Tribunal administratif N° 37536 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 février 2016 2e chambre Audience publique du 27 mars 2017 Recours formé par Madame …., ….
contre une « décision » du gouvernement en conseil, contre une décision du Fonds pour le développement du logement et de l’habitat et contre l’arrêté grand-ducal du 16 décembre 2015 concernant la constitution d’une zone de réserves foncières à …., en matière d’acte administratif à caractère réglementaire
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 37536 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 18 février 2016 par Maître Georges Krieger, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …., demeurant à L-…., tendant à l’annulation (1) d’une « décision » du gouvernement en conseil du 8 mai 2015 portant adoption d’un projet d’arrêté grand-ducal concernant la constitution d’une zone de réserves foncières à …. ;
(2) de l’arrêté grand-ducal du 16 décembre 2015 concernant la constitution d’une zone de réserves foncières à …., (3) d’une déclaration de zone de réserves foncières, faite le 16 septembre 2014 par le Fonds pour le développement du logement et de l’habitat, concernant des fonds sis à …. ;
Vu l’exploit de l’huissier de justice suppléant Laura Geiger, en remplacement de l’huissier de justice Carlos Calvo, les deux demeurant à Luxembourg, du 22 février 2016 portant signification de cette requête à l’administration communale d’…., représentée par son collège des bourgmestre et échevins actuellement en fonctions, ayant sa maison communale à L-…., et à l’établissement public Fonds pour le développement du logement et de l’habitat, représenté par le président de son comité-directeur actuellement en fonctions, établi et ayant son siège à L-2155 Luxembourg, 74, Mühlenweg ;
Vu la constitution d’avocat déposée au greffe du tribunal administratif en date du 7 avril 2016 par Maître Steve Helminger, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de l’administration communale d’…. ;
1Vu la constitution d’avocat déposée au greffe du tribunal administratif en date du 8 avril 2016 par la société anonyme AMMC Law S.A., inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, représentée par Maître Christophe Maillard, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom du Fonds pour le développement du logement et de l’habitat ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 13 mai 2016 ;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 18 mai 2016 par Maître Steve Helminger, préqualifié, pour le compte de l’administration communale …., lequel mémoire a été notifié le même jour par acte d’avocat à avocat aux litismandataires de la demanderesse et du Fonds pour le développement du logement et de l’habitat ;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 23 mai 2016 par la société anonyme AMMC Law S.A., préqualifiée, pour le compte du Fonds pour le développement du logement et de l’habitat, lequel mémoire a été le 20 mai 2016 par acte d’avocat à avocat aux litismandataires de la demandereresse et de l’administration communale …. ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 16 juin 2016 par Maître Georges Krieger, préqualifié, pour le compte de la demanderesse, lequel mémoire a été notifié le même jour par acte d’avocat à avocat aux litismandataires de l’administration communale …. et du Fonds pour le développement du logement et de l’habitat ;
Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 14 septembre 2016 ;
Vu le mémoire en duplique déposé le 15 septembre 2016 au greffe du tribunal administratif par la société anonyme AMMC Law S.A., préqualifiée, pour le compte du Fonds pour le développement du logement et de l’habitat, lequel mémoire a été notifié le même jour par acte d’avocat à avocat aux litismandataires de la demanderesse et de l’administration communale …. ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les actes attaqués ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Sébastien Couvreur, en remplacement de Maître Georges Krieger, Maître Steve Helminger, Maître Emmanuelle Priser, en remplacement de Maître Christophe Maillard, et Monsieur le délégué du gouvernement Yves Huberty en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 16 janvier 2017.
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Le 16 septembre 2014, le Fonds pour le développement du logement et de l’habitat, ci-
après désigné par « le Fonds », déclara zone de réserves foncières un ensemble de terrains sis à …., au quartier dit « …. », inscrits au cadastre de la commune d’…., à la section A …., sur 2base des articles 97 à 102 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain, ci-après désignée par « la loi du 19 juillet 2004 ».
Par courrier recommandé de son litismandataire du 28 octobre 2014, Madame …., déclarant agir en sa qualité de co-indivisaire à raison de 9/16ièmes de la parcelle inscrite au cadastre de la commune d’…., section A …., sous le numéro …., ci-après désignée par « la parcelle n° …. », fit introduire auprès du président du comité-directeur du Fonds une réclamation à l’encontre du susdit projet de constitution d’une zone de réserves foncières.
Lors de sa séance du 8 mai 2015, le gouvernement en conseil adopta « (…) le projet d’arrêté grand-ducal concernant la constitution d’une zone de réserves foncières à ….
(quartier « …. ») par le Fonds (…) ».
Le 1er décembre 2015, le Conseil d’Etat avisa ledit projet d’arrêté grand-ducal.
La constitution de ladite zone de réserves foncières fut approuvée et déclarée d’utilité publique par l’arrêté grand-ducal du 16 décembre 2015 concernant la constitution d’une zone de réserves foncières à …., ci-après désigné par « l’arrêté grand-ducal du 16 décembre 2015 », ledit arrêté étant libellé comme suit :
« (…) Art. 1er. La constitution par le Fonds pour le développement du logement et de l’habitat, dénommé ci-après le «Fonds», d’une zone de réserves foncières au lieu-dit «in den ….n», est approuvée et déclarée d’utilité publique.
Art. 2. Cette zone de réserves foncières comprend les parcelles de terrains inscrites au cadastre, section A de …, sous les numéros ……………………………………, …..
Art. 3. Le Fonds est autorisé à poursuivre l’acquisition ou l’expropriation des terrains visés à l’article 2.
Pour autant que de besoin, les mêmes parcelles seront expropriées conformément au titre III de la loi modifiée du 16 août 1967 ayant pour objet la création d’une grande voirie de communication et d’un fonds des routes. Les mesures préparatoires relatives à l’expropriation ont été régulièrement accomplies.
Art. 4. La prise de possession des parcelles sera réalisée endéans un délai de cinq ans par le Fonds. (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 18 février 2016, Madame ….
a fait introduire un recours tendant à l’annulation (i) de la « décision » du gouvernement en conseil du 8 mai 2015 portant adoption du projet d’arrêté grand-ducal concernant la constitution de la susdite zone de réserves foncières à …., (ii) de l’arrêté grand-ducal du 16 décembre 2015 et (iii) de la déclaration de zone de réserves foncières, faite le 16 septembre 2014 par le Fonds.
Force est au tribunal de constater que les actes déférés ont pour objet la soumission de l’ensemble des parcelles concernées au régime juridique de la zone de réserves foncières, tel 3que prévu par les articles 97 et suivants de la loi du 19 juillet 2004, quels qu’en soient les propriétaires. En revêtant ainsi un caractère général et impersonnel, ces actes sont de nature règlementaire.1 Il s’ensuit qu’en application de l’article 7 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, un recours en annulation a, a priori, valablement pu être introduit à l’encontre des actes en question.
Le délégué du gouvernement soulève l’irrecevabilité du recours en ce qu’il vise la susdite « décision » du gouvernement en conseil du 8 mai 2015, ainsi que la déclaration de zone de réserves foncières, faite le 16 septembre 2014 par le Fonds, au motif qu’il s’agirait de simples actes préparatoires, non susceptibles de recours devant le tribunal administratif.
La demanderesse n’a pas pris position quant à ce moyen d’irrecevabilité.
L’acte administratif susceptible de faire l’objet d’un recours contentieux doit constituer une véritable décision de nature à faire grief, c’est-à-dire un acte susceptible de produire par lui-même des effets juridiques affectant la situation personnelle et patrimoniale de celui qui réclame. N’ont pas cette qualité de décision faisant grief, comme n’étant pas destinées à produire, par elles-mêmes, des effets juridiques, les informations données par l’administration, tout comme les déclarations d’intention ou les actes préparatoires d’une décision.2 Aux termes de l’article 97 de la loi du 19 juillet 2004, « (…) Le Fonds pour le développement du logement et de l’habitat, après délibération du comité-directeur, est (…) habilité à déclarer zones de réserves foncières un ensemble de terrains destinés à servir soit à la réalisation de logements des infrastructures et services complémentaires du logement, soit à la réalisation de constructions abritant des activités compatibles avec l’habitat. (…) ».
