Tribunal administratif N° 37336 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 décembre 2015 4e chambre Audience publique du 21 mars 2017 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du collège des bourgmestre et échevins de la Ville d’…, en matière de discipline
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 37336 du rôle et déposée en date du 23 décembre 2015 au greffe du tribunal administratif par Maître Jean-Marie Bauler, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, fonctionnaire communal, demeurant à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision de refus implicite du collège des bourgmestre et échevins de la Ville d’… de saisir le commissaire du gouvernement chargé de l’instruction disciplinaire suite à sa demande y relative du 20 mars 2015 ;
Vu l’exploit du 7 janvier 2016 de l’huissier de justice suppléant Patrick …, agissant en remplacement de l’huissier de justice Carlos Calvo, tous deux demeurant à Luxembourg, portant signification de la prédite requête introductive d’instance à l’administration communale de la ville d’…, représentée par son collège des bourgmestre et échevins actuellement en fonctions, établie à la maison communale à L-…;
Vu la constitution d’avocat à la Cour de Maître Steve Helminger, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la Ville d’…, déposée au greffe du tribunal administratif le 6 avril 2016 ;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif en date du 7 avril 2016 par Maître Steve Helminger pour le compte de la Ville d’…, ledit mémoire ayant été notifié le même jour au litismandataire de Monsieur … ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 6 mai 2016, par Maître Jean-Marie Bauler au nom et pour compte de Monsieur …, ledit mémoire ayant été notifié le même jour au litismandataire de la Ville d’…;
Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 6 juin 2016 par Maître Steve Helminger pour le compte de la Ville d’…, ledit mémoire ayant été notifié le même jour au litismandataire de Monsieur … ;
Vu l’avis du tribunal du 25 novembre 2016 autorisant les parties à déposer un mémoire supplémentaire selon le calendrier fixé dans ledit avis ;
Vu le mémoire supplémentaire déposé au greffe du tribunal administratif en date du 14 décembre 2016 par Maître Steve Helminger pour le compte de la Ville d’…, ledit mémoire ayant été notifié le même jour au litismandataire de Monsieur … ;
Vu le mémoire supplémentaire déposé au greffe du tribunal administratif en date du 20 janvier 2017 par Maître Jean-Marie Bauler au nom et pour compte de Monsieur …, ledit mémoire ayant été notifié le même jour au litismandataire de la Ville d’…;
Vu les pièces versées en cause ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Jonathan Holler, en remplacement de Maître Jean-Marie Bauler, et Maître Steve Helminger en leurs plaidoiries respectives.
______________________________________________________________________________
Par un courrier de son litismandataire du 20 mars 2015, Monsieur … s’adressa aux bourgmestre et échevins de l’administration communale d’… pour leur demander, après avoir formulé différents griefs à l’encontre d’un certain Monsieur … et d’un dénommé Monsieur …, de saisir le commissaire du gouvernement à l’instruction disciplinaire, dénommé ci-après « le commissaire du gouvernement », conformément à l’article 68, alinéa 2 de la loi modifiée du 24 décembre 1985 fixant le statut général des fonctionnaires communaux, ci-après désignée par « la loi du 24 décembre 1985 ».
Ledit courrier a la teneur suivante :
« (…) Par la présente j'ai l'honneur de vous réécrire au nom de Monsieur …, qui me charge de vous exposer ce qui suit :
Je n'ai pas à vous rappeler que c'est le devoir d'un fonctionnaire d'informer son supérieur hiérarchique quand il a connaissance de dysfonctionnements respectivement des indices susceptibles de prouver ceux-ci ou un abus.
Par la suite c'est du devoir du directeur :
-
de traiter les choses de façon confidentielle et de faire les recherches nécessaires, -
de protéger l'intégrité de la personne qui a remarqué et communiqué les problèmes, d'informer le collège échevinal Monsieur … s'est confié à son directeur.
Au lieu de chercher de trouver une solution constructive aux importants problèmes soulevés, celui-ci lui a adressé des mails offensants, comportant en partie des mensonges et qui ont eu pour objet de porter atteinte à sa dignité et de créer un climat hostile, dégradant et humiliant.
Je vous rappelle ci-après les différents griefs formulés par Monsieur … à l'égard de Messieurs … et ….
