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07/12/2016 | LUXEMBOURG | N°36765

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 07 décembre 2016, 36765


Tribunal administratif N° 36765 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 août 2015 3e chambre Audience publique du 7 décembre 2016 Recours formé par Monsieur … et consorts, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de sursis à l’éloignement

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 36765 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 11 août 2015 par Maître Karima HAMMOUCHE, avocat à la Cour, inscrite au t

ableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Albanie) et de so...

Tribunal administratif N° 36765 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 août 2015 3e chambre Audience publique du 7 décembre 2016 Recours formé par Monsieur … et consorts, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de sursis à l’éloignement

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 36765 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 11 août 2015 par Maître Karima HAMMOUCHE, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Albanie) et de son épouse, Madame …, née le … à …, agissant tant en leur nom personnel qu’au nom et pour compte de leurs enfants mineurs …, né le … à …, …, né le … à … et …, né le … à …, tous de nationalité albanaise, actuellement sans domicile connu, mais ayant élu domicile en l’étude de Maître Karima HAMMOUCHE, sise à L-2550 Luxembourg, 2, avenue du X septembre, tendant principalement à la réformation, sinon subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 31 juillet 2015 portant rejet de leur demande en obtention d’un sursis à l’éloignement ;

Vu l’avis du tribunal administratif du 12 septembre 2016 autorisant les parties à déposer un mémoire supplémentaire ;

Vu le mémoire supplémentaire du délégué du gouvernement, déposé au greffe du tribunal administratif en date du 19 septembre 2016 ;

Vu le mémoire supplémentaire déposé au greffe du tribunal administratif en date du 14 octobre 2016 par Maître Karima HAMMOUCHE, pour compte des demandeurs préqualifiés ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Karima HAMMOUCHE et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline JACQUES en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 16 novembre 2016.

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Par arrêt de la Cour administrative du 20 novembre 2014, inscrit sous le numéro 34921C du rôle, Monsieur …, et son épouse, Madame …, agissant en leur nom propre, ainsi qu’au nom et pour le compte de leurs enfants …, … et …, ci-après désignés par « les consorts … », furent définitivement déboutés de leur demande en obtention d’une protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, introduite le 16 avril 2013 auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères.

Par courrier de leur mandataire du 13 janvier 2015, les consorts … introduisirent une demande d’autorisation de séjour pour raisons privées, sinon une demande en octroi d’un report à l’éloignement en raison de la scolarité de l’enfant … et de la santé de l’enfant … sur base de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après dénommée la « loi du 29 août 2008 », tout en versant des certificats médicaux quant à l’état de santé de l’enfant ….

Le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », transmit la demande précitée, qu’il requalifia en demande visant à l’obtention d’un sursis à l’éloignement, pour avis au médecin délégué au Service Médical de l’Immigration de la Direction de la Santé / Division de la Santé du Travail du ministère de la Santé, ci-après désigné par « le médecin délégué » et rejeta, par décision du 21 janvier 2015, la demande en obtention d’un sursis à l’éloignement, en se référant à l’avis du médecin délégué du 20 janvier 2015.

Par courrier de leur mandataire du 17 mars 2015, les consorts … introduisirent un recours gracieux contre la décision ministérielle de refus précitée en informant le ministre que l’enfant … avait été opéré d’une hernie et en versant des nouveaux certificats médicaux.

Le ministre transmit cette demande pour avis au médecin délégué et confirma, par décision du 25 mars 2015, sa décision de refus antérieure.

Par courrier de leur mandataire du 27 juillet 2015, les consorts … introduisirent une demande d’autorisation de séjour pour motifs humanitaires d’une exceptionnelle gravité, sinon une demande en octroi d’un report à l’éloignement en raison de l’état de santé de l’enfant … sur base de la loi du 29 août 2008, tout en versant un nouveau certificat médical.