L’article 98 de la même loi prévoit que « Dans les trente jours qui suivent la déclaration visée à l’article 97, le projet est déposé au secrétariat des communes sur le territoire desquelles se trouvent les terrains concernés.
Le public en est informé par voie d’affiches apposées dans la commune de la manière usuelle et par annonce dans au moins quatre quotidiens publiés et imprimés au Grand-Duché de Luxembourg.
Conjointement avec cette publication, les propriétaires, nus-propriétaires, usufruitiers et emphytéotes concernés sont avertis par lettre recommandée qui les informe des dispositions du présent chapitre.
La déclaration et le projet pourront être consultés par le public à la maison communale dans un délai de trente jours à compter de la publication du dépôt prévu à l’alinéa 2. ».
1 En ce sens : R. Ergec et F. Delaporte, Contentieux administratif luxembourgeois, Pas. adm. 2016, n° 33.
2 Trib. adm., 23 juillet 1997, n° 9658 du rôle, confirmé sur ce point par Cour adm., 19 février 1998, n° 10263C du rôle, Pas. adm. 2016, V° Actes administratifs, n° 57 et les autres références y citées.
4 En vertu de l’article 99 de la loi du 19 juillet 2004, « Dans le délai de trente jours visé à l’article 98, alinéa 4, les observations et objections contre le projet doivent, sous peine de forclusion, être présentées par lettre recommandée au (…) président du Fonds pour le développement du logement et de l’habitat. », l’article 100 de la même loi prévoyant qu’« A l’expiration de ce délai, (…) le président du Fonds pour le développement du logement et de l’habitat [transmet] les pièces avec les observations éventuelles aux ministres ayant respectivement l’Intérieur et le Logement dans leurs attributions.
Après délibération du Gouvernement en conseil, le dossier complet est transmis au Conseil d’Etat qui est obligatoirement entendu en son avis. ».
Finalement, aux termes de l’article 101 de ladite loi du 19 juillet 2004, « Un arrêté grand-ducal approuve la constitution de la zone de réserves foncières et en déclare l’utilité publique. (…) ».
Il suit de ces dispositions légales que la constitution d’une zone de réserves foncières à l’initiative du Fonds intervient sur déclaration de ce dernier, approuvée par un arrêté grand-
ducal, pris sur avis du Conseil d’Etat, lequel intervient après une délibération du gouvernement en conseil.
La déclaration de constitution d’une zone de réserve foncière par le Fonds constitue, dès lors, un acte soumis à tutelle d’approbation. Un tel acte est juridiquement valable, mais son exécution est soumise à la condition suspensive de l’approbation3, étant encore précisé qu’en matière de tutelle administrative, la décision d’approbation de l’autorité tutélaire et l’acte approuvé constituent à la base deux actes juridiques distincts.4 Il s’ensuit qu’avant l’approbation, l’acte soumis à tutelle n’est pas susceptible de recours, en ce qu’il ne fait pas encore grief5, tandis que l’acte approuvé constitue une décision administrative susceptible de recours6.
Il suit des considérations qui précèdent que, contrairement à ce que soutient le délégué du gouvernement, la déclaration de constitution d’une zone de réserve foncière par le Fonds, approuvée par l’arrêté grand-ducal du 16 décembre 2015, constitue, non pas un simple acte préparatoire, mais un acte administratif susceptible de recours, de sorte que sur ce point, le moyen d’irrecevabilité sous examen encourt le rejet.
La conclusion inverse s’impose en ce qui concerne la délibération du gouvernement en conseil du 8 mai 2015. En effet, cette délibération, qui, en application de l’article 100, précité, de la loi du 19 juillet 2004, précède la transmission du projet d’arrêté grand-ducal au Conseil d’Etat, pour avis, ne produit pas, en elle-même des effets juridiques, mais ne fait que préparer 3 A. Buttgenbach, Manuel de Droit administratif, Bruxelles, Larcier, deuxième édition, 1959, n° 157, p. 149.
4 Trib. adm., 21 février 2000, n° 11434 du rôle, Pas. adm. 2016, V° Tutelle administrative, n° 20 et l’autre référence y citée.
5 M.-A. Flamme, Droit administratif, Tome premier, Bruxelles, Bruylant, 1989, n° 60, p. 129 ; Voir aussi : Cour adm., 6 novembre 1997, n° 10011C du rôle, Pas. adm. 2016, V° Tutelle administrative, n° 21 et les autres références y citées.
6 A. Buttgenbach, Manuel de Droit administratif, Bruxelles, Larcier, deuxième édition, 1959, n° 158, p. 153.
5l’adoption ultérieure de l’arrêté grand-ducal approuvant la déclaration du Fonds, de sorte à ne constituer qu’un simple acte préparatoire. Le recours est partant irrecevable pour autant qu’il est dirigé contre la délibération du gouvernement en conseil du 8 mai 2015.
Le Fonds soulève l’irrecevabilité du recours, pour défaut d’intérêt à agir dans le chef de la demanderesse. A cet égard, après avoir relevé que la demanderesse se serait contredite, en ce qu’elle aurait affirmé, dans un courrier adressé au ministère du Logement le 26 février 2015, être co-indivisaire à raison de 5/8èmes de la parcelle n° …., tandis que dans sa réclamation du 28 octobre 2014, de même que dans la requête introductive d’instance, elle aurait expliqué être co-indivisaire à raison de 9/16èmes de la parcelle en question, il fait valoir que Madame …. n’apporterait aucune preuve de la réalité et de l’étendue de son droit de propriété, de sorte qu’elle n’aurait pas établi l’existence, dans son chef, d’un intérêt personnel, direct, né et actuel à agir contre les décisions déférées.
La demanderesse résiste à ce moyen d’irrecevabilité en se prévalant d’un extrait cadastral, dont il ressortirait qu’elle serait propriétaire de 33/48èmes de la parcelle n°…..
Dans son mémoire en duplique, le Fonds se rapporte à prudence de justice quant à la qualité de propriétaire indivisaire de la parcelle n°…. de la demanderesse et quant à son intérêt à agir.
Pour justifier d’un intérêt à agir il faut pouvoir se prévaloir de la lésion d’un intérêt personnel dans le sens que la réformation ou l’annulation de l’acte attaqué confère au demandeur une satisfaction certaine et personnelle.7 Le tribunal relève qu’il se dégage sans équivoque du relevé parcellaire émis le 30 mai 2016 par l’administration du Cadastre et de la Topographie et versé par la demanderesse qu’elle est propriétaire indivisaire, à raison de 33/48èmes de la parcelle n° …..
Etant donné qu’il ressort de l’article 101 de la loi du 19 juillet 2004 que l’arrêté grand-
ducal approuvant la constitution d’une zone de réserves foncières par le Fonds autorise ce dernier à procéder à l’acquisition des parcelles concernées et, à défaut d’accord entre parties, à procéder à leur expropriation, et qu’en vertu de l’article 3 de la loi du 22 octobre 2008 portant promotion de l’habitat et création d’un pacte logement avec les communes, ci-après désignée par « la loi du 22 octobre 2008 », la constitution d’une zone de réserves foncières a pour effet de conférer à la commune et au Fonds un droit de préemption sur les parcelles concernées, le tribunal retient que les décisions déférées affectent la situation de propriétaire de Madame …. d’une manière suffisante pour qu’elle puisse tirer de l’annulation desdites décisions une satisfaction certaine et personnelle, de sorte qu’elle dispose d’un intérêt à agir à l’encontre des décisions en question et que, dès lors, le moyen d’irrecevabilité afférent est à écarter.
Cette conclusion n’est pas énervée par l’argumentation du Fonds selon laquelle la demanderesse n’aurait pas établi que ses co-indivisaires lui auraient conféré un mandat pour 7 Trib. adm., 22 octobre 2007, n° 22489 du rôle, Pas. adm. 2016, V° Procédure contentieuse, n° 8 et les autres références y citées.
