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23/12/2016 | LUXEMBOURG | N°37793

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 23 décembre 2016, 37793


Tribunal administratif N° 37793 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 avril 2016 4e chambre Audience publique du 23 décembre 2016 Recours formé par Monsieur …et consorts, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L. 18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 37793 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 18 avril 2016 par Maître Ardavan Fathol

ahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom...

Tribunal administratif N° 37793 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 avril 2016 4e chambre Audience publique du 23 décembre 2016 Recours formé par Monsieur …et consorts, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L. 18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 37793 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 18 avril 2016 par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Albanie) et de son épouse, Madame …, née le … à …, agissant tant en leur nom personnel qu’au nom et pour le compte de leur fils mineur …, né le … à …, ainsi que leur fils majeur …, né le … à …, tous de nationalité albanaise, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 1er avril 2016 portant refus de faire droit à leur demande en obtention d’une protection internationale et ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 13 juin 2016 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Le juge rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Ardavan Fatholahzadeh et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline Jacques en leurs plaidoiries respectives.

En date du 14 juillet 2015, Monsieur …et son épouse, Madame …, accompagnés de leur fils majeur, …, ainsi que de leur fils mineur …, ci-après désignés par « les consorts …», introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, désignée ci-après par la « loi du 5 mai 2006 ».

Les déclarations des consorts …sur leurs identités et sur l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg furent actées dans un procès-verbal du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale du même jour.

En date des 31 août, 24, 25 et 28 septembre, 5 et 12 octobre 2015, Monsieur …fut entendu par un agent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale tandis que son épouse, Madame …, et son fils Monsieur …, furent entendus sur les mêmes motifs en date des 24 juillet et 6 août 2015, respectivement 6 août 2015.

Par décision du 9 décembre 2015, notifiée par lettre recommandée expédiée le 10 décembre 2015, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », informa les consorts …qu’il avait statué sur le bien-fondé de leurs demandes de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée en se fondant sur les dispositions de l’article 20, paragraphe (1) a) et c), de la loi du 5 mai 2006 et que leurs demandes avaient été refusées comme étant non fondées, tout en leur ordonnant de quitter le territoire dans un délai de 30 jours.

Suite à un recours contentieux introduit contre cette décision, le tribunal administratif a rendu en date du 29 février 2016 un jugement, inscrit sous le n° 37324 du rôle, par lequel il a annulé la décision ministérielle du 9 décembre 2015 en soutenant que c’est à tort que le ministre a décidé de traiter leurs demandes dans le cadre d’une procédure accélérée, renvoyant l’affaire au ministre en prosécution de cause.

Par décision du 1er avril 2016, notifiée par lettre recommandée expédiée le 4 avril 2016, basée cette fois-ci sur la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après « la loi du 18 décembre 2015 », le ministre informa les consorts …de ce que leurs demandes de protection internationale avaient été rejetées comme étant non fondées, tout en leur enjoignant de quitter le territoire dans un délai de 30 jours.

Cette décision est libellée dans les termes suivants :

« (…) J'ai l'honneur de me référer à vos demandes en obtention d'une protection internationale que vous avez déposées auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères et européennes en date du 14 juillet 2015.

Madame, avant tout autre développement, il convient de rappeler que vous avez déposé, accompagnée de vos deux fils, une première demande de protection internationale au Luxembourg en date du 24 avril 2013, qui a été rejetée comme non fondée par une décision ministérielle en date du 29 juillet 2013. A la base de cette demande vous avez invoqué que votre famille serait menacée parce que votre époux, qui aurait été condamné en Grèce après avoir été piégé par des trafiquants de drogues, serait responsable de l'arrestation de deux trafiquants albanais en Grèce. Ceux-ci vous auraient réclamé 100.000,- euros du fait que votre époux aurait délivré ces trafiquants de drogue à la police. Vous avez précisé que ni vous ni vos fils n'auriez été victimes de ces menaces. Un recours en réformation introduit contre …te décision a été déclaré comme étant non justifié en date du 14 octobre 2013 par le Tribunal administratif (n° du rôle 33235).

Par décision ministérielle du 30 décembre 2013, une demande de sursis à l'éloignement du 18 novembre 2013 introduite par votre avocat a été refusée. Un recours en réformation introduit contre …te décision a été déclaré comme étant non justifié en date du 17 juin 2015 par le Tribunal administratif (n° du rôle 34276).

Par arrêté ministériel du 11 novembre 2014, l'entrée et le séjour vous ont été refusés pour une durée de trois ans. Etant donné que votre éloignement immédiat n'était pas possible, vous avez été placée, par arrêté ministériel du 11 novembre 2014, dans l'attente de votre éloignement, au Centre de rétention.

Madame, en date du 27 novembre 2014, vous avez été rapatriée en Albanie.

Quant à vous, Monsieur …, vous avez introduit votre première demande en obtention d'une protection internationale.

