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28/03/2017 | LUXEMBOURG | N°39098,39099

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 28 mars 2017, 39098,39099


Tribunal administratif Nos 39098 et 39099 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrits le 15 février 2017 3e chambre Audience publique du 28 mars 2017 Recours formés par Madame … et Monsieur … et consorts, …, contre des décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 28 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

I.

Vu la requête inscrite sous le numéro 39098 du rôle et déposée le 15 février 2017 au greffe du tribunal administrat

if par Maître Laura URBANY, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxem...

Tribunal administratif Nos 39098 et 39099 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrits le 15 février 2017 3e chambre Audience publique du 28 mars 2017 Recours formés par Madame … et Monsieur … et consorts, …, contre des décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 28 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

I.

Vu la requête inscrite sous le numéro 39098 du rôle et déposée le 15 février 2017 au greffe du tribunal administratif par Maître Laura URBANY, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à … (Ukraine), agissant tant en son nom personnel qu’au nom et pour compte de ses enfants mineurs …, née le … à … (Ukraine), et …, née le … à …, toutes de nationalité ukrainienne, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant principalement à la réformation, sinon subsidiairement à l’annulation d’une décision de refus implicite du 29 décembre 2016 du ministre de l’Immigration et de l’Asile refusant « l’application de l’article 10 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride », ainsi que d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 27 janvier 2017 de les transférer vers la Pologne comme étant l’Etat membre responsable pour connaître de sa demande de protection internationale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 16 mars 2017 ;

II.

Vu la requête inscrite sous le numéro 39099 du rôle et déposée le 15 février 2017 au greffe du tribunal administratif par Maître Laura URBANY, préqualifiée, au nom de Monsieur …, né le … à …, de nationalité ukrainienne, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à la réformation, sinon subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 26 janvier 2017 de le transférer vers la Pologne comme étant l’Etat membre responsable pour connaître de sa demande de protection internationale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 16 mars 2017 ;

I. & II.

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Laura URBANY et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 22 mars 2017.

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Le 26 août 2016, Monsieur …, introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une demande en obtention d’une protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Monsieur … fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 30 août 2016, Madame …, accompagnée de ses filles … et …, introduisit également auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes une demande en obtention d’une protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015.

Madame … fut entendue le même jour par un agent du service de police judiciaire, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg, lequel constata encore qu’elle disposa un visa délivré par les autorités polonaises valable du 19 août 2016 au 9 septembre 2016.

Le 27 septembre 2016, Madame … fut entendue par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».

Par un courrier du 29 septembre 2016, Madame …, demanda encore, par l’intermédiaire de son mandataire, de bénéficier des dispositions de l’article 10 du règlement Dublin III « pour éviter tout litige au sujet de l’Etat membre compétent pour sa demande de protection internationale ».

Les autorités luxembourgeoises contactèrent les autorités polonaises en date du 11 octobre 2016 en vue de la reprise en charge de Madame … et de ses enfants conformément à l’article 12, paragraphe (4) du règlement Dublin III.

En date du même jour, les autorités luxembourgeoises contactèrent encore les autorités polonaises en vue de la reprise en charge de Monsieur … conformément à l’article 11, point a) du règlement Dublin III.

Par deux courriers du 21 novembre 2016, les autorités polonaises acceptèrent la reprise en charge de Madame … et de ses enfants conformément aux dispositions de l’article 12, paragraphe (2) du règlement Dublin III ainsi que de Monsieur … conformément aux dispositions de l’article 11, point a) du même règlement.

Par une décision du 26 janvier 2017, envoyée par lettre recommandée à l’intéressé en date du 30 janvier 2017, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après dénommé le « ministre », sur base de la considération que les autorités polonaises ont accepté de reprendre en charge l’examen de sa demande de protection internationale, informa Monsieur … de sa décision de le transférer dans les meilleurs délais vers la Pologne sur base de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, et de l’article 11, point a) du règlement Dublin III.

Par une décision du 27 janvier 2017, envoyée par lettre recommandée à l’intéressée en date du 30 janvier 2017, le ministre, sur base de la considération que Madame … serait titulaire d’un visa polonais valable du 19 août 2016 au 9 septembre 2016 et que les autorités polonaises auraient accepté de reprendre en charge l’examen de sa demande de protection internationale, informa cette dernière de sa décision de la transférer dans les meilleurs délais vers la Pologne sur base de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, et de l’article 12, paragraphe (2) du règlement Dublin III.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 15 février 2017, inscrite sous le numéro 39098 du rôle, Madame …, accompagnée de ses enfants … et …, a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation, sinon subsidiairement à l’annulation de la décision de refus implicite du 29 décembre 2016 du ministre lui refusant l’application de l’article 10 du règlement Dublin III, ainsi que de la décision du ministre du 27 janvier 2017 de les transférer vers la Pologne comme étant l’Etat membre responsable pour connaître de sa demande de protection internationale.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le même jour, inscrite sous le numéro 39099 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation, sinon subsidiairement à l’annulation de la décision du ministre du 26 janvier 2017 de le transférer vers la Pologne comme étant l’Etat membre responsable pour connaître de sa demande de protection internationale.