6l’introduction du présent recours, ainsi que cela serait exigé par l’article 815-3 du Code civil.
En effet, si le Fonds déduit de cette argumentation non seulement l’absence, dans le chef de la demanderesse, de la capacité et de la qualité requises pour introduire un recours devant le tribunal administratif, mais aussi un défaut d’intérêt à agir dans son chef, le tribunal retient néanmoins que dans la mesure où l’argumentation en question a trait aux pouvoirs dont sont investis les co-indivisaires en matière de gestion des biens indivis, de sorte à toucher exclusivement à la qualité, respectivement à la capacité pour agir de la demanderesse, elle est dépourvue de pertinence en ce qui concerne l’intérêt à agir.
Quant au bien-fondé de ladite argumentation, en ce qu’elle tend à remettre en cause la qualité, respectivement la capacité pour agir de la demanderesse, celle-ci fait valoir qu’elle agirait en sa seule qualité de propriétaire à l’encontre d’actes administratifs lui causant grief.
En revanche, elle n’agirait pas pour l’ensemble des co-indivisaires. Or, en matière de copropriété, il serait admis qu’un copropriétaire pourrait agir seul à l’encontre d’une décision administrative lui causant préjudice, telle que, par exemple, une autorisation de bâtir concernant le terrain voisin, et que l’accord du syndicat des copropriétaires ne serait requis que si le copropriétaire en question entendrait agir au nom de la copropriété. La demanderesse soutient, en substance, que ces principes devraient être transposés au cas d’espèce, par voie d’analogie. Par ailleurs, elle souligne que le Fonds resterait en défaut de démontrer qu’elle n’aurait pas qualité pour agir et que l’article 815-3 du Code civil exigerait d’elle de disposer d’un mandat pour agir, même à titre personnel, à l’encontre d’un acte administratif lui causant préjudice.
Dans son mémoire en duplique, le Fonds soutient qu’une action en justice constituerait un acte d’administration relatif au bien indivis, de sorte à nécessiter l’accord exprès de tous les indivisaires. Or, la demanderesse ne justifierait ni d’un tel accord ni d’un mandat dont elle serait investie, le Fonds précisant encore qu’un mandat spécial serait nécessaire « (…) dès lors que le recours en annulation ne ressortirait pas de l’exploitation normale des biens indivis (…) ». Par ailleurs, le Fonds conclut au rejet de l’argumentation de la demanderesse relative aux principes applicables en matière de copropriété, étant donné qu’elle serait restée en défaut d’expliquer dans quelle mesure ces principes seraient pertinents en matière d’indivision.
Aux termes de l’article 815-3 du Code civil, « (…) Les actes d’administration et de disposition relatifs aux biens indivis requièrent le consentement de tous les indivisaires.
Ceux-ci peuvent donner à l’un ou à plusieurs d’entre eux un mandat général d’administration. Un mandat spécial est nécessaire pour tout acte qui ne ressortit pas à l’exploitation normale des biens indivis, ainsi que pour la conclusion et le renouvellement des baux. (…) ».
Force est au tribunal de constater que cette disposition légale règle les actes d’administration et de disposition relatifs à la chose commune, mais non pas la question de la capacité et de la qualité d’un propriétaire indivis à agir en annulation devant les juridictions administratives contre une décision d’une autorité administrative qui, bien que concernant le 7bien indivis, lui fait grief à titre personnel8, de sorte à être dépourvue de pertinence en l’espèce. Ainsi, chaque indivisaire a qualité pour contester, sans mandat des autres, la légalité d’un acte administratif concernant le bien indivis.9 Il s’ensuit que le moyen d’irrecevabilité sous analyse encourt le rejet.
A défaut d’autres moyens d’irrecevabilité, le tribunal retient que le recours tendant à l’annulation de la déclaration du Fonds du 16 septembre 2014, ainsi que de l’arrêté grand-
ducal du 16 décembre 2015, par ailleurs introduit dans les formes et délai de la loi, est à déclarer recevable.
A l’appui de son recours, la demanderesse expose les faits et rétroactes gisant à la base des décisions déférées. Plus particulièrement, elle expose que le Fonds et l’administration communale d’…., ci-après désignée par « l’administration communale », auraient élaboré un projet d’aménagement particulier (PAP), dénommé « …. » concernant des parcelles situées à la section A …., d’une contenance totale de 3,5617 hectares. En même temps, ils auraient procédé à l’élaboration d’un autre PAP, dénommé « …. », couvrant, entre autres, la parcelle n° ….. Ces PAP auraient fait l’objet d’une approbation ministérielle en date du 20 février 2014.
Parallèlement à l’élaboration de ces PAP, il aurait été procédé successivement à deux déclarations de zone de réserves foncières, approuvées respectivement par deux arrêtés grand-
ducaux des 9 juillet 2004 et 1er février 2010, couvrant, entre autres, la susdite parcelle.
En droit, quant à la légalité externe de la décision déférée, la demanderesse invoque une violation de l’article 97 de la loi du 19 juillet 2004, au motif que la procédure d’adoption des décisions déférées serait viciée, en l’absence de la délibération du comité-directeur du Fonds prévue par cette dernière disposition légale.
Dans la mesure où la demanderesse renonce expressément à ce moyen dans le cadre de son mémoire en réplique, le tribunal n’en est plus saisi et il n’y a pas lieu d’y prendre position.
Quant à la légalité interne des décisions déférées, la demanderesse soutient que celles-
ci devraient encourir l’annulation pour détournement de pouvoir, au motif qu’en l’espèce, l’outil urbanistique de la création d’une zone de réserves foncières aurait été utilisé dans un but étranger à celui visé par le législateur, qui serait celui d’agir sur les prix du logement et de créer des conditions préalables pour mener à bien certaines initiatives dans le domaine du logement social. En se prévalant d’un rapport analytique relatif à la séance du conseil communal …., ci-après désigné par « le conseil communal », du 23 avril 2010, elle explique que le but poursuivi tant par le Fonds que par l’administration communale aurait toujours été celui de réaliser des constructions sur les terrains concernés par les susdits PAP. Ce but aurait été partiellement atteint, étant donné que les projets de construction exécutant lesdits PAP 8 En ce sens et par analogie, concernant l’article 577-2 (5) et (6) du Code civil belge : C.E. belge, 2 février 2011, arrêt n° 210.958, disponible sur www.raadvst-consetat.be.
9 Voir aussi, en ce sens : C.E. français, 27 juin 1976, Mahieu, cité in D. Chabanol, La pratique du contentieux administratif, Paris, Litec, 7e édition, 2007, n° 240, p. 135, ayant retenu que chaque indivisaire a qualité pour contester, sans mandat des autres, la légalité d’opérations de remembrement affectant l’ensemble des biens indivis.
8auraient recueilli toutes les autorisations nécessaires et auraient déjà été partiellement réalisés.
