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14/03/2017 | LUXEMBOURG | N°37577

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 14 mars 2017, 37577


Tribunal administratif N° 37577 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 février 2016 4e chambre Audience publique du 14 mars 2017 Recours formé par la société civile immobilière … s.c.i., …, contre les bulletins d’établissement des revenus d’entreprises collectives et de copropriétés des années 2009 et 2010 et des bulletins de l’impôt commercial communal des années 2009 et 2010 en matière d’impôt sur le revenu des collectivités et d’impôt commercial communal

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>JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 37577 du rôle et déposée le 25 février 2016 a...

Tribunal administratif N° 37577 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 février 2016 4e chambre Audience publique du 14 mars 2017 Recours formé par la société civile immobilière … s.c.i., …, contre les bulletins d’établissement des revenus d’entreprises collectives et de copropriétés des années 2009 et 2010 et des bulletins de l’impôt commercial communal des années 2009 et 2010 en matière d’impôt sur le revenu des collectivités et d’impôt commercial communal

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 37577 du rôle et déposée le 25 février 2016 au greffe du tribunal administratif par Maître Céline Mertes, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société civile immobilière … s.c.i., établie et ayant son siège social à L-…, représentée par ses associés, sinon ses administrateurs actuellement en fonction, inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro E …, tendant à la réformation des deux bulletins d’établissement des revenus d’entreprises collectives et des copropriétés pour les années 2009 et 2010, émis en date du 7 novembre 2012 et des deux bulletins de l’impôt commercial communal pour les années 2009 et 2010, émis également en date du 7 novembre 2012, la réclamation auprès du directeur de l’administration des Contributions directes introduite contre lesdits bulletins en date du 5 février 2013 étant restée sans suite ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 13 mai 2016 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 13 juin 2016 par Maître Céline Mertes pour compte de la société civile immobilière … s.c.i. ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 4 juillet 2016 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les bulletins entrepris ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Vânia Dos Santos, en remplacement de Maître Céline Mertes, et Madame le délégué du gouvernement Betty Sandt en leurs plaidoiries respectives.

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Par courrier du 19 octobre 2011, le préposé du bureau d’imposition Sociétés 3 de l’administration des Contributions directes, ci-après dénommé le « bureau d’imposition », informa la société civile immobilière … s.c.i., dénommée ci-après « la société … », à la suite de l’introduction par celle-ci de la déclaration pour l’établissement en commun des revenus d’entreprises collectives et de copropriétés de l’année 2009, de ce que conformément au paragraphe 205 de la loi générale des impôts, dite « Abgabenordnung », du 22 mai 1931, en abrégé « AO », il envisagerait de procéder au redressement de ladite déclaration en retranchant au titre du bénéfice commercial imposable la somme de … euros, correspondant au « revenu de location déclaré », au motif suivant : « Vu la construction de 2 maisons jumelées et la vente de ces immeubles en 2010, le revenu réalisé par la s.c.i. est un « bénéfice commercial » conformément à l’article 14 L.I.R. », en lui accordant la possibilité de formuler ses objections pour le 9 novembre 2011 au plus tard.

Par un deuxième courrier du même jour, le préposé du bureau d’imposition informa la société … de ce qu’il envisagerait de procéder au redressement de sa déclaration pour l’établissement en commun des revenus d’entreprises collectives et de copropriétés de l’année 2010, en prévoyant comme « bénéfice commercial imposable » la somme de … euros, au lieu du « bénéfice suivant bilan déclaré » de … euros, en envisageant des corrections à effectuer au titre des droits d'enregistrement, des frais d'étude et de l’« ICC déductible », et ce, pour le même motif que celui figurant dans le premier courrier, précité, du 19 octobre 2011, et en permettant également au contribuable de formuler ses objections pour le 9 novembre 2011 au plus tard.

Par courrier de sa fiduciaire comptable du 16 novembre 2011, la société … fit prendre position par rapport aux deux courriers précités du 19 octobre 2011.

En date du 7 novembre 2012, le bureau d'imposition émit deux bulletins d'établissement des revenus d'entreprises collectives et de copropriétés pour les années 2009 et 2010, en prévoyant, au titre de l’année 2009, un bénéfice commercial de -… euros et au titre de l’année 2010 un bénéfice commercial de … euros avec, à chaque fois, les mêmes « remarques générales » libellées comme suit : « L'imposition a été établie en tenant compte du reclassement du revenu réalisé par la S.C.I. d’un « revenu de la location de biens » en un « bénéfice commercial » (article 14 L.I.R). En revenant à votre courrier du 16 novembre 2011, le critère de la « participation à la vie économique » a été confirmée par plusieurs « jugements du tribunal administratif » pour d'autres S.C.I. avec une activité semblable. Le critère « …de manière permanente » a été accompli par le fait des 2 ventes et par les textes des « travaux préparatoires » à l’article 14 L.I.R. (projet de loi conc. l’IR doc. parl. n° 571, page 18) ».