Il convient, tout d’abord, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, de joindre les deux recours précités pour les toiser par un seul et même jugement, alors que les décisions attaquées visent une seule et même famille, à savoir Monsieur …, son épouse Madame … et leurs deux enfants communs … et …, ci-après désignés par « les consorts … » et a pour objet leur transfert en Pologne.

Le délégué du gouvernement soulève l’irrecevabilité du recours en ce qu’il est dirigé contre la décision de refus implicite du 29 décembre 2016 du ministre refusant l’application de l’article 10 du règlement Dublin III, une telle décision n’existerait pas et aucune disposition légale ne permettra aux demandeurs de protection internationale de faire une demande en obtention de l’accord de la compétence d’un Etat membre pour le traitement de sa demande.

Force est de constater qu’en l’espèce, Madame … a, par courrier de son mandataire du 29 septembre 2016, demandé de bénéficier des dispositions de l’article 10 du règlement Dublin III, selon lesquelles : « […] cet État membre est responsable de l’examen de la demande de protection internationale, à condition que les intéressés en aient exprimé le souhait par écrit. ». Dans la mesure où cet article ne contient aucune définition de ce qu’il y a lieu d’entendre par « écrit », il y a lieu d’admettre que tout type d’écrit clairement libellé est susceptible d’être visé par ladite notion, de sorte que le courrier du 29 septembre 2016 est à considérer comme constituant l’écrit ainsi visé par ledit article1.

Or, contrairement à l’allégation des demandeurs, une telle demande n’est pas susceptible créer, par le silence gardé par l’administration pendant plus de trois mois, une décision implicite de refus. Une telle décision est, le cas échéant, susceptible de faire partie intégrante d’une décision d’irrecevabilité ou de transfert prises en application de l’article 28 de la loi du 18 décembre 2015. Ainsi, par sa décision du 27 janvier 2017 de transférer Madame … vers la Pologne en raison du fait qu’elle serait titulaire d’un visa polonais valable du 19 août 2016 au 9 septembre 2016, et en application de l’article 12, paragraphe (2) du règlement Dublin III, le ministre a également décidé de refuser l’application de l’article 10 du même règlement à la situation de Madame …. Le recours dirigé contre la décision de refus implicite du ministre du 29 décembre 2016 est dès lors à déclarer irrecevable.

Concernant les recours dirigés contre les décisions ministérielles des 26 et 27 janvier 2017, il échet de retenir que l’article 35, paragraphe (3) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en annulation contre les décisions visées à l’article 28, paragraphe (1) de la même loi, de sorte que tribunal administratif est incompétent pour connaître des recours principaux en réformation. En revanche, les recours subsidiaires en annulation sont recevables pour avoir été introduits dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de leurs recours, les consorts …, après avoir exposé les faits et rétroactes à la base des décisions déférées, font valoir que le ministre aurait fait abstraction de l’article 10 du règlement Dublin III, lequel s’appliquerait à la situation de Madame …. Plus précisément, ils estiment que : « le demandeur [Madame …] aurait au moment du dépôt de sa demande de protection internationale dans un Etat membre, un membre de famille [Monsieur …] dont la demande de protection internationale présentée dans cet Etat membre [Grand-Duché de Luxembourg] n’a pas encore fait l’objet d’une première décision sur le fond. ». Ils estiment que, comme l’Etat membre responsable de la demande de protection internationale de Monsieur … serait le Luxembourg et que Madame … aurait exprimé son souhait de bénéficier de l’article 10 du règlement Dublin III par écrit, l’Etat membre responsable de l’examen de leurs demandes de protection internationale serait le Luxembourg, de sorte que la décision de les transférer vers la Pologne devrait encourir l’annulation.