Ainsi, plusieurs terrains auraient été mis en vente par l’administration communale dans le cadre de son projet « …… », pour un prix approximatif de 80.000 euros l’are. Dans ce contexte, elle cite l’exemple de la vente du terrain portant le numéro cadastral …., d’une contenance de 8,16 ares, en vue de la construction d’une résidence, au prix de 2.293.000.-
euros. Pour exécuter les PAP « …. », tant le Fonds que l’administration communale auraient l’intention de mettre les terrains concernés en vente, en acquérant, dans une première étape, ceux dont ils ne seraient pas propriétaires, respectivement dont ils ne seraient que propriétaires indivis, bien qu’il soit parfaitement possible de réaliser ces projets avec le concours de particuliers ayant la qualité de co-indivisaires, la demanderesse insistant, dans ce contexte, sur le fait qu’elle ne se serait jamais opposée à la vente de son terrain, mais que ni le Fonds ni l’administration communale ne lui auraient fait de proposition sérieuse, tout en donnant à considérer qu’il serait incompréhensible qu’une grande partie des PAP « …. » se soit réalisée conformément à ce qui aurait été prévu initialement, c’est-à-dire en procédant à l’acquisition de terrains pour les revendre par la suite par adjudication publique ou pour les céder au Fonds, afin d’y réaliser des logements, conformément aux objectifs de la loi modifiée 25 février 1979 concernant l’aide au logement, ci-après désignée par « la loi du 25 février 1979 », mais que cette stratégie changerait radicalement en ce qui concerne son propre terrain. Ainsi, il se dégagerait du rapport analytique relatif à la séance du conseil communal du 20 décembre 2013 que lors de cette séance, ce dernier aurait « (…) dévoil[é] l’intention réelle des maîtres d’ouvrage (…) », à savoir utiliser l’outil urbanistique de la réserve foncière, non pas dans son but légal, mais seulement pour profiter de son moyen d’exécution, qui serait l’expropriation pour cause d’utilité publique, afin de « (…) convaincre les propriétaires de vendre (…) ». Or, une telle démarche ne donnerait aucun sens, étant donné que les PAP auraient déjà été approuvés et qu’une bonne partie des constructions auraient été réalisées, la demanderesse soulignant encore que l’arrêté grand-ducal du 16 décembre 2015 prévoirait l’expropriation des terrains en vue de la création d’une grande voirie de communication et d’un fonds des routes, alors que la majorité des parcelles seraient destinées à l’habitation.
Dans son mémoire en réplique, la demanderesse fait valoir que la constitution d’une zone de réserves foncières concernant des terrains repris dans l’emprise d’un PAP dûment approuvé, qui seraient, de ce fait, immédiatement constructibles, le cas échéant, après réalisation des infrastructures nécessaires en vue de leur viabilisation, serait contraire au but poursuivi par le législateur, qui serait celui de permettre la constitution de réserves foncières, soit de zones sans affectation bien déterminée, en principe vierges de toute construction, à un stade où les terrains concernés auraient une valeur peu élevée, compte tenu de leur caractère non constructible, ceci afin de les affecter, plus tard, à la construction via un reclassement en zone constructible, en vue de lutter contre la spéculation immobilière, ainsi que cela se dégagerait du libellé de l’article 97 de la loi du 19 juillet 2004 et des travaux parlementaires relatifs à la loi du 25 février 1979. En d’autres termes, l’objectif légal de la constitution d’une zone de réserves foncières serait de lutter contre la spéculation immobilière en procédant à l’acquisition des terrains concernés avant qu’ils ne bénéficient de la plus-value générée par un reclassement en zone constructible ou par l’approbation d’un PAP. Or, en l’espèce, les terrains affectés en zone de réserves foncières auraient déjà été constructibles, en ce qu’ils auraient fait l’objet d’un plan directeur et, par la suite, de plusieurs PAP, et qu’ils seraient même partiellement viabilisés. Ainsi, le but poursuivi par les auteurs des décisions litigieuses 9ne serait ni de constituer, dans le chef du Fonds, une réserve de terrains qui seraient urbanisés suite à un reclassement en zone constructible, ni de réaliser un projet immobilier, auquel les propriétaires concernés s’opposeraient, mais de tenter de contraindre des propriétaires à céder leurs terrains au Fonds à vil prix, en utilisant cet outil urbanistique permettant le recours à l’expropriation en l’absence d’accord. A cet égard, elle fait valoir qu’en 2005, le Fonds aurait tenté d’acquérir son terrain pour le prix, qualifié de dérisoire par la demanderesse, de 5.000,-
euros l’are, sous menace de procéder par voie d’expropriation, menace qu’il n’aurait cependant pas mise à exécution, au motif qu’il n’aurait pas été disposé à verser aux propriétaires concernés la juste indemnité, exigée par l’article 16 de la Constitution, en cas d’expropriation. Elle se prévaut, dans ce contexte, de l’exposé des motifs de l’arrêté grand-
ducal déféré, aux termes duquel « (…) le Fonds n’a[urait] (…) pas voulu prendre le risque d’entamer la procédure d’expropriation (…) ». Après avoir insisté sur le fait qu’elle ne s’opposerait pas à la réalisation d’un projet immobilier sur son terrain, mais que le Fonds et l’administration communale « (…) souhaite[raient] visiblement être les seuls maîtres à bord dans le cadre de la réalisation du PAP et en tirer seuls les profits y relatifs (…) », elle conclut que la procédure de constitution d’une zone de réserves foncières aurait été utilisée dans la seule optique de conférer au Fonds un moyen de pression supplémentaire dans le cadre des négociations en vue de l’acquisition des parcelles concernées, ce qui serait étranger à la ratio legis.
Tant le Fonds que l’Etat et l’administration communale concluent au rejet du moyen tiré d’un détournement de pouvoir.
Le Fonds fait plaider que la demanderesse n’aurait pas rapporté la preuve qu’il aurait poursuivi une finalité étrangère à celle visée par le législateur. A cet égard, il fait valoir, d’une part, que la déclaration de zone de réserves foncières, en ce qu’elle constituerait l’une des mesures d’exécution des plans d’aménagement prévues par la loi du 19 juillet 2004, ne serait, par définition, pas incompatible avec le fait que des plans d’aménagement aient été approuvés et, d’autre part, qu’il ne serait pas établi qu’il aurait été procédé à la constitution de la zone de réserves foncières litigieuse dans l’unique but de pouvoir profiter de son moyen d’exécution, à savoir l’expropriation pour cause d’utilité publique, le Fonds donnant à considérer, dans ce contexte, que les mesures d’exécution des plans d’aménagement prévues par la loi du 19 juillet 2004 comprendraient généralement, en cas de désaccord, la possibilité de recourir à l’expropriation pour cause d’utilité publique, de sorte que la déclaration de zone de réserves foncières ne présenterait pas de spécificité à cet égard. Par ailleurs, il fait plaider que la demanderesse préconiserait une vision trop restrictive de l’objectif poursuivi par le législateur à travers l’outil de la constitution de zones de réserves foncières, et qu’à cet égard, elle se prévaudrait, à tort, des travaux préparatoires relatifs à la loi du 25 février 1979, étant donné que l’article 97 de la loi du 19 juillet 2004, tel qu’en vigueur au moment de la prise des décisions déférées, serait issu de la loi du 22 octobre 2008, dont l’un des objectifs aurait précisément été celui d’élargir les pouvoirs du Fonds. Ainsi, il appartiendrait à la demanderesse de prouver que la zone de réserves foncières litigieuse auraient été constituée à des fins étrangères à la réalisation soit de logements, soit d’infrastructures et de services complémentaires du logement, soit de constructions abritant des activités compatibles avec l’habitat, ce qu’elle serait restée en défaut de faire. Quant aux développements de la demanderesse selon lesquels l’arrêté grand-ducal du 16 décembre 2015 prévoirait l’expropriation des terrains en vue de la création d’une grande voirie de communication et 10d’un fonds des routes, alors que la majorité des parcelles seraient destinées à l’habitation, le Fonds fait valoir que ledit arrêté grand-ducal prévoirait uniquement, et ce conformément à la loi du 19 juillet 2004, que pour autant que de besoin, l’expropriation serait réalisée conformément à la loi modifiée du 16 août 1967 ayant pour objet la création d’une grande voirie de communication et d’un fonds des routes, ci-après désignée par « la loi du 16 août 1967 », de sorte qu’« (…) il ne s’agi[rait] pas de créer une grande voirie de communication et un fonds des routes (…) ».