Quant à vos déclarations auprès du Service de Police judiciaire En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 14 juillet 2015.

Il ressort dudit rapport que vous seriez entrés dans l'Union européenne de façon légale. De plus, ce rapport reprend les informations concernant la première demande de protection internationale citées en supra.

Vous présentez tous des passeports albanais.

Quant à vos déclarations auprès du Service des Réfugiés En mains les rapports d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes des 24 juillet, 6 et 31 août, 24, 25 et 28 septembre, 5 et 12 octobre 2015 sur les motifs sous-tendant vos demandes de protection internationale, ainsi que les documents versés à l'appui de vos demandes de protection internationale ainsi que les documents présentés lors de votre première demande, Madame, qui ont été cités au cours desdits entretiens.

Monsieur, il résulte de vos déclarations que vous seriez victime des menaces d'un certain … et de personnes de son entourage qui voudraient se venger parce que vous seriez responsable pour son emprisonnement en Grèce. Avant de spéci… la nature de ces menaces, vous invoquez les circonstances de votre emprisonnement et comment vous auriez contribué à l'arrestation de ….. Notons que ces circonstances invoquées correspondent au récit à la base de la première demande résumée en supra.

Le 26 janvier 2003, vous auriez été arrêté en Grèce à cause de la découverte d'héroïne dans votre voiture. Vous seriez parti en Grèce pour acquérir des pièces de rechange pour une voiture. Vous auriez ensuite emmené des lave-linges d'une personne que vous n'auriez pas connue et qui vous aurait demandé de les livrer à un deuxième inconnu.

L'interception de la police aurait eu lieu au lieu de rencontre convenu avec le deuxième inconnu. Vous auriez été arrêté ensemble avec « les deux personnes qui se sont trouvés avec moi dans la voiture et une troisième personne » (p. 3/21 du rapport d'entretien) tandis que la personne avec laquelle vous auriez eu ce rendez-vous n'aurait pas été arrêtée. Notons que vous déclarez plus tard : « Moi-même je ne me trouvais pas dans la voiture. Par contre, je me trouvais déjà à … depuis deux jours » (p. 4/21). Vous auriez demandé à deux personnes de conduire le véhicule avec les machines à laver. A votre avis, vous auriez été piégé par des trafiquants de drogue.

Votre peine fixée initialement à 25 ans de prison pour trafic de drogues aurait été réduite à sept ans à cause de votre coopération avec la police. Vous auriez fourni des informations qui auraient mené à l'arrestation de trafiquants, dont notamment des dénommés … et … (ou … ; cf. p. 3/21 et p. 15/21). Vous déclarez que vos contacts avec le milieu des trafiquants n'auraient émergé qu'après le début de votre coopération avec les autorités grecques. Ces contacts auraient été établis à l'aide d'un autre détenu appelé « … ». Celui-ci vous aurait approché et aurait été informé sur votre situation malgré l'absence de tout contact auparavant. Vous supposez qu'il aurait pu être informé par la police et particulièrement par …, le commissaire avec lequel vous auriez trouvé un accord sur votre coopération.

… aurait aussi été condamné à une peine lourde qui aurait été raccourcie par la suite.

A part l'argent qu'il aurait payé à la police, vous déclarez que cet allégement serait aussi dû à votre intervention. Les proches de … vous auraient reproché d'être responsable de son emprisonnement et ils auraient exercé de la pression pour que vous l'aidiez. Pour cette raison, vous auriez négocié un allégement pour la peine de … en contrepartie pour une continuation de vos activités d'indicateur. A la question d'où les proches auraient pu connaître l'identité de l'indicateur vous déclarez que …, le commissaire, l'aurait probablement révélée. En effet, vous l'accusez de corruption : « son but était de faire beaucoup d'argent en arrêtant des trafiquants et en demandant sa somme d'argent parmi ces trafiquants » (p. 7/21).

En 2010, vous seriez retourné en Albanie. Les proches de … vous auraient à nouveau approché en réclamant de l'argent pour payer les avocats. Malgré tous ces services, … serait venu vous voir après avoir quitté la prison en juillet 2012. Il vous aurait accusé d'être responsable pour son arrestation et que vous lui devriez par conséquent l'équivalent de 100.000,- euros. A cause de votre incapacité de payer le montant demandé, il vous aurait déclaré que vous auriez une dette de sang. Après cet événement vous auriez été menacé et trois événements particuliers auraient eu lieu par la suite.

Du 24 au 25 septembre 2013 vous auriez été attaqué par des personnes masquées dans la maison où vous auriez habité avez votre mère. Après l'incident, la police serait venue et elle aurait interrogé les voisins tandis que vous auriez initialement été incapable de répondre à leurs questions parce que vous auriez « perdu connaissance » (p. 12/21). Vous auriez aussi consulté un médecin pour vous faire soigner.