Le ministre transmit la nouvelle demande précitée pour avis au médecin délégué et rejeta, par décision du 31 juillet 2015, la demande en obtention d’un sursis à l’éloignement, telle que requalifiée par le ministre, en se référant à l’avis du médecin délégué du 30 juillet 2015. Cette décision est fondée sur les considérations et motifs suivants :

« […] J’ai l’honneur de me référer à votre courrier du 27 juillet 2015 dans lequel vous faites état d’un élément nouveau dans le dossier de vos mandants, relatif à l’état de santé de l’enfant … et joignez un certificat médical du Dr … du 23 juillet 2015. Vous sollicitez le réexamen du dossier de vos mandants et demandez principalement une autorisation de séjour pour motifs humanitaires d’une exceptionnelle gravité sur base de l’article 78(3) de la loi modifiée du 29 août 2008 et subsidiairement un report à l’éloignement.

Il y a lieu de rappeler que par décision ministérielle du 21 janvier 2015 une autorisation de séjour pour raisons privées et pour raisons humanitaires, un sursis à l’éloignement en raison de l’état de santé de l’enfant … et un report à l’éloignement ont été refusés à vos mandants. Le prédit refus a été confirmé par courrier du 25 mars 2015.

En raison du certificat médical du 23 juillet 2015 annexé à votre courrier, le médecin délégué de la Direction de la Santé a été saisi pour avis complémentaire en date du 28 juillet 2015 concernant l’état de santé de l’enfant …. Par avis du 30 juillet 2015, reçu le 31 juillet 2015 et dont vous trouverez une copie en annexe, le médecin délégué maintient, tout comme ses avis du 20 janvier 2015 et 24 mars 2015, que les pathologies présentées par l’enfant … ne nécessitent pas une prise en charge médicale dont le défaut entraînerait pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité. Le médecin délégué précise que « (…) le sujet fût atteint d’une récidive d’un pied équin droit traitée par plâtres réducteurs (Ponzetti) ; une libération chirurgicale avec embrochage, immobilisation plâtrée post-op, kinésithérapie, attelle nocturne sont envisagés ; Considérant que la prise en charge de … … peut être réalisée dans le pays d’origine (…) ».

Par conséquent après avoir procédé au réexamen du dossier de vos mandants, je suis au regret de vous informer qu’à défaut d’éléments pertinents nouveaux, je ne suis pas en mesure de prendre une nouvelle décision dans le dossier de vos mandants et mes décisions précédentes restent maintenues dans leur intégralité. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 11 août 2015, les époux … ont fait introduire, en leur nom propre, ainsi qu’au nom et pour compte de leurs enfants mineurs …, …, et …, un recours tendant principalement à la réformation, sinon subsidiairement à l’annulation de la décision du ministre du 31 juillet 2015 portant rejet de leur demande en obtention d’un sursis à l’éloignement en raison de l’état de santé de l’enfant ….

Par requête séparée déposée au greffe du tribunal administratif le 11 août 2015, inscrite sous le numéro 36766 du rôle, ils firent encore introduire une demande tendant à l’institution d’une mesure de sauvegarde, laquelle fut rayée sur demande des parties par ordonnance du même jour après que les demandeurs aient marqué par écrit leur accord pour retourner volontairement en Albanie le 3 décembre 2015. Après avoir fait réappeler cette affaire par courrier du 22 août 2016, les demandeurs furent déboutés de leur demande en institution d’une mesure de sauvegarde par ordonnance du président du tribunal administratif du même jour.

En date du 24 août 2016, la famille … a été rapatriée en Albanie.

Etant donné que dans la présente matière aucune disposition légale n’instaure un recours au fond, le tribunal administratif est incompétent pour connaître du recours principal en réformation. Partant, seul un recours en annulation a pu être introduit contre la décision précitée du ministre, recours qui est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de leur recours, les demandeurs rappellent dans un premier temps les faits et rétroactes à la base de la décision entreprise.

