Tribunal administratif N° 37838 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 avril 2016 3e chambre Audience publique du 14 mars 2017 Recours formé par Monsieur …, … (Belgique), contre un bulletin d’appel en garantie en matière d’appel en garantie
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 37838 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 27 avril 2016 par Monsieur …, demeurant à B-…, tendant à la réformation d’un bulletin d’appel en garantie émis en date du 18 septembre 2015 par le bureau d’imposition RTS Esch-sur-Alzette ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 10 août 2016 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment le bulletin déféré ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Lou THILL en sa plaidoirie à l’audience publique du 1er mars 2017.
En date du 18 septembre 2015, le bureau d’imposition … de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par le « bureau d’imposition », émit un bulletin d’appel en garantie (« Haftungsbescheid ») en vertu du paragraphe 118 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, appelée « Abgabenordnung », en abrégé « AO », à l’encontre de Monsieur … en sa qualité d’administrateur de la société anonyme … S.A., dénommée ci-après la « société … », déclarée en faillite, ledit bulletin déclarant Monsieur … codébiteur solidaire d’un montant de ….-€, en principal et intérêts, au titre des retenues d’impôt qui auraient dû être effectuées par la société … sur les traitements et salaires de son personnel au cours des années d’imposition 2014 et 2015.
Ledit bulletin est libellé comme suit :
« […] Il est dû à I’Etat du Grand-Duché de Luxembourg par la société … S.A., immatriculée sous le numéro fiscal …, à titre de l’impôt sur les traitements et salaires :
Année 2014 … principal … intérêts Année 2015 … principal … intérêts Total … … Il résulte de la publication au Mémorial C numéro … du … que vous avez été nommé administrateur de la société … S.A. à l’assemblée générale du 09.11.2011. En cette qualité vous avez disposé du pouvoir d’engager l’entreprise sous votre signature à partir de cette date.
En votre qualité d’administrateur vous avez été en charge de surveiller la gestion journalière pour les années 2014 et 2015. Durant cette période, l’impôt sur les traitements et salaires d’une somme de ….- € est resté en souffrance.
En vertu de l’article 136 alinéa 4 de la loi modifiée du 4 novembre 1967 sur l’impôt sur le revenu, l’employeur est tenu de retenir et de verser l’impôt qui est dû sur les traitements et salaires de son personnel. Dans le cas d’une société, cette obligation incombant aux employeurs est transmise aux représentants de celle-ci, conformément au § 103 AO.
Aux termes du § 103 AO vous étiez, en tant qu’administrateur, personnellement tenu, à l’accomplissement de toutes les obligations fiscales incombant à la société, dont notamment le paiement des impôts dus par la société à l’aide des fonds administrés.
Conformément au § 106 AO, il vous incombait de prélever sur les fonds administrés les fonds nécessaires pour acquitter les impôts nés avant la disparition de la société … S.A. et d’assurer leur paiement.
Durant la période du 20.12.2014 au 31.07.2015, il vous appartenait de retenir, de déclarer et de payer la retenue; or durant cette période, la retenue d’impôt dû sur les traitements et les salaires n’a pas été payée.
Cette omission de payer les sommes dues à titre de retenue d’impôt est une inexécution fautive de vos obligations en tant que représentant de la société … S.A. (CA du 6 mai 2003 no 15989C) Suite à votre comportement fautif le receveur de l’Administration des contributions directes n’a pas perçu les retenues d’impôt d’un montant de ….- € qui se compose comme suit Année 2014 … principal … intérêts Année 2015 … principal … intérêts Il y a lieu de relever qu’en vertu du § 110 AO, votre responsabilité pour les actes accomplis pendant la période de vos fonctions survit à l’extinction de votre pouvoir de représentation.
Sur base des éléments qui précèdent, votre responsabilité personnelle se trouve engagée en application du § 109 AO et vous êtes co-débiteur solidaire des retenues d’impôt qui auraient dû être effectuées par la société … S.A. sur les traitements et salaires de son personnel. […] ».
