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23/12/2016 | LUXEMBOURG | N°38669

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 23 décembre 2016, 38669


Tribunal administratif N° 38669 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 novembre 2016 4e chambre Audience publique du 23 décembre 2016 Recours formé par Monsieur …, alias …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art.28 (1), L. 18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 38669 du rôle et déposée le 7 novembre 2016 au greffe du tribunal administratif par Maître Sébastien Lanoue,

avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur...

Tribunal administratif N° 38669 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 novembre 2016 4e chambre Audience publique du 23 décembre 2016 Recours formé par Monsieur …, alias …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art.28 (1), L. 18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 38669 du rôle et déposée le 7 novembre 2016 au greffe du tribunal administratif par Maître Sébastien Lanoue, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, alias …, né le …, à … (Ukraine), actuellement détenu au Centre pénitentiaire de Luxembourg à Schrassig, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 19 octobre 2016, ordonnant son transfert vers la République tchèque sur base de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire et de l’article 18, paragraphe (1), point a), du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 10 novembre 2016 ;

Vu l’ordonnance présidentielle du 10 novembre 2016, inscrite sous le numéro 38670 du rôle, par laquelle a été rejetée une demande en obtention d’un sursis à exécution, sinon d’une mesure de sauvegarde par rapport à la décision ministérielle précitée du 19 octobre 2016 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Monsieur le délégué du gouvernement Luc Reding en sa plaidoirie.

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Le 21 juillet 2016, Monsieur …, alias …, de nationalité ukrainienne, introduisit auprès des autorités luxembourgeoises une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, dénommée ci-après « la loi du 18 décembre 2015 ».

Il fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 4 août 2016, il fut entendu par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, dénommé ci-après « le règlement Dublin III ».

Par décision du 19 octobre 2016, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après dénommé le « ministre », informa Monsieur … que le Grand-Duché de Luxembourg a pris la décision de le transférer vers la République tchèque, ladite décision étant libellée comme suit :

« J’accuse réception de votre demande en obtention d’une protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire que vous avez présentée le 21 juillet 2016.

Il résulte des informations dont nous avons connaissance que vous êtes titulaire d’un visa tchèque valable du 19 janvier 2016 jusqu’au 19 avril 2016.

La République Tchèque a accepté en date du 14 octobre 2016 de prendre/reprendre en charge l’examen de votre demande de protection internationale.

Au vu de ce qui précède, je tiens à vous informer qu’en vertu des dispositions de l’article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l’article 18§1a du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013, le Grand-Duché de Luxembourg a pris la décision de vous transférer dans les meilleurs délais vers la République Tchèque, qui est l’Etat membre responsable pour examiner votre demande de protection internationale. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 7 novembre 2016, Monsieur …, alias … a fait introduire un recours en annulation contre la décision ministérielle précitée du 19 octobre 2016.

Par requête séparée déposée en date du même jour, inscrite sous le numéro 38670 du rôle, il a encore fait introduire une demande tendant à l’institution d’une mesure provisoire tendant en substance à voir surseoir à l’exécution de son transfert vers la République tchèque jusqu’au jour où le tribunal administratif aura statué sur le mérite du recours au fond, demande dont il fut débouté par ordonnance présidentielle du 10 novembre 2016.

Etant donné qu’aucune disposition légale ne prévoit la possibilité d’introduire un recours de pleine juridiction en la présente matière et que l’article 35, paragraphe (3) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit expressément un recours en annulation contre la décision de transfert visée à l’article 28, paragraphe (1) de la même loi, seul un recours en annulation a pu être valablement déposé contre la décision ministérielle déférée.

Le recours en annulation est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

À l’appui de son recours, le demandeur déclare se rapporter à prudence de justice quant aux causes d’illégalités externes pouvant affecter la décision sous examen, tout en se réservant le droit de pouvoir se prévaloir d’un tel chef d’annulation en cours d’instance s’il devait s’avérer que le ministre aurait commis un vice de forme, voire aurait été incompétent pour prendre la décision sous examen.

Quant à ses développements ayant trait aux éventuelles causes d’illégalités internes de la décision attaquée, le demandeur estime que la décision de le transférer vers la République tchèque serait basée sur l’existence d’une demande de protection internationale introduite en date du 21 juillet 2016 auprès des autorités dudit pays. Il déclare toutefois ne pas souhaiter être transféré vers la République tchèque, en préférant retourner dans son pays d’origine, à savoir l’Ukraine, « dès sa libération au Grand-Duché ».

En outre, le demandeur déclare renoncer à la demande de protection internationale «qu’il a déposée ». Il en conclut que la décision attaquée reposerait sur l’existence d’une demande de protection internationale « qui n’a plus lieu d’être », de sorte qu’elle devrait encourir l’annulation de ce fait.