2 1. Faits et réalités, concernant M. … :
- M. … n'a rien entrepris pour améliorer la situation au bureau, par contre il a banalisé les problèmes et il les a qualifiés comme « problèmes personnels » - Pendant toute la période de maladie pour cause de dépressions de M. … il n'a rien entrepris pour remédier aux problèmes, alors qu'il était au courant des abus systématiques et des dysfonctionnements - M. … n'a jamais demandé à Monsieur … des détails concernant ses révélations (manque d'intérêt, motivation ?) - Il a affirmé par écrit (courriels) que M. … ne serait pas membre du Service du … - Il a rendu visite à Monsieur … à son domicile le 18 nov. 2013 pendant son congé de maladie et il lui a dit qu'il ne voit pas de nécessité d'informer le CE sur les problèmes.
- Il a informé Monsieur … le 18 novembre que la Commune le contacterait encore pour avoir des informations concernant une activité (président d'un bureau de vote 12 20.10.13 pendant son congé de maladie) - Le lendemain du 18 novembre Monsieur … a reçu un ordre de justification concernant cette activité — lequel a été dressé et communiqué au CE par M. … - M. … lui a envoyé des courriels comportant des recommandations au niveau médical, d'une qualité offensante, (voir aussi le mail envoyé à St. Sylvestre à 20.30 hrs).
- M. … a informé Monsieur … par courriel que M. … serait appelé à un entretien préalable au licenciement - M. … lui a écrit qu'il ne pourrait pas l'informer des suites réservées, compte tenu qu'il y a aurait une procédure disciplinaire entamée contre M. … ( ?) - Le 10.01.2014 M. … a dévoilé en détail les problèmes et révélations à M. ….
- M. … n'a à aucun moment essayé de protéger l'intégrité de Monsieur …, bien au contraire.
- Le 13.01.14, a eu lieu une réunion mystérieuse voir conspiratrice entre M. …, … et … pour discuter des problèmes révélés.
- jusqu'à ce jour, Monsieur … n'a pas eu connaissance du contenu du rapport établi à cette occasion et réclamé à d'itératives reprises.
2. Faits et réalités, concernant M. … - Monsieur … a été victime d'actes de harcèlement moral répétés de la part de M. …, La situation vécue au bureau peut être décrite comme suit:« Le détournement des règles à son profit personnel. Contourner le pouvoir de direction pour s'adonner à l'exclusion ou au favoritisme ou encore pour servir ses propres fins au détriment de certains employés, pour obtenir ou détourner des fonds sous de faux prétextes, pour s'approprier des biens, obtenir des privilèges sous de fausses représentations » - M. … à géré ses chantiers de façon très douteuse (en tant que ouvrier communal, résultat d'un manque de compétences professionnelles — gestion frauduleuse) - M. … a communiqué les prix des travaux d'éclairage du … préalablement à un entrepreneur, à ce sujet Monsieur … avait demandé à M. … de procéder a une 3 révision des 3 offres en établissant une comparaison des prix respectivement en présentant le décompte afin de démontrer les irrégularités. (sans résultat jusqu'aujourd'hui) - M. … s'est acheté à plusieurs reprises du matériel informatique que pour ses propres besoins (d'une valeur approximative de +1.400 €) - M. … s'est approprié un grand nombre de lampes industrielles « type Sammode » d'une valeur non-négligeable - achetées et payées par la Commune - pour un projet dont il avait la responsabilité de gestion.
- M. … s'est fait livrer une partie de poutrelles en bois de chêne prévues pour le projet de la Cité jardinière, dont il a géré tout seul l'article budgétaire ainsi que les offres et factures, sans le moindre contrôle - il a laissé fabriquer des tables en bois par « ARCHIPEL » - dont il a fourni le matériel - a nouveau des poutrelles en bois de chêne du même projet - Monsieur … s'étonne qu'il a été décidé qu'il devrait rendre les poutrelles « restantes » à la Commune.
La commission dont la légalité est contestable n'a pas donné la possibilité à Monsieur … de s'exprimer, de poser des questions concernant les procédures, le rapport établi par M. … en janvier 2013 ainsi que le comportement de Mrs. … et M. … ( ancien échevin responsable du personnel).
Dans leur rapport, la commission omet de faire état des conséquences néfastes pour la santé, la famille, les enfants et la vie privée de Monsieur ….