Les consorts … font ensuite valoir que l’article 11 du règlement Dublin III, tel qu’appliqué par le ministre à la situation de Monsieur … ne serait pas applicable en l’espèce, étant donné que l’application des critères énoncés dans le règlement Dublin III ne conduirait pas à les séparer, condition pourtant nécessaire pour l’application dudit article. Ils estiment à cet égard que, d’un côté, l’Etat membre responsable de la demande de protection internationale de Monsieur … serait le Luxembourg en vertu des dispositions de l’article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III et que, de l’autre côté, l’Etat membre responsable de la demande de protection internationale de Madame … serait, en vertu de l’article 10 du même règlement, également le Luxembourg, de sorte que l’application des dispositions du règlement Dublin III n’aurait pas conduit à leur séparation et que les décisions déférées devraient dès lors être annulées.

Le délégué du gouvernement, pour sa part, fait valoir, en s’appuyant sur le règlement d’exécution (UE) n °118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014 modifiant le règlement (CE) n °1560/2003 portant modalités d’application du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des États membres par un 1 Voir en ce sens, trib. adm., 20 janvier 2017, n° 38741 du rôle, disponible sur www.ja.etat.lu ressortissant d’un pays tiers, ci-après désigné par « le règlement d’exécution du 30 janvier 2014 », ainsi que sur un ouvrage sur le règlement Dublin III, que l’article 10 du règlement Dublin III ne s’appliquerait pas à la situation des demandeurs, étant donné qu’il viserait le cas des familles dont les membres auraient présenté des demandes de protection internationale dans différents Etats membres, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce.

La partie étatique souligne ensuite que les demandeurs auraient déposé, à des dates suffisamment rapprochées, des demandes de protection internationale au Luxembourg et que l’application des critères de détermination de l’Etat membre responsable pour le traitement de leurs demandes de protection international aurait conduit à séparer la famille, étant donné qu’en application de l’article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III, le Luxembourg serait compétent pour le traitement de la demande de protection internationale de Monsieur …, et qu’en application de l’article 12, paragraphes (2) et (4), la Pologne serait compétente pour connaître de la demande de protection internationale de Madame … et des enfants. Afin de maintenir l’unité familiale, et en application de l’article 11 point a) dudit règlement, la responsabilité reviendrait finalement à la Pologne, laquelle aurait d’ailleurs accepté la prise en charge des demandeurs, de sorte que le recours serait à déclarer non fondé.

L’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que : « Si, en application du règlement (UE) n°604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».

Aux termes de l’article 18, paragraphe (1) du règlement Dublin III : « L’Etat membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : […] d) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d’un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre Etat membre. ».

Il s’ensuit que si, en vertu du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide, d’un côté, de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable et, de l’autre côté, de ne pas examiner sa demande de protection internationale introduite au Luxembourg.

Le tribunal constate de prime abord qu’en l’espèce, les décisions ministérielles déférées sont motivées par le fait que les autorités polonaises ont accepté de reprendre en charge l’examen de leurs demandes de protection internationale, de sorte que c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé de transférer les demandeurs vers la Pologne et de ne pas examiner leurs demandes de protection internationale.

Force est ensuite de relever que les demandeurs n’invoquent pas l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs en Pologne au sens de l’article 3, paragraphe (2), 2e alinéa du règlement Dublin III, mais qu’ils contestent exclusivement la compétence de principe de l’Etat polonais et invoquent l’application erronée des critères de détermination de l’Etat membre responsable de leur demande de protection internationale par les autorités luxembourgeoises, telles que prévues par le chapitre III dudit règlement.

Or, afin de garantir aux intéressés un recours effectif contre les décisions de transfert en vertu de l’article 27, paragraphe (1) du règlement Dublin III, ces derniers sont en droit de mettre en cause les critères d’application prévus au chapitre III dudit règlement sur lesquels les décisions de transfert sont basées, et le tribunal est appelé à procéder au contrôle de l’application correcte desdits critères par les autorités luxembourgeoises2.

L’article 3, paragraphe (1) du règlement Dublin III dispose que « […] La demande est examinée par un seul Etat membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable ».

Le chapitre III dudit règlement, intitulé « Critères de détermination de l’Etat membre responsable » prévoit dans son article 7, intitulé « Hiérarchie des critères » que les critères de détermination de l’État membre responsable s’appliquent dans l’ordre dans lequel ils sont présentés dans ledit chapitre.

L’article 9 du règlement Dublin III, intitulé « Membres de la famille bénéficiaires d’une protection internationale » dispose que : « Si un membre de la famille du demandeur, que la famille ait été ou non préalablement formée dans le pays d’origine, a été admis à résider en tant que bénéficiaire d’une protection internationale dans un État membre, cet État membre est responsable de l’examen de la demande de protection internationale, à condition que les intéressés en aient exprimé le souhait par écrit. » L’article 10 du règlement Dublin III, intitulé « Membres de la famille demandeurs d’une protection internationale » dispose que : « Si le demandeur a, dans un État membre, un membre de sa famille dont la demande de protection internationale présentée dans cet État membre n’a pas encore fait l’objet d’une première décision sur le fond, cet État membre est responsable de l’examen de la demande de protection internationale, à condition que les intéressés en aient exprimé le souhait par écrit. ».