Ils font ensuite valoir que l’enfant … souffre d’un pied bot nécessitant une prise en charge médicale pointue au Luxembourg, ainsi qu’une intervention chirurgicale, lesquelles ne pourraient pas être effectuées en Albanie, tel que souligné par le docteur … dans son certificat médical du 23 juillet 2015 et par le docteur … dans son certificat du 10 août 2015. En ce qui concerne plus précisément les conséquences d’un défaut de prise en charge en Albanie de la malformation dont souffre l’enfant …, les demandeurs précisent que l’enfant commencerait à marcher sur le bord extérieur du pied et des orteils, ce qui provoquerait un durcissement de la peau, des cors et des ulcères se développant par ailleurs le long du bord extérieur du pied. Le port de chaussures serait difficile et au fil du temps l’affection pourrait avoir un effet disgracieux et invalidant. Selon eux, la maladie dont souffre l’enfant … entrainerait un handicap grave au sens de l’article 130 de la loi du 29 août 2008, en ce que son pronostic fonctionnel serait engagé, à savoir l’impossibilité de marcher de manière stable ou l’impossibilité totale de se déplacer.

Les consorts … soulignent encore l’impossibilité de bénéficier d’un traitement médical dans leur pays d’origine, alors que le système de santé en Albanie serait défaillant et dominé par le secteur privé, de sorte que seules les personnes qui travaillent bénéficieraient d’une couverture sociale qui serait encore très faible. Ils ajoutent que le système de santé en Albanie serait corrompu, les médicaments manqueraient et les moyens dans les services chirurgicaux et pédiatriques seraient insuffisants, de sorte que les gens devraient payer les médicaments eux-mêmes ou acheter par leurs propres moyens le matériel nécessaire aux opérations. Ils en concluent que l’accès au traitement préconisé par les médecins luxembourgeois, à savoir une opération dans le chef de l’enfant … serait impossible en Albanie. Les demandeurs estiment dès lors que la maladie dont souffre l’enfant … nécessiterait un traitement particulier au Luxembourg, qui ne pourrait pas être effectué efficacement dans son pays d’origine, notamment en raison de la pénurie du personnel soignant et des instruments médicaux.

Finalement les demandeurs sollicitent l’instauration d’une mesure d’instruction complémentaire par la nomination d’un expert médical afin de déterminer si l’enfant … puisse faire l’objet d’une mesure d’éloignement et d’établir s’il a la possibilité de bénéficier en Albanie des soins médicaux indispensables à l’amélioration de son état de santé.

Dans leur mémoire supplémentaire, les demandeurs précisent que l’opération du pied bot de l’enfant … a eu lieu en date du 31 août 2015, mais qu’à l’heure actuelle, l’enfant nécessiterait toujours un suivi post-opératoire spécialisé, comme le souligneraient les docteurs … et … dans leurs certificats respectifs, consistant notamment dans une kinésithérapie et dans le port d’une attelle nocturne anti-équin. Ils estiment qu’en cas d’absence de poursuite de ce traitement, le résultat de l’opération risquerait d’être compromis selon le docteur … avec des séquelles fonctionnelles définitives pour l’enfant …. Ils soulignent que le docteur … aurait encore remarqué un raccourcissement de la longueur de la jambe de l’enfant, de sorte qu’il serait enclin à la récidive et nécessiterait des soins spécifiques en urgence.

En ce qui concerne plus particulièrement la possibilité de l’enfant … de bénéficier d’un traitement approprié en Albanie, les demandeurs s’appuient sur un certificat médical du docteur … du 22 septembre 2016, selon lequel l’enfant nécessiterait des séances de physiothérapie spécialisées, lesquelles ne se pratiqueraient pas en Albanie, pour conclure que les conditions de l’article 130 de la loi du 29 août 2008 seraient toujours remplies dans le chef de l’enfant ….

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours.