Dans son mémoire en duplique, le Fonds précise qu’il ne ressortirait ni de la loi du 19 juillet 2004 ni des travaux parlementaires afférents que le législateur aurait entendu limiter la constitution de zones de réserves foncières à des terrains vierges de toute construction ou à des zones sans affectation déterminée. Au contraire, le législateur aurait expressément souhaité rationaliser le développement des agglomérations en permettant, en cas de pression foncière importante, ou en cas de besoin déterminé de terrains, de recourir aux terrains affectés et réservés préalablement à un tel usage, plutôt que de procéder par voie d’extension du périmètre d’agglomération. Cette approche serait confirmée par le libellé de l’article 97, alinéa 3 de la loi du 19 juillet 2004, aux termes duquel « Les différentes formes d’occupation du sol précitées peuvent se retrouver dans une même réserve foncière dans la mesure où le plan d’aménagement général de la commune le prévoit et qu’elles ne sont pas incompatibles entre elles. », de sorte que l’argumentation de la demanderesse serait contra legem. Le Fonds conclut que la demanderesse n’aurait pas démontré que le but fixé par la loi, tel qu’il se dégagerait de l’article 97 de la loi du 19 juillet 2004, aurait été détourné. Plus particulièrement, l’affirmation de la demanderesse selon laquelle les décisions déférées auraient été adoptées dans l’optique de conférer au Fonds un moyen de pression supplémentaire dans le cadre des négociations en vue de l’acquisition des parcelles concernées serait restée à l’état de pure allégation. Le Fonds donne encore à considérer, d’une part, qu’en prévoyant que l’approbation gouvernementale de la déclaration de zone de réserves foncières intervient sur avis du Conseil d’Etat, garant du caractère d’utilité publique de l’opération, le législateur aurait prévu un contrôle a priori du respect des objectifs qu’il aurait fixés et, d’autre part, qu’en l’espèce, le Conseil d’Etat aurait émis un avis positif.
Le délégué du gouvernement fait valoir qu’il ressortirait de l’exposé des motifs de l’arrêté grand-ducal du 16 décembre 2015 que le dispositif de constitution d’une zone de réserves foncières aurait été utilisé afin de faire face à la demande de plus en plus accrue de logements à coût modéré, ce qui constituerait un impératif de la paix sociale et toucherait dès lors à l’ordre public. Les décisions litigieuses viseraient à assurer la finalisation du projet de grande ampleur de création de logements à coût modéré entamé au quartier « …. » à ….. Le représentant étatique insiste encore sur le fait que l’exposé des motifs de l’arrêté grand-ducal du 16 décembre 2015 préciserait que le Fonds n’aurait pas voulu prendre le risque d’entamer la procédure d’expropriation, mais aurait déployé et continuerait à déployer ses efforts en vue de procéder par des ventes de gré à gré. Il se prévaut encore d’un courrier de l’administration communale du 10 décembre 2014, précisant que « (…) dans le respect des arrangements retenus par convention entre la …….. et le Fonds du Logement, …. va, dans les meilleurs délais, contacter le Fonds pour arranger une entrevue commune pouvant servir à un échange d’idées. Ainsi, à terme, la voie vers une solution viable pour toutes les parties engagées saurait être trouvée (…) ».
11Dans son mémoire en duplique, le délégué du gouvernement insiste sur le fait que le Fonds agirait dans le cadre des missions lui attribuées par l’article 55 de la loi du 25 février 1979 et négocierait les prix d’acquisition de manière à assurer une gestion prudente et responsable des deniers publics.
L’administration communale fait plaider que si la demanderesse soutient qu’elle ne s’opposerait pas à la viabilisation de la parcelle n° …., les tentatives du Fonds d’aboutir à un arrangement auraient toutes échoué, de sorte que la constitution d’une zone de réserves foncières s’inscrirait parfaitement dans le but poursuivi par le législateur.
Le tribunal précise que le détournement de pouvoir consiste dans l’utilisation d’une compétence de l’administration dans un but autre que celui pour lequel elle lui est conférée.
Le moyen ainsi présenté amène le juge administratif à examiner si le mobile véritable de l’administration correspond à celui qu’elle a exprimé, étant entendu que la charge de la preuve afférente incombe au demandeur invoquant les faits incriminés.10 Le tribunal retient que dans la mesure où la constitution de zones de réserves foncières est l’une des mesures d’exécution des plans d’aménagement prévus par la loi du 19 juillet 2004 – les dispositions afférentes figurant, en effet, au titre 6 de ladite loi, intitulé « Mesures d’exécution des plans d’aménagement » –, c’est à juste titre que le Fonds soutient que la création d’une telle zone n’est pas, par principe, incompatible avec l’existence d’un PAP approuvé concernant les mêmes terrains, tel que la demanderesse l’affirme, à tort. Par ailleurs, à l’instar du Fonds et contrairement aux développements de la demanderesse, le tribunal constate qu’il ne ressort ni des articles 97 et suivants de la loi du 19 juillet 2004, ni d’autres dispositions normatives que seuls des terrains sans affectation déterminée, vierges de toute construction et de faible valeur, compte tenu de leur caractère non constructible, pourraient faire partie d’une zone de réserves foncières.
Quant à l’objectif poursuivi par le législateur, en conférant au Fonds la mission de procéder à des déclarations de zone de réserves foncières, il y a lieu de se référer à l’article 97 de la loi du 19 juillet 2004, qui prévoit que les terrains en question doivent servir à la réalisation soit de logements, soit d’infrastructures et de services complémentaires du logement, soit de constructions abritant des activités compatibles avec l’habitat, aux articles 101 et 102 de la même loi, dont il ressort que les terrains constitués en réserve sont destinés à être cédés au Fonds, soit moyennant un acte de vente de gré à gré, soit, en l’absence d’accord entre parties, par le biais de la procédure de l’expropriation, ainsi qu’à l’article 54 de la loi du 25 février 1979, précisant que le Fonds a pour objet « (…) de réaliser de sa propre initiative, en collaboration notamment avec les autorités communales, dans le cadre du développement urbain et rural, toute opération de développement du logement et de l’habitat. (…) », et à l’article 55 de la même loi, aux termes « L’action du fonds (…) consiste dans les missions suivantes:
réaliser l’acquisition de terrains, l’aménagement de terrains à bâtir ainsi que la construction de logements destinés à la vente et/ou à la location;
10 Trib. adm., 8 octobre 2001, n° 13445 du rôle, confirmé par Cour adm., 7 mai 2002, n° 14197C du rôle, Pas.
adm. 2016, V° Recours en annulation, n° 8 et les autres références y citées.
12 constituer des réserves foncières conformément à l’article 97 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain et des réserves de terrains susceptibles d’être intégrées, à moyen ou long terme, dans le périmètre d’agglomération;
créer de nouveaux quartiers de ville, des lieux d’habitat et des espaces de vie;
promouvoir la qualité du développement urbain, de l’architecture et de la technique;
réduire le coût d’aménagement des terrains à bâtir;
promouvoir le recours aux droits d’emphytéose et de superficie;
agrandir le parc public de logements locatifs et contribuer à en assurer la gestion. ».
Le tribunal déduit de ces dispositions légales qu’en conférant au Fonds la mission de procéder à la constitution de zones de réserves foncières, le législateur a entendu mettre à la disposition de ce dernier un outil lui permettant d’acquérir des terrains en vue, notamment, d’augmenter l’offre de logements.
C’est précisément dans cet objectif que s’inscrivent les décisions déférées. En effet, il se dégage de l’exposé des motifs de l’arrêté grand-ducal déféré qu’il a été procédé à la constitution de la zone de réserves foncières litigieuse, en substance, en vue de répondre à la demande de logements à coût modéré sur le territoire de la …….., cette demande étant de plus en plus élevée, en raison de l’augmentation des prix des terrains à bâtir et de la crise économique récente.