A la même date du 7 novembre 2012, le bureau d’imposition émit les deux bulletins de l’impôt commercial communal pour les années 2009 et 2010 avec comme explication, en ce qui concerne le bulletin de l’année 2009 que « l’imposition a été établie en tenant compte du reclassement du revenu réalisé par la S.C.I. d’un « revenu de la location de biens » en un « bénéfice commercial » (article 14 L.I.R.) » et, en ce qui concerne le bulletin pour l’année 2010 « reclassement du revenu réalisé par la S.C.I.. Il s’agit d’un bénéfice commercial suivant art. 14 L.I.R.) ».

Par courrier du 5 février 2013 de sa fiduciaire comptable, signé également par ses trois associés, la société … fit introduire auprès du directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après dénommé le « directeur », une réclamation contre les quatre bulletins précités, réclamation qui resta sans suite de la part de ce dernier.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 25 février 2016, la société … a fait introduire un recours tendant à la réformation des deux bulletins d’établissement des revenus d’entreprises collectives et de copropriétés pour les années 2009 et 2010 et contre les deux bulletins de l’impôt commercial communal pour les années 2009 et 2010.

Conformément aux dispositions combinées du paragraphe 228 AO et de l’article 8 (3) 3. de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, dénommée ci-après « la loi du 7 novembre 1996 », le tribunal administratif est appelé à statuer comme juge du fond sur un recours introduit contre des bulletins d’établissement en commun de revenus d’entreprises collectives et de copropriétés et des bulletins de la base d’assiette de l’impôt commercial communal en cas de silence du directeur suite à une réclamation y relative lui adressée dans les délais. Le tribunal est partant compétent pour connaître du recours en réformation.

Le prédit recours est encore recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, la demanderesse reproche au bureau d'imposition d’avoir requalifié un revenu provenant de la location de biens en bénéfice commercial, en soutenant qu'elle ne poursuivrait pas une « activité de manière permanente », voire une activité constituant une participation à la vie économique générale au sens de l'article 14 de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l'impôt sur le revenu, dénommée ci-après « L.I.R. », étant donné que son activité se serait résumée à l'acquisition d'un bien immobilier unique qu’elle aurait transformé par la suite en deux unités en vue de leur revente ultérieure, de sorte qu'il s'agirait d'une opération isolée. D'ailleurs, elle n'aurait jamais eu l'intention de répéter cette opération, de sorte que le caractère de permanence ferait défaut en l’espèce. Elle soutient de même que son activité ne devrait pas être considérée comme constituant une participation à la vie économique générale, du fait qu'elle ne posséderait pas d'établissement, de magasin ou de bureau ouvert au public, présentant l'apparence d'un commerce d'immeubles, voire d'une agence immobilière. Dans ce contexte, elle fait état de ce que la vie économique générale comprendrait la production et la distribution de biens économiques et les prestations de services de toutes espèces, exigeant que l'activité soit reconnaissable aux tiers comme participation à la vie économique générale. Or, tel ne serait pas le cas d'une activité purement privée, telle celle exercée par elle.

En deuxième lieu, la demanderesse soutient qu'une activité indépendante au sens de l’article 14 L.I.R. ne saurait être retenue dans son chef, en soutenant que la location d'un bien immobilier ne constituerait en principe pas une activité commerciale. Ainsi, les revenus qu'elle aurait perçus seraient à qualifier de revenus provenant de la location de biens, au sens de l’article 98 L.I.R., en ce qui concerne l’année 2009 et en partie l’année 2010, ainsi qu’en partie de revenus divers, au sens des articles 99 à 102bis L.I.R., en ce qui concerne l’année 2010.

A l'appui de son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement précise qu’en date du 23 février 2007, la société … aurait acheté une ancienne maison en « état vétuste et délabré », tel que cela ressortirait de l'acte notarié y afférent, et ce, pour un prix de … euros.

