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08/02/2017 | LUXEMBOURG | N°37314

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 08 février 2017, 37314


Tribunal administratif Numéro 37314 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 décembre 2015 3e chambre Audience publique du 8 février 2017 Recours formé par Monsieur …, … (Allemagne), contre une décision du directeur de l’Agence pour le développement de l’emploi en matière de garantie de salaire

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 37314 du rôle et déposée le 18 décembre 2015 au greffe du tribunal administratif par Maître Fabienne MONDOT, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur â€

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Tribunal administratif Numéro 37314 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 décembre 2015 3e chambre Audience publique du 8 février 2017 Recours formé par Monsieur …, … (Allemagne), contre une décision du directeur de l’Agence pour le développement de l’emploi en matière de garantie de salaire

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 37314 du rôle et déposée le 18 décembre 2015 au greffe du tribunal administratif par Maître Fabienne MONDOT, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, demeurant à D-…, tendant principalement à la réformation, sinon subsidiairement à l’annulation d’une décision du 28 septembre 2015 du directeur de l’Agence pour le développement de l’emploi portant refus de libérer les fonds nécessaires à la liquidation de sa créance salariale déclarée dans le cadre de la faillite de la société à responsabilité limitée … s.à r.l. ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 17 mars 2016 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 18 avril 2016 par Maître Fabienne MONDOT pour compte du demandeur ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 11 mai 2016 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Fabienne MONDOT, et Monsieur le délégué du gouvernement Luc REDING en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 25 janvier 2017.

Le 7 mars 2013, Monsieur … signa un contrat de travail à durée indéterminée avec la société à responsabilité limitée … s.à r.l., ci-après désignée par « la société … », en tant que gérant technique avec effet à la même date.

Par courrier recommandé du 10 janvier 2015, Monsieur … résilia son contrat de travail avec effet au 31 mars 2015 au motif qu’il n’aurait plus reçu son salaire depuis le mois d’octobre 2014.

La société … fut déclarée sur aveu en état de faillite par un jugement du tribunal d’arrondissement de Luxembourg, siégeant en matière commerciale, du …, inscrit sous le numéro … du rôle.

En date du 12 mars 2015, Monsieur … déposa au greffe du tribunal d’arrondissement de Luxembourg une déclaration de créance dans le cadre de cette faillite et demanda l’admission au passif privilégié d’une créance salariale à hauteur de ….- € du chef d’arriérés de salaire pour les mois d’octobre 2014 à janvier 2015, du salaire du mois de la survenance de la faillite, du salaire du mois subséquent, ainsi que de la moitié du préavis.

En date du 20 mars 2015, la créance fut admise au passif privilégié de la faillite à hauteur du montant déclaré.

Par une décision du 28 septembre 2015, le directeur de l’Agence pour le développement de l’emploi, ci-après désignés par « le directeur », respectivement par « l’ADEM », informa Monsieur … de l’impossibilité de libérer les fonds nécessaires à la liquidation de la créance salariale demandée, sur le fondement des considérations suivantes :

« […] Faisant suite à votre déclaration de créance dans l’affaire émargée, je me permets de vous informer que les dispositions de l’article L.126-1. du Code du travail ne s’appliquent qu’aux seuls travailleurs salariés.

Or, l’instruction du dossier a révélé que vous occupiez au sein de ta société … S.à r.l.

la fonction de gérant technique, alors que « la société est valablement engagée par les signatures conjointes des deux gérants ».

En outre, il a été constaté que vous étiez titulaire de l’autorisation d’établissement délivrée par le Ministère des Classes Moyennes et quelle n’était valable que si la gérance était assurée par vous.

Au vu des responsabilités et obligations qui découlent directement d’une telle autorisation, vous ne pouvez pas être considéré comme un travailleur salarié.

Ainsi, en tant que dirigeant, vous devez veiller à assurer personnellement et de manière effective la direction des affaires quotidiennes de la société. Vous devez signer ou contresigner tous les actes de gestion quotidienne engageant la société, ce que les statuts de la société et les décisions subséquentes des organes directeurs devraient nécessairement prévoir. Vous devez assumer la responsabilité d’éventuels manquements ayant mené ou contribué à mener la société à la liquidation judiciaire ou à la faillite.