Par courrier du 16 octobre 2015, Monsieur … introduisit une réclamation auprès du directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après dénommé le « directeur », à l’encontre du prédit bulletin d’appel en garantie du 18 septembre 2015.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 27 avril 2016, Monsieur … a introduit un recours tendant à la réformation du bulletin d’appel en garantie émis en date du 18 septembre 2015 par le bureau d’imposition.
Conformément aux dispositions de l’article 8 (3) 3. de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, un bulletin d’impôt peut uniquement être directement déféré au tribunal lorsqu’une réclamation au sens du paragraphe 228 AO a été introduite et qu’aucune décision directoriale définitive n’est intervenue dans le délai de six mois à partir de la demande. Par contre, lorsque le directeur a statué sur la réclamation par une décision définitive, le recours est irrecevable pour autant qu’introduit directement contre le bulletin1.
Etant donné, d’une part, que la réclamation introduite le 16 octobre 2015 à l’encontre du bulletin d’appel en garantie par Monsieur … est restée sans réponse pendant plus de six mois et, d’autre part, qu’un recours au fond contre un bulletin d’appel en garantie est prévu en la matière par l’article 8 (3) 3. de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation à l’encontre dudit bulletin d’appel en garantie.
Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement a, tout d’abord, soulevé l’irrecevabilité du recours sous analyse pour défaut d’élection de domicile au Luxembourg par le demandeur en violation de l’article 57 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après désignée par « la loi du 21 juin 1999 ».
Le demandeur n’a pas pris position par rapport au moyen d’irrecevabilité tiré du défaut d’élection de domicile ni en déposant un mémoire en réplique ni oralement à l’audience publique des plaidoiries à laquelle il n’était ni présent ni représenté.
Aux termes de l’article 57 de la loi du 21 juin 1999 : « La requête, introductive d’instance signée par le requérant ou son mandataire contient outre les indications prévues à l’article 1er une élection de domicile au Grand-Duché lorsque le requérant ou son mandataire demeurent à l’étranger. ».
S’il en résulte que le demandeur, en tant que non résident, est en principe tenu d’élire, dans la requête introductive d’instance, domicile au Luxembourg, étant relevé que la requête introductive d’instance ne contient en l’espèce aucune élection de domicile, ce principe est cependant à appliquer conjointement avec celui inscrit à l’article 29 de la loi du 21 juin 1999 précitée, aux termes duquel « L’inobservation des règles de procédure n’entraîne l’irrecevabilité́ de la demande que si elle a pour effet de porter effectivement atteinte aux droits de la défense ».
L’article 29 sous revue emporte pour la juridiction saisie une analyse consistant à examiner, au-delà du caractère vérifié d’une inobservation alléguée d’une règle de procédure, si 1 Trib. adm. 6 janvier 1999, n°10357 du rôle, Pas. adm. 2016, V° Impôts, n° 864 et les autres références y citées.
celle-ci a pour effet de porter effectivement atteinte aux droits de la défense. En l’absence de pareille atteinte, l’inobservation de la règle de procédure, quelle qu’en soit par ailleurs la qualification, ne saurait entraîner l’irrecevabilité́ de la demande, étant donné que ce n’est que dans l’hypothèse où l’inobservation vérifiée d’une règle de procédure a pour effet de porter effectivement atteinte aux droits de la défense qu’une analyse supplémentaire s’impose à la juridiction saisie pour déterminer dans ce cas de figure précis dans quelle mesure cette inobservation doit entraîner l’irrecevabilité de la demande2.
En l’occurrence, devant le fait avéré que l’Etat a pu assurer sa défense de façon valable et complète, en prenant notamment position à travers son mémoire en réponse par rapport aux moyens soulevés dans la requête du demandeur et à défaut par la partie étatique d’avoir indiqué en quoi ses droits de la défense auraient été violés, l’inobservation des règles de procédure invoquées plus particulièrement au niveau de l’élection de domicile n’a pu entraîner l’irrecevabilité́ de la demande.