Elle aurait par la suite obtenu en date du 19 septembre 2007 une autorisation de démolir l’ancienne maison et d’y construire deux maisons jumelées. Il y aurait en outre lieu de relever que l'entreprise de construction chargée desdits travaux, à savoir la société à responsabilité limitée …, comprendrait comme associés les trois mêmes associés que ceux de la société ….

En ce qui concerne le premier des deux logements ainsi construits, le représentant gouvernemental relève qu'il aurait été vendu par la demanderesse en date du 21 septembre 2010 pour un prix de … euros, le prix de vente ayant été ventilé entre … euros pour le terrain et … euros pour les constructions existantes, en relevant de manière expresse dans l’acte de vente y afférent « que la peinture intérieure, les portes intérieures, le carrelage du garage, la finition de la terrasse et de l'accès au garage » ne seraient pas compris dans le prix de vente et resteraient à la charge exclusive de l'acheteur.

Concernant le deuxième des deux logements ainsi construits par la demanderesse, le délégué du gouvernement soutient qu'il aurait été vendu en date du 26 novembre 2010 pour un prix de … euros, comprenant une tranche de … euros pour le terrain et une deuxième tranche de … euros pour les constructions.

En droit, le délégué du gouvernement soutient que l'article 14 L.I.R. prévoirait quatre critères positifs distincts, ainsi que deux critères négatifs qui ne seraient pas abordés en l’espèce du fait qu'ils ne joueraient aucun rôle, afin de fournir une définition du bénéfice commercial au sens du droit fiscal, à savoir : « l'indépendance ; le but de lucre ; la permanence ; la participation à la vie économique ».

En l’espèce, ce serait à bon droit que les activités exercées par la demanderesse auraient été qualifiées d'entreprise commerciale au sens de l’article 4, n° 1 L.I.R., de sorte que ce serait à juste titre que le bureau d’imposition aurait qualifié de bénéfice commercial un revenu négatif de … euros au titre de l'année 2009, déclaré par la demanderesse comme revenu négatif de location, ainsi qu'un revenu de … euros au titre de l’année 2010, déclaré par la demanderesse comme revenu provenant de plus-values réalisées lors de la cession d'immeubles du patrimoine privé.

En effet, la demanderesse aurait acheté, en février 2007, l'ancienne maison dans le but de la démolition et « dans le seul objectif de vendre les deux maisons [jumelées], y construites par elle, de sorte qu'il y aurait « indubitablement » lieu de parler d'opérations d'achat et de vente exercées dans le cadre d'une « sphère professionnelle ». Ainsi, l'unique objectif de vendre les deux maisons jumelées aussitôt qu'érigées ressortirait du fait que l'ancienne maison a été achetée en février 2007 et qu'un permis de construire a été délivré en septembre de la même année, la mise en vente des deux maisons jumelées ayant été effectuée « dès les travaux de construction ». Ainsi, il y aurait lieu de relever que des panneaux « A VENDRE » auraient été affichés déjà au moment du chantier, de sorte qu'une détention au-delà du temps nécessaire pour les travaux de construction n'aurait à aucun moment été dans l'intention de la demanderesse. Il y aurait encore lieu de relever dans ce contexte la mise en vente de la première maison, en cours de construction, dont les travaux de finition intérieure auraient été laissés à la charge de l'acquéreur. D'ailleurs, les deux actes notariés de vente des maisons en question auraient été signés en date des mois de septembre et novembre 2010, à savoir dans un laps de temps très court depuis le début des constructions, à savoir trois ans et sept mois, respectivement trois ans et neuf mois. Il y aurait en outre lieu d’insister sur le profit considérable de l'ordre de 40 % qui aurait été réalisé par la demanderesse dans le cadre des opérations ainsi réalisées par elle, consistant dans l’acquisition d’une vieille maison vétuste pour la transformer « tout de suite » en deux maisons jumelées destinées à une revente « dans les meilleurs délais », les bénéfices étant évalués par le délégué du gouvernement à une somme d'environ … euros.