L’article 130 de la loi du 29 août 2008 dispose : « Sous réserve qu’il ne constitue pas une menace pour l’ordre public ou la sécurité publique, l’étranger ne peut être éloigné du territoire s’il établit au moyen de certificats médicaux que son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut entraînerait pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité, et s’il rapporte la preuve qu’il ne peut effectivement bénéficier d’un traitement approprié dans le pays vers lequel il est susceptible d’être éloigné », tandis qu’aux termes de l’article 131 de la loi du 29 août 2008, « (1) L’étranger qui satisfait aux conditions énoncées à l’article 130 peut obtenir un sursis à l’éloignement pour une durée maximale de six mois. Ce sursis est renouvelable, sans pouvoir dépasser la durée de deux ans.

[…] (3) Les décisions visées aux paragraphes (1) et (2) qui précèdent, sont prises par le ministre, sur avis motivé du médecin délégué visé à l’article 28, selon les modalités à déterminer par règlement grand-ducal. Le médecin délégué procède aux examens qu’il juge utiles. L’avis du médecin délégué porte sur la nécessité d’une prise en charge médicale, les conséquences d’une exceptionnelle gravité et la possibilité de bénéficier d’un traitement approprié dans le pays vers lequel l’étranger est susceptible d’être éloigné.

(4) Le ministre peut, le cas échéant, étendre le bénéfice des mesures prévues aux paragraphes (1) et (2) qui précèdent, aux membres de la famille qui accompagnement l’étranger et qui sont susceptibles d’être éloignés du territoire, pour une durée identique à celle accordée au bénéficiaire principal. ».

Il résulte des dispositions précitées des articles 130 et 131 de la loi du 29 août 2008 que pour pouvoir bénéficier d’un sursis à l’éloignement, l’étranger, qui ne doit pas présenter de menace pour l’ordre ou la sécurité publique, doit établir, premièrement, au moyen de certificats médicaux que son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut entraînerait pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité et, deuxièmement, qu’il ne peut effectivement bénéficier d’un traitement approprié et suffisamment accessible dans le pays vers lequel il est susceptible d’être éloigné.

En ce qui concerne la maladie visée par l’article 131 de la loi du 29 août 2008, il convient de se référer aux travaux préparatoires1 de ladite loi, qui renseignent au sujet de l’article 131 précité, que : « Les personnes ne résidant pas ou plus légalement sur le territoire ne peuvent être éloignées, malgré une décision d’éloignement à leur égard, si elles sont atteintes d’une maladie grave qui nécessite impérativement une prise en charge médicale dont elles ne pourront bénéficier dans le pays vers lequel elles sont susceptibles d’être éloignées. La maladie qui est prise en compte est celle qui, sans traitement ou soins médicaux, entraîne des conséquences d’une exceptionnelle gravité pour la personne concernée, notamment celle qui peut causer la mort de la personne, réduire son espérance de vie ou entraîner un handicap grave. La question de savoir s’il existe un traitement approprié et suffisamment accessible dans le pays d’origine devra s’analyser au cas par cas, en tenant compte de la situation individuelle du demandeur. ».

A l’appui de leur demande en obtention d’un sursis à l’éloignement du 27 juillet 2015, les consorts … ont soumis au ministre un certificat médical du docteur … du 23 juillet 2015, selon lequel l’enfant … souffre d’un pied bot varus équin congénital droit et qu’à l’âge de 3 mois il a bénéficié d’un allongement de tendon d’Achille. A l’appui de leur recours les demandeurs ont encore versé deux certificats du docteur … du 19 décembre 2014 et un certificat du même médecin du 5 mars 2015, une ordonnance médicale du docteur … du 10 août 2015, deux certificats médicaux du docteur … des 1er décembre 2015 et 9 juin 2016 et deux certificats médicaux du docteur … des 11 juin et 22 septembre 2016.

Le tribunal relève tout d’abord que l’ordonnance médicale du docteur … du 10 août 2015, les certificats médicaux du docteur … des 1er décembre 2015 et 9 juin 2016 et les deux 1 Doc. parl. n° 5802, commentaire des articles, p. 86, ad article 131 certificats médicaux du docteur … des 11 juin et 22 septembre 2016 ont été établis postérieurement à la décision déférée.