Le moyen d’irrecevabilité tel que soulevé par le délégué du gouvernement est par conséquent à rejeter pour ne pas être fondé.
Le recours, ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, est dès lors recevable.
A l’appui de son recours, le demandeur explique tout d’abord qu’il aurait été le gérant de la société à responsabilité limitée … s.à r.l et qu’il aurait accompli son rôle de gérant sans incidents de 2005 à 2011. Fin 2011, ladite société aurait été rachetée par « le groupe … » et transformée en la société ….
Le demandeur soutient qu’à partir de fin 2011, un dénommé …, administrateur délégué de la société …, aurait été seul à prendre les décisions financières et aurait eu le pouvoir de donner les ordres de paiement, de sorte que le bureau d’imposition aurait dû se retourner vers ce dernier.
Le délégué du gouvernement quant à lui estime que le bulletin d’appel en garantie serait fondé en fait et en droit, et il conclut au rejet du recours sous analyse.
En vertu des dispositions de l’article 136 (4) de la loi modifiée de l’impôt sur le revenu du 4 décembre 1967, ci-après désignée par « LIR », l’employeur est tenu de retenir et de verser l’impôt qui est dû sur les salaires et traitements de son personnel. Dans le cas d’une société, cette obligation incombant aux employeurs est transmise aux représentants de celle-ci, conformément au paragraphe 103 AO, qui dispose que « Die gesetzlichen Vertreter juristischer Personen und solcher Personen, die geschäftsunfähig oder in der Geschäftsfähigkeit beschränkt sind, haben alle Pflichten zu erfüllen, die denen Personen, die sie vertreten, obliegen ; insbesondere haben sie dafür zu sorgen, dass die Steuern aus den Mitteln die sie verwalten, entrichtet werden. Für Zwangsgeldstrafen und Sicherungsgelder die gegen sie erkannt, und für Kosten von 2 Cour adm., 1er juillet 2010, n° 26420C et 26421C du rôle, Pas. adm. 2016, V° Procédure contentieuse, n° 296 et les autres références y citées ; Trib. adm., 14 février 2011, n° 26808 du rôle, Pas. adm. 2016, V° Procédure contentieuse, n° 298 et les autres références y citées.
Zwangsmitteln die gegen sie festgesetzt werden, haften neben ihnen die von ihnen vertretenen Personen ».
Il s’ensuit que l’administrateur d’une société anonyme est tenu de remplir les obligations fiscales incombant à cette dernière et notamment de payer sur les fonds qu’il gère les impôts dont la société est redevable directement, respectivement ceux dont elle est redevable pour compte d’autrui.
Quant à la mise en œuvre de la responsabilité personnelle du fait du non-paiement des impôts dont est redevable une personne morale, le paragraphe 109 AO dispose dans son alinéa 1er « Die Vertreter und die übrigen in den §§ 103 bis 108 bezeichneten Personen haften insoweit persönlich neben dem Steuerpflichtigen, als durch schuldhafte Verletzung der ihnen in den §§ 103 bis 108 auferlegten Pflichten Steueransprüche verkürzt oder Erstattung oder Vergütung zu Unrecht gewährt worden sind ».
Ces dispositions légales mettent ainsi une obligation personnelle à charge des représentants légaux de la société.
Il se dégage encore de ces dispositions que le simple constat d’un manquement à une obligation fiscale découlant du paragraphe 103 AO précité n’est pas suffisant pour engager la responsabilité personnelle des dirigeants d’une société en application du paragraphe 109 (1) AO et pour voir émettre à leur encontre un bulletin d’appel en garantie, le législateur ayant en effet posé à cet égard l’exigence supplémentaire d’une inexécution fautive (« schuldhafte Verletzung ») des obligations du représentant de la société envers l’administration fiscale.
