Tribunal administratif N° 37479 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 février 2016 2e chambre Audience publique du 30 mars 2017 Recours formé par Madame …, … contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 19, L.5.5.2006)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 37479 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 2 février 2016 par Maître Edévi Amegandji, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, déclarant être née le … à … (Togo) et être de nationalité togolaise, tendant, d’une part, à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 31 décembre 2015 refusant de faire droit à sa demande de protection internationale et, d’autre part, à l’annulation de la décision ministérielle du même jour portant ordre de quitter le territoire ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 18 février 2016 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Edévi Amegandji et Monsieur le délégué du gouvernement Yves Huberty en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 6 février 2017.
En date du 2 février 2015, Madame … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après désignée par « la loi du 5 mai 2006 ».
Les déclarations de Madame … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées dans un rapport de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, du 4 février 2015.
Le 19 février 2015, Madame … fut entendue par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement UE 604/2013 du Parlement et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et 1 mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, dit « règlement Dublin III ».
Les 3 septembre et 8 octobre 2015, elle fut entendue par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
Par décision du 31 décembre 2015, notifiée à l’intéressée par courrier recommandé envoyé le 6 janvier 2016, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », informa Madame … que sa demande de protection internationale avait été refusée comme non fondée. La décision, qui comporte encore un ordre de quitter le territoire dans un délai de trente jours à son égard, est libellée de la façon suivante :
« (…) J’ai l’honneur de me référer à votre demande en obtention d’une protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection que vous avez présentée auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères et européennes en date du 2 février 2015.
Quant à vos déclarations auprès du Service de Police Judiciaire En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 4 février 2015.
Il ressort dudit rapport que vous êtes connue : « par les services de police français pour Faux dans un document administratif à l’aéroport de Lyon St. Exupéry le 23 avril 2014. » Selon vos dires, vous auriez été incarcérée et maltraitée au Togo pendant quatre jours pour vous avoir prononcé contre le Président. Vous auriez quitté le Togo en date du 22 janvier 2015 en direction du Ghana, où vous seriez restée jusqu’au 26 janvier 2015. Vous auriez pris un avion en direction de la Suisse, où vous auriez pris un second vol pour gagner le Luxembourg.
Un ami aurait organisé vos documents et payé pour le voyage.
Vous présentez une carte d’identité togolaise.
Quant à vos déclarations auprès du Service des Réfugiés En mains le rapport d’entretien Dublin III du 19 février 2015 et le rapport d’entretien de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes des 3 septembre et 8 octobre 2015 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale.
Il résulte de vos déclarations que vous auriez vécu à Sokodé au Togo. Selon vos dires, vous n’auriez jamais été membre d’un parti politique. Or, en date du 15 décembre 2014, vous auriez participé à une manifestation organisée par les femmes du marché de Sokodé lors de laquelle les participantes auraient protesté contre le régime en place et auraient revendiqué un changement du régime. Lors de cette manifestation, vous auriez pris la parole et vous vous seriez prononcée contre le Président. Ce discours aurait été télévisé le jour-même.
2 Après trois jours, vous auriez été arrêtée par « trois personnes noires » (p. 5/13 du rapport d’entretien) qui auraient fait partie de l’armée ; toutefois, vous n’êtes pas sûre s’il s’agissait de soldats de l’armée On vous aurait conduit à Lomé II, un lieu dans lequel, selon vous, résideraient des soldats. Ces hommes vous auraient enfermée dans « un endroit clôturé » (p. 5/13) où vous auriez été maltraitée et questionnée pendant deux jours. Par la suite, vous auriez été libérée provisoirement mais vous auriez dû vivre auprès d’un des soldats. Après deux jours, vous auriez pu vous enfuir étant donné que le soldat aurait oublié de fermer la porte. Le même jour, le 22 décembre 2014, vous auriez quitté le Togo.
Vous dites avoir pris un taxi afin de vous rendre à Accra au Ghana. Vous seriez restée chez votre tante pendant un mois. Par chance, vous auriez rencontré un ancien amoureux à vous au marché à Accra auquel vous auriez confié votre vécu. Il se serait alors occupé de vos documents et du voyage. Vous auriez pris l’avion ensemble afin de vous rendre en Suisse, pour ensuite arriver au Luxembourg. Votre ami aurait cependant continué son chemin en direction des Pays-Bas.