Il s’ensuit que vous ne pouvez pas être considéré comme salarié ordinaire et que vous n’exercez pas une fonction distincte et dissociable de celle découlant du mandat social et qu’un lien de subordination fait défaut, de sorte que je suis dans l’impossibilité de faire libérer les fonds nécessaires à la liquidation de la créance salariale demandée. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 18 décembre 2015, Monsieur … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation, sinon subsidiairement à l’annulation de la décision précitée du directeur du 28 septembre 2015.

Aucune disposition légale ne prévoyant un recours au fond en la présente matière, seul un recours en annulation a pu être introduit en l’espèce, de sorte que le tribunal est incompétent pour statuer sur le recours en réformation introduit à titre principal.

En revanche il est compétent pour connaître du recours subsidiaire en annulation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, Monsieur … explique que l’associé unique de l’époque, un dénommé … se serait adressé à la Chambre des métiers de Sarrebruck afin de trouver un nouveau gérant technique pour la société …, alors que le dernier gérant technique ne serait plus revenu des vacances, la Chambre des métiers de Sarrebruck lui aurait alors suggéré de prendre contact avec lui en vue d’un emploi à temps partiel. Ce serait ainsi qu’à la fin du mois de février 2013, il aurait été engagé par la société …, représentée par Monsieur ….

Il souligne à cet égard que bien qu’il a été engagé en tant que gérant technique de la société …, il n’aurait jamais exercé des fonctions destinées à assurer la direction des affaires quotidiennes de cette société. Il précise qu’il n’aurait pas voulu être concerné par les affaires financières de la société, qu’il n’aurait pas voulu de procurations bancaires, qu’il n’aurait pas été associé et qu’il n’aurait pas eu le pouvoir de direction. Son travail se serait limité à la direction des chantiers et non à la direction de la société. Ainsi, il aurait reporté ses heures de travail sur des fiches de travail, aurait bénéficié des heures de congé compensatoires et aurait reçu des fiches de salaire, de même que le salaire convenu. De plus, ses certificats médicaux auraient été transmis à la Caisse Nationale de Santé et à la société …, de sorte qu’il aurait existé une relation de travail, caractérisée par un lien de subordination entre lui-même et cette société.

Il fait valoir qu’il n’aurait pas été concerné par la décision de signature conjointe, alors que celle-ci aurait été prise au moment où l’ancien gérant technique aurait été nommé et qu’elle n’aurait pas été réitérée lors de son engagement, de sorte que cette décision ne saurait laisser présumer un pouvoir de décision dans son chef encore qu’il n’aurait eu aucun pouvoir de décision sur la direction générale de l’entreprise, même s’il aurait occupé la fonction de gérant technique.

Il fait finalement valoir que l’article L.126-1 du Code du Travail prévoirait la garantie de toutes les créances de façon générale, sans égard à la situation particulière du salarié et que le simple fait qu’il aurait été gérant technique de la société ne signifierait pas qu’il n’aurait pas été un salarié ordinaire.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours au motif qu’en vertu des statuts de la société …, cette dernière aurait pu être engagée par la signature conjointe du demandeur et de Monsieur …, associé unique et gérant administratif de ladite société.

Monsieur … aurait encore été le titulaire de l’autorisation d’établissement, laquelle serait uniquement valable si la gérance avait été assurée par lui, de sorte que le contrat de travail de Monsieur … n’aurait pas été une convention réelle et sérieuse caractérisée, en présence d’un mandat social, par l’exercice d’une fonction technique distincte.

A titre subsidiaire, et si le tribunal devrait arriver à la conclusion que le demandeur aurait cumulé son mandat de gérant avec une fonction technique distincte, la partie étatique souligne le fait que Monsieur … aurait démissionné par courrier du 10 janvier 2015, et que cette démission serait encore intervenue peu de temps avant le jugement déclaratif de faillite, de sorte qu’il ne serait, en vertu de l’article L.125-1 du Code du Travail, pas à considérer comme un salarié dont le contrat de travail a été résilié avec effet immédiat en cas de cessation des affaires par suite d’une déclaration de faillite, mais comme un salarié qui dispose d’une créance pour les six derniers mois de travail et résultant de la rupture du contrat de travail. La partie étatique ajoute qu’en vertu de l’article L.124-4 du Code du travail Monsieur … aurait uniquement droit à un préavis allant du 15 janvier 2015 au 14 février 2015 et qu’au vu de la situation économique et financière de la société en question, ainsi que de l’aveu de faillite intervenu le 23 février 2015, le délai de préavis résultant de la lettre de démission du 10 janvier 2015, ne constituerait pas un avantage pour l’employeur, de sorte qu’il conviendrait encore de vérifier si l’employeur aurait accepté cette résiliation contenant un délai de préavis plus long.