Cette conclusion n’est pas énervée par l’argumentation de la demanderesse selon laquelle le but poursuivi par les auteurs des décisions déférées serait exclusivement celui de profiter du moyen d’exécution du dispositif de la zone de réserves foncières, à savoir l’expropriation pour cause d’utilité publique. En effet, le tribunal constate qu’à cet égard, elle se prévaut du rapport analytique relatif à la séance du conseil communal du 20 décembre 2013, relatant les explications d’un échevin, aux termes desquelles « (…) Eigentlech, wann déi 3 PAPe gestémmt sinn, dann ass eigentlech alles an ….. geregelt an et steet dem weidere Fortschreiden näischt méi am Wee. Et muss een awer och wëssen, dass mer nach net vun alle Parzellen definitiv Proprietaire si südlech vun der Achs. Mä et gëtt eis duerch d’Stëmme vun deene PAPen, wann dat als Bauland deklaréiert ass, och nach verschidde Moyenen am Kader vum Pakt Logement fir d’Leit dovunner ze iwwerzeegen, dann awer vläicht elo definitiv ze versichen, am Kontext vun der Réserve foncière, mat der Gemeng, respektiv mam Fonds de Logement eens ze gin. Well soss geet et och do definitiv an d’Expropriatioun. (…) [W]a mer déi rechtskräfteg Voten hu[nn, hu] mer baurechtlech Grondlage fir et virun ze entwéckelen au fur et à mesure wéi mer d’Terraine kréien. A mer hunn doduerch, dass et klasséiert ass, dass als Bauland elo definitiv als Bauland definéiert ass, kënne mer déi réticent Proprietairen och vläicht e bëssen insistéiren iwwert eng zousätlech Taxéierung vu Bauland wat och brooch leie gelooss gëtt, fir dass se sech beweegen dann endlech am Kontext vun der Réserve foncière.
(…) ». Or, dans la mesure où ces déclarations n’émanent ni du Fonds ni de l’Etat, elles ne sont, de par leur nature, pas susceptibles de rapporter la preuve d’un détournement de pouvoir de la part de ces derniers. A cela s’ajoute qu’en tout état de cause, il est de l’essence même de la constitution d’une zone de réserves foncières à l’initiative du Fonds que ce dernier est amené à acquérir la propriété des parcelles concernées en procédant, en l’absence d’accord avec les propriétaires en cause, par voie d’expropriation, de sorte qu’il ne saurait être reproché 13au Fonds d’envisager le recours à l’expropriation, afin de lui permettre de faire face à la demande accrue de logements. Dès lors, l’argumentation en question encourt le rejet.
Il en est de même en ce qui concerne les développements de la demanderesse selon laquelle l’unique but poursuivi par le Fonds serait celui de tenter de contraindre les propriétaires des parcelles faisant partie de la zone de réserves foncières litigieuse à céder leurs terrains à vil prix, sous menace d’expropriation. En effet, à défaut d’autres éléments, le simple fait que la demanderesse n’ait pas jugé acceptables les conditions de cession lui proposées par le Fonds dans le passé et, notamment, en 2005 n’est pas de nature à rapporter la preuve d’un détournement de pouvoir, ce d’autant plus que s’il est exact que l’article 102 de la loi du 19 juillet 2004 prévoit le recours à l’expropriation en cas d’absence d’accord entre parties quant à une vente à l’amiable, l’expropriation ne peut se faire que moyennant juste indemnité, en vertu de l’article 16 de la Constitution, de sorte que l’argumentation ayant trait à une tentative du Fonds de forcer les propriétaires concernés à céder leurs terrain à vil prix, sous menace d’expropriation, manque de logique. Dans ce contexte, le tribunal précise que s’il ressort certes de l’exposé des motifs de l’arrêté grand-ducal déféré que, dans le passé, le Fonds n’a pas voulu procéder par voie d’expropriation, il ne s’en dégage cependant pas qu’il en aurait été ainsi au motif qu’il n’aurait pas été disposé à payer aux propriétaires concernés la juste indemnité prévue par l’article 16 de la Constitution, tel que le soutient la demanderesse.
Au contraire, il appert, à la lecture dudit exposé des motifs, que le Fonds n’a, jusqu’à présent, pas entamé la voie de l’expropriation, au motif qu’« (…) Au vu des difficultés rencontrées dans l’affaire Etat c/ Linster (expropriation à Hellange), o[ù] toutes tentatives [auraient] systématiquement [été] bloquées, l’issue [aurait été] trop incertaine (…) ».
Par ailleurs, contrairement à ce que soutient la demanderesse, l’arrêté grand-ducal du 16 décembre 2015 ne prévoit pas l’expropriation des terrains en vue de la création d’une grande voirie de communication et d’un fonds des routes, mais précise seulement que pour autant que de besoin, l’expropriation sera poursuivie conformément au titre III de la loi du 16 août 1967, la seule référence à cette loi n’étant, à défaut d’autres éléments, pas de nature à rapporter la preuve d’un détournement de pouvoir.
Il suit des considérations qui précèdent que le moyen tiré d’un détournement de pouvoir encourt le rejet.
La demanderesse soutient encore que les décisions déférées violeraient les articles 101 de la loi du 19 juillet 2004, 16 de la Constitution et 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH ».
A cet égard, elle rappelle que son terrain aurait déjà été classé en zone de réserves foncières par deux arrêtés grand-ducaux des 9 juillet 2004 et 1er février 2010, ayant, chacun, prévu que la prise de possession des parcelles par le Fonds interviendrait dans un délai de cinq ans, de sorte que l’arrêté grand-ducal déféré approuverait, à une troisième reprise, ce classement et que, dans la mesure où le délai endéans lequel le Fonds devrait prendre possession des parcelles concernées aurait, à nouveau, été fixé à cinq ans, le terrain en question se trouverait « (…) sous le coup d’un permis d’exproprier (…) » jusqu’en 2020 au moins, ce qui serait contraire à l’article 101 de la loi du 19 juillet 2004, qui prévoirait un délai 14maximal de cinq ans, endéans lequel la prise de possession des terrains devrait intervenir. En prolongeant ainsi, tous les cinq ans, ledit délai, par la prise d’un nouvel arrêté grand-ducal, les parties défenderesses auraient commis un détournement de la loi, en ce qu’elles auraient contourné le délai susvisé. Valider une telle manière de procéder reviendrait à permettre aux Fonds, respectivement à l’Etat de prolonger à l’infini le classement de terrains en zone de réserves foncières en recommençant la procédure afférente tous les cinq ans. Or, telle n’aurait pas été l’intention du législateur, qui aurait inséré le délai quinquennal susvisé à l’article 101 de la loi du 19 juillet 2004, afin d’éviter qu’un terrain puisse être placé sous la menace d’une expropriation pendant une durée supérieure à cinq ans, la demanderesse se prévalant, à cet égard des travaux parlementaires ayant abouti à la loi du 19 juillet 2004, tout en soulignant que la loi ne prévoirait pas la possibilité de renouveler une déclaration de zone de réserves foncières.
La demanderesse soutient encore qu’en maintenant son terrain pendant une quinzaine d’années sous la menace de l’expropriation, afin d’en faire diminuer le prix, le Fonds et l’Etat auraient violé les articles 16 de la Constitution et 1er du premier protocole additionnel à la CEDH. Sur ce dernier point, la demanderesse se prévaut de l’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme le 23 septembre 1982 dans l’affaire Sporrong et Lönnroth contre Suède, concernant des terrains ayant fait l’objet d’un permis d’exproprier et d’une interdiction de construire pendant vingt-trois, respectivement douze ans, dans lequel la Cour a conclu que, faute pour la législation suédoise d’avoir prévu une possibilité de réclamer l’abrégement des délais ou une réparation du préjudice subi, les mesures en question avaient créé une situation ayant rompu le juste équilibre devant régner entre la sauvegarde du droit de propriété et les exigences d’intérêt général. Ainsi, les personnes concernées avaient, de façon illégitime, dû supporter une charge spéciale et exorbitante, de sorte que la Cour a conclu à la violation de l’article 1er du premier protocole additionnel à la CEDH.
Dans son mémoire en réplique, la demanderesse insiste sur le fait qu’à travers l’article 101 de la loi du 19 juillet 2004, le législateur aurait imposé un délai maximal de cinq ans pour la prise de possession des parcelles, en vue de ne pas porter une atteinte disproportionnée au droit de propriété, de sorte que l’on ne saurait admettre que le Fonds pourrait contourner ce délai en recommençant la procédure « (…) ad vitam aeternam, sans limite de reconduction, jusqu’à épuisement des propriétaires concernés et « acquisition amiable » de leurs parcelles (…) ».