Enfin, il ressort du rapport d’entretien des 3 septembre et 8 octobre 2015 qu’il n’y a plus d’autres faits à invoquer au sujet de votre demande de protection internationale et aux déclarations faites dans ce contexte.
Analyse ministérielle en matière de Protection internationale En application de la loi précitée du 5 mai 2006, votre demande de protection internationale est évaluée par rapport aux conditions d’obtention du statut de réfugié et de celles d’obtention du statut conféré par la protection subsidiaire.
Soulignons dans ce contexte que l’examen et l’évaluation de votre situation personnelle ne se limitent pas à la pertinence des faits allégués, mais qu’il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité de vos déclarations.
1. Quant à la Convention de Genève Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève de 1951 relative au statut des Réfugiés.
Rappelons à cet égard que l’octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 c) de la loi modifiée du 5 mai 2006, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 31(1) de la prédite loi, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l’article 28 de la loi susmentionnée.
Selon l’article 1A paragraphe 2 de ladite Convention, le terme de réfugié s’applique à toute personne qui craigne avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa 3 nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, qui se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels évènements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner.
La détermination de l’éligibilité à la protection internationale est menée en appliquant une approche en deux étapes. La première étape consiste à collecter les informations pertinentes, identifier les faits pertinents de la demande, et déterminer, le cas échéant, quelles déclarations du demandeur et quels autres éléments peuvent être acceptés. L’évaluation de la crédibilité fait donc partie intégrante de cette première étape. Les faits pertinents acceptés viennent appuyer l’examen qui sera effectué à la deuxième étape, qui consiste à déterminer le caractère fondé de la crainte de persécution de la part du demandeur, ou du risque de subir des atteintes graves.
En ce qui concerne l’évaluation de la crédibilité du demandeur, l’appréciation des déclarations du demandeur au regard des éléments pertinents de la demande constitue l’élément-clé permettant de déterminer si le demandeur a fait ou pourrait faire l’objet de persécutions ou d’atteintes graves dans son pays d’origine. Dans ce contexte, il y a lieu de souligner que: « it is not so much about whether an applicant’s account brings them under the terms of the Convention but more to do whether it is believable and whether it actually happened to them ».
L’évaluation de la crédibilité consiste donc à déterminer quels faits pertinents peuvent être acceptés, en prenant dûment en compte les indices de crédibilité au regard des circonstances individuelles et contextuelles du demandeur, ainsi que les facteurs pouvant affecter son interprétation des informations au cours de l’évaluation de la crédibilité de chaque fait pertinent. Ces faits acceptés seront alors pris en compte dans l’analyse du caractère fondé de la crainte de persécution et du risque réel d’atteintes graves.
En l’espèce, il ressort de votre dossier administratif que les raisons qui vous ont amenée à quitter votre pays d’origine pourraient à priori rentrer dans le champ d’application de ladite Convention, toutefois elles ne peuvent retenir dans votre chef l’existence d’une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève et de la loi modifiée du 5 mai 2006.
En effet, l’autorité ministérielle a été amenée à émettre de sérieux doutes quant à la crédibilité de votre récit, alors qu’il résulte de l’examen du rapport d’entretien et du rapport du Service de Police Judiciaire, que vos déclarations présentent de nombreuses incohérences.
Relevons en premier lieu qu’il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire que :
« L’intéressée est connu des services de police pour Faux dans un document administratif à l’aéroport de Lyon St. Exupéry le 23.04.2014. Elle ne dispose pas d’un titre de séjour, ou d’un visa, valables pour la France et n’est pas répertoriée en qualité de demandeur d’asile en France. ». Il existe donc une preuve que vous n’étiez plus au Togo et ceci depuis le 23 avril 2014 au moins. Par conséquent, votre récit selon lequel vous auriez été incarcérée et maltraitée suite à votre participation à une manifestation en décembre 2014 doit être rejetée. Il ne ressort pas de 4 vos dires que vous auriez été en France à un quelconque moment, voire que vous seriez retournée dans votre pays d’origine après avoir été en France.
En effet, lors de votre entretien Dublin III, vous avez déclaré ne jamais avoir été en Europe avant votre demande de protection internationale au Luxembourg et que vous auriez quitté le Togo qu’en date du 22 décembre 2014. Vous ne mentionnez ni de voyage en France, ni de retour au Togo avant cette date. Vos déclarations sont donc contradictoires aux informations fournies par les autorités françaises. Ainsi, l’intégralité de votre récit est formellement contestée.