Finalement et en tout état de cause, la partie étatique estime que Monsieur … aurait uniquement droit aux arriérés de salaire pour les six derniers mois de travail et aux sommes découlant de la rupture du contrat de travail en fonction du délai de préavis qui sera retenu, soit ….-€ au maximum.

Dans son mémoire en réplique le demandeur soutient, quant aux développements à titre subsidiaire de la partie étatique, que rien n’interdirait au salarié d’annoncer à son employeur plusieurs mois à l’avance son intention de quitter son emploi et qu’aucune disposition légale ne ferait obstacle à ce que le salarié se prévaut d’un délai de préavis plus long, tout en soulignant que la société … n’aurait pas refusé sa démission avec ce délai de préavis, et que si la société aurait vu un désavantage, elle aurait pu rompre unilatéralement la relation de travail. Son contrat de travail n’aurait pas encore pris fin au moment de la faillite de la société et aurait toujours existé au moment du prononcé de la faillite.

Dans son mémoire en duplique, la partie étatique souligne encore que Monsieur …, se serait inscrit à l’ADEM le 16 avril 2014 suite à son licenciement pour motif économique et que l’attestation patronale, remise par l’employeur lors de la demande d’octroi des indemnités de chômage aurait été signée par Monsieur …. Monsieur … aurait encore expliqué que Monsieur … aurait pris toutes les décisions et aurait eu l’intention de gérer la société tout seul.

Il ajoute que le relevé synoptique des affiliations des assurés démonterait que tous les employés de la société auraient été désaffiliés le 31 octobre 2014, que la société n’avait dès lors plus d’activités et que Monsieur … aurait été le seul gérant, de sorte qu’il serait malvenu de réclamer des salaires pour la période postérieure à octobre 2014.

A titre liminaire, il y a lieu de constater que le 1er février 2017, à savoir postérieurement à l’audience des plaidoiries du 25 janvier 2017, le demandeur a encore déposé au greffe du tribunal administratif une pièce supplémentaire, en l’occurrence une ordonnance du 2 juin 2016 du juge d’instruction constatant le dépôt d’une plainte avec constitution de partie civile.

Or, aux termes de l’article 8, paragraphe (6) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives : « Toute pièce versée après que le juge-rapporteur a commencé son rapport en audience publique est écartée des débats, sauf si le dépôt en est ordonné par le tribunal. ».

Une pièce produite non seulement après le rapport fait par le juge-rapporteur à l’audience, mais également après la prise en délibéré de l’affaire, est à écarter, à moins que le tribunal ait ordonné son dépôt1. Or, en l’espèce, le tribunal n’a pas ordonné le dépôt de cette pièce supplémentaire, mais a, au contraire, indiqué au mandataire du demandeur à l’audience publique des plaidoiries du 25 janvier 2017, après que le litismandataire y avait fait état du 1 Trib. adm. 3 mars 1997, n° 9698 du rôle, Pas. adm. 2016, V° Procédure contentieuse, n° 654.

dépôt d’une plainte, de revenir vers lui s’il devait estimer que le dépôt de ladite pièce s’avérerait nécessaire à la solution du litige.

A titre superfétatoire, il échet encore de constater que cette pièce, à défaut de toute autre précision, ne contient pas d’éléments pertinents par rapport à ce litige, dans la mesure où elle ne fait que renseigner sur la réalité du dépôt d’une plainte contre Monsieur … et Monsieur … pour faux et usage de faux.

Il s’ensuit que la pièce déposée par le demandeur au greffe du tribunal administratif en date du 1er février 2017 est à écarter des débats.

