Tribunal administratif N° 37594 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 1er mars 2016 4e chambre Audience publique du 7 mars 2017 Recours formé par Madame …, … contre une décision du ministre de l’Intérieur en matière de discipline
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 37594 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 1er mars 2016 par Maître Daniel Baulisch, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à …, au nom de Madame …, demeurant à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de l’Intérieur du 1er décembre 2015 prononçant à son égard la sanction disciplinaire de la réprimande ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 22 avril 2016 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Daniel Baulisch et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline Jacques en leurs plaidoiries respectives.
Par courriel du 18 août 2015, tous les membres des services de secours au Centre de secours de … de l’administration des services de secours, dénommé ci-après le « Centre de secours de … », furent informés de la suspension de Madame … avec effet immédiat, à la suite d’une réclamation reçue de la part d’un patient par la direction du Centre de secours de …, basée sur une prétendue violation des règles de déontologie.
Par courrier du 19 août 2015 adressé au commandant du Centre de secours de …, Madame … se référa au courriel de la veille, tel que précité, en contestant la suspension, ainsi que tout reproche lui adressé et en déclarant avoir respecté les directives applicables en matière de déontologie, tout en exprimant sa déception quant à la procédure choisie par le commandant dudit centre pour faire part de la décision de suspension vis-à-vis de l’ensemble de ses collègues de travail.
Par courrier du même jour adressé à Madame …, la direction du Centre de secours de … l’informa qu’elle n’était pas en mesure de faire droit à sa demande tendant à voir distribuer son 1courrier précité du même jour à tous les membres dudit centre, tout en confirmant leur décision quant à sa suspension, en déclarant que celle-ci serait également dans son intérêt.
Par courrier de son litismandataire du 21 août 2015 adressé au chef de division de l’administration des services de secours, dénommé ci-après le « chef de division », Madame …, tout en relevant que le commandant du Centre de secours de … aurait porté de « graves accusations » à son encontre, contesta formellement ces accusations qui ne reposeraient sur aucun fondement juridique. Tout en déclarant qu’elle souffrirait gravement de la situation ainsi provoquée par le commandant du Centre de secours de …, elle informa le chef de division que la décision de suspension lui serait hautement préjudiciable, du fait que notamment ses droits de la défense se trouveraient gravement violés et qu’en outre « les procédures élémentaires à respecter en matière disciplinaire » seraient violées « de façon flagrante ». En conclusion, le litismandataire de Madame … pria le chef de division de faire cesser les «agissements hautement illégaux et déontologiquement contestables » entamés par le commandant du Centre de secours de …, en arrêtant « avec [effet] immédiat ces illégalités », afin de veiller à ce que sa mandante soit à nouveau rétablie « dans ses droits ».
Le rapport d’instruction disciplinaire portant sur l’affaire disciplinaire menée à l’encontre de Madame … fut finalisé en date du 25 novembre 2015 par Monsieur Alain Becker, conseiller du gouvernement adjoint faisant partie de la direction des services de secours du ministère de l’Intérieur, et ce, à la suite d’une prise de position lui adressée par le litismandataire de Madame … en date du 24 novembre 2015.
Par une décision du 1er décembre 2015, le ministre de l’Intérieur, ci-après dénommé le « ministre », prononça à l’égard de Madame … la sanction disciplinaire de la réprimande, en décidant encore qu’il y avait lieu de rappeler à Madame … « les règles déontologiques applicables aux agents des services de secours (…) [et] qu’il est interdit aux agents de révéler les faits dont ils ont eu connaissance en raison de leurs fonctions et qui auraient un caractère confidentiel de par leur nature ou par les prescriptions de supérieurs hiérarchiques, à moins d’en être dispensés par décision expresse de l’autorité compétente, et ce, sans préjudice quant à l’application de dispositions de l’article 458 du Code pénal relatif au secret professionnel », en décidant enfin que la suspension provisoire, prononcée en date du 18 août 2015 par le commandant du Centre de secours de …, était levée avec effet immédiat.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 1er mars 2016, Madame … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 1er décembre 2015.
Conformément à l’article 31, alinéa 1er de la loi du 12 juin 2004 portant création d’une Administration des services de secours « toutes les personnes nommées par le ministre de l’Intérieur dans le cadre de la présente loi et des règlements d’exécution ainsi que les volontaires des unités de secours de la protection civile sont soumis à son autorité disciplinaire.