Force est de constater que vous vous trouvez en Europe depuis le 23 avril 2014 pour le moins et que vous n’êtes pas retournée au Togo depuis.
A cela s’ajoute que votre récit n’est que très vague, vous vous bornez à décrire des généralités sans fournir le moindre détail et vous exposez des déclarations contradictoires. En effet, questionnée quant aux personnes qui vous auraient emprisonnée, vous dites simplement qu’elles auraient porté des tenues vertes. Questionnée sur votre lieu d’emprisonnement, vous expliquez avoir été incarcérée à Lomé II. Après avoir été demandée si vous auriez été incarcérée à l’intérieur ou à l’extérieur vous dites clairement : « Dedans. » (p. 5/13). Or, demandée à fournir des détails quant à la pièce dans laquelle vous auriez été incarcérée, vous dites soudainement : « Non, dehors. » (p. 5/13).
Notons par la suite que vous expliquez que le lieu de votre incarcération se serait trouvé à Lomé II, « à côté de l’ancien présidentiel » (p. 7/13). Force est cependant de constater que l’ancien palais présidentiel ne se trouve pas à Lomé II mais au quartier Kodjoviakopé. Il s’avère cependant que le nouveau palais présidentiel se trouve à Lomé II et qu’il soit possible qu’il ne se serait agi que d’une simple confusion de votre part. Confrontée à une photo dudit palais, vous dites que « C’est une mosquée » (p. 10/13). Il est donc surprenant qu’une femme qui déclare que : « Je suis Togolaise et je connais le Togo » (p. 7/13) ne sache pas reconnaître le Palais Présidentiel, bâtiment imposant qui se trouve dans le quartier dans lequel vous déclarez avoir été incarcérée. Dès lors, peu de crédit ne saurait être attribué à votre soi-disant incarcération.
Il y a finalement lieu de relever que: « There were no reports of politically motivated disappearances during the year. (…) There were no reports of torture or other cruel, inhuman, or degrading treatment or punishment by government officials. (…) The constitution and law prohibit arbitrary arrest and detention, and the government generally respected these prohibitions. (…) There were no reports persons were reluctant to criticize the government publicly or privately due to violent reprisals by government agents or the possibility of civil liability charges. (…) ». Le gouvernement togolais n’a donc pas procédé à des détentions d’ordre politique, et au vu de votre profil non-politique, il est peu convaincant que vous auriez été détenue et maltraitée par les forces de l’ordre pour avoir pris la parole lors de la manifestation en question. Quoi qu’il en soit, comme vous n’aviez pas été au Togo depuis avril 2014, il est exclu que vous auriez participé à cette manifestation en décembre 2014.
5 Ainsi, l’accumulation de toutes les contradictions et incohérences en altère la crédibilité de votre récit, de sorte que la totalité des faits que vous décrivez à l’appui de votre demande de protection internationale peut être mise en cause.
Au vu des développements faits en supra et au vu de la procédure de détermination de l’éligibilité à la protection internationale, il y a force de constater que la collecte des informations pertinentes à la deuxième étape en l’espèce a abouti au résultat que les motifs invoqués ne peuvent être acceptés. Le manque de crédibilité et les incohérences ne permettent pas d’établir de façon probante que vous ayez été victime d’un acte de persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève. Par conséquent, aucun fait pertinent quant aux motifs invoqués n’est retenu lors de l’examen à la deuxième étape vu que l’entièreté de votre prétendu vécu est sérieusement mise en doute et que tous les événements qui auraient eu lieu au Togo ne peuvent être retenus comme étant avérés. Il ne reste donc plus d’autres éléments qui puissent être pris en compte dans l’analyse du caractère fondé de la crainte de persécution et du risque réel d’atteintes graves.
En conclusion, au vu de ce qui précède, force est de constater que l’accumulation des incohérences et contradictions entachent la crédibilité de votre récit et ne nous permet pas d’établir de façon probante que vous ayez été victime d’un acte de persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.
Ainsi, les faits contradictoires que vous alléguez ne peuvent établir dans votre chef une crainte fondée d’être persécuté dans votre pays d’origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève ainsi que les articles 31 et 32 de la loi précitée du 5 mai 2006.
De tout ce qui précède, les conditions permettant l’octroi du statut de réfugié ne sont pas remplies.