Quant au fond, l’article L.126-1 du Code du travail dispose :

« (1) En cas de faillite de l’employeur, le Fonds pour l’emploi garantit les créances résultant du contrat de travail sous les conditions et dans les limites fixées au présent article.

(2) Sont garanties jusqu’à concurrence du plafond visé à l’article 2101, paragraphe (2) du Code civil, les créances des salaires et indemnités de toute nature dues au salarié à la date du jugement déclaratif de la faillite pour les six derniers mois de travail et résultant de la rupture du contrat de travail.

(3) En cas de continuation des affaires par le curateur de la faillite, la garantie visée au présent article est applicable, dans les limites visées au paragraphe (2), aux créances des salaires et indemnités de toute nature dues au salarié le jour de la résiliation du contrat de travail et celles résultant de la résiliation du contrat de travail.

(4) Pour l’application des dispositions des paragraphes qui précèdent, sont considérées les créances de salaire et d’indemnité, déduction faite des retenues fiscales et sociales obligatoires en matière de salaires.

(5) Le droit à la garantie s’ouvre pour le salarié, lorsque les créances visées au présent article ne peuvent être payées, en tout ou en partie, sur les fonds disponibles dans les dix jours qui suivent le prononcé du jugement déclaratif de la faillite.

(6) A la demande du curateur, le Fonds pour l’emploi verse aux salariés, dans les limites visées au présent article et, le cas échéant, en tenant compte des avances versées au titre de l’alinéa qui suit, les sommes impayées figurant sur le relevé des créances présenté par le curateur, visé par le juge commissaire et vérifié par l’Agence pour le développement de l’emploi.

Le relevé prévu au présent paragraphe peut être présenté par le curateur avant la clôture du procès-verbal de vérification des créances.

Pour toute créance salariale visée au paragraphe (2), le salarié créancier peut, si sa créance représente plus de la moitié du salaire mensuel, calculé sur la moyenne des trois derniers mois précédant le mois de la déclaration de la faillite, remettre une copie de sa déclaration de créance déposée au Tribunal de commerce concernant les arriérés de salaire, à l’Agence pour le développement de l’emploi. Après vérification par l’Agence pour le développement de l’emploi des pièces remises, le Fonds pour l’emploi verse à titre d’avance les créances de salaire arriéré sans pouvoir dépasser soixante-quinze pour cent du plafond visé au paragraphe (2). […] ».

Il s’ensuit qu’en cas de faillite de l’employeur, le Fonds pour l’emploi garantit jusqu’au plafond visé à l’article 2101, paragraphe (2) du Code civil, c’est-à-dire jusqu’au sextuple du salaire social minimum, les créances des salaires et indemnités de toute nature dues au salarié à la date du jugement déclaratif de la faillite pour les six derniers mois de travail et résultant de la rupture du contrat de travail.

Dans ce contexte, force est au tribunal de conclure de prime abord que l’ADEM a non seulement le droit, mais l’obligation de vérifier en premier lieu l’existence de la qualité de salarié dans le chef du demandeur de la garantie salariale sollicitée2, de sorte que l’acceptation d’une créance par le juge commissaire et par le curateur ne s’oppose en principe pas à un refus du directeur de libérer les fonds nécessaires à la garantie salariale.

En effet, il résulte de l’article L.126-1 précité du Code du travail que peuvent seules faire l’objet d’une prestation de garantie à charge du Fonds pour l’emploi les créances de nature salariale et que, conformément au paragraphe (6) du même article, les versements sont effectués sur base de relevés « vérifiés par » l’ADEM. Sous peine de vider ledit texte de toute portée, il y a lieu de retenir que l’administration est en droit de procéder à son propre examen des créances qui lui sont soumises.

Cette vérification doit se rapporter à l’examen de la justification de l’intervention du Fonds pour l’emploi qui a vocation, en cas de faillite, à se substituer à l’employeur en carence et qui bénéficie d’une subrogation dans les droits du salarié. Il en découle que l’administration est en droit de vérifier aussi la qualité de salarié de l’intéressé et donc l’existence d’une relation de travail entre celui-ci et le failli, en vertu de l’article L.126-1 du Code du Travail, paragraphe (1), disposant que ladite créance s’applique aux « créances résultant du contrat de travail ». Son application est dès lors plus particulièrement conditionnée par l’existence d’un contrat de travail, caractérisé par l’existence d’un lien de subordination.