Du 16 au 17 septembre 2014, des inconnus, dont vous estimez qu'il s'agirait de … et de personnes proches de lui, auraient jeté un explosif dans votre maison ce qui aurait mené à la destruction de celle-ci. La police aurait aussi analysé le lieu de ce délit. Vous déplorez qu'il n'y ait pas eu de suivi après cette analyse et que la police vous ait refusé une protection permanente.

Brièvement après le retour de votre famille du Luxembourg, en novembre 2014, un petit groupe de personnes aurait envahi votre maison et aurait pris votre neveu « par la gorge » (p. 17/21). Vous auriez rapidement quitté la maison par une deuxième porte derrière afin de vous rendre chez un policier habitant à proximité. Quand vous seriez rentré avec ce dernier, les envahisseurs auraient déjà quitté l'immeuble. Votre épouse n'aurait pas subi les événements parce qu'elle aurait été au lit à cause de problèmes de santé.

Vous auriez quitté l'Albanie en été 2015.

Finalement, notons que, selon vos dires, ni vous ni votre femme n'auriez informé vos fils quant à la nature de vos problèmes ou les raisons de votre incarcération.

Afin d'étayer vos dires, votre avocat a remis des articles de presse sur l'attentat sur votre maison. De plus vous vous référez à des documents déposés par votre épouse lors de sa première demande.

4 En date du 3 décembre 2015, c'est-à-dire pratiquement deux mois après votre dernier entretien, à la fin duquel vous avez confirmé n'avoir plus rien à ajouter, vous avez versé un récit complémentaire manuscrit. Etant donné que vous êtes resté en défaut de verser la traduction conforme de ces pages, votre récit complémentaire ne saurait donc plus être pris en compte dans le cadre de cette décision, sans oublier que vous avez été informé lors de l'entretien que vous auriez 15 jours à partir de la signature pour verser tout document traduit.

Madame, vous confirmez les dires de votre époux qui vous aurait informé des événements qui se seraient produits en votre absence. Vous ajoutez que vous auriez essayé de vous rendre en l'ARYM et en Grèce avant de revenir au Luxembourg, mais que les forces de l'ordre n'auraient pas laissé passer votre époux.

Monsieur …, vous confirmez les dires de vos parents. Vous sauriez que votre père aurait eu des problèmes, mais vous ne sauriez spécifier… leur nature car personne ne vous en aurait parlé. Vous auriez appris l'explosion de septembre 2014 par les médias.

Enfin, Madame, Messieurs, il ressort desdits rapports d'entretien qu'il n'y a plus d'autres faits à invoquer au sujet de vos demandes de protection internationale et aux déclarations faites dans ce contexte.

Analyse ministérielle en matière de Protection internationale En application de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, vos demandes de protection internationale sont évaluées par rapport aux conditions d'obtention du statut de réfugié et de celles d'obtention du statut conféré par la protection subsidiaire.

Soulignons dans ce contexte que l'examen et l'évaluation de votre situation personnelle ne se limitent pas à la pertinence des faits allégués, mais qu'il s'agit également d'apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité de vos déclarations.

Or, en l'occurrence l'autorité ministérielle a été amenée à émettre des doutes/ cette analyse a conduit… quant à la crédibilité de votre récit, alors qu'il résulte de l'examen des rapports d'entretien que vos déclarations présentent de nombreuses incohérences 1. Quant à la Convention de Genève Il y a d'abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n'est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d'origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu'elle laisse supposer une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève de 1951 relative au statut des Réfugiés.

Rappelons à cet égard que l'octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l'article 2 a) de la loi 18 décembre 2015, que ces actes sont d'une gravité suffisante au sens de l'article 42(1) de la prédite loi, et qu'ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l'article 39 de la loi susmentionnée.

Selon l'article 1A paragraphe 2 de …te Convention, le terme de réfugié s'applique à toute personne qui craigne avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, qui se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels évènements, ne peut ou, en raison de …te crainte, ne veut y retourner.

Monsieur …, il y a lieu de constater un nombre d'incohérences dans votre récit. En premier lieu, vous présentez deux versions de votre arrestation. Dans la première vous auriez été dans la voiture avec deux autres personnes tandis que vous auriez été sur place depuis deux jours dans la deuxième version. En ce qui concerne cette deuxième version, il faut s'interroger pourquoi quelqu'un aurait demandé deux personnes pour conduire deux lave-

linges afin d'aider une personne inconnue. En outre, il y a lieu d'émettre des doutes quant à votre présentation concernant vos relations avec le milieu de la drogue. Ainsi, vous auriez établi ce lien par une personne avec laquelle vous n'auriez pas parlé auparavant et qui aurait été informée sur votre situation auparavant. Dans ce contexte, votre supposition que la police ait demandé cette personne de vous aider apparaît peu probable car celle-ci aurait pu coopérer directement avec cet « … » ou tout autre trafiquant au lieu de vous utiliser comme intermédiaire. De plus, vous ne fournissez aucune explication crédible pour vos contacts avec des trafiquants en Allemagne. Vous déclarez que vous détesteriez de tels trafiquants et que vous feriez « tout mon possible pour les faire arrêter » (p. 11/21). Or, vous ne sauriez expliquer pourquoi vous commenceriez des activités d'espionnage sans avoir discuté d'une telle coopération avec la police, d'autant plus que les conséquences de la découverte de vos intentions pourraient mener à des conséquences similaires à celles que vous auriez subies.