Force est au tribunal de rappeler que la Cour administrative a retenu que dans le cadre d’un recours en annulation, le juge n’est pas, comme en matière de réformation, appelé à refaire l’acte en substituant son appréciation à celle de l’auteur de la décision administrative entreprise en ayant égard à des éléments d’opportunité autant que de légalité, son pouvoir se confinant à contrôler si, eu égard à la situation en fait et en droit ayant existé au moment où il a statué, l’auteur de la décision n’a pas commis une erreur en droit et, dans la mesure où il dispose d’un pouvoir discrétionnaire, il n’est pas sorti de sa marge d’appréciation.

Il y a à cet égard lieu de relever que dans le cadre d’un recours en annulation, la situation à prendre en compte est celle existant objectivement au moment où l’auteur de la décision administrative a statué. Le juge de l’annulation ne saurait ainsi prendre en considération ni des éléments de fait ni des changements législatifs ou réglementaires s’étant produits postérieurement à la prise de la décision. L’administré n’en pâtit pas puisque dans une telle hypothèse, il peut faire état d’un élément nouveau lui permettant de solliciter une nouvelle décision et obligeant l’autorité administrative à statuer à nouveau, sur base de la nouvelle situation en fait ou en droit. Une annulation de la décision administrative par le juge sur base d’un changement en fait ou en droit intervenu en cours d’instance ne serait pas d’une réelle utilité pour l’administré qui devrait alors, de toute manière, attendre la prise d’une nouvelle décision par l’administration, le juge administratif ne pouvant prendre une décision tenant compte de la nouvelle situation en lieu et place de l’administration.

En revanche, au cas où de nouveaux éléments de preuve sont produits au cours de l’instance contentieuse, permettant d’apprécier différemment la situation factuelle soumise au ministre ayant existé au moment de la prise de la décision, le juge peut et doit les prendre en considération et, le cas échéant, annuler la décision administrative qui ne procède alors pas forcément d’une erreur en fait ou en droit, mais qui a été prise sur base d’une information incomplète ayant amené le ministre à une erreur d’appréciation. Dénier à l’administré, non le droit de se prévaloir en cours d’instance de faits nouveaux, droit qu’il n’a pas, mais celui de produire de nouveaux éléments de preuve se rapportant à la situation ayant existé au moment de la prise de la décision attaquée et appréciée par le ministre, reviendrait à le priver, le cas échéant, de la possibilité d’obtenir une décision prise sur la base de l’ensemble des éléments d’appréciation ayant existé au moment de la prise de la décision et correspondant ainsi à la situation réelle du moment, l’administration n’étant en effet pas obligée de reconsidérer une décision qu’elle a prise sans qu’un fait nouveau ne se soit produit2.

En l’espèce, l’ordonnance médicale du docteur … du 10 août 2015, les certificats médicaux du docteur … des 1er décembre 2015 et 9 juin 2016 et les deux certificats médicaux du docteur … des 11 juin et 22 septembre 2016 ont été établis consécutivement à la décision déférée du 31 juillet 2015, et n’ont ainsi pas pu être pris en compte par le ministre lors de la prise de ladite décision. Force est encore de constater que le certificat du docteur … du 10 août 2015 ne tend pas à établir la matérialité d’un fait tel qu’il existait au moment de la prise de la décision déférée, mais témoigne de l’évolution de l’état de santé de l’enfant …, en confirmant qu’une opération sur le pied du patient était prévue pour le mois d’août 2015 nécessitant un suivi post-opératoire d’environ 3 mois. Il en est de même en ce qui concerne le docteur …, 2 Cour adm. 11 février 2014, n° 33597C du rôle, disponible sur : www.ja.etat.lu lequel confirme par son certificat médical du 1er décembre 2015 que l’enfant … a bénéficié le 31 août 2015 d’un allongement de tendon d’Achille et précise dans son certificat médical du 9 juin 2016, que le traitement post-opératoire de l’enfant consiste en des séances de kinésithérapie et dans le port d’une attelle nocturne anti-équine. Les certificats du docteur … des 11 juin et 22 septembre 2016 ne tendent pas non plus à établir la matérialité d’un fait tel qu’il existait au moment de la prise de la décision déférée, mais indiquent qu’une jambe de l’enfant … est plus courte que l’autre et qu’il a, de ce fait, besoin d’une physiothérapie spécialisée qui ne se pratique pas en Albanie. Au vu des considérations qui précèdent, le tribunal ne tiendra pas compte desdits certificats médicaux.