(…) ».
L’article 67 du règlement grand-ducal modifié du 6 mai 2010 déterminant les missions spécifiques, la composition, l’organisation et le fonctionnement de la division de la protection 2civile de l’Administration des services de secours, ci-après dénommé le « règlement grand-ducal du 6 mai 2010 », prévoit au titre des peines disciplinaires susceptibles d’être prononcées par le ministre « la réprimande ».
Dans la mesure où aucune des dispositions légale et réglementaire précitées ni aucune autre disposition légale ne prévoit qu’un recours au fond peut être dirigé contre les décisions prises par le ministre dans le cadre de son pouvoir disciplinaire à l’égard des volontaires des unités de secours, le tribunal doit se déclarer incompétent pour connaître du recours principal en réformation.
Il s’ensuit que seul un recours en annulation a pu être introduit contre la décision ministérielle précitée du 1er décembre 2015 ayant prononcé la peine disciplinaire de la réprimande à l’égard de Madame ….
Le recours en annulation introduit à titre subsidiaire contre la décision ministérielle précitée est à déclarer recevable pour avoir été par ailleurs introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours, la demanderesse expose exercer la fonction d’ambulancière auprès du Centre d’intervention de la protection civile à … depuis le 29 avril 2013 et qu’en cette qualité, elle serait intervenue lors d’une urgence s’étant produite en date du 11 août 2015 afin de prendre en charge un patient qui se serait trouvé dans un état désespéré profond. Ainsi, ledit patient se serait inquiété quant au bien-être de son épouse dont il n’aurait plus eu de nouvelles depuis trois jours. La demanderesse fait exposer que ledit patient se serait trouvé « dans tous ses états », de sorte qu’elle aurait craint « un risque suicidaire dans son chef ». Afin de calmer le patient en question, la demanderesse soutient avoir tenté de le rassurer en lui expliquant que « son épouse se portait bien alors qu’elle se trouverait hospitalisée à … ». Or, ce serait cette information qui aurait déclenché une instruction disciplinaire initiée à son encontre dans le cadre de laquelle elle aurait été suspendue en date du 18 août 2015 de ses fonctions par le commandant du Centre de secours de … et ce, par le biais d’un courriel adressé à tous les membres dudit centre d’intervention.
La demanderesse explique encore qu’elle n’aurait « rien à se reprocher », de sorte qu’aucune faute disciplinaire ne saurait lui être reprochée, alors que « tout ambulancier prudent et consciencieux placé dans les mêmes circonstances » aurait réagi de la même manière.
En droit, la demanderesse estime que la décision ministérielle litigieuse du 1er décembre 2015 violerait l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, ci-après dénommé le « règlement grand-ducal du 8 juin 1979 », alors qu’elle ne comporterait « aucune motivation ». En effet, le ministre n’aurait pas pris position quant à ses moyens et arguments développés au cours de l’instruction disciplinaire menée à son encontre, quant à l’état de nécessité invoqué par elle dans le cadre de la prétendue violation de ses obligations professionnelles en tant qu’ambulancière.
Après avoir relevé dans son mémoire en réponse que chaque agent volontaire des unités de secours serait tenu, en vertu de l’article 64 du règlement grand-ducal du 6 mai 2010, par un 3devoir de confidentialité qui, en l’espèce, aurait été violé par la demanderesse, le délégué du gouvernement conteste le bien-fondé du premier moyen ainsi soulevé par elle, en soutenant qu’au contraire, l’arrêté ministériel du 1er décembre 2015 comporterait une motivation en ce qu’il se baserait notamment sur le rapport d’instruction du 25 novembre 2015 dans lequel les motivations se trouvant à la base de la sanction disciplinaire seraient largement détaillées. Il y aurait en outre lieu de relever dans ce contexte que la décision sous examen ferait expressément état d’un manquement au devoir de confidentialité commis par la demanderesse, qu’elle aurait d’ailleurs avoué au cours de l’instruction disciplinaire menée contre elle.
En outre, le représentant gouvernemental soutient que la demanderesse, notamment par le biais des écrits de son litismandataire, ne nierait pas les faits lui reprochés, c’est-à-dire la divulgation d’informations sur un patient à un autre patient.
Pour l’ensemble des éléments relevés ci-avant, le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce premier moyen tiré de la légalité externe de la décision sous examen.
