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02/12/2016 | LUXEMBOURG | N°38742

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 02 décembre 2016, 38742


Tribunal administratif Numéro 38742 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 novembre 2016 4e chambre Audience publique du 2 décembre 2016 Recours formé par Monsieur …, Findel, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 22, L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 38742 du rôle et déposée le 22 novembre 2016 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis Tinti, avocat à la

Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le...

Tribunal administratif Numéro 38742 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 novembre 2016 4e chambre Audience publique du 2 décembre 2016 Recours formé par Monsieur …, Findel, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 22, L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 38742 du rôle et déposée le 22 novembre 2016 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis Tinti, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Kosovo), de nationalité kosovare, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 21 octobre 2016 ayant ordonné son placement au Centre de rétention pour une durée maximale de trois mois à partir de la notification de la décision en question ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 24 novembre 2016 ;

Vu le mémoire en réplique déposé le 25 novembre 2016 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis Tinti au nom de son mandant ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 28 novembre 2016 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Louis Tinti et Madame le délégué du gouvernement Marie-Anne Ketter en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 14 octobre 2016, vers 22.30 heures, Monsieur … fut interpellé sur l’aire d’autoroute Capellen dans le cadre d’un contrôle de véhicules et d’identités organisé par la police grand-ducale. Lors dudit contrôle il fut constaté que suivant les renseignements du système d’information Schengen, Monsieur … est interdit d’entrée dans l’espace Schengen jusqu’au 30 juillet 2019.

Par un arrêté du 15 octobre 2016, notifié à l’intéressé le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, dénommé ci-après « le ministre », déclara irrégulier le séjour de Monsieur … sur le territoire luxembourgeois, lui ordonna de quitter le pays sans délai et lui infligea une interdiction de territoire de trois ans.

Par un deuxième arrêté pris et notifié le même jour, le ministre ordonna le placement en rétention administrative de Monsieur … au Centre de rétention pour une durée d’un mois depuis la notification de ladite mesure et ce, sur base des articles 120 et suivants de la loi modifiée du 29 août 2008 portant sur la libre circulation et l’immigration, dénommée ci-après « la loi du 29 août 2008 ».

Par courrier de son litismandataire du 18 octobre 2016, Monsieur … demanda à pouvoir introduire une demande de protection internationale au Luxembourg.

En date du 21 octobre 2016, le ministre prit un nouvel arrêté, notifié à l’intéressé le même jour, par lequel il ordonna la mainlevée de la mesure de placement précitée du 15 octobre 2016, ainsi qu’une nouvelle mesure de placement à l’encontre de Monsieur … d’une durée maximale de trois mois à compter de la notification de l’arrêté en question et ce, sur le fondement de l’article 22 de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, dénommée ci-après « la loi du 18 décembre 2015 ». Ledit arrêté est basé sur les considérations suivantes :

« (…) Vu l'article 22 (2) b) et e) de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu le procès-verbal N°Dir Rég ESCH/SREC/2016/55668-1/DETO du 14 octobre 2016 établi par la Police grand-ducale, Unité SRC Esch-sur-Alzette, Section Protection de la Jeunesse ;

Vu ma décision de retour du 15 octobre 2016 ;

Vu ma décision d'interdiction d'entrée sur le territoire du 15 octobre 2016 ;

Vu mon arrêté du 15 octobre 2016, notifié le même jour, décidant de soumettre l'intéressé à une mesure de placement ;

Attendu que l'intéressé a présenté une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 18 octobre 2016 ;

Attendu que la mesure moins coercitive prévue à l'article 22, (3), point a) ne peut être efficacement appliquée, alors que le demandeur ne dispose pas de l'original de son passeport valable ;

Attendu que la mesure moins coercitive prévue à l'article 22, (3), point b) ne peut être efficacement appliquée, alors que le demandeur ne présente pas des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite;

Attendu que la mesure moins coercitive prévue à l'article 22, (3), point c) ne peut être efficacement appliquée, alors que le demandeur est dans l'impossibilité de déposer une garantie financière d'un montant de cinq mille euros ;

Par conséquent la décision de placement s'avère nécessaire ;

Considérant qu'il convient de déterminer les éléments sur lesquels se fonde la demande de protection internationale, alors qu'il existe un risque de fuite dans le chef du demandeur ;

Considérant qu'il existe des motifs raisonnables de penser que le demandeur a présenté la demande de protection internationale à la seule fin de retarder ou d'empêcher l'exécution de la décision de retour, alors qu'il avait déjà eu la possibilité d'accéder à la procédure d'asile; (…) ».

En date du 24 octobre 2016, Monsieur … déposa officiellement une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015.

Le même jour, Monsieur … fit l’objet d’un entretien avec un agent du ministre des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement UE 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, dit « règlement Dublin III », lors duquel il a été confirmé que Monsieur … avait déjà déposé, en 2012, une demande de protection internationale en France, demande qui fut rejetée en 2015.

En date du 3 novembre 2016, Monsieur … fut encore entendu sur sa situation et les motifs gisant à la base de sa demande de protection internationale.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 22 novembre 2016, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle de placement en rétention précitée du 21 octobre 2016.