En outre, il y aurait encore lieu de constater que la demanderesse n'aurait jamais eu l'intention de donner ces deux nouvelles maisons en location, ce qui se dégagerait de la mise en vente des maisons sur le site d'une agence immobilière, ainsi que des panneaux qui se seraient trouvés sur le chantier. Même la recherche d’un locataire aurait fait défaut, de sorte qu'il devrait en être conclu qu'il ne pourrait pas s'agir d'une simple gestion du patrimoine privé. D'ailleurs, d’après le délégué du gouvernement, les explications de la demanderesse quant à sa recherche d’un locataire seraient contredites par les circonstances de l'espèce. Cette interprétation des faits serait d'ailleurs encore confortée par le fait que la demanderesse ne se serait pas trouvée en possession d'autres immeubles susceptibles d'être donnés en location, ni avant ni après l'opération litigieuse, la finalité de la démolition de l’ancienne maison et de la construction des immeubles litigieux dans un délai de moins de cinq ans, étant de procurer ainsi un gain considérable en argent à ses propriétaires, tout en relevant par ailleurs que la forme juridique, à savoir celle de la société civile immobilière, ne serait pas de nature à avoir une quelconque influence sur la nature fiscale de l’opération en cause. Par ailleurs, il y aurait lieu de se référer à l'acte de vente du 23 février 2007, par lequel la demanderesse a acquis l’immeuble initial, qui comporterait une clause suivant laquelle « la partie acquéreuse qui déclare vouloir acheter en vue de la revente conformément à l'article 17 de la loi du 17 août 1935 », cette clause étant partant de nature à contredire « de manière flagrante » la déclaration de la demanderesse suivant laquelle elle aurait eu l'intention de mettre les deux maisons d'habitation en location.

Enfin, le délégué du gouvernement relève que les trois associés de la demanderesse travailleraient dans le domaine du bâtiment et qu'ils auraient fondé et géreraient des entreprises qui seraient actives en matière notamment de la construction immobilière, le représentant gouvernemental citant comme exemple la société à responsabilité limitée …, actuellement dénommée : … s.à r.l., et la société à responsabilité limitée … sàrl, en relevant que les trois associés de la société à responsabilité limitée … seraient les mêmes que ceux de la demanderesse, et que la société … aurait contribué à hauteur de … euros à la construction des maisons litigieuses. Il y aurait partant lieu de conclure de ces faits que ce serait la propre entreprise de construction appartenant aux trois associés de la demanderesse qui aurait effectué les travaux de construction des deux maisons jumelées, étant par ailleurs relevé par le délégué du gouvernement que les constructions litigieuses se trouveraient dans la même rue que celle où se trouverait le siège social de la société …. Il serait par ailleurs « clair » que la demanderesse aurait joué un rôle actif dans la conception et la planification du projet immobilier, consistant notamment en l'acquisition d'une vieille maison en état délabré, avec un projet ayant déjà existé au moment de l'acquisition, de la démolir et d'y faire construire deux maisons jumelées, de sorte à pouvoir ainsi procéder à des reventes très profitables, ainsi que dans l'organisation et la coordination des travaux de construction concernant les maisons jumelées. Elle aurait ainsi accompli les démarches administratives nécessaires en vue de pouvoir procéder à la démolition de l’ancienne maison, ainsi qu’à la construction de deux nouvelles maisons au même endroit.

En ce qui concerne la participation de la demanderesse à la vie économique générale, le délégué du gouvernement estime que le comportement de la demanderesse correspondrait à celui d'un entrepreneur de promotion et/ou de construction immobilière, de sorte que ce critère serait également rempli en l'espèce, d'autant plus qu'il ressortirait des pièces du dossier fiscal que la demanderesse aurait eu recours à une agence immobilière pour mettre en vente les deux maisons jumelées et que cette mise en vente aurait déjà été effectuée « dès la construction ».

Ainsi, il y aurait lieu de constater sur base de ce fait que la demanderesse aurait eu l'intention d'entrer en contact « avec un nombre indéterminé de personnes », de sorte à ce que sa participation à la vie économique générale, par le biais d'un agent immobilier, ne ferait pas de doute.

Enfin, le délégué du gouvernement estime que les critères du but de lucre et de l'indépendance seraient également remplis en cause, de sorte que ce serait à bon droit que le bureau d'imposition aurait requalifié les revenus déclarés au titre des années 2009 et 2010 en bénéfice commercial.

Dans son mémoire en réplique, la demanderesse soutient que le critère de la permanence, constituant l'un des quatre critères qui devraient être cumulativement réunis afin qu’une activité puisse être considérée comme une entreprise commerciale au sens du droit fiscal, ne serait pas vérifié, du fait qu'il se serait agi d'une seule opération consistant à démolir une maison d'habitation ancienne et à ériger à sa place un immeuble se composant de deux maisons jumelées mises en vente par la suite. Elle se réfère encore à l'article 1er de ses statuts suivant lequel « son activité se limite à la seule gestion de patrimoine à l'exclusion de toute activité commerciale ». Il ne saurait partant être question d'une participation à la vie économique générale. Par ailleurs, le fait de s’être adressée à une agence immobilière afin de l'assister dans la vente des maisons jumelées n'aurait rien d'extraordinaire, alors que de simples particuliers souhaitant procéder à la vente de leur maison d'habitation se comporteraient de la même manière. Enfin, elle insiste sur l’envergure « relativement peu importante » de l’opération, de sorte à ce qu'elle ne serait pas incompatible avec une activité de gestion d’un patrimoine privé.