Considérant ce mépris pour les trafiquants, il est aussi surprenant que vous auriez aidé un tel trafiquant d'obtenir un allégement pour sa peine à cause de simples menaces de ses proches tandis que vous oseriez infiltrer un réseau de trafiquants en Allemagne malgré les risques potentiels.

Madame, Messieurs, quand bien même à supposer les faits allégués réels, il ressort à suffisance de votre dossier administratif que les raisons qui vous ont amené à quitter votre pays d'origine n'ont pas été motivées par un des critères de fond définis par lesdites Convention et loi.

En effet, vos demandes de protection internationale sont motivées par votre crainte résultant des menaces de la part de … et de son entourage. Vous supposez que ce dernier et ses complices soient responsables pour les événements de septembre 2013, septembre 2014 ainsi que novembre 2014.

Force est de constater que tous les faits relatés constituent des délits de droit commun, commis par des personnes privées du ressort des autorités de votre pays et punissables en vertu de la législation d'Albanie. Ainsi, les menaces et attaques dont vous dites être victimes ne relèvent pas du champ d'application de la Convention de Genève, étant donné qu'il n'existe aucune crainte de persécution en raison d'opinions politiques, de race, de religion, de nationalité ou d'appartenance à un groupe social, susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Les conditions permettant l'octroi du statut de réfugié ne sont par conséquent pas remplies.

S'agissant d'actes émanant de personnes privées, une persécution commise par des tiers peut être considérée comme fondant une crainte légitime au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités politiques pour l'un des motifs énoncés par …te Convention et dont l'existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d'asile. Or, tel n'est pas le cas en l'espèce.

En outre, en application de l'article 40 de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire au cas de l'espèce, il ne ressort pas des rapports d'audition que l'Etat ou d'autres organisations étatiques présentes sur le territoire de votre pays ne peuvent ou ne veulent pas vous accorder une protection à l'encontre de vos malfaiteurs. En effet, vous déclarez que la police serait venue dans les trois cas que vous citez et qu'elle aurait constaté les dégâts causés. De même, Madame, vous confirmez qu'elle aurait fait son travail et qu'elle aurait promis de tout faire pour retrouver les coupables. En plus, il ressort des articles versés qu'une enquête policière serait lancée.

Il convient de rappeler dans ce contexte que la notion de protection de la part du pays d'origine n'implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission d'actes de violences, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d'une efficacité suffisante pour maintenir un certain degré de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d'un acte susceptible d'être qualifié de criminel, mais seulement dans l'hypothèse où les agressions commises par un groupe de population seraient encouragées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d'offrir une protection appropriée.

De plus, il y a lieu de noter que les autorités albanaises ont renforcé leurs efforts dans la lutte contre les trafiquants de drogues dont vous déclarez être les victimes : « A number of legislative initiatives reforming the police and establishing a National Bureau of Investigation were adopted. International police and judicial cooperation has increased through the implementation of extradition agreements. An operational agreement with Europol was ratified and work began on its implementation. Financial investigations, and seizures and confiscations of assets have increased. The national referral mechanism against trafficking in human beings has been improved and coordination of the relevant authorities and actors, including at local level, has increased. Seizures of drugs have increased, and the national plan for fighting the cultivation of cannabis has been implemented with positive results. The authorities have taken serious steps to fight against the cultivation and trafficking of cannabis, most notably through a major successful police operation in the village of Lazarat.

Cooperation and joint training between prosecution officials, police and the judiciary on trafficking has been stepped up in key areas. (…) ».

Notons également que ces efforts se traduisent en des résultats remarquables : « In January 2014, police arrested alleged members of a gang suspected of multiple contract killings and murder attempts—largely through the use of car bombs—in Albania and Greece.

The group's clients reportedly included businessmen and local officials. A similar bombing in August killed a local businessman in Vlora.

Albania is a transshipment point for heroin smugglers and a key site for European cannabis production. In 2014, police counternarcotics raids targeted the village of Lazarat, estimated to have produced marijuana with a street value of $5.9 billion during 2013— equivalent to nearly half of Albania's gross domestic product. ».