Il y a, à cet égard lieu de rejeter le moyen du demandeur, selon lequel l’article L.126-1 du Code du Travail prévoirait la garantie de toutes les créances résultant d’un contrat de travail de façon générale, sans égard à la situation particulière du salarié, dans la mesure où l’existence d’un contrat de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination ou de la qualification qu’elles ont données à leurs conventions, mais des conditions de fait dans lesquelles s’exerce l’activité de la personne concernée, imposant, notamment une analyse de la situation particulière du salarié3.

Le contrat de travail s’analyse notamment en une convention par laquelle une personne s’engage à mettre, moyennant une rémunération, son activité à la disposition d’une autre à l’égard de laquelle elle se trouve dans un rapport de subordination juridique. Dès lors, la subordination juridique constitue l’élément essentiel de tout contrat de travail, de sorte qu’il faut que le contrat place le salarié sous l’autorité de son employeur qui lui donne des ordres concernant l’exécution du travail, en contrôle l’accomplissement et en vérifie les résultats4.

2 Cour adm., 18 mai 2006, n° 21111C du rôle, Pas. adm. 2016, V° Travail, n° 16 et les autres références y citées.

3 Trib. adm., 27 octobre 2004, n° 17634 du rôle, Pas. adm. 2016, V° Travail, n° 10 et les autres références y citées.

4 Cour adm., 16 juin 2011, n° 27974C du rôle, Pas. adm. 2016, V° Travail, n° 9 et les autres références y citées.

En l’espèce, il n’est pas contesté et cela résulte d’ailleurs des pièces soumises en cause, que la déclaration de créance a été acceptée par le juge commissaire et par le curateur à hauteur du montant déclaré, de sorte que dans ce contexte, l’existence d’un contrat de travail n’a pas été remise en cause.

Dans ces circonstances, en cas de refus par l’ADEM du paiement d’une créance dûment acceptée par le curateur et le juge commissaire, tel que c’est le cas en l’espèce, la charge de la preuve du bien-fondé des motifs justifiant la décision de refus incombe à l’Etat, cette preuve étant à rapporter sur la toile de fond de l’examen, par le juge administratif, de l’existence et de l’exactitude des faits matériels qui sont à la base de la décision déférée, et de la vérification si les motifs dûment établis sont de nature à la motiver légalement5.

Ainsi, il appartient à l’Etat, ayant refusé la prise en charge de la créance pourtant acceptée par le curateur et le juge commissaire, de fournir la preuve du bien-fondé des motifs justifiant sa décision. En l’occurrence, la partie étatique faisant état d’une situation excluant un lien de subordination tiré de la qualité du demandeur de gérant technique et de son pouvoir de signature conjointe en tant que tel, ainsi que du fait qu’il a été le titulaire de l’autorisation d’établissement délivrée par le ministère des Classes moyennes, il lui appartient partant d’établir, d’une part, la réalité de la situation juridique, respectivement de fait qu’il allègue, et, d’autre part, de justifier que celle-ci est de nature à conclure que, vu les circonstances de l’espèce, le demandeur a exercé un contrôle déterminant sur les activités de la société, de sorte que l’existence d’un lien de subordination est inconcevable. Une fois cette preuve rapportée, il appartient, le cas échéant, au demandeur d’établir que, malgré la situation de contrôle légal ou de fait ainsi démontrée et excluant, a priori, l’existence d’un lien de subordination, il se trouve en réalité liée à la société par un contrat de travail caractérisé par un tel lien de subordination qui, en présence d’un mandat social, devra se caractériser par l’exercice d’une fonction technique distincte.

Il y a encore lieu de souligner que si le cumul dans une même personne du mandat de gérant d’une société à responsabilité limitée et de la qualité de salarié n’est pas prohibé, il n’en reste pas moins que le contrat de travail doit rester une convention réelle et sérieuse.