2. Quant à la Protection subsidiaire L’octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 37 précité de la loi modifiée du 5 mai 2006, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c) de l’article 37 de ladite loi, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l’article 28 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.
En l’espèce, il ressort de votre dossier administratif que vous basez votre demande de protection subsidiaire sur les mêmes motifs que ceux exposés à la base de votre demande de reconnaissance du statut du réfugié. En effet, vous indiquez avoir été incarcérée et maltraitée au Togo pour vous avoir prononcé contre le Président.
6 Au vu de ce qui précède, il convient de conclure que votre récit ne contient pas de motifs sérieux et avérés permettant de croire que vous courez un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection. En effet, les faits invoqués à l’appui de votre demande, qui en outre n’emportent pas conviction, ne nous permettent pas d’établir que a) vous craignez de vous voir infliger la peine de mort ou de vous faire exécuter, b) vous risquez de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, c) vous êtes susceptible de faire l’objet de menaces graves et individuelles contre votre vie en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
De tout ce qui précède, les conditions permettant la reconnaissance du statut conféré par la protection subsidiaire ne sont pas remplies.
Votre demande en obtention d’une protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 19§1 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection.
Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l’obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination du Togo, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisée à séjourner. (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 2 février 2016, Madame … a fait introduire un recours tendant, d’une part, à la réformation de la décision du ministre du 31 décembre 2015 portant rejet de sa demande de protection internationale et, d’autre part, à l’annulation de la décision ministérielle du même jour portant ordre de quitter le territoire.
A titre liminaire, il y a lieu de relever que la loi du 5 mai 2006 a été abrogée par la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 », publiée au Mémorial A le 28 décembre 2015 et entrée en vigueur 3 jours francs après sa publication, soit le 1er janvier 2016, à défaut de disposition spéciale de mise en vigueur contraire.
Dans la mesure où, à travers l’article 83 de la loi du 18 décembre 2015, le législateur s’est limité à abroger purement et simplement la loi du 5 mai 2006 dans son intégralité, sans prévoir de mesures transitoires, se pose la question de la loi applicable au présent litige.
Quant à la recevabilité des recours introduits par Madame …, le tribunal relève que seule la loi en vigueur au jour où une décision critiquée a été prise est applicable pour apprécier la recevabilité d’un recours contentieux dirigé contre elle, étant donné que l’existence et le type d’une voie de recours sont des règles de fond du droit judiciaire, de sorte qu’en l’absence de mesures transitoires, les conditions dans lesquelles un recours contentieux peut être introduit devant une juridiction doivent être réglées suivant la loi sous l’empire de laquelle a été rendue la 7 décision attaquée1. Il s’ensuit que la recevabilité des recours sous examen devra être analysée conformément aux dispositions de la loi du 5 mai 2006.
Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de décisions de refus d’une demande de protection internationale, ainsi qu’un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, le tribunal est compétent pour connaître, d’une part, du recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 31 décembre 2015 portant rejet de la demande de protection internationale de Madame …, et, d’autre part, du recours en annulation introduit contre l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte, lesdits recours étant, par ailleurs, recevables pour avoir été introduits dans les formes et délai prévus par la loi du 5 mai 2006.
Quant à la loi applicable au fond du litige, il y a lieu de rappeler que, dans le cadre d’un recours en réformation, le juge administratif est amené à considérer les éléments de fait et de droit de la cause au moment où il statue, en tenant compte des changements intervenus depuis la décision litigieuse2, tandis que, dans le cadre d’un recours en annulation, la légalité d’une décision administrative s’apprécie en considération de la situation de droit et de fait au jour où elle a été prise3, de sorte que, d’une part, le tribunal est amené à appliquer la nomenclature de la loi du 18 décembre 2015 dans le cadre du recours en réformation introduit à l’encontre de la décision déférée portant refus d’un statut de protection internationale – étant relevé que le contenu des dispositions applicables à l’appréciation des conditions d’octroi d’un tel statut reste le même – et, d’autre part, la loi du 5 mai 2006 continue à s’appliquer pour l’analyse du bien-
fondé de l’ordre de quitter le territoire.
1. Quant au recours tendant à la réformation de la décision portant refus d’une protection internationale À l’appui de son recours, la demanderesse expose les faits et rétroactes gisant à la base de la décision déférée, en reprenant ses déclarations telles qu’actées lors de ses auditions par un agent du ministère en date des 3 septembre et 8 octobre 2015 et telles que résumées par le ministre dans la décision litigieuse, reproduite in extenso ci-avant.