Le tribunal relève ensuite que par un avis du 3 juillet 2015, sur lequel est fondée la décision déférée, le médecin délégué a retenu que l’enfant … « fût atteint d’une récidive d’un pied équin droit traitée par plâtres réducteurs (Ponzetti) ; une libération chirurgicale avec embrochage, immobilisation plâtrée post-op, kinésithérapie, attelle nocturne sont envisagés » et que sa prise en charge peut être réalisée dans son pays d’origine. Le médecin délégué a plus particulièrement retenu que l’état de santé de l’enfant … ne nécessiterait pas une prise en charge médicale dont le défaut entraînerait pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité et qu’il ne remplirait partant pas les conditions pour bénéficier d’un sursis à l’éloignement. Pour arriver à cette conclusion, le médecin délégué s’est fondé, d’une part, sur les certificats médicaux du docteur … des 19 décembre 2014 et 5 mai 2015, ainsi que sur un examen médical au Centre Médico-Social en date du 11 juin 2013 et, d’autre part, sur une analyse du dossier médical.

Il ressort du certificat médical du docteur … du 19 décembre 2014 que « bei dem kleinen … handelt es sich um einen jetzt 3 Jahre alten Jungen bei dem postnatal einen Klumpfuß rechts festgestellt wurde » et que « die derzeitige Betreuung besteht aus Krankengymnastik, Verordnungen von Spezial-Schuhen und Kontrolle der notwendigen Nachtschiene ». Le certificat médical du docteur … établi le 23 juillet 2015, versé à l’appui de la demande ayant donné lieu à la décision déférée, indique que l’enfant … « est porteur d’un pied bot varus équin congénital droit lequel a bénéficié d’un allongement de tendon d’Achille à 3 mois ». Il ressort dudit certificat médical qu’ « il y a actuellement une récidive sévère, avec un équin de l’avant pied de l’ordre de 45° qui a été partiellement réduit par une série de 3 plâtres réducteurs selon la technique de Ponzetti » et qu’ « afin de pouvoir assumer un appui plantigrade et une marche normale à cet enfant, il faudrait réaliser une libération chirurgicale du médico-pied avec embrochage et immobilisation plâtrée postopératoire pour une durée de 2 mois, avec ensuite reprise de la kinésithérapie et attelle nocturne anti-équin ».

Il ressort en outre du certificat médical du docteur … du 5 mars 2015 que l’enfant … a été opéré en date du même jour d’une hernie et que « der Intra- und postoperative Verlauf war komplikationslos, sodass … in gutem Allgemeinzustand wieder nach Hause entlassen werden konnte. Eine Wundkontrolle wurde mit den Eltern für in einer Woche vereinbart ».

Or, il y a lieu de constater que les certificats sous analyse font état des pathologies dont souffre l’enfant … en relation avec son pied bot, renseignent sur une intervention chirurgicale projetée, ainsi que sur le suivi post-opératoire consistant dans une kinésithérapie et le port d’une attelle nocturne anti-équin, sans toutefois permettre au tribunal de retenir que l’état de santé de l’enfant … soit d’une gravité telle qu’il nécessite un traitement dont le défaut entraînerait pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité et partant réponde à la première condition posée par l’article 130 précité.