Par ailleurs, le paragraphe 7 (3) de la loi d’adaptation fiscale modifiée du 16 octobre 1934, maintenue en vigueur par l’arrêté grand-ducal du 26 octobre 1944, appelée « Steueranpassungsgesetz », en abrégé « StAnpG », dispose que « Jeder Gesamtschuldner schuldet die ganze Leistung. Dem Finanzamt steht es frei an welchen Gesamtschuldner es sich halten will. Es kann die geschuldete Leistung von jedem Gesamtschuldner ganz oder zu einem Teil fordern ». Dès lors, en cas de pluralité de responsables, la possibilité de poursuivre simultanément tous les responsables résulte implicitement du paragraphe 7 StAnpG en vertu duquel ceux qui sont poursuivis en qualité de responsables sont tenus solidairement. Le bureau d’imposition n’est par contre pas obligé de poursuivre tous les co-responsables et peut limiter son recours contre un ou plusieurs d’entre eux3.
En toute hypothèse, il appartient cependant au bureau d’imposition de relever les circonstances particulières qui ont déterminé son choix. Le pouvoir du bureau d’imposition d’engager une poursuite contre un tiers responsable, et, plus particulièrement, contre le représentant d’une société, ne relève en effet pas d’une compétence liée, mais constitue un pouvoir d’appréciation dans son chef et ce à un double titre, d’abord en ce qui concerne l’appréciation du degré fautif du comportement de la personne visée, et, ensuite, en ce qui concerne le choix du ou des codébiteurs contre lesquels l’émission d’un bulletin d’appel en garantie est décidée, chaque fois compte tenu des circonstances particulières de l’espèce. Il appartient dès lors à l’administration de justifier la décision à ce double égard.
3 Trib. adm. 14 juin 2010, n° 26277 du rôle, disponible sur www.ja.etat.lu Quant à l’exercice de ce pouvoir d’appréciation par l’administration, le paragraphe 2 StAnpG dispose dans ses alinéas (1) et (2) que « (1) Entscheidungen, die die Behörden nach ihrem Ermessen zu treffen haben (Ermessens-Entscheidungen), müssen sich in den Grenzen halten, die das Gesetz dem Ermessen zieht. (2) Innerhalb dieser Grenzen sind Ermessensentscheidungen nach Billigkeit und Zweckmässigkeit zu treffen ». Ainsi, l’administration investie d’un pouvoir d’appréciation doit procéder selon des considérations d’équité et d’opportunité et partant se livrer à une appréciation effective et explicite des circonstances particulières susceptibles en raison et en équité de fonder sa décision.
Il appartient à cet égard au tribunal de constater qu’il ressort d’un extrait du Mémorial C, Recueil des Sociétés et Associations ; numéro …, du …, que lors de l’assemblée générale extraordinaire du 9 novembre 2011, Monsieur … a été nommé au poste d’administrateur de la société … jusqu’à l’assemblée générale ordinaire des actionnaires de l’année 2016 avec le pouvoir d’engager cette dernière par la signature conjointe du demandeur et d’un autre administrateur, de sorte que le tribunal est amené à conclure que le demandeur doit être considéré comme ayant été officiellement en charge de l’administration de la société … à partir du 9 novembre 2011, et, conformément à l’article 53 de la loi modifiée sur les sociétés commerciales du 10 août 1915, comme ayant été à partir de ce même moment un des représentants légaux de ladite société à l’égard des tiers, la société … ayant été représentée à l’égard des tiers par son conseil d’administration. Dans la mesure où il ne ressort, par ailleurs, d’aucun élément soumis à l’appréciation du tribunal que la responsabilité du demandeur dans l’administration de la société aurait été limitée à des domaines spécifiques ayant eu comme conséquence que le paiement des impôts sur les traitements et salaires dépassait son champ de compétence, il y a lieu de conclure qu’il était responsable, ensemble avec les deux autres administrateurs, de la retenue des impôts sur salaires et traitements.
Or, celui qui agit en lieu et place d’autrui doit veiller à l’exécution des obligations fiscales de celui qu’il représente. Une de ces obligations consiste ainsi pour le représentant légal d’une société à opérer, déclarer et verser les retenues d’impôt et, de manière générale, à payer sur les fonds qu’il gère les impôts dont la société est redevable.