En droit, elle soutient que ce serait à tort que le ministre aurait remis en cause la crédibilité de son récit, en faisant valoir, en substance, que le ministre n’aurait pas tenu compte des difficultés qu’elle aurait rencontrées pour s’exprimer en français, qui ne serait pas sa langue maternelle et qu’elle ne maîtriserait que de façon imparfaite, la demanderesse insistant, dans ce contexte, sur son faible niveau d’éducation, ainsi que sur le fait que l’agent ministériel en charge de son audition aurait refusé de faire droit à sa demande d’être assistée par un interprète, formulée au début de l’entretien. Ainsi, les imprécisions relevées par le ministre constitueraient, 1 Trib. adm., 5 mai 2010, n° 25919 du rôle, Pas. adm. 2016, V° Procédure contentieuse, n° 295 et l’autre référence y citée.
2 Trib. adm., 15 juillet 2004, n° 18353 du rôle, Pas. adm. 2016, V° Recours en reformation, n° 17 et l’autre référence y citée.
3 Trib. adm., 27 janvier 1997, n° 9724 du rôle, Pas. adm. 2016, V° Recours en annulation, n° 18 et les autres références y citées.
8 pour l’essentiel, des « (…) imperfections de syntaxe[…] et de compréhension, respectivement de conceptualisation de [son] vécu (…) ». Elle soutient encore qu’il aurait appartenu au ministre d’« (…) énoncer les [indices de crédibilité] en amont, pour ensuite vérifier s’il en existait dans le cas d’espèce (…) », tout en lui reprochant d’avoir effectué une analyse biaisée de ses dires.
Plus particulièrement, elle relève que l’argumentation du ministre selon laquelle ses déclarations relatives à son incarcération au Togo en décembre 2014 ne seraient pas crédibles, étant donné qu’elle serait connue des services de police français pour avoir été interpellée le 23 avril 2014 sans disposer d’un titre de séjour ou d’un visa en cours de validité, de sorte qu’elle ne se serait plus trouvée au Togo au moins depuis cette dernière date, constituerait un « (…) raccourci du raisonnement (…) » ne reposant pas sur des éléments de preuve suffisants. Dans ce contexte, elle remet en cause le « (…) bien-fondé (…) » de ces renseignements obtenus de la part des autorités françaises, au motif que le ministre aurait lui-même indiqué qu’elle ne serait répertoriée comme demandeur de protection internationale ni en France ni dans un autre Etat européen. Elle insiste sur le fait que l’entretien fait dans le cadre du règlement Dublin III aurait pour seul but de déterminer l’Etat membre responsable de l’examen de la demande de protection internationale de la personne concernée et qu’en l’espèce, il se dégagerait dudit entretien qu’elle n’aurait pas déposé de demande de protection internationale ailleurs qu’au Luxembourg. Elle conclut que les susdits renseignements obtenus de la part des autorités françaises seraient « (…) surabondant[s] (…) » et que le raisonnement du ministre reposerait sur des « (…) suppositions des plus ubuesques (…) », de sorte que ledit ministre aurait outrepassé ses pouvoirs et commis une erreur manifeste d’appréciation entachant la légalité de la décision déférée. Dans ce contexte, elle reproche encore au ministre de ne pas l’avoir confrontée à la contradiction qui existerait, selon lui, entre ses propres déclarations et les informations reçues de la part des autorités françaises, contradiction qu’elle affirme contester.
Quant aux contradictions relevées par le ministre en ce qui concerne ses déclarations relatives au lieu de sa détention, elle soutient que le ministre aurait mal interprété ses réponses aux questions lui posées. Ainsi, contrairement aux développements figurant dans la décision litigieuse, elle n’aurait pas affirmé avoir été détenue à l’intérieur d’un bâtiment, pour ensuite, après avoir été demandée de fournir des détails quant à la pièce dans laquelle elle aurait été incarcérée, affirmer soudainement avoir été détenue à l’extérieur. En effet, si, à la question de savoir si elle avait dormi à l’extérieur, elle aurait répondu « (…) dedans (…) », elle aurait précisé par la suite qu’elle aurait dormi « (…) dans la clôture sur le gazon (…) ».