L’article 11 du même règlement, intitulé « Procédure familiale » prévoit que :

« Lorsque plusieurs membres d’une famille et/ou des frères ou sœurs mineurs non mariés introduisent une demande de protection internationale dans un même État membre simultanément, ou à des dates suffisamment rapprochées pour que les procédures de détermination de l’État membre responsable puissent être conduites conjointement, et que l’application des critères énoncés dans le présent règlement conduirait à les séparer, la détermination de l’État membre responsable se fonde sur les dispositions suivantes:

a) est responsable de l’examen des demandes de protection internationale de l’ensemble des membres de la famille et/ou des frères et sœurs mineurs non mariés, l’État membre que les critères désignent comme responsable de la prise en charge du plus grand nombre d’entre eux ; […] ».

En l’espèce, les parties sont essentiellement en désaccord sur la question de savoir si l’article 10 du règlement Dublin III est susceptible de s’appliquer au cas des demandeurs, de sorte qu’il incombe au tribunal de toiser cette question en premier lieu.

A cet égard, le tribunal ne partage pas les conclusions de la partie étatique, selon lesquelles l’article 10 du règlement Dublin III, précité, s’appliquerait uniquement à des familles dont les membres ont déposé leurs demandes de protection internationale respectives 2 Trib. adm., 21 décembre 2016, n° 38699 du rôle, disponible sur www.ja.etat.lu dans différents Etat membres, étant donné que l’article en question, faisant référence au terme général de « un Etat membre » sans aucune restriction, vise nécessairement tous les Etats membres, y inclus l’Etat membre, tenu de procéder à la détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale, de sorte qu’il est susceptible de s’appliquer à une situation dans laquelle un demandeur de protection internationale a déposé sa demande dans le même Etat membre qu’auparavant un membre de sa famille. Une telle approche se conforme avec l’objectif du règlement Dublin III, lequel consiste à promouvoir l’unité familiale et à traiter les demandes de protection internationale des différentes membres d’une famille conjointement par le même Etat membre3.

Cette constatation n’est pas énervée par la référence de la partie étatique au règlement d’exécution du 30 janvier 2014, lequel prévoit dans l’énumération des différents éléments de preuve admissibles afin de déterminer si un Etat membres est responsable sur base de l’article 10 du règlement Dublin III « la confirmation écrite des informations par l’autre Etat membre », et à un ouvrage portant sur le règlement Dublin III4, étant donné que l’article 10 du règlement Dublin III s’applique également à des cas dans lesquelles le demandeur d’une protection internationale a introduit sa demande dans un autre Etat membre que les membres de sa famille.

Nonobstant ce qui précède, il y a toutefois lieu de retenir que c’est à bon droit que le ministre n’a pas appliqué l’article 10 du règlement Dublin III, cet article n’est, contrairement aux affirmations des demandeurs, pas applicable à leur cas. En effet, il se dégage de la lecture combinée des articles 9, 10 et 11 du règlement Dublin III, articles consacrant, ensemble avec l’article 8 sur la minorité, le principe de l’unité familiale, que l’Etat membre responsable se détermine en fonction de l’état d’avancement de la procédure d’examen de la demande de protection internationale de la personne de référence, c’est-à-dire du membre de la famille, ayant déposé sa demande en premier dans un Etat membre.

Plus précisément, l’article 9 du règlement Dublin III vise le cas dans lequel une personne bénéficie d’une protection internationale dans un Etat membre au moment de l’introduction d’une demande de protection internationale par un membre de sa famille, tandis que l’article 10 du même règlement vise le cas dans lequel la demande de protection internationale d’une personne a dépassé le stade de la détermination de la compétence au sens du règlement Dublin III et est en cours d’examen au fond au moment de l’introduction d’une demande de protection internationale par un membre de sa famille et l’article 11 dudit règlement consacre la situation dans laquelle la procédure de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen de la demande de protection internationale d’une personne est en cours au moment de l’introduction d’une demande de protection internationale par un membre de sa famille. L’article 10 du règlement Dublin III, en ce qu’il limite son application à la condition que la demande de protection internationale d’une personne « n’a pas encore fait l’objet d’une première décision sur le fond » vise donc impérativement, et sous peine de vider l’article 11 du même règlement de toute portée, la phase de l’examen de la demande de protection internationale de cette personne, après que l’Etat membre s’est d’ores et déjà déclaré responsable pour en connaître, et est en train d’analyser cette demande quant à son bien-fondé au moment de l’introduction d’une demande de protection internationale par un membre de la famille de cette personne.