En effet, il ne se dégage pas des certificats versés en cause que les pathologies dont souffre l’enfant … soient susceptibles de causer sa mort, de réduire son espérance de vie ou d’entraîner un handicap grave. Ainsi, il se dégage des pièces versées en cause que le pied bot dont souffre l’enfant … est une malformation congénitale dont le traitement peut consister dans une intervention chirurgicale, ou bien dans un traitement non-chirurgical par la pose de plâtres. Un tel traitement a comme but de corriger la position du pied et de le stabiliser afin de permettre une marche normale au patient. Or, s’il se dégage certes des pièces versées en cause que l’absence d’une prise en charge médicale pourrait avoir comme conséquence que le port de chaussures devienne difficile et qu’au fil du temps l’affection pourrait avoir un effet disgracieux et invalidant, il n’en reste pas moins que de tels conséquences hypothétiques, qui ne se dégagent d’ailleurs pas des certificats médicaux versés en cause, n’atteignent pas le degré d’exceptionnelle gravité requis par la loi pour être qualifiés d’handicap grave au sens de l’article 130 de la loi du 29 août 2008 et ne permettent pas au tribunal de conclure, dans le chef du ministre, à une erreur manifeste d’appréciation des faits lui soumis dans le cadre de la demande dont il était saisie de la part des époux … en vue de l’obtention d’un sursis à l’éloignement.

Dès lors, les éléments à la disposition du tribunal ne lui permettent pas d’infirmer la conclusion du médecin délégué selon laquelle l’état de santé de l’enfant … ne nécessite pas une prise en charge médicale dispensée au Luxembourg dont le défaut entraînerait pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité, de sorte que la première des conditions cumulatives posées par l’article 130 de la loi du 29 août 2008 n’est pas remplie en l’espèce.

En considération de ce que la première condition posée par l’article 130 de la loi du 29 août 2008 n’est pas remplie dans le chef de l’enfant …, il n’y a pas lieu de procéder plus en avant à l’examen de la deuxième condition posée par la même disposition légale, ayant trait à l’impossibilité d’un traitement dans le pays d’origine des demandeurs, ledit examen devenant surabondant, du fait de son caractère cumulatif avec la condition dont le tribunal vient de retenir qu’elle n’est pas remplie en l’espèce.

Si les demandeurs offrent certes de rapporter les preuves manquantes par l’institution d’une mesure d’instruction complémentaire sous la forme d’une expertise médicale, il convient cependant de rappeler qu’aux termes de l’article 351 du Nouveau code de procédure civile, applicable dans le cadre du présent litige, alors que dans la mesure où le règlement de procédure applicable devant les juridictions administratives n’y déroge pas, les prescriptions du Nouveau code de procédure civile sont à suivre en la matière3, de sorte qu’une mesure d’instruction ne peut être ordonnée sur un fait que si la partie qui l’allègue ne dispose pas d’éléments suffisants pour le prouver, une mesure d’instruction ne pouvant en aucun cas être ordonnée en vue de suppléer à la carence d’une partie dans l’administration de la preuve.

Au vu des développements qui précèdent, desquels il ressort que les demandeurs n’ont pas rapporté la preuve que l’état de santé de l’enfant … nécessiterait une prise en charge médicale dont le défaut entraînerait pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité, il y a lieu de rejeter la demande en institution d’une mesure d’instruction, telle que formulée par les demandeurs.

3 Trib. adm. 30 octobre 1997, n° 8936 du rôle, Pas. adm. 2016, V° Procédure contentieuse, n° 645 et les autres références y citées.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a pu refuser par la décision du 31 juillet 2015 le sursis à l’éloignement au bénéfice des demandeurs, de sorte que le recours en annulation est à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;

se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation ;

reçoit le recours subsidiaire en annulation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 7 décembre 2016 par :

Thessy Kuborn, vice-président, Alexandra Castegnaro, premier juge, Géraldine Anelli, juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 8 décembre 2016 Le greffier du tribunal administratif 9


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 36765
Date de la décision : 07/12/2016

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2016-12-07;36765 ?

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