En outre, la demanderesse conteste les développements du ministre selon lesquels l’ancien palais présidentiel ne se situerait pas à « Lomé II », tel qu’elle l’aurait affirmée, mais au quartier Kodjoviakopé, en soutenant que l’ancien palais présidentiel se situerait bel et bien à « Lomé II », tandis que le nouveau palais se trouverait, depuis 2010, au moins, à l’Avenue de la Marina. Ainsi, le palais présidentiel situé dans le quartier Kodjoviakopé serait un ancien palais de l’époque coloniale, qui aurait été remplacé par celui situé à « Lomé II », auquel aurait succédé l’actuel palais situé à l’Avenue de la Marina. Dans ces circonstances, ce serait logique qu’elle n’ait pas su reconnaître l’ancien palais de l’époque coloniale, étant donné qu’il ne s’agirait pas du palais auquel elle se serait référée.
Par ailleurs, elle soutient que l’argumentation du ministre selon laquelle le gouvernement 9 togolais n’aurait pas procédé à des détentions d’ordre politique en 2014, de sorte qu’au vu de son profil non-politique, il serait peu convaincant qu’elle aurait été détenue et maltraitée par les forces de l’ordre pour avoir pris la parole lors d’une manifestation, constituerait un raccourci erroné.
En citant un jugement du tribunal administratif du 2 juin 1997, inscrit sous le numéro 9787 du rôle, ainsi que les articles 2 d), 26 (3) et (5) et 31 (1) et (2) a) de la loi du 5 mai 2006, devenus les articles 2 f), 37 (3) et (5) et 42 (1) et (2) a) de la loi du 18 décembre 2015, elle soutient, en substance, qu’elle remplirait les conditions d’obtention du statut de réfugié, étant donné que sa crainte de subir des persécutions dans son pays d’origine serait justifiée, compte tenu du fait qu’elle y aurait d’ores et déjà fait l’objet de représailles pour avoir publiquement manifesté son hostilité au pouvoir en place. Elle craindrait, ainsi, avec raison d’être victime d’actes de violence physique et mentale de la part des autorités togolaises, la demanderesse se référant, à cet égard, à une « (…) traque systématique et récurrente des opposants au régime en place (…) ».
A l’appui de sa demande de protection subsidiaire, la demanderesse invoque, en substance, les mêmes motifs que ceux dont elle se prévaut à l’appui de sa demande tendant à l’obtention du statut de réfugié, en insistant sur le fait qu’il se dégagerait des faits présentés à l’appui de sa demande de protection internationale qu’il existerait des motifs sérieux et avérés de croire qu’en cas de retour dans son pays d’origine, elle subirait des atteintes graves, au sens de l’article 37 b) de la loi du 5 mai 2006, devenu l’article 48 (b) de la loi du 18 décembre 2015.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours.
Il y a lieu de relever qu’en vertu de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015, anciennement l’article 2 a) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de la même loi, reprenant, en substance, les termes de l’ancien article 2 d) de la loi du 5 mai 2006, comme « (…) tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…) », tandis que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » est définie par l’article 2 g) de la loi 18 décembre 2015, anciennement l’article 2 f) de la loi du 5 mai 2006, comme « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la 10 protection de ce pays ».
Force est au tribunal de constater que tant la notion de « réfugié », que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » impliquent nécessairement des persécutions ou des atteintes graves, ou à tout le moins un risque de persécution ou d’atteintes graves dans le pays d’origine.
Par ailleurs, l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015, anciennement l’article 31 de la loi du 5 mai 2006, dispose que « (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent:
a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales; ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). (…) ».
Quant aux atteintes graves, l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, anciennement l’article 37 de la loi du 5 mai 2006, les définit comme :
« a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Dans les deux hypothèses, les faits dénoncés doivent être perpétrés par un acteur de persécutions ou d’atteintes graves, au sens de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, anciennement l’article 28 de la loi du 5 mai 2006, lesquels peuvent être :
« (…) a) l’Etat;
b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci;
c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. ».
Aux termes de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015, anciennement l’article 29 de la loi du 5 mai 2006 : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:
11 a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.
(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. (…) ».
Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine. Cette dernière condition s’applique également au niveau de la demande de protection subsidiaire, conjuguée avec les exigences liées à la définition de l’atteinte grave reprises à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 et rappelées précédemment.
Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire.