En ce qui concerne le présumé responsable des actes dont vous seriez victimes, un dénommé … de …, il y a lieu de relever que ce dernier a été arrêté par la police albanaise pour trafic de drogues. Ainsi, force est de constater que la police albanaise fait son travail et que la personne qui vous aurait menacés n'est pas à l'abri des autorités. Bien que vous ayez par le passé souffert des agissements de ce criminel, l'exemple susmentionné démontre donc clairement que les autorités de votre pays d'origine ne restent pas inactives face à de tels individus et que vous auriez pu compter sur leur soutien.

Il y a aussi lieu de souligner les efforts de la police albanaise pour combattre la corruption que vous, Monsieur, avez dénoncée dans votre récit. De plus, vous auriez pu profiter de différents mécanismes pour porter plainte contre la police locale si vous aviez eu l'impression qu'elle n'aurait pas fait son travail correctement : « The government has mechanisms to investigate and punish abuse and corruption. The government's internal Control Service conducted audits, responded to complaints, and carried out investigations with increased emphasis on human rights, prison conditions, and adherence to standard operating procedures. During the year the ombudsman processed complaints against police officers, mainly relating to problems with arrests and detention. As of September the ombudsman had received 103 complaints and investigated or provided counsel in response to 70. The ombudsman, through the national mechanism for the prevention of torture, reported increased implementation of his recommendations related to mistreatment. ».

Par conséquent, il n'est pas démontré que les autorités albanaises seraient dans l'incapacité de vous fournir une protection quelconque et même si la police ne vous a pas offert la protection que vous auriez jugée convenable, ce défaut n'a pas eu lieu en raison de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques.

Relevons qu'en vertu de l'article 41 de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, le ministre peut estimer qu'un demandeur n'a pas besoin de protection internationale lorsque, dans une partie du pays d'origine, il n'y a aucune raison de craindre d'être persécuté ni aucun risque réel de subir des atteintes graves et qu'il est raisonnable d'estimer que le demandeur peut rester dans cette partie du pays.

Ainsi, la conséquence d'une fuite interne présume que le demandeur puisse mener, dans une autre partie de son pays d'origine, une existence conforme à la dignité humaine.

Selon les lignes directrices de l'UNHCR, l'alternative de la fuite interne s'applique lorsque la zone de réinstallation est accessible sur le plan pratique, sur le plan juridique, ainsi qu'en termes de sécurité.

Ainsi, il n'est pas établi en l'espèce que vous n'auriez pas pu recourir vous-même à une réinstallation dans une autre ville albanaise. La supposition que vous pourriez être détecté partout en Albanie ne saurait correspondre qu'à de simples craintes hypothétiques.

Vous ne soulevez donc pas de raison valable qui puisse justi… l'impossibilité d'une fuite interne.

Compte tenu des constatations qui précèdent concernant les conditions générales dans cette partie du pays et votre situation personnelle, force est de retenir que les critères du 8 paragraphe 2 de l'article 41 de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire sont clairement remplis.

En conclusion, les faits que vous alléguez ne peuvent, à eux seuls, établir dans votre chef une crainte fondée d'être persécuté dans votre pays d'origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l'article ter, section 1, § 2 de la Convention de Genève ainsi que les articles 42 et 43 de la loi précitée du 18 décembre 2015.

Les conditions permettant l'octroi du statut de réfugié ne sont par conséquent pas remplies.

2. Quant à la Protection subsidiaire L'octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d'application de l'article 48 de la loi précitée du 18 décembre 2015, à savoir qu'ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c) de l'article 48 de …te loi, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l'article 39 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d'acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.

En l'espèce, il ressort de votre dossier administratif que vous basez vos demandes de protection subsidiaire sur les mêmes motifs que ceux exposés à la base de vos demandes de reconnaissance du statut du réfugié. En effet, vous indiquez que vous seriez menacés par un certain …parce que vous l'auriez dénoncé aux autorités grecques et parce que, à son avis, vous ne l'auriez pas suffisamment dédommagé.

Au vu de ce qui précède, il convient de conclure que votre récit ne contient pas de motifs sérieux et avérés permettant de croire que vous courez un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 48 de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire. En effet, les faits invoqués à l'appui de vos demandes ne nous permettent pas d'établir que a) vous craignez de vous voir infliger la peine de mort ou de vous faire exécuter, b) vous risquez de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, c) vous êtes susceptibles de faire l'objet de menaces graves et individuelles contre votre vie en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.

De tout ce qui précède, les conditions permettant la reconnaissance du statut conféré par la protection subsidiaire ne sont pas remplies.

Vos demandes de protection internationale sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l'article 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire.

Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination de l'Albanie, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisés à séjourner.

(…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 18 avril 2016, les consorts …ont fait déposer un recours tendant à la réformation de la décision précitée du ministre du 1er avril 2016 portant refus de faire droit à leurs demandes en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

1) Quant au recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 1er avril 2016 portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre la décision du ministre du 1er avril 2016, telle que déférée.

Ledit recours, ayant encore été introduit dans les formes et délai de la loi, est à déclarer recevable.