Dans son mémoire en duplique, le délégué du gouvernement revient à la délimitation de l'activité commerciale par rapport à la gestion d'un patrimoine privé, en insistant sur le fait qu'il y aurait administration d'un patrimoine privé aussi longtemps que des activités d'achat et de vente s’analyseraient en de simples accessoires d'une jouissance des fruits d'un patrimoine immobilier privé dont la substance est conservée. Au contraire, de telles activités dépasseraient le cadre de la gestion d’un patrimoine privé, lorsque le contribuable rechercherait une exploitation de la substance de son patrimoine par transfert d’éléments essentiels de sa fortune. Alors même que la gestion d'un patrimoine immobilier privé n'exclurait pas qu'il puisse y avoir des mutations, il serait toutefois requis que ces mutations soient comprises comme début ou fin d’une activité orientée essentiellement vers une jouissance des fruits, notamment par la location, et qu’elles ne s'analysent pas comme un « négoce déguisé d'immeubles ». Ainsi, au cas où un contribuable rechercherait une valorisation rapide de son patrimoine moyennant des mutations, dans le but de revendre des immeubles dans un court délai dès l'acquisition des biens en question, il y aurait lieu de qualifier les opérations en question d'activité commerciale. D'une manière générale, il y aurait lieu de prendre en considération tous les éléments de nature à démontrer que le but recherché lors de l'acquisition d'un bien immobilier a été celui d'une revente rapide de celui-ci, et non pas celui d'une fructification du bien en question, notamment par le biais de sa mise en location. Or, en l'espèce, il y aurait de constater que les opérations effectuées par la demanderesse n'auraient à aucun moment été motivées par la recherche d'une conservation ou d'une jouissance, mais le patrimoine immobilier en question aurait incontestablement été acquis dans le seul but de réaliser des ventes rapides et profitables des deux maisons jumelées.

Ainsi, il y aurait lieu de prendre en considération l'ensemble des circonstances spécifiques de la cause, afin de pouvoir évaluer s’il s’agit d’une activité commerciale poursuivie par la demanderesse, et plus particulièrement, il y aurait lieu de prendre en compte le but recherché par le contribuable dès l'acquisition du bien. Pour le surplus, la partie gouvernementale revient à ses développements contenus dans son mémoire en réponse pour conclure qu'en l'espèce les quatre critères légaux seraient remplis afin de pouvoir conclure à une activité purement commerciale exercée par la demanderesse.

En ce qui concerne le bien-fondé de l’imposition, il échet de relever que l’article 14, alinéa 1er L.I.R. dispose qu’est à considérer comme bénéfice commercial, le revenu net provenant d’une entreprise commerciale, industrielle, minière ou artisanale, l’entreprise commerciale étant définie par le même texte comme « toute activité indépendante à but de lucre exercée de manière permanente et constituant une participation à la vie économique générale (…) ».

Cette définition énonce quatre critères, à savoir 1) l’indépendance, 2) le but de lucre, 3) le caractère de permanence et 4) la participation à la vie économique générale, qui doivent être cumulativement réunis pour qu’une activité soit constitutive d’une entreprise commerciale au sens du droit fiscal1.

L’activité en cause doit en outre dépasser les limites de la gestion normale d’un patrimoine privé pour pouvoir être qualifiée de commerciale. En effet, il se dégage des distinctions inhérentes aux différentes catégories de revenus que « quelle que soit l’importance d’un patrimoine privé, les opérations de gestion y relatives ne constituent pas une activité commerciale, si les actes posés ne sortent pas du cadre de la gestion normale d’un patrimoine privé »2.