Il y a encore lieu de préciser que le tribunal, statuant en tant que juge du fond en matière de demande de protection internationale, doit procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, tout en prenant en considération la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance. Cet examen ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.
Il se dégage à ce propos du libellé de la décision déférée que le ministre est arrivé à la conclusion que le récit de Madame … ne serait pas crédible dans son ensemble.
A cet égard, il y a lieu de rappeler que si, comme en l’espèce, des éléments de preuve manquent pour étayer les déclarations du demandeur de protection internationale, celui-ci doit bénéficier du doute en application de l’article 37 (5) de la loi du 18 décembre 2015, 12 anciennement l’article 26 (5) de la loi du 5 mai 2006, si, de manière générale, son récit peut être considéré comme crédible, s’il s’est réellement efforcé d’étayer sa demande, s’il a livré tous les éléments dont il disposait et si ses déclarations sont cohérentes et ne sont pas en contradiction avec l’information générale et spécifique disponible, le principe du bénéfice du doute étant, en droit des réfugiés, d’une très grande importance alors qu’il est souvent impossible pour les réfugiés d’apporter des preuves formelles à l’appui de leur demande de protection internationale et de leur crainte de persécution ou d’atteintes graves.4 A titre liminaire, le tribunal relève qu’il ne ressort pas du procès-verbal d’entretien de la demanderesse qu’elle aurait demandé l’assistance d’un interprète, qui lui aurait néanmoins été refusée, tel qu’affirmé dans la requête introductive d’instance. Au contraire, il se dégage dudit procès-verbal qu’elle a signé une « déclaration finale » certifiant qu’elle n’avait aucun problème de compréhension lors de son audition. Par ailleurs, le tribunal constate que l’entretien s’est déroulé en présence du litismandataire de la demanderesse, sans que ce dernier n’ait fait une quelconque remarque ou réserve quant à l’absence d’un interprète et à des problèmes de compréhension qui en auraient résulté, ledit litismandataire ayant répondu par la négative à la question de l’agent ministériel de savoir s’il entendait faire une quelconque observation.5 Dans ces circonstances, le tribunal retient que l’argumentation de la demanderesse ayant trait à un refus d’assistance d’un interprète et à des problèmes de compréhension qui en auraient découlé est à rejeter.
Le tribunal relève ensuite qu’il se dégage du rapport d’audition de la demanderesse que l’intéressée a déclaré que son lieu de détention se serait trouvé à côté de l’ancien palais présidentiel sis à « Lomé II ».6 Si les parties sont en désaccord quant à la question de savoir si le palais présidentiel situé à cet endroit est l’ancien ou le nouveau palais présidentiel, il n’en reste pas moins qu’il ressort sans équivoque de la décision ministérielle déférée que le palais que la demanderesse n’a pas su reconnaître sur la photo lui montrée par l’agent ministériel en charge de son entretien n’est pas celui situé dans le quartier Kodjoviakopé, tel qu’affirmé dans la requête introductive d’instance, mais bel et bien celui sis à « Lomé II ». Or, il est surprenant que la demanderesse ait situé son lieu de détention à côté du palais présidentiel sis à « Lomé II », sans cependant être en mesure de reconnaître ce bâtiment, qui, au vu de la photo figurant au dossier administratif, est néanmoins assez impressionnant, tant par son architecture que par ses dimensions.
En outre le tribunal constate, à l’instar du ministre, que la demanderesse a répondu de manière vague et évasive, voire confuse, aux questions lui posées au cours de son entretien. Par exemple, à la question de savoir ce qu’elle aurait fait pendant les deux jours de sa détention, elle a répondu : « (…) Non, je suis là-bas. Tu enlèves ton caleçon et tu urines (…) ».7 Invitée à être plus précise dans ses déclarations, elle a expliqué : « (…) Je suis là-bas, ils m’ont menotté les 4 Trib. adm. 16 avril 2008, n° 23855, Pas. adm. 2016, V° Etrangers, n° 116 et les autres références y citées.