Elle ajoute qu’il serait faux d’affirmer que les propriétaires concernés ne se verraient pas privés de leurs prérogatives de propriétaires, étant donné que les terrains en question seraient couverts par un PAP, dont la majorité des parcelles appartiendraient au Fonds ou à la …… Or, ces derniers n’auraient pas l’intention de lui permettre de participer au projet envisagé, dans le respect du principe d’égalité devant les charges publiques. Ainsi, les propriétaires concernés seraient confrontés à une menace d’expropriation, sans pouvoir effectuer un projet immobilier sur leurs terrains et sans pouvoir envisager de vendre lesdits terrains à des tiers. En tout état de cause, il se dégagerait de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme que le fait de maintenir un propriétaire sous une menace d’expropriation pendant plusieurs années serait contraire au premier protocole additionnel à la CEDH.
15Tant le Fonds que la partie étatique concluent au rejet de ces moyens, l’administration communale se ralliant à la position du Fonds.
Ce dernier fait plaider que l’article 101 de la loi du 19 juillet 2004 n’interdirait pas la prise d’arrêtés grand-ducaux successifs. A cet égard, il précise, en substance, que dans une telle hypothèse, les droits des propriétaires concernés seraient respectés, étant donné que lors de chaque déclaration de constitution de zone de réserves foncières, l’ensemble des dispositions procédurales prévues par les articles 97 et suivants de ladite loi devraient être respectées. En outre, le fait de classer des terrains en zone de réserves foncières n’entraînerait pas ipso facto l’expropriation des propriétaires concernés. En effet, l’expropriation ne pourrait intervenir qu’à défaut d’accord entre les parties pour parvenir à une cession à l’amiable, de sorte qu’il ne saurait être considéré que la parcelle de la demanderesse se trouverait sous le coup d’un permis d’exproprier.
Par ailleurs, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, citée par la demanderesse, ne serait pas transposable au cas d’espèce. En effet, dans l’affaire en question, la Cour aurait retenu que les dispositions de la législation suédoise applicables à l’époque des faits et relatives à des permis d’exproprier « par zone » délivrés par le gouvernement violeraient l’article ler du premier protocole additionnel à CEDH dès lors, notamment, qu’elles auraient reconnu par avance la légalité d’une expropriation et autorisé l’administration à y procéder à tout moment jugé opportun, sans conférer aux propriétaires concernés une possibilité de recours effectif. Dans le cas concret soumis à l’examen de la Cour, la situation des propriétaires aurait encore été aggravée par le fait que leurs immeubles auraient également été frappés d’une interdiction de construire. La Cour de Strasbourg aurait encore mis en exergue le fait que la législation suédoise aurait exclu la possibilité de réapprécier, à des intervalles raisonnables, la mise en balance des intérêts respectifs de l’administration et des propriétaires. Dès lors, les faits à la base de l’arrêt en question seraient différents de ceux de l’espèce. Dans ce contexte, le Fonds insiste sur le fait que la législation luxembourgeoise protègerait suffisamment les intérêts des propriétaires en leur permettant de formuler leurs observations et leurs réclamations aux différents stades de la procédure, laquelle se déroulerait sous le contrôle du Conseil d’Etat, obligatoirement entendu en son avis. Le Fonds ajoute qu’en l’espèce, il n’y aurait pas de privation de propriété, au sens de l’article 16 de la Constitution, respectivement de l’article 1er du premier protocole additionnel à la CEDH, étant donné que le droit de propriété de l’intéressée serait resté juridiquement intact. Ainsi, la demanderesse resterait, notamment, libre de vendre son terrain.
Le délégué du gouvernement soutient que les articles 97 à 102 de la loi du 19 juillet 2004, pris dans leur version actuellement en vigueur, auraient été introduits dans ladite loi par la loi du 22 octobre 2008, de sorte qu’il y aurait lieu de se référer, le cas échéant, au dossier parlementaire portant le numéro 5696 et non exclusivement à celui portant le numéro 4486, tel que l’aurait fait la demanderesse.
Il ajoute que s’il est exact qu’en prévoyant un délai maximal de cinq ans pour la prise de possession des parcelles classées en zone de réserves foncières, le législateur aurait veillé à ne pas créer d’atteinte disproportionnée au droit de propriété des propriétaires concernés, il n’aurait cependant pas exclu la possibilité de « renouveler » une déclaration de zone de réserves foncières. A cet égard, il insiste sur le fait que lors de chaque nouvelle déclaration de 16zone de réserves foncières, toutes les étapes procédurales prévues aux articles 97 et suivants de la loi du 19 juillet 2004 devraient à nouveau être accomplies, et cela notamment afin d’assurer le respect du droit de propriété des propriétaires concernés. Il précise que dans son avis du 1er décembre 2015, portant le numéro 51.152, le Conseil d’Etat aurait admis la possibilité d’un tel renouvellement d’une déclaration de zone de réserves foncières, en retenant qu’« (…) à partir de cette réserve foncière, le Fonds du logement a pu procéder à l’acquisition de plusieurs parcelles incluses dans le périmètre de la zone. Cependant, la prise de possession des parcelles n’a, une deuxième fois, pas pu être réalisée dans le nouveau délai imparti de cinq ans, de sorte qu’une nouvelle constitution d’une zone de réserves foncières s’est avérée être nécessaire.».
L’article 101 de la loi du 19 juillet 2004 est libellé comme suit :
« Un arrêté grand-ducal approuve la constitution de la zone de réserves foncières et en déclare l’utilité publique.
Le même arrêté grand-ducal approuve le relevé des terrains concernés et autorise l’Etat, la commune ou le Fonds pour le développement du logement et de l’habitat à en poursuivre l’acquisition ou l’expropriation. Il fixe un délai au cours duquel la prise de possession des parcelles visées doit être réalisée. Ce délai ne peut dépasser cinq ans.
L’arrêté grand-ducal constate l’accomplissement régulier des mesures préparatoires relatives à l’expropriation sur avis conforme du Conseil d’Etat. ».
Force est au tribunal de constater qu’en vertu de cet article, l’arrêté grand-ducal approuvant la constitution d’une zone de réserves foncières fixe le délai endéans lequel la prise de possession des terrains doit être réalisée, ce délai ne pouvant dépasser cinq ans.
Le tribunal relève qu’il est constant en cause que les parcelles faisant l’objet de l’arrêté grand-ducal du 16 décembre 2015, en ce compris celle de la demanderesse, avaient déjà fait l’objet d’un classement en zone de réserves foncières par le biais de deux arrêtés grand-ducaux des 9 juillet 2004 et 1er février 2010, chacun de ces trois arrêtés grand-ducaux ayant fixé à cinq ans le délai endéans lequel la prise de possession des parcelles en question devait avoir lieu.
Quant à l’intention poursuivie par le législateur à travers les dispositions de l’article 101 de la loi du 19 juillet 2004, c’est à juste titre que la demanderesse se réfère aux travaux parlementaires relatifs à cette dernière loi. S’il est exact que la rédaction actuelle des articles 97 et suivants de ladite loi est issue de la modification opérée par la loi du 22 octobre 2008, cette modification a eu pour seul objet d’élargir le cercle des autorités habilitées à déclarer certains terrains zone de réserves foncières, en y incluant, à côté des communes et du ministre ayant l’aménagement communal et le développement urbain dans ses attributions, le Fonds, ainsi que cela ressort du commentaire des articles de ladite loi, aux termes duquel « Les articles 97 à 102 concernant les réserves foncières sont modifiés afin d’y intégrer le Fonds pour le développement du logement et de l’habitat. Ce Fonds disposait d’ores et déjà de la possibilité de déclarer des zones de réserves foncières sur base du chapitre 5 de la loi modifiée du 25 février 1979 concernant l’aide au logement. Cependant sur base de la loi 17modifiée du 19 juillet 2004, les types de terrains pouvant faire l’objet de cette déclaration sont plus nombreux. Le Fonds du logement n’est plus limité à devoir y construire uniquement des logements à coût modéré. Ces zones doivent en effet être comprises dans un sens plus large et permettre aussi bien des logements à coût modéré que des logements „ordinaires“, des infrastructures complémentaires du logement et autres constructions compatibles avec le logement ainsi que des installations publiques ou des espaces verts. En effet, la création de logements implique que la zone bénéficie aussi d’infrastructures collectives, telles qu’école, parc public, etc. (…) »11, les dispositions afférentes n’ayant pas reçu d’autre modification.