A cet égard, le représentant qui a accepté sa fonction ne peut pas se contenter de contester son pouvoir. En effet, en n’exécutant pas les obligations légales de la société, il manque à son premier devoir, celui d’administrer4.
S’agissant de l’appréciation de la faute commise du fait du défaut de paiement plus spécifiquement des impôts sur traitements et salaires, il est vrai que, tel que cela a été retenu ci-avant, le seul non-respect d’une obligation fiscale n’est pas suffisant pour engager la responsabilité personnelle des dirigeants d’une société en application du paragraphe 109 (1) AO, mais il faut qu’une inexécution fautive soit vérifiée.
4 F. Rosen, « Obligations et responsabilités des dirigeants de société en matière de contributions directes », Droit fiscal luxembourgeois, Livre jubilaire de l’IFA Luxembourg, Bruylant, 2009, p. 199.
En l’espèce, le tribunal est amené à retenir, de concert avec la partie étatique, que le demandeur a sciemment omis de verser au Trésor Public l’impôt qui était dû sur les traitements et salaires du personnel de la société … pour la période concernée.
En effet, en tant que personne étant de jure en charge de l’administration de la société, Monsieur …, conformément au paragraphe 103 AO, était personnellement tenu pendant les périodes correspondant à l’exercice de cette fonction, à l’accomplissement de toutes les obligations fiscales incombant à la société, de sorte qu’il était obligé de retenir, lors du paiement des salaires, l’impôt sur les salaires, ainsi que de le verser au Trésor Public.
La faute ainsi commise est d’autant plus reprochable qu’en arrogeant ainsi à la société … un crédit en ne payant pas des sommes qui sont dues au fisc, il a utilisé l’argent que la société est tenue de payer pour compte des salariés, étant relevé qu’il s’agit de sommes d’argent qui, dès le versement du salaire, ne doivent pas recevoir une affectation autre que le seul paiement de l’impôt dû par le salarié. Or, en ne donnant pas à ces montants l’affectation qu’ils doivent recevoir, le représentant de la société détourne lesdits montants à d’autres fins, ce qui constitue à l’évidence une inexécution gravement fautive de ses devoirs, qu’il n’a d’ailleurs pas pu ignorer.
Le tribunal est dès lors amené à retenir que les explications fournies en l’espèce par la partie étatique permettent à suffisance, au regard des exigences posées par le paragraphe 109 AO et par le paragraphe 2 StAnpG, de justifier le constat d’un comportement fautif dans le chef du demandeur. C’est dès lors à bon droit que le bureau d’imposition a retenu une faute caractérisée à charge du demandeur.
Cette conclusion n’est pas énervée par l’affirmation du demandeur qu’il n’aurait de facto pas été en charge de la gestion journalière de la société et que cette tâche aurait appartenu Monsieur …, administrateur délégué de la société …. Il convient de prime abord de souligner que les pouvoirs et devoirs attribués expressément par la loi au conseil d’administration ne peuvent faire l’objet d’aucune délégation5, seuls les actes « qui en raison tant de leur peu d’importance que de la nécessité d’une prompte solution ne justifient pas l’intervention du conseil d’administration lui-même6 » pouvant faire l’objet d’une telle délégation.
Le tribunal relève enfin que si, en l’espèce, le demandeur soutient que Monsieur … aurait été nommé administrateur délégué à la gestion journalière de la société … et que ce dernier aurait dirigé effectivement la société, cette affirmation, tout comme celle, selon laquelle il aurait toujours répondu à ses obligations fiscales entre 2005 et 2011 lorsqu’il aurait été seul gérant d’entreprise, ne sont pas de nature à contredire les constatations retenues ci-avant, étant encore précisé qu’en tout état de cause, les membres du conseil d’administration n’échappent pas à leurs responsabilités parce qu’ils délèguent en tout ou en partie, celles-ci à d’autres ; ils doivent au contraire assumer une surveillance constante de ceux à qui ils donnent pareille délégation7, puisque nonobstant l’existence dans une société d’un délégué à la gestion journalière, « les administrateurs devraient aussi répondre d’un défaut de surveillance du délégué à la gestion journalière »8, principe que la 5 O. Ralet, Responsabilités des dirigeants de sociétés, Larcier, 1996, p.59.