Le délégué du gouvernement fait état de ce que le demandeur serait en possession d’un visa touristique établi par le consulat général de la République tchèque à Lviv en Ukraine, ayant été valable du 19 janvier au 19 avril 2016, et qu’il serait entré dans l’espace «Schengen » en date du 4 février 2016.

Le représentant gouvernemental fait encore état de ce qu’à la suite d’une demande leur présentée par les autorités luxembourgeoises en date du 2 septembre 2016, les autorités tchèques auraient accepté la compétence de traiter la demande de protection internationale du demandeur, telle qu’introduite au Grand-Duché de Luxembourg, et ce, en application de l’article 18, paragraphe (1), point a) du règlement Dublin III.

Le délégué du gouvernement précise par ailleurs que le ministre aurait été informé en date du 15 octobre 2016 par le service administratif du Centre pénitentiaire de Luxembourg à Schrassig que le demandeur aurait été mis en détention préventive pour vol.

En droit, le représentant gouvernemental conteste l’affirmation du demandeur suivant laquelle il aurait présenté, en date du 21 juillet 2016, une demande de protection internationale auprès des autorités tchèques, alors que la décision sous examen ne contiendrait aucune information en ce sens.

En retenant que le demandeur serait arrivé sur le territoire « Schengen » sur base d’un visa lui émis de la part des autorités tchèques, le délégué du gouvernement estime que le ministre aurait valablement pu faire application de l’article 12, paragraphe (4) du règlement Dublin III et que la République tchèque aurait valablement pu accepter la prise en charge du demandeur sur base de l’article 18, paragraphe (1), point a) du règlement Dublin III.

Le délégué du gouvernement estime encore que le souhait exprimé par le demandeur de rester sur le territoire luxembourgeois jusqu’au jour de l’exécution de sa peine d’emprisonnement serait sans pertinence, étant donné que de toute façon son incarcération impliquerait nécessairement son maintien sur le territoire luxembourgeois jusqu’au jour de sa libération.

Par ailleurs, en ce qui concerne l’intention exprimée par le demandeur de vouloir renoncer à sa demande de protection internationale introduite au Luxembourg, le représentant gouvernemental soutient qu’une telle renonciation ne saurait être invoquée devant le juge, mais aurait dû être formulée auprès de l’autorité compétente du traitement de la demande de protection internationale à savoir, en l’espèce, les autorités tchèques. Pour le surplus, il estime que dans le cadre du recours en annulation dont le juge administratif serait valablement saisi en la présente matière, il ne pourrait prendre en considération que la situation de droit et de fait ayant existé au jour où la décision litigieuse a été prise. En se référant à une jurisprudence du tribunal fédéral suisse, le délégué du gouvernement soutient qu’une telle intention de retirer une demande de protection internationale ne saurait mettre fin à la procédure telle que se dégageant du règlement Dublin III ni empêcher le transfert du demandeur vers le pays désigné comme étant le pays responsable du traitement de la demande de protection internationale, en application du même règlement Dublin III, à partir du moment où une décision portant sur la compétence de l’Etat responsable en matière de traitement de ladite demande de protection internationale a déjà été notifiée au demandeur.

En argumentant qu’une décision de transfert n’est prise qu’à partir du moment où un autre Etat membre a pris la décision de se déclarer compétent en vue du traitement d’une demande de protection internationale, ce qui, en l’espèce, a été fait par les autorités tchèques, le délégué du gouvernement soutient que l’intention de retirer une demande de protection internationale ne pourrait être formulée qu’auprès desdites autorités s’étant déclarées compétentes pour en assurer le traitement, à savoir, en l’espèce, les autorités tchèques. Ainsi, même à supposer que le demandeur a retiré sa demande d’asile au Luxembourg, tel qu’annoncé dans son recours, un tel retrait ne serait pas de nature à mettre un terme à la responsabilité de la République tchèque de le reprendre en charge, tel que déclaré par les autorités compétentes de cet Etat en application de l’article 18, paragraphe (1), point a) du règlement Dublin III. En effet, le retrait d’une telle demande d’asile, postérieurement à la détermination de l’Etat membre responsable de son traitement, ne serait pas un motif de cessation de la responsabilité de ce dernier Etat pour traiter la demande en question.

Le délégué du gouvernement soutient que cette jurisprudence suisse aurait également été confirmée par le « Bundesverwaltungsgericht » allemand dans un arrêt du 22 mars 2016.

Le représentant gouvernemental conclut, en ordre subsidiaire, à ce qu’il ne saurait être dérogé à ce principe qu’au cas où il existerait de graves déficiences ou défaillances dans la procédure d’asile de la République tchèque, ce qui ne serait pas établi en l’espèce, aucun élément y afférent n’ayant été soulevé par le demandeur dans le cadre du recours sous examen.