Dans le rapport il n'est par ailleurs pas pris en considération, les séquelles persistantes que Monsieur … ressent depuis novembre 2012 et qui le gênent gravement dans sa vie quotidienne.
Le rapport ne reflète malheureusement pas non plus la dimension et la gravité des problèmes et il ne prend pas en considération 1.
la façon par laquelle les informations et pièces de Monsieur … ont été traités 2.
l'ordre de justification 3.
l'entretien préalable au licenciement? « mystérieux », entre un échevin responsable pour le personnel, un directeur et un salarié 4.
la qualité de communication, respectivement le refus de communication de certains acteurs 5.
la convocation pour la commission des pensions.
Je tiens également à rappeler que dans son courrier du 07.08.2014 le collège échevinal a annoncé que l'affaire serait « traité avec tout le sérieux qui lui est dû » et que la « décision à ce sujet sera prise avant fin de l'année » (à ce jour Monsieur … n'a pas connaissance de la décision).
Il résulte de ce qui précède ainsi que de tous les éléments du dossier qu'une grande partie des faits recensés constituent des manquements professionnels susceptibles de sanctions disciplinaires.
4 Par ailleurs je vous rappelle l'article 65 du statut qui énonce ce qui suit :
« Tout manquement à la discipline engage la responsabilité personnelle du préposé qui reste en défaut de provoquer ou d'appliquer les sanctions disciplinaires ».
Au vu de tous les éléments qui précèdent ainsi que des éléments du dossier je vous prie de bien vouloir saisir le commissaire du Gouvernement à l'instruction disciplinaire conformément à l'article 68.2.
Dans la négative, je vous prie de bien vouloir me communiquer une décision motivée susceptible d'un recours devant les juridictions administratives.
Enfin et compte tenu que certains faits constituent manifestement des actes de harcèlement moral qui ont atteint Monsieur … dans son intégrité physique, mon mandant se réserve formellement le droit de rechercher la responsabilité de l'autorité qui n'a pas prévu une procédure identique, sinon analogue à celle prévue pour le fonctionnaire soumis au statut général (Cour Constitutionnelle n° 00116). (…) ».
Cette demande resta sans réponse de la part de l’administration communale d’….
Par requête déposée le 23 décembre 2015 au greffe du tribunal administratif, Monsieur … a introduit un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision implicite du collège des bourgmestre et échevins de la Ville d’… portant refus de saisir le commissaire du gouvernement.
A titre liminaire, il y a d’abord lieu de rappeler qu’aux termes de l’article 4 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, dénommée ci-après « la loi du 7 novembre 1996 », « dans les affaires contentieuses qui ne peuvent être introduites devant le tribunal administratif que sous forme de recours contre une décision administrative, lorsqu’un délai de trois mois s’est écoulé sans qu’il soit intervenu aucune décision, les parties intéressées peuvent considérer leur demande comme rejetée et se pourvoir devant le tribunal administratif ».
Cette disposition légale instaure une présomption d’existence d’une décision de refus non datée et non notifiée, afin de permettre à l’administré de recourir à la justice pour contester l’inaction prolongée de l’autorité administrative compétente.
Il est constant que le courrier du 20 mars 2015, par lequel Monsieur … a réclamé la saisine du commissaire du gouvernement n’a pas connu de réponse de la part du collège échevinal de la Ville d’…, de sorte qu’au jour de l’introduction du présent recours contentieux, Monsieur … a pu considérer sa demande comme rejetée au sens de l’article 4(1) précité de la loi du 7 novembre 1996.
Aucune disposition légale ne prévoyant un recours de pleine juridiction en la matière, le tribunal est incompétent pour connaître du recours en réformation introduit en ordre principal.
En ce qui concerne le recours subsidiaire en annulation, l’administration communale de la Ville d’…, dénommée ci-après « la Ville d’… », conclut in limine litis à l’irrecevabilité du recours, alors que le dénommé …, contre lequel une instruction disciplinaire est réclamée par Monsieur …, serait un ouvrier communal qui ne serait pas soumis aux dispositions disciplinaires de la loi du 24 décembre 1985.
Ensuite, l’acte déféré ne serait pas à considérer comme un acte de nature à faire grief dans le chef de Monsieur …, alors que ce dernier ne pourrait se prévaloir d’aucun droit à l’égard de la commune en matière de saisine du commissaire du gouvernement.