A l’appui de leur recours, les demandeurs concluent à une violation de la loi, sinon à une erreur manifeste d’appréciation des faits, en ce que le ministre aurait à tort décidé que les faits exposés par eux lors de leurs auditions auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes ne justifieraient pas dans leur chef une crainte justifiée de persécution en raison des menaces proférées par des trafiquants de drogue qui auraient fait l’objet de peines d’emprisonnement dans la suite du témoignage de Monsieur …, qui se serait retrouvé mêlé, malgré lui, à un trafic de drogue en Grèce où il aurait été condamné à une peine d’emprisonnement de 25 années diminuée à 7 ans en raison de sa collaboration avec la police grecque ayant conduit au démantèlement d’un réseau de trafiquants de drogue.

Les demandeurs exposent que dans le cadre du procès de l’un de ces trafiquants, dénommé « …», l’identité de Monsieur …aurait été révélée, de sorte que les trafiquants condamnés, respectivement leurs familles, auraient commencé à persécuter et à menacer l’épouse et les enfants de Monsieur …, entraînant que ce dernier n’aurait « pas eu le choix que de passer un marché avec la famille de … » qui aurait consisté à l’aider à faire diminuer la peine d’emprisonnement de ce dernier en collaborant une fois de plus avec la police, ce qui aurait conduit à l’arrestation d’un autre trafiquant de drogue. Suite à cette collaboration, la peine d’emprisonnement du dénommé « …» aurait été réduite à 6 ans menant à sa libération en 2012, voire deux ans après Monsieur …. Les demandeurs affirment qu’entre 2010 et 2012, la famille de Monsieur …aurait demandé à Monsieur …de leur verser la somme de 100.000 euros tout en lui promettant de ne plus lui causer de problèmes s’il arriverait à réduire la peine de prison de Monsieur …. Suite à la libération de ce dernier, leurs problèmes se seraient pourtant aggravés, dans la mesure où ils auraient été menacés de mort.

Ils font valoir que Monsieur …aurait remis son portable au Parquet de Korq et aurait fait des déclarations auprès de la police locale, mais que ni le ministère public ni la police n’auraient rien entrepris, de sorte qu’ils seraient restés incapables de lui offrir une protection, notamment en raison de la corruption.

Ils soulignent que Monsieur …aurait été blessé à l’arme blanche en date du 24 août 2013 et laissé pour mort sur le pas de sa porte et qu’en date du 24 septembre 2013, des personnes masquées l’auraient attaqué chez lui en réclamant de l’argent. Après cet événement, Monsieur …aurait vécu en cachette jusqu’au 16 septembre 2014 où il aurait fait l’objet d’une attaque à l’explosif lors de laquelle l’intégralité des vitres de sa maison auraient été cassées et la cuisine détruite en grande partie. En novembre 2014, une autre agression aurait eu lieu à son domicile.

Les consorts …insistent sur le fait que les autorités albanaises seraient incapables de leur donner une protection en leur qualité de victimes de violences des trafiquants de drogue, malgré le fait que le demandeur aurait à plusieurs reprises déposé des plaintes auprès de la police.

Quant aux incohérences relevées par le ministre, ils font valoir que l’ancienneté des faits ayant donné lieu à l’emprisonnement de Monsieur …aurait conduit à une certaine confusion au niveau des dates lors des auditions, soulignant dans ce contexte qu’ils sont d’avis que l’instruction quant aux lieux et personnes concernées aurait été insuffisante.

S’agissant d’une éventuelle fuite interne, les demandeurs font valoir que si le dénommé …, résidant à …, n’hésiterait pas à parcourir une distance de 200 kilomètres pour les agresser physiquement ou pour attaquer leur maison avec un explosif, il serait capable de les trouver partout ailleurs en Albanie.

Le délégué du gouvernement soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et conclut au rejet du recours.

A titre liminaire, il échet de relever que la décision précédente du ministre du 9 décembre 2015 a été annulée dans son intégralité, étant donné que le tribunal a estimé, sans se prononcer sur le fond de la demande en obtention d’une protection internationale, que le ministre avait à tort décidé de statuer sur les demandes de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée. Force est au tribunal de rappeler que suite à l’annulation de la première décision du 9 décembre 2015, le ministre a retrouvé l’entièreté de son pouvoir d’appréciation sauf à devoir redresser l’irrégularité qui a justifié l’annulation, à savoir en l’occurrence, s’interdire de prendre une nouvelle décision dans le cadre d’une procédure accélérée, ce que le ministre a fait en prenant une décision fondée sur l’article 35 (1) de la loi du 18 décembre 2015.

Aux termes de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de …te loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…) ».

Par ailleurs, aux termes de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015 : « Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent :

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). (…) ».

Finalement, aux termes de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 : « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être :

a) l’Etat ;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves. », et aux termes de l’article 40 de la même loi : «(1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection.