La notion de la gestion d’un patrimoine privé (« Vermögensverwaltung ») ne faisant pas l’objet d’une définition légale, elle est cependant délimitée par le biais des deux exemples énoncés au paragraphe 7 (4) de l’ordonnance du 16 décembre 1941 relative à l’exécution des paragraphes 17 à 19 StAnpG qui prévoit que : « Vermögensverwaltung liegt in der Regel vor, wenn Vermögen genutzt wird, zum Beispiel wenn Kapitalvermögen verzinslich angelegt oder unbewegliches Vermögen vermietet oder verpachtet wird ». Le concept de la gestion d’un patrimoine privé ne se limite cependant pas aux exemples de jouissance sus-énoncés3. D’une manière générale, il y a administration d’un patrimoine privé aussi longtemps que les activités d’achat et de vente s’analysent en de simples accessoires d’une jouissance des fruits d’un patrimoine immobilier privé dont la substance est conservée. Au contraire, de telles activités dépassent le cadre de la gestion d’un patrimoine privé lorsque le contribuable recherche une exploitation de la substance de son patrimoine par transfert (« Umschichtung ») d’éléments substantiels de sa fortune.

Parmi les critères de la loi, il convient d’examiner en premier lieu celui de la permanence de l’activité litigieuse, la délimitation entre l’activité commerciale et la gestion normale du patrimoine privé impliquant une appréciation de l’activité développée par le contribuable à la lumière de l’ensemble des circonstances du cas d’espèce.

1 trib. adm. 21 juin 2000, n°11582 du rôle, Pas. adm. 2016, V° Impôts, n° 97 et autres références y citées 2 Emile Stoffel, Le bénéfice commercial, commentaire des articles 14 à 18 de la loi du 4 décembre 1967, in Etudes fiscales décembre 1997, n° 109-111, p. 15, n° 14.14 3 cf. Emile Stoffel, op.cit.

Il résulte des travaux préparatoires de la loi du 4 décembre 1967 concernant l’article 14 L.I.R. que « le caractère de permanence n’implique pas nécessairement que l’activité se répète. Pour qu’il y ait permanence, il suffit que l’activité ait lieu avec l’intention de la répéter si l’occasion s’en présente et de constituer de la sorte une source de revenu sur la base d’opérations répétées4 », le même commentaire de l’article 14 précisant que « le caractère de permanence sépare l’activité commerciale (…) d’actes similaires isolés qui ont lieu dans le cadre de l’administration du patrimoine privé du contribuable ».

La demanderesse conteste que le critère de la permanence soit rempli dans son chef, en faisant valoir qu’elle n’aurait procédé qu’à deux ventes immobilières qu’elle qualifie d’opérations limitées et isolées.

A cet égard, il échet de constater qu’il se dégage des pièces et éléments du dossier, ainsi que des explications des parties à l’instance que la demanderesse a acquis par acte notarié du 23 février 2007, une maison en « état vétuste et délabré », qu’elle a fait démolir pour y construire à la place deux maisons jumelées vendues en dates des 21 septembre et 26 novembre 2010 et il n’est pas non plus contesté en cause que l’achat de la maison initiale, sa démolition et la vente des deux maisons jumelées ainsi construites constituaient la seule activité de la demanderesse qui n’établit pas que les opérations litigieuses s’inscrivent dans le contexte de la gestion de son patrimoine privé en tant qu’accessoire ou d’acte isolé. Il n’est pas non plus contesté en cause, pour ressortir d’ailleurs du dossier administratif, que les trois associés de la demanderesse constituent également les associés de la société à responsabilité limitée … sàrl, dénommée ci-après « la société … », initialement dénommée …, société à responsabilité limitée, qui, de manière constante, a procédé aux travaux de démolition et de reconstruction litigieux, de sorte qu’il y a lieu d’en conclure à un lien des plus étroits entre la demanderesse et la société de construction.

Force est encore de constater que s'il est vrai, tel que cela a d'ailleurs été relevé par tant la demanderesse que le délégué du gouvernement, que le nombre des actes d'achat-vente ainsi opérés par la demanderesse n'est pas en soi significatif, c'est cependant à bon droit que le délégué du gouvernement a pu conclure que ces opérations, telles que référencées ci-avant, qui constituent d'ailleurs les seules opérations de mutation immobilière auxquelles a procédé la demanderesse, sont d’une envergure indéniable, étant entendu qu'il en résulte nécessairement que la demanderesse a été créée dans le seul but de réaliser les opérations immobilières ainsi décrites, c'est-à-dire l'acquisition d'une vieille maison en état vétuste et délabré pour la démolir et y construire deux maisons jumelées destinées à une revente dès leur achèvement. En effet, il échet de constater à partir des éléments de la cause que dès l'achèvement des immeubles en question, ceux-ci ont été revendus en date des 21 septembre et 26 novembre 2010, de sorte que ces opérations impliquent des mutations importantes au niveau du patrimoine immobilier de la demanderesse.