En ce qui concerne tout d’abord l’intention exprimée par le demandeur de vouloir retirer la demande de protection internationale introduite par lui non pas auprès des autorités tchèques, comme il l’a indiqué erronément dans la requête introductive d’instance sous examen, mais auprès du ministre, et ce, en date du 21 juillet 2016, il échet de rappeler que dans le cadre d’un recours en annulation dont le tribunal a valablement été saisi par le demandeur, il n’appartient au tribunal que d’examiner la situation de fait et de droit ayant existé au jour où la décision a été prise. Or, il échet de constater qu’en date du 19 octobre 2016, le ministre avait à prendre position par rapport à une demande de protection internationale introduite par le demandeur auprès de lui en date du 21 juillet 2016, ainsi que sur une déclaration lui parvenue de la part des autorités tchèques, datée du 14 octobre 2016, par laquelle ces dernières se sont déclarées d’accord à reprendre en charge le demandeur et ce, sur base de l’article 18, paragraphe (1), point a) du règlement Dublin III. Or, l’intention de souhaiter retirer la demande de protection internationale précitée du 21 juillet 2016 n’a été formulée par le demandeur que dans le cadre du recours sous examen, introduit auprès du greffe du tribunal administratif en date du 7 novembre 2016. Il s’ensuit que dans la mesure où cette demande n’a été formulée que postérieurement à la décision sous examen, le tribunal n’a pas à prendre en considération l’intention ainsi déclarée par le demandeur dans le cadre de son analyse de la légalité de la décision déférée.

L’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit ce qui suit : « Si, en application du règlement (UE) n°604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».

Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la prise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.

L’article 18, paragraphe (1), point a) du règlement Dublin III, sur lequel le ministre s’est basé pour conclure à la responsabilité des autorités tchèques pour procéder à l’examen de la demande de protection internationale de Monsieur …, prévoit que l’ « L’État membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de prendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 21, 22 et 29, le demandeur qui a introduit une demande dans un autre État membre ; (…) ».

En vertu de l’article 12, paragraphe (4) du règlement Dublin III, l’Etat qui a délivré un visa périmé « depuis moins de six mois » est responsable de l’examen de la demande de protection internationale, à condition que le demandeur n’ait pas quitté le territoire des Etats membres.

L’article 21 du règlement Dublin III prévoit à son paragraphe (1), premier alinéa, ce qui suit : « L’Etat membre auprès duquel une demande de protection internationale a été introduite et qui estime qu’un autre Etat membre est responsable de l’examen de cette demande peut, dans les plus brefs délais et, en tout état de cause, dans un délai de trois mois à compter de la date de l’introduction de la demande au sens de l’article 20, paragraphe 2, requérir cet autre État membre aux fins de prise en charge du demandeur ».

Force est au tribunal de constater que le demandeur ne remet pas en cause les bases juridiques de droit national et de droit européen dont a fait application le ministre dans le cadre de la prise de la décision sous examen, en marquant simplement son opposition formelle à être transféré vers la République tchèque, alors qu’il souhaiterait « retourner directement en Ukraine ». Ce faisant, il reproche au ministre d’avoir commis une appréciation erronée des faits de l’espèce en violant ainsi les dispositions légales dont il a entendu faire application. Or, il échet de constater que suivant les pièces et éléments du dossier administratif, les autorités compétentes de la République tchèque ont marqué leur accord, par courrier du 14 octobre 2016 adressé aux autorités luxembourgeoises, de prendre en charge le demandeur et ce, en application de l’article 18, paragraphe (1), point a) du règlement Dublin III, afin de prendre ainsi la responsabilité du traitement de la demande de protection internationale introduite par le demandeur. Il ne saurait partant être mis en doute que les autorités compétentes de la République tchèque ont marqué leur accord de prendre en charge Monsieur …, et ce, en application des dispositions légales applicables. Aucun reproche à ce sujet ne saurait partant être adressé au ministre. Aucun autre reproche n’ayant été soulevé à ce titre par le demandeur, il échet de conclure au caractère non fondé du moyen ainsi soulevé par le demandeur.

En l’absence d’autres moyens ou arguments fournis en cause, le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

Carlo Schockweiler, premier vice-président, Olivier Poos, premier juge, Michèle Stoffel, juge, et lu à l’audience publique du 23 décembre 2016 par le premier vice-président en présence du greffier Marc Warken.

s. Marc Warken s. Carlo Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 23/12/2016 Le Greffier du Tribunal administratif 7


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : 38669
Date de la décision : 23/12/2016

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2016-12-23;38669 ?

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