Aux termes du commentaire de l’article 99 du projet de loi n° 4486 concernant l’aménagement communal et le développement communal12, devenu l’article 101 de la loi du 19 juillet 2004, « La décision du gouvernement prise suite à l’avis du Conseil d’Etat revêt la forme d’un arrêté grand-ducal. Le texte impose un délai maximum de cinq ans pour la prise de possession des parcelles concernées, délai au-delà duquel l’arrêté grand-ducal ne pourra plus sortir ses effets, et notamment ne pourra plus justifier l’expropriation des fonds visés.
En effet, l’acquisition, de gré à gré ou par expropriation, est une obligation pour la commune ou l’Etat, lorsqu’il s’agit de zones de réserves foncières, les pouvoirs publics ne pouvant laisser planer l’incertitude sur l’application de[s] dispositions, bloquant de fait la mise en valeur des terrains en question. ».
Il s’en dégage que le délai quinquennal litigieux a été inséré dans l’article 101 de la loi du 19 juillet 2004 pour limiter dans le temps la possibilité de l’acquisition des terrains en question par l’auteur de la déclaration de zone de réserves foncières et afin d’éviter de cette manière que les pouvoirs publics ne puissent faire planer l’incertitude sur l’application des dispositions afférentes et bloquer, de ce fait, la mise en valeur des terrains en question.
Tel que le délégué du gouvernement le soutient à juste titre, le législateur a, ainsi, veillé à ne pas créer d’atteinte disproportionnée au droit de propriété. Par ailleurs, étant donné, d’une part, qu’il ressort sans équivoque des dispositions des articles 97 et suivants de la loi du 19 juillet 2004 qu’à terme, les terrains concernés doivent obligatoirement entrer en la possession du Fonds, soit suite à une vente de gré à gré, soit, à défaut d’accord entre parties, par le biais de l’expropriation, étant relevé, par rapport à ce dernier point, que l’arrêté grand-
ducal prévu par l’article 101 de la loi du 19 juillet 2004 déclare l’utilité publique de la mesure et constate d’ores et déjà l’accomplissement régulier des mesures préparatoires relatives à l’expropriation et, d’autre part, qu’en vertu de l’article 3 de la loi du 22 octobre 2008, la constitution d’une zone de réserves foncières a pour effet de conférer à la commune et au Fonds un droit de préemption sur les terrains en cause, tel que relevé ci-avant, la constitution d’une telle zone a un impact non négligeable sur le libre exercice, par les propriétaires concernés, de leur droit de propriété.
Le tribunal déduit des considérations qui précèdent que l’article 101 de la loi du 19 juillet 2004 doit être interprété comme s’opposant à la prolongation du délai quinquennal y visé par la prise d’arrêtés grand-ducaux successifs accordant, chacun, un nouveau délai à 11 Document parlementaire n° 5696, commentaire des articles, p. 43.
12 Document parlementaire n° 44863, p. 79.
18l’administration en vue de prendre possession des parcelles concernées, tel que cela a été le cas en l’espèce, étant donné que s’il est exact qu’une telle façon de procéder n’est pas interdite expressis verbis par la disposition légale en question, elle se heurte néanmoins manifestement à l’esprit de celle-ci. En effet, nonobstant les garanties procédurales entourant la constitution d’une zone de réserves foncières – telles que, notamment, l’obligation de porter le projet à la connaissance du public et de permettre aux administrés de faire valoir leurs observations, ainsi que l’intervention d’un avis du Conseil d’Etat –, dont se prévalent le Fonds et l’Etat pour conclure au respect des droits des propriétaires, la prise d’arrêtés grand-
ducaux successifs portant constitution d’une zone de réserves foncières et accordant, chacun, un nouveau délai quinquennal aux pouvoirs publics pour prendre possession des terrains en question a pour effet de placer les propriétaires concernés dans une situation durable d’incertitude et de blocage quant à la mise en valeur de leurs terrains, ce que le législateur entendait précisément éviter, l’intention du législateur ayant été d’empêcher les pouvoirs publics de faire planer l’incertitude sur l’application des dispositions des articles 97 et suivants de la loi du 19 juillet 2004 et de bloquer, de ce fait, la mise en valeur des terrains en question, tel que relevé ci-avant. La conclusion dégagée ci-avant quant à l’interprétation de l’article 101 de la loi du 19 juillet 2004 est corroborée par le libellé même de cette disposition légale, aux termes de laquelle l’arrêté grand-ducal y prévu fixe le délai endéans lequel la prise de possession des terrains doit intervenir, de sorte que la prise de possession des terrains, endéans le délai ainsi fixé, constitue une obligation et non point une faculté pour l’administration. Ladite conclusion est encore confortée par le libellé de l’article 102 de la loi du 19 juillet 2004, qui prévoit qu’à défaut d’accord entre parties, il est procédé conformément au Titre III de la loi modifiée du 15 mars 1979 sur l’expropriation pour cause d’utilité publique, laissant clairement apparaître qu’en l’absence d’accord, l’administration est obligée d’entamer la procédure de l’expropriation, sans qu’il ne lui soit loisible de laisser expirer le délai quinquennal endéans lequel la prise de possession doit intervenir, en vue de recommencer la procédure.
Le tribunal déduit de l’ensemble de ces considérations que dans la mesure où les parcelles faisant l’objet des décisions déférées avaient déjà fait l’objet, à deux reprises, d’un classement en zone de réserves foncières par le biais des arrêtés grand-ducaux des 9 juillet 2004 et 1er février 2010 ayant, chacun, accordé à l’administration un délai de cinq ans pour prendre possession des parcelles en question, sans que cette prise de possession ne soit intervenue dans le délai imparti, respectivement sans que la procédure d’expropriation n’ait été entamée, lesdites décisions encourent l’annulation pour violation des dispositions des articles 101 et 102, précités, de la loi du 19 juillet 2004, sans qu’il n’y ait besoin de statuer plus en avant.
Enfin, la demande tendant à l’allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 5.000,- euros, en application de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, telle que formulée par la demanderesse, est à rejeter, étant donné qu’elle ne précise pas en quoi il serait inéquitable de laisser à sa charge les frais non compris dans les dépens.
Compte tenu de l’issue du litige, la demande tendant à l’allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 3.000.- euros, telle que formulée par le Fonds est, à son tour, à rejeter.
19 Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
déclare le recours en annulation irrecevable, pour autant qu’il vise la « décision » du gouvernement en conseil du 8 mai 2015 portant adoption du projet d’arrêté grand-ducal concernant la constitution d’une zone de réserves foncières à …. ;
pour le surplus, reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond, le dit justifié, partant annule la déclaration de zone de réserves foncières, faite le 16 septembre 2014 par le Fonds pour le développement du logement et de l’habitat, ainsi que l’arrêté grand-ducal du 16 décembre 2015 concernant la constitution d’une zone de réserves foncières à …. ;
rejette la demande tendant à l’octroi d’une indemnité de procédure de 5.000.- euros, telle que formulée par la demanderesse ;
rejette la demande tendant à l’octroi d’une indemnité de procédure de 3.000.- euros, telle que formulée par le Fonds pour le développement du logement et de l’habitat ;
fait masse des frais et les impute pour moitié à l’Etat et pour moitié au Fonds pour le développement du logement et de l’habitat.
Ainsi jugé par:
Carlo Schockweiler, premier vice-président, Françoise Eberhard, vice-président, Daniel Weber, juge, et lu à l’audience publique du 27 mars 2017 par le premier vice-président, en présence du greffier Goreti Pinto.
s. Goreti Pinto s. Carlo Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 28 mars 2017 Le Greffier du Tribunal administratif 20