En vertu de ce qui précède, et étant donné qu’au moment de l’introduction de la 3 Considérants (15), (16), et (17) du règlement Dublin III.

4 Filzwieser/Sprung, « Dublin III-Verordnung, Das Europäische Asylzuständigkeitssystem » Wien/Graz 2014, p.

129-132.

demande de protection internationale de Madame …, trois jours après l’introduction de la demande de protection internationale de Monsieur …, la procédure de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen de la demande de ce dernier n’était pas encore achevé et qu’aucune démarche concernant le fond de sa demande n’avait encore été entreprise, il y a lieu de retenir que c’est à bon droit que le ministre n’a pas fait application de l’article 10 du règlement Dublin III, malgré la demande afférente de Madame …, de sorte que le moyen est à rejeter pour ne pas être fondé.

En ce qui concerne ensuite la question de savoir si le ministre a, à juste titre, fait application de l’article 11 du règlement Dublin III, c’est-à-dire si l’application des critères énoncés au règlement Dublin III aurait conduit à séparer la famille, l’article 3, paragraphe (2) du même règlement dispose que : « Lorsque aucun Etat membre responsable ne peut être désigné sur base des critères énumérés dans le présent règlement, le premier Etat membre auprès duquel la demande protection internationale a été introduite est responsable de l’examen ».

L’article 12 dudit règlement, intitulé « Délivrance de titres de séjour ou de visas » dispose que : « (1) Si le demandeur est titulaire d’un titre de séjour en cours de validité, l’État membre qui l’a délivré est responsable de l’examen de la demande de protection internationale. (2) Si le demandeur est titulaire d’un visa en cours de validité, l’État membre qui l’a délivré est responsable de l’examen de la demande de protection internationale, sauf si ce visa a été délivré au nom d’un autre État membre en vertu d’un accord de représentation prévu à l’article 8 du règlement (CE) no 810/2009 du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 établissant un code communautaire des visas. Dans ce cas, l’État membre représenté est responsable de l’examen de la demande de protection internationale. […] (4) Si le demandeur est seulement titulaire d’un ou de plusieurs titres de séjour périmés depuis moins de deux ans ou d’un ou de plusieurs visas périmés depuis moins de six mois lui ayant effectivement permis d’entrer sur le territoire d’un État membre, les paragraphes 1, 2 et 3 sont applicables aussi longtemps que le demandeur n’a pas quitté le territoire des États membres. […] ».

En l’espèce, les parties sont unanimes pour dire qu’en application de l’article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III, le Luxembourg aurait été responsable pour examiner la demande de protection internationale de Monsieur …. Il ressort ensuite des éléments soumis à l’appréciation du tribunal que Madame … et les deux filles étaient, au moment de la décision déférée, c’est-à-dire en date du 27 janvier 2017, titulaires d’un visa polonais périmé depuis moins de six mois et qu’elles n’ont pas quitté le territoire des Etats membres, de sorte que la Pologne aurait été responsable pour l’examen de la demande de protection internationale de Madame … et de ses filles.

Par conséquent, l’application des critères énoncés au règlement Dublin III aurait conduit à séparer la famille, de sorte que c’est à bon droit que le ministre a fait application de l’article 11, point a) dudit règlement, en retenant que la Pologne est l’Etat membre responsable de l’examen des demandes de protection internationale des consorts … comme étant l’Etat membre que les critères désignent comme responsable de la prise en charge du plus grand nombre d’entre eux.

Dans la mesure où aucun autre moyen n’a été soulevé en cause, il y a lieu de rejeter le recours sous examen comme n’étant pas fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;

prononce la jonction des rôles nos 39098 et 39099 ;

déclare le recours formé contre la décision de refus implicite du 29 décembre 2016 du ministre de l’Immigration et de l’Asile refusant « l’application de l’article 10 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride » irrecevable ;

se déclare incompétent pour connaître des recours principaux en réformation dirigés contre les décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile des 26 et 27 janvier 2017 ;

reçoit les recours subsidiaires en annulation dirigés contre les décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile des 26 et 27 janvier 2017 en la forme ;

quant au fond, les déclare non fondés, partant en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 28 mars 2017 par :

Thessy Kuborn, vice-président, Paul Nourissier, premier juge, Géraldine Anelli, juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 28 mars 2017 Le greffier du tribunal administratif 9


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 39098,39099
Date de la décision : 28/03/2017

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2017-03-28;39098.39099 ?

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