Dans ce contexte, le tribunal est amené à retenir que n’est pas à considérer comme convention réelle et sérieuse, le contrat de travail simulé dans le but unique de bénéficier des avantages inhérents à un tel contrat. Au-delà de ce que le contrat de travail doit correspondre à des attributions techniques nettement dissociables de celles découlant du mandat, la subordination doit trouver sa véritable expression juridique dans les prérogatives de l’employeur envers le salarié, à savoir dans l’exercice d’un véritable pouvoir de contrôle et de direction à l’égard du salarié6.

En l’espèce, force est au tribunal de constater qu’il ressort des éléments soumis à son appréciation qu’au moment de la constitution de la société … en date du 1er octobre 2010, un dénommé … a été nommé gérant technique, tandis qu’un dénommé … a été nommé géant administratif, ce dernier ayant encore détenu l’intégralité des parts sociales de la société. Les statuts de ladite société précisent qu’elle est valablement engagée par la signature conjointe des deux gérants. Il ressort ensuite d’un extrait du registre de commerce et des sociétés du 7 mars 2013, que le demandeur a été nommé gérant technique de la société … à partir de la même date, après que Monsieur … a été révoqué de cette fonction. En date du 7 octobre 2013, Monsieur … a cédé à un dénommé … la totalité des parts sociales de la société … pour le prix 5 Trib. adm., 22 mai 2006, n° 20427 du rôle, Pas. adm. 2016, V° Travail, n° 7 et les autres références y citées.

6 Cour adm., 16 juin 2011, n° 27974C du rôle, Pas. adm. 2016, V° Travail, n° 12 et les autres références y citées.

d’un euro symbolique, ce dernier a ensuite accepté la démission de Monsieur … de ses fonctions de gérant administratif et s’est nommé lui-même gérant administratif de la société pour une durée illimitée à partir de cette même date. Il ressort ensuite d’un courrier non signé et daté au 10 janvier 2015 que Monsieur … a démissionné pour le 31 mars 2015 en raison du défaut de paiement de salaires depuis octobre 2014. Finalement, il résulte d’un extrait du registre de commerce et des sociétés du 9 janvier 2015 que l’assemblée générale extraordinaire a accepté la démission du demandeur avec effet au 7 janvier 2015. Le demandeur ne conteste, par ailleurs, pas avoir rempli ces fonctions, de sorte qu’il convient de retenir qu’il avait la qualité de gérant technique de la société pouvant engager celle-ci par sa signature conjointe, dans la mesure où il se dégage des statuts de celle-ci tels que versés en cause, qu’elle : « est valablement engagée par les signatures conjointes des deux gérants ».

A cet égard, il y a encore lieu de rejeter l’argumentation du demandeur, suivant laquelle la décision de signature conjointe aurait été prise au moment où l’ancien gérant technique aurait été nommé et n’aurait pas été réitérée lors de son engagement, alors qu’aucun changement des pouvoirs d’engager la société … n’a été publié au registre de commerce et des sociétés depuis la constitution de ladite société en date du 1er octobre 2010.

S’y ajoute qu’il n’est pas contesté en cause, et il se dégage encore des éléments du dossier administratif que Monsieur … a été le détenteur de l’autorisation d’établissement délivrée par le ministère des Classes moyennes du 4 mars 2013 au 14 janvier 2015, autorisation ayant indubitablement mis le demandeur dans une position de force.

Or, si le demandeur détenait effectivement l’autorisation d’établissement et était effectivement gérant technique de la société …, il y a encore lieu de souligner que le pouvoir décisionnel était dilué et que le demandeur n’a pas détenu des parts sociales dans le capital de ladite société, de sorte que la situation juridique décrite par la partie étatique n’est pas à elle seule de nature à exclure l’existence d’un lien de subordination.

Toutefois, il ressort du contrat de travail du 16 novembre 2013, que Monsieur … a, suite à la démission de Monsieur … de ses fonctions de gérant administratif en date du 7 octobre 2013, représenté la société … en tant qu’employeur et a embauché Monsieur …, en tant que technicien, pouvoir ne lui incombant pas. Il a encore, suite au licenciement de Monsieur … le 14 avril 2014, signé l’attestation patronale au nom et pour le compte de la société … en date du 23 avril 2014, pouvoir ne lui incombant pas non plus. Monsieur … a encore déclaré dans le cadre de son recours devant le Conseil arbitral de la sécurité sociale du 30 octobre 2015 ne plus avoir travaillé pour la société … après le 14 avril 2014 et que Monsieur … aurait été le seul gérant à partir de cette date. Ces constatations sont cependant de nature à s’opposer à l’existence d’un véritable pouvoir de contrôle et de direction de l’employeur à l’égard du demandeur.