La Ville d’… conclut finalement à l’irrecevabilité du recours pour défaut d’intérêt dans le chef de Monsieur …, dont la situation personnelle ne serait nullement affectée par le défaut de saisine du commissaire du gouvernement.
Monsieur … fait répliquer que sa demande adressée à la Ville d’… du 20 mars 2015 aurait également concerné Monsieur … qui aurait, lui, bien le statut de fonctionnaire communal.
Par ailleurs, le demandeur estime que la Ville d’… n’aurait pas pu se méprendre sur l’objet du recours, qui, sans équivoque, consisterait à critiquer l’attitude passive du sieur … sinon sa complicité face aux agissements du dénommé …, de sorte qu’il aurait un intérêt à agir personnel, direct, certain et actuel du fait que la Ville d’…n’aurait pas chargé le commissaire du gouvernement d’une instruction contre le sieur … afin de garantir sa sécurité au sens de l’article 32 de la loi du 24 décembre 1985. Il indique également se réserver le droit d’introduire une action en responsabilité civile à l’encontre de la Ville d’… dès que le tribunal aura constaté une violation de la loi dans ce dossier.
La Ville d’… fait constater dans son mémoire en duplique que Monsieur … aurait changé son fusil d’épaule en s’attaquant dans sa réplique principalement à Monsieur …, alors que seul Monsieur … aurait été visé dans la requête introductive.
Elle souligne que Monsieur … ne pourrait se prévaloir d’aucun droit quelconque à l’égard de la commune en matière de saisine du commissaire du gouvernement, alors qu’elle n’aurait aucune obligation de prendre une quelconque décision.
La Ville d’… relève que Monsieur … resterait en défaut d’établir dans quelle mesure le succès de son recours contentieux serait susceptible de lui apporter une quelconque satisfaction, alors que le défaut de saisine du commissaire du gouvernement n’affecterait nullement sa situation personnelle ou patrimoniale.
Il échet d’abord de relever que si la saisine du commissaire du gouvernement n’est légalement pas possible à l’encontre du dénommé …, cette circonstance n’est pas en soi de nature à affecter la recevabilité du recours contentieux, mais consiste en un moyen au fond, étant relevé, par ailleurs, que la demande du 20 mars 2015 visait tant Monsieur … que Monsieur …, même si la requête introductive d’instance se concentre effectivement sur les griefs visant le premier. Il s’ensuit que ce premier moyen d’irrecevabilité est à rejeter.
En ce qui concerne la question de savoir si l’acte attaqué, à savoir le refus implicite de diligenter une instruction disciplinaire à l’encontre des sieurs … et …, constitue un acte de nature à faire grief, force est de relever que si l’acte de saisine du commissaire du gouvernement est à considérer comme un acte préparatoire qui n’est pas susceptible d’un recours contentieux1, l’acte consistant dans le refus de diligenter une procédure disciplinaire met définitivement fin à cette dernière, de sorte qu’il constitue un acte décisionnel définitif a priori susceptible de faire grief et partant d’être déféré en justice.
Quant à la question de savoir si Monsieur … dispose d’un intérêt à agir contre la décision litigieuse, il importe partant de vérifier si cette dernière est de nature à lui faire grief, alors que le caractère décisionnel de l’acte litigieux attaqué ne suffit pas à lui seul s’il n’est pas établi que l’administré ayant saisi le tribunal puisse tirer du succès de son recours une certaine satisfaction personnelle ou patrimoniale.
En l’espèce, il y a d’abord lieu de retenir que la décision litigieuse, consistant dans le refus de procéder à une instruction disciplinaire à l’encontre d’un collègue de travail, n’est certainement pas de nature à affecter la situation patrimoniale de Monsieur ….
De même, le fait de pouvoir voir un collègue de travail faire l’objet d’une poursuite disciplinaire ne saurait pas non plus constituer un intérêt protégeable, et ce, même dans le cas où celui-ci aurait commis des irrégularités dans le cadre de l’exécution de ses tâches, alors que le contrôle de la bonne exécution des tâches d’un fonctionnaire appartient aux supérieurs hiérarchiques responsables du service en question.