Or, si l’administration d’un patrimoine immobilier privé n’exclut pas qu’il puisse y avoir des mutations, c’est-à-dire des acquisitions et des ventes d’immeubles, il faut que ces mutations soient comprises comme début ou fin d’une activité orientée essentiellement vers 4 Projet de loi n° 5714, commentaire des articles, p. 18.

une jouissance des fruits, par notamment la location, et qu’elles ne s’analysent pas comme un négoce déguisé d’immeubles5.

Par ailleurs, si l’acquisition ou la location d’objets immobiliers par une société civile peut certes être considérée objectivement comme une opération de gestion d’un patrimoine privé dont le but aurait été de simplifier la gestion de son patrimoine privé et d’augmenter ainsi ses revenus nets de location, de même que la revente d'immeubles est compatible avec la gestion d'un patrimoine immobilier privé, aussi longtemps que ce patrimoine sert principalement à dégager des revenus de location6, il convient cependant, en ce qui concerne cette dernière condition dégagée par la jurisprudence, de relever que la demanderesse se contente d’affirmer qu’elle aurait procédé à l’acquisition de l’immeuble en état de délabrement pour pouvoir le démolir et le remplacer par deux maisons jumelées, sans indiquer de quelque manière que ce soit que cette reconstruction aurait été faite dans le but de procéder à la location des maisons jumelées ainsi érigées. Or, force est de constater que ces opérations ont été réalisées avec une importante plus-value, tel que spécifié, de manière non contestée, par la partie gouvernementale, de sorte que le caractère spéculatif de ces opérations au sens de l’article 99bis L.I.R. se dégage à suffisance des circonstances.

Par ailleurs, il résulte tant de la période courte de détention des immeubles vendus en 2010 que du caractère spéculatif de ces opérations que celles-ci constituaient bien des opérations poursuivant une « Ausnutzung substantieller Vermögenswerte7 ».

En effet, la circonstance que les ventes ont eu lieu tout de suite après l’achèvement des constructions portant sur les maisons jumelées litigieuses, soit moins de trois ans après l’acquisition de la maison initiale ayant été détruite par la suite, fait ressortir que le but recherché, contrairement aux affirmations de la demanderesse, semble être moins la recherche d’une conservation et d’une jouissance à long terme desdites propriétés immobilières, mais essentiellement une valorisation rapide du patrimoine moyennant ces mutations, caractéristique essentielle d’un esprit de lucre et d’une entreprise commerciale.

A cet égard, en ce qui concerne plus particulièrement la courte période de détention des immeubles, il convient de souligner que selon le Bundesfinanzhof, c'est essentiellement le nombre des acquisitions (ou constructions) d'immeubles, ainsi que le fait qu'elles soient rapidement suivies de leur revente, qui est déterminant pour distinguer la gestion d'un patrimoine privé d’une entreprise commerciale8, la revente rapide des objets (« enger zeitlicher Zusammenhang zwischen Kauf und Verkauf von Wohnungen ») étant définie, par une jurisprudence constante du Bundesfinanzhof, comme une revente dans un délai maximal de cinq ans à partir de l'acquisition de l'objet en question : « Besteht ein enger zeitlicher Zusammenhang zwischen der Errichtung und der Veräusserung (…), so liegt nach der 5 H. Dostert et E. Stoffel, op. cit., pp.15 et 16.

6 « Private Vermögensverwaltung ist nach ständiger Rechtsprechung des BFH anzunehmen, solange sich die Tätigkeit noch als Nutzung von Grundbesitz durch Fruchtziehung aus zu erhaltender Substanz darstellt und die Ausnutzung substantieller Vermögenswerte nicht entscheidend in den Vordergrund tritt. …Die Veräusserung von Grundbesitz ist daher der privaten Vermögensverwaltung zuzurechnen, wenn der Steuerpflichtige damit höhere Erträge aus dem vorhandenen Vermögen anstrebt. Veräussert er dagegen den Grundbesitz, um Substanzwertsteigerungen auszunutzen, wird er gewerblich tätig ». (BFH, arrêt du 18 janvier 1989, BStBl 1990, II, 1051, 1052).

7 cf dans ce sens trib. adm. 25 mars 2010, n° 25466 du rôle, www.jurad.lu, ibidem n° 6 8 BFH, arrêt précité, p.1052-1053.