5 Rapport d’audition des 3 septembre et 8 octobre 2015, p. 10.
6 Ibid., p. 7.
7 Ibid., p. 6.
13 pieds et les mains durant la nuit et le matin on a enlevé les menottes. Je n’ai fait que deux jours (…) ».8 Par ailleurs, et surtout, le tribunal relève qu’il se dégage du susdit procès-verbal de la police grand-ducale, service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, du 4 février 2014 qu’une recherche effectuée auprès du Centre de coopération policier et douanier a révélé ce qui suit : « (…) [l’]intéressée est connu des services de police [français] pour [f]aux dans un document administratif à l’aéroport de Lyon St. Exupéry le 23.04.2014. Elle ne dispose pas d’un titre de séjour, ou d’un visa, valables pour la France et n’est pas répertorié[e] en qualité de demandeur d’asile en France (…) ». A cet égard, le tribunal précise que contrairement à ce que soutient la demanderesse, le simple fait qu’elle ne soit répertoriée comme demandeur de protection internationale ni en France, ni dans un autre pays européen ne permet pas de remettre en cause les renseignements ainsi obtenus de la part des autorités françaises, étant donné qu’il est parfaitement concevable qu’elle se soit trouvée sur le territoire de l’Union européenne, sans introduire de demande de protection internationale avant celle déposée au Luxembourg. Le tribunal retient, dès lors, qu’il est établi que la demanderesse se trouvait en France le 23 avril 2014. Or, force est au tribunal de constater que dans sa requête introductive d’instance, la demanderesse s’est limitée, d’une part, à soutenir que la conclusion que le ministre a tiré de ce fait – à savoir celle selon laquelle elle aurait séjourné sur le territoire européen depuis lors, de sorte qu’elle n’aurait pas pu être incarcérée au Togo en décembre 2014 – constituerait un « (…) raccourci du raisonnement (…) » ne reposant pas sur des éléments de preuve suffisants et, d’autre part, à reprocher au ministre de ne pas l’avoir confrontée à cette contradiction, sans cependant fournir la moindre explication quant aux motifs et à la durée de son séjour sur le territoire européen en 2014 et, plus particulièrement, quant à la compatibilité de ce séjour avec ses déclarations relatives à son incarcération au Togo en décembre 2014, la demanderesse n’ayant même pas allégué avoir regagné le territoire togolais après avoir été interpellée en France en avril 2014. Le tribunal en déduit qu’il existe pour le moins de sérieux doutes quant à la présence de l’intéressée sur le territoire togolais au cours de la période pendant laquelle elle prétend y avoir été incarcérée.
Dans ces circonstances, le tribunal conclut que la crédibilité du récit de la demanderesse est ébranlée dans son ensemble et qu’elle ne saurait, dès lors, bénéficier ni du statut de réfugié, ni du statut conféré par la protection subsidiaire.
Par conséquent, le tribunal retient que c’est à bon droit que le ministre a rejeté la demande de protection internationale de Madame …, de sorte que le recours en réformation est à rejeter pour ne pas être fondé.
2) Quant au recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire A l’appui de ce volet de son recours, la demanderesse soutient que ce serait à tort que le ministre lui aurait ordonné de quitter le territoire, étant donné qu’un retour dans son pays d’origine aurait pour elle des « (…) conséquences graves (…) ».
8 Ibid..
14 Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours.
Aux termes de l’article 19 (1) de la loi du 5 mai 2006, « une décision négative du ministre vaut décision de retour (…) ». En vertu de l’article 2 r) de la loi du 5 mai 2006 la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ».
Dans la mesure où le tribunal vient de retenir que c’est à juste titre que le ministre a rejeté la demande de protection internationale de la demanderesse, il a valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire. Cette conclusion n’est pas énervée par la référence, faite par la demanderesse, aux « (…) conséquences graves (…) » qu’engendrerait, pour elle, un retour dans son pays d’origine, étant donné qu’elle est restée en défaut de préciser, d’une part, en quoi consisteraient ces « (…) conséquences graves (…) » et, d’autre part, de quelle manière ces dernières seraient de nature à affecter la légalité de la décision déférée, étant rappelé, dans ce contexte, qu’il n’appartient pas au tribunal de suppléer à la carence de la partie demanderesse et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de ses conclusions.
Il s’ensuit que le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 31 décembre 2015 portant refus d’une protection internationale ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
reçoit en la forme le recours en annulation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 31 décembre 2015 portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
condamne la demanderesse aux frais.
Ainsi jugé par :
Françoise Eberhard, vice-président, Daniel Weber, juge, Michèle Stoffel, juge, et lu à l’audience publique du 30 mars 2017 par le vice-président, en présence du greffier Xavier Drebenstedt.
15 s. Xavier Drebenstedt s. Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 31 mars 2017 Le greffier du tribunal administratif 16