En ce qui concerne cependant la saisine du commissaire du gouvernement dans le contexte de la protection sollicitée par Monsieur … sur base de l’article 36 de la loi du 24 décembre 1985, il échet de noter que les prescriptions de cette disposition, à savoir que « le respect et la défense des intérêts légitimes du fonctionnaire et de sa famille doivent être la préoccupation de l’autorité communale (…) » qui « (…) protège le fonctionnaire contre (…) tout acte de harcèlement moral à l’occasion des relations de travail (…) », n’impliquent pas impérativement une obligation de diligenter une instruction disciplinaire contre l’auteur de tels prétendus agissements et que la saisine du commissaire du gouvernement de tels faits n’est pas per se de nature à les faire cesser, force est cependant de retenir que la responsabilisation, sur un plan disciplinaire, d’un fonctionnaire susceptible d’être l’auteur d’un harcèlement moral peut éventuellement constituer un moyen parmi d’autres afin de faire cesser des agissements notamment contraires à l’article 12, paragraphe (3) de la loi du 24 décembre 1985 disposant que « Le fonctionnaire doit s’abstenir de tout fait de harcèlement sexuel ou harcèlement moral à l’occasion des relations de travail (…) ».
Il s’ensuit que Monsieur … a ainsi établi avoir un certain intérêt à déférer la décision litigieuse portant implicitement refus de saisir le commissaire du gouvernement des prétendus faits de harcèlement en question, de sorte que le moyen d’irrecevabilité y relatif est à rejeter.
1 trib. adm. 16 novembre 2005, n° 20098 du rôle, conf. par Cour adm. 16 mai 2006, n° 20822C du rôle, Pas. adm.
2016 V° Fonction publique, n° 243. Au vu des considérations qui précèdent, et à défaut d’autres moyens d’irrecevabilité, le recours subsidiaire en annulation dirigé contre la décision implicite de refus du collège des bourgmestre et échevins de la Ville d’… de saisir le commissaire du gouvernement résultant de son silence de plus de trois mois suite à l’introduction en date du 20 mars 2015 de la demande y relative, est recevable pour avoir été introduit, par ailleurs, dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours et en fait, le demandeur explique être entré aux services de la Ville d’… en 1987 en tant qu’expéditionnaire technique, où il aurait été affecté, vers l’année 2000, aux services de … nouvellement créé.
Le demandeur affirme avoir pu constater, à partir de l’année 2008, des « changements et des difficultés au niveau de la collaboration et de la communication au sein du bureau » qu’il aurait partagé avec le dénommé ….
Il fait valoir qu’au début de l’année 2011, il aurait dû constater des dysfonctionnements d’ordre organisationnel et financier au sein de son service qui auraient été dus à une mauvaise gestion des projets par le dénommé …, qui aurait manifestement détourné certaines règles pour son profit personnel afin de s’approprier de biens, de sorte qu’il se serait tourné, dès novembre 2011, vers ses supérieurs hiérarchiques.
Suite à un malaise vagal en novembre 2012, il aurait eu une entrevue avec Monsieur …, directeur des travaux municipaux, et l’ingénieur-urbaniste, Madame …, le 25 janvier 2013, dans le cadre de laquelle il aurait évoqué les problèmes relatifs tant au harcèlement qu’aux dysfonctionnements. Cette entrevue serait restée sans suite, étant donné que ses supérieurs auraient interprété ses plaintes comme résultant d’un conflit personnel d’ordre privé avec le dénommé …, de sorte que son état de santé s’en serait encore dégradé. Il en aurait été de même en ce qui concerne l’entrevue qu’il aurait eue avec Monsieur …, échevin responsable du personnel, en juin 2013.
Malgré les alertes lancées, le sieur … n’aurait jamais rien entrepris jusqu’en novembre 2013, période à laquelle ce dernier aurait promis de faire le nécessaire et de convoquer le sieur … à un « entretien préalable de licenciement », à l’issue duquel le sieur … serait pourtant ressorti « blanchi ».
Le demandeur explique avoir été informé en août 2014, que le collège échevinal aurait envisagé de mener une enquête interne en vue de pouvoir décider des suites à réserver aux problèmes soulevés et dont le rapport lui aurait été transmis en date du 1er décembre 2014.