A cet égard, le tribunal tient encore de rappeler que, dans le cadre du recours en annulation l’analyse du tribunal ne saurait se rapporter qu’à la situation de fait et de droit telle qu’elle s’est présentée au moment de la prise de la décision déférée, le juge de l’annulation ne pouvant faire porter son analyse ni à la date où le juge statue, ni à une date postérieure au jour où la décision déférée a été prise7.

7 Cour adm., 19 juin 2014, n° 34087C du rôle, Pas adm. 2016, V° Recours en annulation, n° 19 et les autres références y citées.

Ainsi, l’affirmation du mandataire du demandeur à l’audience publique des plaidoiries du 25 janvier 2017, selon laquelle il a déposé une plainte au pénal pour faux et usage de faux contre les pièces précitées, outre le fait que cette procédure n’a pas encore abouti, ne pourra pas être pris en considération par le tribunal, étant donné que ladite plainte n’a été déposée qu’en juin 2016, donc postérieurement à la décision déférée du 28 septembre 2015.

Dès lors, et en prenant en compte l’ensemble des éléments qui précèdent, le tribunal est amené à retenir, que c’est a priori à juste titre que le directeur de l’ADEM a pu conclure à un défaut de lien de subordination dans le chef de Monsieur … envers la société …, de sorte qu’il convient au demandeur d’établir qu’il a exercé une fonction technique distincte de son mandat social excluant un lien de subordination et correspondant à une convention réelle et sérieuse.

Force est toutefois au tribunal de constater le demandeur se borne à affirmer qu’il n’aurait été qu’un salarié au sein de la société en faillite … et qu’il n’aurait jamais exercé des fonctions destinées à assurer la direction des affaires quotidiennes de cette société, sans étayer ses affirmations par des pièces convaincantes et concluantes, étant encore souligné qu’il verse à l’appui de son recours ses fiches de salaire pour les mois de mars, avril et juin 2016 desquelles il ressort qu’il a été rémunéré en tant que « gérant technique », ainsi que son contrat de travail, lequel précise qu’il exerce la fonction de « gérant technique ». La même constatation s’impose notamment en ce qui concerne l’extrait du Centre Commun de la Sécurité Sociale versé par le demandeur, renseignant sa fonction de « gérant salarié ». A cet égard, il convient encore de préciser que l’attestation de la société … du 30 mai 2014, ainsi que le courrier de Monsieur … du 2 janvier 2016 ne sont pas de nature à établir la réalité du lien de subordination de Monsieur … envers ladite société, alors qu’ils se limitent à préciser qu’il a effectivement travaillé auprès de cette société, fait qui n’est pas contesté en l’espèce.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent et en l’absence d’autres moyens du demandeur que la partie étatique a rapporté la preuve de l’existence et de l’exactitude des faits matériels qui sont à la base de la décision attaquée, à savoir en l’espèce du défaut de lien de subordination entre le demandeur et la société …, de sorte que c’est à bon droit que le directeur de l’ADEM a refusé la liquidation de la créance salariale telle que retenue par le curateur et le juge commissaire de la société en faillite …. Or, dans la mesure où le bénéfice de la garantie instituée par l’article L.126-1 du Code du travail est réservé aux seuls salariés, il s’ensuit que le recours en annulation est, à défaut d’autres moyens permettant de conclure à l’illégalité de la décision déférée, non fondé.

Il y a partant lieu de rejeter la demande d’annulation de la décision attaquée pour ne pas être fondée.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;

écarte la pièce déposée par le demandeur au greffe du tribunal administratif le 1er février 2017 ;

se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation ;

reçoit le recours subsidiaire en annulation en la forme ;

au fond, le dit non justifié, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 8 février 2017 par:

Thessy Kuborn, vice-président, Paul Nourissier, premier juge, Géraldine Anelli, juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 10 février 2017 Le greffier du tribunal administratif 10


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 37314
Date de la décision : 08/02/2017

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2017-02-08;37314 ?

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