le ministre ne serait pas en mesure de l’éloigner du territoire luxembourgeois et que les diligences entreprises par lui en ce sens seraient insuffisantes, de sorte qu’il n’existerait aucune perspective d’éloignement dans les plus brefs délais, le tribunal relève que depuis la mesure initiale de placement du 20 janvier 2017, le ministre a contacté les autorités marocaines par courriers des 23 janvier, 8 février, 3, 17 et 31 mars 2017, en vue de l’identification du demandeur et afin de connaître l’état d’avancement de son dossier, étant relevé que le Consulat général du Royaume du Maroc à Liège a répondu en date du 24 janvier 2017, en soutenant que les recherches afférentes s’avéraient être plus difficiles du fait que le système automatique par empreintes digitales « AFIS », n’ont confirmé aucune concordance des empreintes digitales du demandeur avec les empreintes sauvegardées dans la base de données en question, de sorte qu’il y avait lieu de procéder à des recherches sur base des seules empreintes de l’intéressé, qui toutefois correspondraient à un nombre élevé de candidats, entraînant que la durée des recherches restait « indéterminée ». Il échet encore de relever que des démarches ont été accomplies par les services du ministre auprès de l’ambassade de Mauritanie en dates des 24 et 27 janvier 2017 et qu’une vidéo-conférence a pu être établie entre le demandeur et l’ambassade de Mauritanie en date du 30 janvier 2017, lors de laquelle il a pu être conclu que l’intéressé n’est pas d’origine mauritanienne, mais est originaire du Maroc, et ce, sur base de son « accent arabe ». Il ressort ainsi d’un courriel envoyé par l’ambassade de Mauritanie aux services du ministre en date du 1er février 2017, que le demandeur avait lui-même déclaré lors de ladite vidéo-conférence être « Sahraoui ». Il se dégage partant de ces informations obtenues par le ministre que contrairement aux déclarations effectuées antérieurement par le demandeur que celui-ci n’est pas d’origine mauritanienne, mais vraisemblablement d’origine marocaine, de sorte que les récentes relances adressées aux autorités marocaines restent pertinentes en vue de l’organisation de son éloignement.

Au regard des diligences ainsi accomplies à ce jour par le ministre, c’est à tort que le demandeur estime que celui-ci n’aurait pas accompli les démarches appropriées et nécessaires afin de procéder à son éloignement rapide du territoire luxembourgeois. Il s’ensuit que les contestations afférentes du demandeur sont partant à rejeter pour ne pas être fondées. Pour ces mêmes raisons, le tribunal n’entrevoit pas le moindre élément permettant de conclure que l’éloignement serait actuellement voué à l’échec.

Il échet encore de constater que le placement en rétention d’un étranger en situation irrégulière, tel que le demandeur, en vue d’organiser son éloignement, constitue une privation de liberté autorisée par l’article 5, paragraphe (1) f) de la CEDH, le demandeur n’ayant soumis aucun élément au tribunal de nature à contredire ce constat.1 Il se dégage de l’ensemble de ces développements que la mesure litigieuse ne saurait être qualifiée ni de disproportionnée, ni d’arbitraire, tel que le demandeur le soutient à tort.

Au vu de ce qui précède, le moyen relatif à une prétendue absence de diligences du ministre en vue d’organiser l’éloignement rapide du demandeur, ainsi que celui tiré d’une prétendue impossibilité de procéder à son éloignement sont dès lors à rejeter pour ne pas être fondés.

Il en est de même du moyen tiré de la violation de l’article 3 CEDH, relatif à la 1 voir trib. adm. 22 mars 1999, n° 11185 du rôle, Pas. adm. 2016, V° Droits de l’Homme et libertés fondamentales, n° 11 et les autres références y citées.

prohibition de la torture et des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, étant donné que le demandeur est resté en défaut de fournir le moindre élément concret qui permettrait de retenir que les conditions de sa rétention seraient telles qu’elles emporteraient une violation dudit article 3 CEDH, l’affirmation non autrement étayée selon laquelle son maintien au Centre de rétention serait arbitraire en lui enlevant ainsi sa liberté de circulation et en causant des traumatismes dans son chef, sans qu’il ne puisse comprendre l’acharnement des autorités luxembourgeoises à son égard, étant manifestement insuffisante à cet égard.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’en l’état actuel du dossier et compte tenu des moyens figurant dans la requête introductive d’instance, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité, ni le bien-fondé de la décision déférée.

Il s’ensuit que le recours sous analyse est à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours principal en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

Carlo Schockweiler, premier vice-président, Anne Gosset, premier juge, Olivier Poos, premier juge, et lu à l’audience publique du 7 avril 2017 par le premier vice-président, en présence du greffier Marc Warken.

s. Marc Warken s. Carlo Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 07/04/2017 Le Greffier du Tribunal administratif 9


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : 39329
Date de la décision : 07/04/2017

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2017-04-07;39329 ?

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