En présence de plusieurs moyens invoqués, le tribunal n'est pas lié par l'ordre dans lequel ils lui ont été soumis et détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l'effet utile s'en dégageant, de manière que les moyens tenant à la validité formelle d'une décision sont examinés, dans une bonne logique juridique, avant ceux portant sur son caractère justifié au fond.2 2 trib. adm. du 31 mai 2006, n °21060 du rôle, Pas. adm. 2016, V° Procédure contentieuse, n° 426En effet, dans son mémoire en réplique, le demandeur soulève un nouveau moyen tendant à faire constater une violation du devoir de collaboration, tel qu’il résulterait de l’article 1er de la loi du 1er décembre 1978 réglant la procédure administrative non contentieuse, tel que concrétisé par l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, dénommé ci-après « le règlement du 8 juin 2979 », du fait, pour la défenderesse, de ne pas avoir répondu à la demande officielle lui adressée le 20 mars 2015.
Force est à titre liminaire de relever que si le litige est censé être délimité par les moyens figurant dans la requête introductive d’instance, la Cour administrative a, dans un récent arrêt, retenu qu’aucune disposition légale n’empêche un demandeur de fournir des moyens nouveaux au niveau d’un mémoire subséquent déposé dans les délais prévus par la loi3, sous réserve évidemment de la préservation des droits de la défense.
La partie défenderesse, dans son mémoire en duplique, conclut au rejet de ce moyen en faisant plaider que les dispositions invoquées à l’appui de ce moyen ne seraient pas applicables, étant donné que le demandeur ne pourrait se prévaloir d’aucun droit à son égard en la matière, et qu’elle n’aurait pas, en l’espèce, été dans l’obligation de prendre une décision administrative à la demande du demandeur.
A titre subsidiaire, la partie défenderesse fait valoir que la sanction de l’obligation de motivation consisterait dans la seule suspension des délais de recours et non dans l’annulation de la décision litigieuse, l’administration étant en droit de compléter sa motivation en cours d’instance.
Si l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 impose, certes, pour certaines décisions, dont les décisions de refus, une obligation de motivation formelle, en ce sens que ces décisions de refus doivent reposer sur des motifs légaux et formellement indiquer lesdits motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui leur sert de fondement et des circonstances de fait à leur base, et s'il est vrai que le silence de l'administration suite à une demande d’un administré équivaut à une absence de motivation, il est cependant de jurisprudence constante qu’un tel comportement doit cependant trouver sa sanction dans les règles de la responsabilité civile et non pas conduire à l'annulation automatique de l'acte si la décision administrative est, par ailleurs, basée sur des motifs légaux quoique non formellement énoncés dans l'acte. La sanction de l'obligation de motiver une décision administrative consiste, en principe, dans la suspension des délais de recours, la décision restant valable lorsque l'administration produit ou complète de manière utile les motifs postérieurement et même pour la première fois devant le juge administratif, ce qui est le cas en l’espèce,4 alors que la Ville d’… motive son refus, d’un côté, par le fait que Monsieur …, en tant qu’ouvrier communal, ne serait pas soumis aux dispositions disciplinaires de la loi du 24 décembre 1985 et, de l’autre, par la contestation et le défaut de pertinence des faits reprochés au sieur …. Il s’ensuit que ce moyen de légalité externe est à rejeter.
3 Cour adm. 1er décembre 2016, n° 38334 C du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu 4 Cour adm. 13 juin 2006, n° 21176C du rôle, Pas.adm. 2016, V° Procedure administrative non contentieuse, n° 79.Au fond, le demandeur conclut, en premier lieu, à une violation de l’article 68, paragraphe (2) de la loi du 24 décembre 1985, en demandant au tribunal « d’évaluer si les éléments du dossier qui lui sont soumis font présumer que Monsieur … se serait rendu coupable d’actes susceptibles de porter atteinte à la personnalité respectivement à la dignité ou à [son] intégrité physique ou psychique (…) », de sorte qu’à l’affirmative, la Ville d’… aurait commis une erreur manifeste d’appréciation en ne saisissant pas le commissaire du gouvernement.
Dans son mémoire en réplique, face au constat, lui opposé par la défenderesse dans son mémoire en réponse concluant au rejet dudit moyen, selon lequel le dénommé … ne serait pas, en tant qu’ouvrier communal, soumis aux règles de la procédure disciplinaire au sens des articles 68 et suivants de la loi du 24 décembre 1985, le demandeur déclare maintenir le moyen, mais cette fois-ci en ce qui concerne les manquements reprochés à Monsieur ….
