Tribunal administratif N° 38766 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg inscrit le 28 novembre 2016 1re chambre Audience publique du 25 janvier 2017 Recours formé par Monsieur …et consorts, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 28 (1), L. 18.12.2015)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 38766 du rôle et déposée le 28 novembre 2016 au greffe du tribunal administratif par Maître Edévi Amégandji, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Kosovo), et de Madame …, née le … à … (Kosovo), agissant tant en leur nom personnel qu’au nom et pour compte de leur enfant mineur ……, née le … à … (Allemagne), tous de nationalité kosovare, demeurant ensemble à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 17 novembre 2016 par laquelle les autorités luxembourgeoises ont pris la décision de les transférer vers le Royaume des Pays-Bas, Etat membre compétent pour connaître de leur demande de protection internationale ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 4 janvier 2017 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Claudine Konsbruck en sa plaidoirie à l’audience publique du 16 janvier 2017.
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Le 22 septembre 2016, Monsieur …et Madame …, accompagnés de leur enfant mineur commun ……, ci-après désignés par «les consorts…», introduisirent auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-
après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Le 23 septembre 2016, les consorts…furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.
Une recherche effectuée dans le système EURODAC permit d’établir que Monsieur …avait précédemment déposé une demande de protection internationale en Allemagne le 18 juin 2010, en Suisse le 7 octobre 2011, de nouveau en Allemagne le 29 juin 2015, ainsi qu’aux Pays-Bas le 3 août 2016 et que Madame … avait précédemment introduit une demande de protection internationale en Allemagne le 29 juin 2015, ainsi qu’aux Pays-Bas le 3 août 2018.
1Le 21 octobre 2016, les consorts…furent entendus séparément par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de leur demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, dénommé ci-après « le règlement Dublin III ».
Les autorités luxembourgeoises contactèrent les autorités néerlandaises en date du 28 octobre 2016 en vue de la prise, respectivement de la reprise en charge des consorts…, demande qui fut acceptée par les autorités néerlandaises le 10 novembre 2016.
Par décision du 17 novembre 2016, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », sur base de la considération que le 3 août 2016, les demandeurs avaient déposé une demande de protection internationale aux Pays-Bas et que le 10 novembre 2016, les autorités néerlandaises avaient accepté de prendre, respectivement de reprendre en charge l’examen de la demande de protection internationale des consorts…, informa ceux-ci de sa décision de les transférer dans les meilleurs délais vers les Pays-Bas sur base de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et des dispositions de l’article 18, paragraphe (1), point (d), du règlement Dublin III.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 28 novembre 2016, inscrite sous le numéro 38766 du rôle, les consorts…ont fait introduire un recours en annulation contre la décision ministérielle précitée du 17 novembre 2016.
Aucune disposition légale ne prévoit de recours au fond en la présente matière, de sorte que seul un recours en annulation a pu être introduit contre la décision ministérielle du 17 novembre 2016. Le recours en annulation introduit en l’espèce est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de leur recours, les demandeurs critiquent, tout d’abord, la décision sous examen pour ne pas contenir la moindre motivation juridique et factuelle, mais uniquement une formulation d’ordre général et l’indication des textes légaux que le ministre estime applicables au cas d’espèce, justifiant la compétence des Pays-Bas pour connaître de leur demande de protection internationale. Au vu des lacunes dont serait ainsi affectée la décision sous examen, il y aurait lieu de conclure à une absence totale de motivation, de sorte que la décision déférée devrait encourir l’annulation de ce chef.
A titre subsidiaire, la décision serait encore à annuler pour erreur manifeste d’appréciation, les demandeurs soutenant que le ministre aurait dû leur accorder un traitement spécial, étant donné qu’ils seraient parents d’un enfant de 17 mois. Ils font valoir que la décision déférée risquerait de leur causer un préjudice grave et définitif, puisque le ministre n’aurait pas pris en compte leur situation.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours au motif que les moyens y énoncés seraient dépourvus de fondement.
Concernant le premier moyen soulevé par les demandeurs tiré d’un défaut de motivation de la décision déférée, il échet tout d’abord de rappeler que l’article 34, 2paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 dispose dans son alinéa 1er que « les décisions prises par le ministre en matière de protection internationale sont communiquées par écrit au demandeur dans un délai raisonnable. Toute décision négative est motivée en fait et en droit et les possibilités de recours sont communiquées par écrit au demandeur ».