L’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 dispose comme suit :
« Toute décision administrative doit baser sur des motifs légaux.
La décision doit formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et des circonstances de fait à sa base, lorsqu’elle :
- refuse de faire droit à la demande de l’intéressé ;
- révoque ou modifie une décision antérieure, sauf si elle intervient à la demande de l’intéressé et qu’elle y fait droit ;
- intervient sur recours gracieux, hiérarchique ou de tutelle ;
- intervient après procédure consultative, lorsqu’elle diffère de l’avis émis par l’organisme consultatif ou lorsqu’elle accorde une dérogation à une règle générale.
(…) ».
Il échet de constater que la décision par laquelle un volontaire des services de secours se fait infliger une sanction disciplinaire ne rentre pas dans le champ d’application de l’article 6 précité pour déterminer les types de décisions qui doivent obligatoirement prévoir une indication au moins sommaire des motifs se trouvant à leur base. Il s’ensuit que ce premier moyen, tiré de la légalité externe de la décision sous examen, est à rejeter pour ne pas être fondé. En ce qui concerne le reproche ayant trait à l’existence de motifs, il échet de relever qu’il s’agit d’une question de fond qui sera examinée ci-après dans le cadre de l’examen de la légalité interne de la décision. Enfin, et à titre superfétatoire, il y a lieu de constater que la décision sous examen est amplement motivée, et ce, d’autant plus qu’une motivation complémentaire a été valablement fournie par le mémoire en réponse.
En deuxième lieu, et quant à la légalité interne de la décision sous examen, la demanderesse soutient qu’aucune faute disciplinaire ne saurait lui être reprochée, en se référant notamment à l’état de nécessité dans lequel elle se serait trouvée lors de l’intervention litigieuse, alors qu’elle aurait eu à choisir « entre deux maux », de sorte à estimer pouvoir faire état d’un 4fait justificatif de son comportement de nature à exclure sa faute. Ainsi, il y aurait lieu de prendre en considération la situation dans laquelle l’intérêt du patient de même que l’intérêt général permettraient de lever le secret médical dans certains cas prévus par la loi. Dans ce contexte, elle fait encore état de ce qu’au cours des dernières années, « le mouvement en faveur de levées légales du secret [se serait] accéléré ». Ainsi, le secret ne devrait pas s’opposer à ce que la famille, des proches de la personne du malade ou encore une personne de confiance pourraient recevoir les informations nécessaires destinées à leur permettre d’apporter un soutien direct à celui-ci, alors qu’un tel comportement serait dans l’intérêt du malade lui-même.
À titre subsidiaire, la demanderesse invoque comme cause de justification une erreur commise par elle qui, alors même qu’elle pourrait être considérée comme une erreur fautive, aurait néanmoins été commise « de bonne foi ».
Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement conteste que dans la présente affaire, il pourrait être question d’un « état de nécessité », en s’opposant au raisonnement y afférent développé par la demanderesse dans sa requête introductive d’instance et en rappelant qu’il estime que la demanderesse a manqué à son devoir de confidentialité, tel que réglementé par l’article 64 du règlement grand-ducal du 6 mai 2010, de sorte à conclure au caractère non justifié du recours sous examen.
Même dans le cadre d’un recours en annulation, il est vrai que lors de l’examen de l’exactitude des faits invoqués à l’appui d’une décision, de la pertinence des motifs dûment établis et du contrôle de sa décision sous l’aspect de la compétence, de l’excès ou du détournement de pouvoir, cette vérification peut s’étendre, le cas échéant, au caractère proportionnel de la mesure prise par rapport aux faits établis, mais elle est cependant limitée aux cas exceptionnels où une flagrante disproportion des moyens laisse entrevoir un usage excessif du pouvoir par cette autorité. Elle ne saurait avoir pour but de priver le ministre, qui doit assumer la responsabilité politique de la décision, de son pouvoir d’appréciation sur la nature et la gravité de la mesure qu’il lui incombe de prendre, si celle-ci est par ailleurs légale et n’est pas sujette à un recours en réformation1.
L’article 64, alinéa 3 du règlement grand-ducal du 6 mai 2010 dispose qu’« il est interdit aux agents de révéler les faits dont ils ont eu connaissance en raison de leurs fonctions et qui auraient un caractère confidentiel de par leur nature ou de par les prescriptions des supérieurs hiérarchiques, à moins d’en être dispensés par décision expresse de l’autorité compétente, et ce, sans préjudice quant à l’application des dispositions de l’article 458 du Code pénal relatif au secret professionnel ».