La défenderesse fait dupliquer que les reproches du demandeur à l’égard de Monsieur …, à les supposer établis, ne justifieraient pas la saisine du commissaire du gouvernement, et continue, ainsi, à conclure au rejet du moyen.
Aux termes de l’article 68 de la loi du 24 décembre 1985 « 1. L’instruction disciplinaire appartient au commissaire du Gouvernement chargé de l’instruction disciplinaire ou à ses adjoints, dénommés par la suite indistinctement le commissaire du Gouvernement dans le présent statut, et au Conseil de discipline.
2. Lorsque des faits, faisant présumer que le fonctionnaire a manqué à ses devoirs, sont à sa connaissance, le collège des bourgmestre et échevins saisit le commissaire du Gouvernement qui procède à l’instruction disciplinaire. (…) ».
Il n’est d’abord pas contesté en cause que le sieur … a la qualité d’ouvrier communal et que la loi du 24 décembre 1985, et plus précisément son article 68, ne lui est pas applicable, alors qu’elle vise uniquement, en vertu de son article 1er, les « fonctionnaires des communes, syndicats de communes et établissements publics placés sous la surveillance des communes (…) » et non les ouvriers communaux, qui sont notamment soumis, en l’occurrence, à la convention collective dénommée « Rahmenkollektivvertrag für die Gemeindearbeiter der Südgemeinden ».
Il s’ensuit que le collège échevinal de la Ville d’… n’est pas à critiquer du fait de n’avoir pas diligenté une enquête disciplinaire au sens des articles 68 et suivants de la loi du 24 décembre 1985 à l’encontre de Monsieur ….
Même si, dans sa requête introductive d’instance, le demandeur a conclu à la violation de l’article 68, paragraphe (2) de la loi du 24 décembre 1985 par rapport au seul dénommé …, et que le litige est censé être délimité par les moyens figurant dans la requête introductive d’instance, il est rappelé que la Cour administrative a, dans un arrêt du 1er décembre 2016, retenu qu’aucune disposition légale n’empêche un demandeur de fournir des moyens nouveaux au niveau d’un mémoire subséquent déposé dans les délais prévus par la loi5, sous réserve de la préservation des droits de la défense.
5 Cour adm. 1er décembre 2016, n° 38334 C du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu En l’occurrence, la partie défenderesse a pris position au fond suite à l’élargissement du moyen relatif à la violation de l’article 68 de la loi du 24 décembre 1985, de sorte qu’il y a lieu de toiser le moyen tel que reformulé.
Il échet de rappeler que l’article 68 de la loi du 24 décembre 1985 prévoit que le collège échevinal saisit le commissaire du gouvernement s’il est confronté à des faits faisant présumer qu’un fonctionnaire a manqué à ses devoirs.
En vertu de l’article 65 de la loi du 24 décembre 1985 « Tout manquement à la discipline engage la responsabilité personnelle du préposé qui reste en défaut de provoquer ou d’appliquer les sanctions disciplinaires. » Force est de relever que le demandeur reproche en substance, dans ce contexte, à la défenderesse de ne pas avoir, contrairement à ce qui lui aurait été demandé par le courrier du 20 mars 2015, diligenté une procédure disciplinaire à l’encontre de Monsieur …, architecte-directeur, en sa qualité de supérieur hiérarchique du sieur …, alors que ce dernier n’aurait rien entrepris pour mettre fin au harcèlement moral que le sieur … aurait exercé sur lui et notamment de ne pas lui avoir proposé de changement de bureau. De plus, Monsieur … aurait fait courir des rumeurs selon lesquels le demandeur aurait des problèmes personnels avec le sieur …, de même qu’il aurait informé ce dernier du détail des accusations soulevées par lui à son encontre.
Or, à la lecture du dossier administratif et notamment du rapport détaillé du 6 février 2015 présenté par la commission d’instruction instituée ad hoc en vue d’apporter des éclaircissements sur le conflit entre le demandeur et le dénommé …, ainsi que sur les fautes professionnelles reprochées à ce dernier, il appert d’abord que le conflit personnel entre le demandeur et le sieur … n’était un secret pour personne, même si l’origine du conflit reste indéterminée, les deux protagonistes s’accusant mutuellement sur ce point. Ladite commission est, d’ailleurs, encore venue à la conclusion, dans ce contexte, que, mis à part la mauvaise entente notoire entre Monsieur … et Monsieur …, les faits d’harcèlement manquent d’être établis.