(3) Lorsqu’il détermine si une organisation internationale contrôle un Etat ou une partie importante de son territoire et si elle fournit une protection au sens du paragraphe (2), le ministre tient compte des orientations éventuellement données par les actes du Conseil de l’Union européenne en la matière.» Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier… comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.

Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015 établit une présomption simple que de telles persécutions se poursuivront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces persécutions ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.

Force est d’abord de constater que le ministre, au vu des incohérences relevées dans la décision du 1er avril 2016, n’en a tiré aucune conséquence relative à la crédibilité générale du récit des demandeurs, n’ayant pas rejeté leurs demandes de protection internationale au motif que leur récit n’aurait pas été crédible, mais a procédé en revanche à une analyse du fond de la demande. Le tribunal est partant amené à retenir au vu des explications des demandeurs que la crédibilité générale des déclarations des demandeurs n’a pas été suffisamment mise en cause, de sorte que les faits invoqués sont à considérer comme avérés.

Il y a ensuite lieu de relever, malgré le fait que les demandeurs concluent dans leurs requête introductive d’instance qu’ils auraient été « victimes d’harcèlement moral et physique par des albanais en raison de ses origines ethniques et religieuses, d’une part et par des criminels de guerre d’autre part », qu’il ne ressort pas de leurs déclarations faites dans le cadre de leurs auditions, ni des éléments soumis à l’appréciation du tribunal, que les craintes d’être persécutés en cas de retour vers l’Albanie soient fondées sur l’un des critères de l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, alors que les événements liés aux problèmes rencontrés par Monsieur …avec des trafiquants de drogue sans lien apparent à un des critères précités.

Il suit des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a refusé d’accorder aux demandeurs le statut de réfugié.

Quant au volet de la décision litigieuse portant refus dans le chef des demandeurs d’un statut de protection subsidiaire, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 2 g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

L’article 48 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis aux conditions cumulatives que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48 précité de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 48, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.

Par ailleurs, l’article 2 g), précité, définissant la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015 établit une présomption simple que les atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque réel de subir des atteintes graves qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.

Le tribunal constate qu’à l’appui de leurs demandes de protection subsidiaire, les demandeurs invoquent les mêmes motifs que ceux qui sont à la base de leurs demandes de reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du gouvernement conclut également au rejet de ce volet du recours.

Concernant les faits ayant amené les demandeurs à introduire une demande de protection internationale au Luxembourg le tribunal est amené à retenir qu’ils présentent, pris dans leur ensemble, au niveau du degré de violence employée, une gravité suffisante pour être qualifié d’atteinte grave au sens de l’article 48 b) de la loi du 18 décembre 2015.

Le tribunal constate néanmoins que les personnes par lesquelles les demandeurs déclarent avoir été menacés respectivement brutalisés, sont des personnes privées, sans lien avec l’Etat, de sorte que la crainte de faire l’objet d’atteintes graves ne saurait être considérée comme fondée que si les autorités ne veulent ou ne peuvent pas fournir une protection effective aux demandeurs ou s’il n’y a pas d’Etat susceptible d’accorder une protection : c’est l’absence de protection qui est décisive, quelle que soit la source des atteintes graves1.

Dès lors, l’essentiel est d’examiner si la personne peut être protégée compte tenu de 1 trib. adm. 13 juillet 2009, n° 25558, Pas. adm. 2016, V° Etrangers, n° 130 son profil dans le contexte qu’elle décrit. A cet égard, il y a lieu de rappeler qu’une protection peut être considérée comme suffisante si les autorités ont mis en place une structure policière et judiciaire capable et disposée à déceler, à poursuivre et à sanctionner les actes constituant une persécution ou des atteintes graves et lorsque le demandeur a accès à cette protection, la disponibilité d’une protection nationale exigeant par conséquent un examen de l’effectivité, de l’accessibilité et de l’adéquation d’une protection disponible dans le pays d’origine même si une plainte a pu être enregistrée. Cela inclut notamment la volonté et la capacité de la police, des tribunaux et des autres autorités du pays d’origine, à identifier…, à poursuivre et à punir ceux qui sont à l’origine des atteintes graves.

S’agissant en premier lieu de l’agression à la maison des demandeurs ayant eu lieu en date du 24 septembre 2013, lors de laquelle Monsieur …a été blessé par des inconnus à l’œil droit, force est au tribunal de constater que la police est intervenue une demi-heure après les faits et a procédé aux interrogatoires des voisins, ainsi que de Monsieur …2.