6 Cass. b., 17 septembre 1968, Pas.b., 1969, p.61 7 Mons, 20 mai 1985, R.P.S., 1985, p.290.
8 J. Van Ryn et P. Van Ommeslaghe, Examen de la jurisprudence - les sociétés commerciales, R.C.J.B., 1973, p.532.
Cour administrative vient d’ailleurs tout récemment de confirmer9. En effet, si le demandeur a, en sa qualité d’administrateur, omis d’exercer un quelconque contrôle sur le fonctionnement et la gestion journalière de la société … en général et des activités des autres administrateurs en particulier, force est de constater qu’il est constant en cause que Monsieur … n’avance dans le cadre du présent recours aucune explication susceptible d’expliquer son comportement.
Par ailleurs, il est admis que les administrateurs sont nommés parce que l’on attend d’eux la compétence nécessaire pour l’accomplissement de leurs fonctions, de sorte qu’actifs et non-actifs répondent de leurs actes de la même façon, le fait de ne pas exercer ses fonctions dans la société étant en soi une faute de gestion10. En effet, la faute n’implique pas de la part de l’administrateur un agissement actif. La responsabilité de l’administrateur peut être engagée par son attitude passive, sa négligence, son incurie11 ; aussi, le comportement du demandeur, consistant en une légèreté ou une insouciance impardonnable doit être considéré comme faute grave, à savoir une faute qu’un dirigeant raisonnablement diligent et prudent n’aurait pas commise et qui heurte les normes essentielles de la vie en société, ou du moins les normes importantes12.
Il s’ensuit que le demandeur ne saurait valablement minimiser, voire rejeter sa responsabilité en se retranchant derrière le fait que la gestion journalière de la société aurait été effectivement exercée par le dénommé … qui aurait pu engager seul la société, et ce d’autant plus qu’il ressort d’une publication au Registre de Commerce et des Sociétés versé en cause que « La société est engagée par la signature collective de deux (2) administrateurs […] », de sorte que Monsieur … disposait en tant qu’administrateur d’un pouvoir de signature à exercer conjointement avec un autre administrateur.
Il s’ensuit qu’il y a lieu d’admettre, que Monsieur …, en sa qualité d’administrateur de la société …, est personnellement responsable des insuffisances d’impôt qui sont la conséquence de son comportement fautif, à savoir son défaut d’avoir continué pendant la période en question l’impôt retenu sur les salaires au Trésor Public.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le bureau d’imposition a engagé la responsabilité du demandeur pour le paiement de l’impôt sur les traitements et salaires des années 2014 et 2015 de la société … resté en souffrance.
En conséquence et à défaut d’autres contestations, le recours est à déclarer non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en réformation en la forme ;
9 Cour adm. 18 octobre 2016, n°37845C et 37846C du rôle.
10 Ibidem, note n° 214.
11 P.Thielen et J. Delvaux, La responsabilité civile des administrateurs de sociétés anonymes en droit luxembourgeois - situation actuelle et tendance future, Bulletin Droit et banque, 4/1948, p.6, et N. Schaeffer, Réflexions sur la responsabilité des administrateurs et dirigeants de sociétés commerciales de capitaux, Bulletin de la Conférence St Yves, n° 77, novembre 1990, p.18 12 D. Matray, op.cit, notes n° 67, 68, 69 et 70.
au fond, le déclare non fondé, partant en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 14 mars 2017 par :
Thessy Kuborn, vice-président, Paul Nourissier, premier juge, Géraldine Anelli, juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 14 mars 2017 Le greffier du tribunal administratif 9