En ce qui concerne l’attitude du sieur …, il ressort des éléments du dossier administratif que, contrairement à ce qui est prétendu par le demandeur, ce dernier a essayé de trouver une solution en vue d’un changement de bureau permettant une séparation physique des sieurs … et …, même si un tel changement n’a finalement pas abouti. Il a également saisi l’échevin responsable du personnel de la Ville d’… de cette même problématique, de même que des agissements fautifs reprochés au sieur … qui ont finalement mené à une plainte auprès du procureur d’Etat.
Au vu de ces considérations, il n’est dès lors pas établi qu’il y aurait eu une violation de l’article 65 de la loi du 24 décembre 1985 de la part du sieur … en sa qualité de supérieur hiérarchique du sieur ….
Il s’ensuit, dans ces circonstances, que le demandeur est resté en défaut d’établir que la partie défenderesse aurait commis une erreur d’appréciation en ne diligentant pas de procédure disciplinaire contre le sieur …, de sorte que le moyen relatif à la violation de l’article 68 de la loi du 24 décembre 1985 est à rejeter.
Cette conclusion n’est pas énervée par le courrier du 28 octobre 2014 adressé par le chef de service du personnel au collège échevinal, dans lequel celui-ci fait état de sa désapprobation sur la manière avec laquelle le sieur … a géré le personnel du service de nettoyage qui était sous ses ordres auparavant et qui n’a rien avoir avec le service dans lequel travaillait le demandeur, et ce, même s’il y figure, dans ce contexte, une appréciation tout à fait personnelle relative au conflit entre les sieurs … et …, dans lequel le sieur … jouerait un rôle non négligeable, alors que « la gestion de rapports entre les humains » ne constituerait « guère le point fort » de ce dernier.
Il en va de même de l’ordre de justification adressé au demandeur relatif à sa tenue d’un bureau de vote pendant une période où il se trouvait en incapacité de travail, alors que ce fait n’a rien à voir avec les circonstances de la présente cause.
Le demandeur fait ensuite valoir que la décision déférée constituerait une violation de l’article 36 précité de la loi du 24 décembre 1985 relatif à la protection du fonctionnaire communal.
La Ville d’… conclut au rejet de ce moyen.
Force est de rappeler, dans ce contexte, que dans le cadre de l’analyse du tribunal relatif à une prétendue violation de l’article 68 de la loi du 24 décembre 1985, il a été constaté que dans le cadre du conflit personnel existant entre les sieurs … et … et qui aurait entraîné des problèmes de santé psychique dans le chef de ce dernier, la défenderesse a institué une commission ad hoc spéciale pour instruire en interne les tenants et aboutissements notamment de ce conflit et que le rapport final de cette commission a conclu qu’un harcèlement de la part du sieur … à l’encontre du demandeur n’est pas établi. Il s’ensuit que dans le contexte d’une éventuelle violation du devoir de protection de la défenderesse vis-à-vis du demandeur par le fait de ne pas avoir procédé à la saisine du commissaire du gouvernement relatif à l’attitude de Monsieur …, le tribunal ne saurait actuellement se départir des conclusions prises plus haut, de sorte que ce moyen est également à rejeter.
Il se dégage partant de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours formé par le demandeur est à rejeter comme n’étant pas fondé.
Compte tenu de l’issue du litige, la demande de Monsieur … visant l’allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 750 euros est à déclarer non fondée.
En ce qui concerne la demande y relative formulée par la défenderesse, cette dernière laisse d’établir en quoi il serait inéquitable qu'elle supporte seule les sommes exposées par elle et non comprises dans les dépens, de sorte qu’elle est à débouter de sa demande en allocation d'une indemnité de procédure d’un montant de 800 euros.
Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation ;
reçoit le recours subsidiaire en annulation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
rejette les demandes réciproques en allocation d’une indemnité de procédure ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par :
Carlo Schockweiler, premier vice-président, Anne Gosset, premier juge, Olivier Poos, premier juge, et lu à l’audience publique du 21 mars 2017 par le premier vice-président, en présence du greffier Marc Warken.
s.Marc Warken s.Carlo Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 21/03/2017 Le Greffier du Tribunal administratif 13