Concernant l’attaque à la bombe du 16 septembre 2014, il ressort des déclarations de Monsieur …que la police est arrivée au bout d’une demi-heure après l’explosion et que des criminologues sont venus « pour faire l’expertise de l’explosion »3, de même que le chef de la police et son adjoint. Les articles de presse versés par les demandeurs confinent d’ailleurs qu’un groupe d’enquêteurs a été chargé de l’enquête y relative. Sur question desdits policiers quelles auraient pu être les raisons de cette attaque, Monsieur …a répondu que « (…) Je leur ai répondu que j’avais des ennemis et que j’avais des problèmes. Mais je n’ai pas dévoilé les noms des personnes avec lesquelles j’avais des problèmes »4, tout en soutenant qu’il aurait révélé à un policier de confiance du nom du dénommé …. Il ressort encore de l’audition de Monsieur …que « Quelques jours après l’explosion, j’ai appelé la police judiciaire concernant l’évolution de l’affaire. L’officier de la police m’a informé qu’ils avaient convoqué … et qu’ils allaient aussi me convoquer pour faire une confrontation. Ils ne m’ont jamais convoqué. Cela fut une vingtaine de jours après l’explosion. »5 Le fait que les auteurs de ces attaques n’ont pas encore pu être retrouvés ne permet pas de conclure à une absence de protection. A ce titre, il y a lieu de rappeler qu’une protection n’exige pas un taux de résolution et de sanction des infractions de l’ordre de 100%, taux qui n’est pas non plus atteint dans les pays dotés de structures policières et judiciaires les plus efficaces, ni qu’elle n’impose nécessairement l’existence de structures et de moyens policiers et judiciaires identiques à ceux des pays occidentaux. En effet, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, et l’existence d’une persécution ou d’atteintes graves ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel mais suppose une insuffisance de démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion.

Par ailleurs, en ce qui concerne l’absence de résultats obtenus jusqu’ici par la police dont se plaignent les demandeurs, elle ne signifie pas nécessairement que les forces de l’ordre est collaboreraient avec les trafiquants de drogue. De toute manière, si les consorts …avaient eu le sentiment que leurs doléances n’avaient pas été accueillies avec le sérieux nécessaire par 2 Rapport d’audition de Monsieur …, p.12 3 Ibidem, p.14 4 Ibidem, p.15 5 Ibidem, p.16 les policiers locaux, il leur aurait été possible de protester contre le comportement des policiers auprès d’une autorité supérieure ou de porter leur plainte par-devant d’autres policiers, ce qu’ils n’ont toutefois pas fait. Les demandeurs auraient également pu porter leurs doléances devant l’Ombudsman qui, tel qu’il ressort des sources internationales citées par la partie étatique, a pour mission d’enquêter sur tout reproche en matière de violations des droits de l’Homme par les autorités publiques.

A cet égard, il aurait en tout état de cause appartenu aux demandeurs, avant de baisser tout simplement les bras et de requérir la protection d’un Etat étranger, de rechercher plus activement la protection offerte par leurs propres autorités et institutions nationales.

En résumé, au regard de ces considérations et des éléments à la disposition du tribunal, il n’est pas établi que les demandeurs ne puissent pas obtenir une protection suffisante dans leur pays d’origine. Plus particulièrement, au vu des circonstances de l’espèce et des explications fournies par la partie étatique, sources internationales à l’appui, quant à la disponibilité d’un système judiciaire et policier. La seule affirmation des demandeurs qu’ils ne bénéficieraient d’aucune protection dans leur pays d’origine est insuffisante pour emporter le constat qu’aucune protection n’est disponible en Albanie.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a rejeté les demandes en obtention du statut de réfugié et du statut conféré par la protection subsidiaire présentées par les demandeurs comme étant non fondées. Le recours est par conséquent à déclarer comme non fondé.

2. Quant au recours tendant à la réformation de l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre l’ordre de quitter le territoire, un recours sollicitant la réformation de pareil ordre contenu dans la décision déférée a valablement pu être dirigé contre la décision ministérielle litigieuse. Le recours en réformation, ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, est recevable.

Aux termes de l’article 34, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2. q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ».

A cet égard, les demandeurs exposent que dans la mesure où ils auraient fait valoir une crainte justifiée de persécution sinon d’atteintes graves au sens de la loi du 18 décembre 2015, l’ordre de quitter le territoire serait à réformer.

Le tribunal vient cependant de retenir que les demandeurs ne remplissent pas les conditions pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, de sorte que le ministre pouvait valablement assortir le refus d’une protection internationale d’un ordre de quitter le territoire. A défaut d’un quelconque autre moyen, ni la légalité ni le bien-fondé de la décision portant ordre de quitter le territoire n’ont été utilement contestés, de sorte que le recours en réformation est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 1er avril 2016 portant rejet d’un statut de protection internationale dans le chef des consorts …;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 1er avril 2016 portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par :

Carlo Schockweiler, premier vice-président, Olivier Poos, premier juge, Michèle Stoffel, juge, et lu à l’audience publique du 23 décembre 2016 par le premier vice-président, en présence du greffier Marc Warken.

s.Marc Warken s.Carlo Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 23/12/2016 Le Greffier du Tribunal administratif 17


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : 37793
Date de la décision : 23/12/2016

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2016-12-23;37793 ?

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