En l’espèce, la matérialité des faits se trouvant à la base de la décision ministérielle critiquée n’est pas contestée par les parties à l’instance, étant relevé toutefois que la demanderesse souhaite voir prendre en considération soit l’état de nécessité comme cause justificative du comportement lui reproché au niveau disciplinaire soit son erreur fautive commise de bonne foi.
1 Cour adm. 8 octobre 2002, n° 14845C du rôle, Pas. adm. 2016, V° Recours en annulation, n° 45 et autres références y citées 5Il est partant constant que lors d’une intervention en date du 11 août 2015, la demanderesse a donné à un patient des informations relatives à une autre intervention à laquelle elle avait également participé deux jours plus tôt, à savoir en date du 9 août 2015. À cette occasion, tel que cela se dégage du rapport d’instruction disciplinaire précité du 25 novembre 2015, la demanderesse a donné des informations à un patient quant à l’intervention précitée du 9 août 2015 au cours de laquelle l’ex-partenaire du patient du 11 août 2015 avait été hospitalisée, en racontant plus particulièrement au patient du 11 août 2015 que son ex-partenaire a été hospitalisée deux jours plus tôt.
Il se dégage encore dudit rapport d’instruction que la demanderesse a déclaré ne pas avoir eu « de mauvaises intentions », mais que sur base de la même adresse utilisée par les deux personnes, elle aurait légitimement pu croire que les deux personnes en question constituaient un « couple », de sorte qu’elle n’aurait « voulu qu’aider le présumé partenaire en le consolant par ces informations ».
Il se dégage encore du compte-rendu d’une réunion qui s’est tenue en date du 22 octobre 2015 entre le délégué à l’instruction disciplinaire et la demanderesse que celle-ci a déclaré à cette occasion que le patient du 11 août 2015 lui aurait fait part « de son renvoi du foyer par Madame F.[…] [et qu’il] n’était plus capable de mener une vie normale », de sorte qu’afin de « consoler », ledit patient, « qui aurait exprimé à plusieurs reprises ses craintes par rapport à l’absence depuis trois jours de son ex-partenaire », elle l’aurait « informé (…) sur l’hospitalisation de Madame F.[…], et qu’il n’aurait guère à s’inquiéter car elle était prise en charge par l’hôpital ». Elle précise dans ce contexte que « sur base de l’adresse sur la fiche d’intervention », elle aurait vite pu faire « le lien entre les patients des deux interventions en question, et qu’elle était persuadée qu’il s’agissait d’un couple marié ». En fait, elle n’aurait souhaité que « consoler le patient pendant le transport, qui était dans tous ses états », au sujet duquel elle suspectait même « un risque suicidaire ». D’une manière générale, elle a déclaré au cours dudit entretien qu’elle n’aurait souhaité qu’aider le patient du 11 août 2015, sans avoir eu une quelconque intention de nuire à Madame F.
Il se dégage partant de l’ensemble des éléments qui précèdent que dans la mesure où la matérialité des faits litigieux n’est pas contestée, aucune appréciation disproportionnée ne saurait être reprochée au ministre, étant donné que les faits sont de nature à justifier la décision sous examen qui n’est pas manifestement disproportionnée par rapport aux faits établis, aucun usage excessif de son pouvoir ne pouvant être reproché au ministre, étant rappelé qu’il n’est pas contesté en cause par la demanderesse qu’elle admet elle-même avoir violé l’article 64, alinéa 3 du règlement grand-ducal du 6 mai 2010.
Au vu de l’issue du litige, il n’y a pas lieu de faire droit à la demande tendant à l’allocation d’une indemnité de procédure de 3.250 € sollicitée par la demanderesse.
Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
6 se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation ;
reçoit le recours subsidiaire en annulation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
rejette la demande tendant à l’allocation d’une indemnité de procédure sollicitée par la demanderesse ;
condamne la demanderesse au frais.
Ainsi jugé par :
Carlo Schockweiler, premier vice-président, Olivier Poos, premier juge, Michèle Stoffel, juge, et lu à l’audience publique du 7 mars 2017 par le premier vice-président, en présence du greffier Marc Warken.
s. Marc Warken s. Carlo Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 07/03/2017 Le Greffier du Tribunal administratif 7