Rechtsprechung des BFH regelmässig ein Gewerbebetrieb vor ; ein enger zeitlicher Zusammenhang wird angenommen, wenn die Zeitspanne zwischen der Errichtung und dem Verkauf der Wohnungen nicht mehr als fünf Jahre beträgt9 ».

Au vu de ces éléments, le tribunal est amené à retenir que le critère de la permanence est rempli en l’espèce, étant donné qu’il n’implique pas nécessairement que l’activité se répète, alors qu’il suffit que l’activité ait eu lieu avec l’intention de se répéter si l’occasion s’en présente, d’autant plus que les opérations en question ne constituent pas un élément isolé par rapport à une activité de gestion de patrimoine privé.

En ce qui concerne les trois autres critères d’appréciation cités ci-dessus, il y a lieu de souligner, en ce qui concerne le critère de la participation à la vie économique générale, que ce critère implique que le contribuable prenne part, d’une façon perceptible au public intéressé, à l’échange général des biens et prestations et qu’il soit prêt à entrer en relation d’affaires avec un nombre indéterminé de personnes, compte tenu naturellement de l’étendue et du genre de son entreprise et de sa propre capacité de prestation. Ainsi, le commerçant prend part au trafic économique général en approvisionnant le marché en biens pour lesquels il existe un besoin et en les échangeant contre des équivalents en nature ou en argent. Cet élément de la participation est à apprécier dans chaque cas d’espèce en considération du but recherché ainsi que de la nature des opérations exécutées10.

En l’espèce, la demanderesse se borne à affirmer qu’elle aurait eu recours à une agence immobilière pour la vente des deux immeubles, de sorte à ne pas être entrée en contact avec le public. Or, force est de constater qu’à travers les opérations réalisées, la demanderesse a participé à la vie économique générale, étant donné qu’elle a construit ces immeubles pour les revendre, participant de la sorte à l’échange général des biens et prestations, perceptible au public.

Quant au critère de l’indépendance, l’activité doit être exercée pour le compte et aux risques et périls du contribuable, condition également vérifiée en l’espèce.

Enfin, en ce qui concerne le but de lucre, un tel but est avéré, étant donné qu’il se dégage des pièces et éléments du dossier soumis au tribunal que la demanderesse a procédé à la construction des maisons jumelées et à leur vente dans le but d’en tirer une plus-value conséquente, tel que relevé, de manière non contestée, par le délégué du gouvernement.

Un autre indice de la commercialité de l’activité de la demanderesse constitue le fait que, comme il vient d’être relevé ci-avant, les trois associés de la demanderesse constituent également les trois associés de l’entreprise de construction, à savoir la société …, de sorte qu’il échet de placer les opérations d’acquisition et de vente immobilière réalisées par la demanderesse dans un cadre plus global, à savoir la réalisation d’opérations commerciales par deux sociétés qui sont intimement liées.

Sur base des considérations qui précèdent, le tribunal arrive à la même conclusion que le délégué du gouvernement, à savoir que dans les circonstances particulières de l’espèce, développées ci-avant, l’activité de construction immobilière exercée par les trois associés de 9 BFH, arrêt du 22 mars 1990, BStBl 1990, II, 637, 638, avec de nombreuses références de jurisprudence.

10 trib. adm. 21 juin 2000, n° 11582 du rôle, Pas. adm. 2016, V° Impôts, n° 97 et autres références y citées la demanderesse dans le cadre de la société … ensemble avec l’activité exercée par la demanderesse elle-même s’analysent en une activité commerciale, caractéristique se répercutant au niveau de la qualification et de l’imposition des bénéfices afférents. C’est partant à bon droit que le bureau d’imposition a procédé à une requalification du revenu de la location de biens en bénéfice commercial, tel que cela se dégage des quatre bulletins sous examen.

Il suit partant de l'ensemble des développements qui précèdent que les moyens et arguments développés par la demanderesse sont à rejeter pour ne pas être fondés.

Aucun autre moyen n’ayant été invoqué en cause, le recours en réformation est à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé par :

Carlo Schockweiler, premier vice-président, Olivier Poos, premier juge, Michèle Stoffel, juge, et lu à l’audience publique du 14 mars 2017 par le premier vice-président, en présence du greffier Marc Warken.

s.Marc Warken s.Carlo Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 14/03/2017 Le Greffier du Tribunal administratif 11


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : 37577
Date de la décision : 14/03/2017

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2017-03-14;37577 ?

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