C’est à bon droit que le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce premier moyen, en ce que, contrairement aux développements des demandeurs, la décision litigieuse contient une motivation, en fait et en droit, exhaustive, en ce qu’elle précise que les Pays-Bas ont, en date du 10 novembre 2016 accepté de prendre, respectivement de reprendre en charge l’examen de la demande de protection internationale des demandeurs, ceux-ci y ayant introduit une demande de protection internationale le 3 août 2016, de sorte que le ministre a, en application des dispositions de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 18, paragraphe (1) d) du règlement Dublin III, pris la décision de les transférer vers les Pays-Bas, pays responsable de l’examen de cette demande. Il s’ensuit que le moyen fondé sur un défaut de motivation est rejeté comme non fondé.
Concernant le moyen invoqué à titre subsidiaire tiré d’une erreur manifeste d’appréciation, force est au tribunal de constater, qu’en l’espèce, la décision déférée est fondée sur les dispositions de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, aux termes desquelles « Si, en application du règlement (UE) n°604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge.
Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale », et sur l’article 18, paragraphe (1), d) du règlement Dublin III, qui dispose que l’Etat membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de « reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l’apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d’un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre Etat membre ; ».
Force est encore de constater que les demandeurs ne contestent pas la compétence de principe des Pays-Bas en l’espèce, mais se limitent à reprocher en substance au ministre de ne pas avoir décidé d’examiner leur demande et d’avoir ainsi dépassé sa marge d’appréciation.
Or, en la présente matière, le ministre n’a pas un large pouvoir d’appréciation, de sorte que, lorsqu’un Etat membre de l’Union européenne, comme en l’occurrence les Pays-Bas, a accepté la prise, respectivement la reprise en charge d’un demandeur de protection internationale, la seule possibilité légale pour le ministre de ne pas procéder au transfert du demandeur vers ce pays, mais de décider d’examiner sa demande de protection internationale, même si cet examen ne lui appartient pas en vertu des critères fixés dans le règlement Dublin III, réside à côté de l’application de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2, du règlement Dublin III, qui présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs entraînant un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne auquel cas le ministre doit se déclarer compétent, l’application de l’article 17 du même règlement disposant en son alinéa 1er « Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. » 3Il s’ensuit que si, en vertu du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la prise, respectivement la reprise en charge, le ministre décide, d’un côté, de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable et, de l’autre côté, de ne pas examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg, le ministre ne disposant d’une marge d’appréciation que dans des cas de figure limités.
En l’espèce, les consorts…n’invoquent pas l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs aux Pays-Bas, mais se limitent à invoquer la considération que le transfert vers les Pays-Bas leur causerait un préjudice grave et définitif alors qu’ils seraient en charge d’un enfant de 17 mois et devraient de ce fait bénéficier d’un traitement spécifique, de sorte que se pose la question de savoir si le ministre a, le cas échéant, dû appliquer la clause discrétionnaire prévue à l’article 17 du règlement Dublin III.
Force est toutefois de constater que l’application de cette clause est une simple faculté pour le ministre. Le tribunal est amené à retenir qu’à défaut d’autres éléments, le seul fait d’avoir à charge un enfant de 17 mois n’implique pas que le ministre ait dépassé sa marge d’appréciation en ne faisant pas application de l’article 17 précité en l’espèce, les demandeurs restant, par ailleurs, en défaut de préciser en quoi la présence d’un enfant de 17 mois justifierait un traitement spécifique de nature à empêcher le transfert vers les Pays-Bas. Dès lors, le moyen fondé sur une erreur manifeste d’appréciation est rejeté.
Il s’ensuit qu’à défaut d’autres moyens, le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond le dit non justifié, partant en déboute ;
condamne les demandeurs aux frais.
Ainsi jugé par :
Marc Sünnen, président Annick Braun, vice-président, Alexandra Castegnaro, premier juge, et lu à l’audience publique du 25 janvier 2017 par le président, en présence du greffier Michèle Hoffmann s. Michèle Hoffmann s. Marc Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 25/1/2017 Le Greffier du Tribunal administratif 4