Etant donné que l’article 22, paragraphe (6) de la loi du 18 décembre 2015 institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit par Monsieur ….

Ledit recours en réformation est encore recevable pour avoir par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours et en fait, le demandeur fait savoir qu’au moment de son appréhension, il aurait remis l’original de sa carte d’identité, ainsi qu’une copie de son passeport aux autorités luxembourgeoises. Il affirme qu’il ne se serait trouvé au Luxembourg que depuis moins de 24 heures avec l’intention de solliciter une protection internationale par rapport à des faits d’une gravité réelle que lui et son fils auraient subis au Kosovo.

En droit, le demandeur fait plaider qu’il résulterait du règlement Dublin III, ainsi que de l’article 28.3 de la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale, dénommée ci-après « la directive 2013/33/UE », que la durée de placement devrait être la plus courte possible et ne devrait pas se prolonger au-delà du délai raisonnablement nécessaire pour accomplir les procédures administratives avec toute la diligence voulue.

La même directive 2013/33/UE exigerait que la mesure de rétention, qui ne se justifierait par ailleurs que s’il existe un risque de fuite non négligeable, serait subordonnée à l’impossibilité d’appliquer des mesures moins coercitives.

Le demandeur conclut dès lors que ce serait à tort qu’il serait maintenu en rétention, alors que les conditions de l’article 22 (2) point b) de la loi du 18 décembre 2015 ne seraient plus données, étant donné que son audition auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes serait entretemps terminée.

Il estime ensuite que son placement ne pourrait pas non plus être justifié par l’article 22 (2) point e), alors qu’il ressortirait des éléments de la cause qu’il n’aurait nullement été dans son intention de vouloir retarder son éloignement par le dépôt de sa demande de protection internationale, alors que son interpellation par la police ne serait intervenue que peu de temps après son arrivée sur le sol luxembourgeois, arrivée qui serait exclusivement motivée par son légitime besoin de protection.

Il estime ainsi avoir prouvé qu’il n’existe pas de risque de fuite en son chef et propose de verser une garantie financière de cinq mille euros telle que visée à l’article 22 (3) point c) de la loi du 18 décembre 2015.

Dans son mémoire en réplique, le demandeur ajoute que, lors du contrôle d’identité du 14 octobre 2016, il n’aurait cessé de répéter aux agents des forces de l’ordre qu’il aurait beaucoup de problèmes dans son pays d’origine. Il explique que, s’il n’avait alors pas formellement sollicité une protection internationale, ce serait parce qu’il n’aurait pas su que les agents de police auraient été habilités pour enregistrer une telle demande. Il n’aurait par ailleurs pas osé, dans le contexte émotionnel du contrôle, de demander des renseignements sur les démarches y relatives afin d’éviter d’« aggraver sa situation ».

Il souligne que l’article 22 (2) point e) de la loi du 18 décembre 2015 nécessiterait la mise en évidence de motifs raisonnables de croire que la demande de protection internationale n’aurait comme seul but de retarder un éloignement, de sorte que de simples soupçons y relatifs ne suffiraient pas.

Il estime ensuite principalement que toute discussion relative à l’existence d’un risque de fuite serait en l’espèce inopportune et, à titre subsidiaire, que le ministre n’aurait pas rapporté la preuve d’un faisceau de circonstances établissant qu’il aurait l’intention de se soustraire aux autorités luxembourgeoises, preuve qui ne serait pas rapportée par la circonstance qu’il aurait déposé sa demande de protection internationale après la décision de retour prise à son encontre. Le sérieux des motifs à la base de sa demande de protection internationale s’opposerait d’ailleurs à un risque, dans son chef, de quitter le pays, respectivement d’y vivre dans la clandestinité.

Il insiste finalement sur le fait que ce serait à tort que la partie étatique estimerait que le dépôt de garantie ne s’envisagerait pas au vu de son dossier, alors que la garantie financière au sens de l’article 22 (3) point c) de la loi du 18 décembre 2015 se suffirait à elle-

même.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours, en soulignant que la mesure de placement prise sur base de l’article 22 (2) points b) et e) de la loi du 18 décembre 2015 serait justifiée par la circonstance que le demandeur se serait trouvé sur le territoire luxembourgeois malgré une interdiction d’entrée dans l’espace Schengen et ce, sans être en possession d’un passeport et sans disposer d’adresse au Luxembourg, le demandeur s’étant limité à déclarer, lors de son appréhension, être venu au Luxembourg, et notamment à l’aire d’autoroute Capellen, dans le seul but d’y acheter des cigarettes. Ce ne serait qu’après qu’il aurait été mis en rétention en vue de son éloignement vers son pays d’origine qu’il aurait sollicité déposer une demande de protection internationale. Il serait partant clair que la partie étatique aurait établi le faisceau de circonstances permettant de considérer qu’il y aurait un risque de fuite dans le chef du demandeur qui n’aurait dès lors déposé sa demande de protection internationale que dans le but de faire obstacle à son éloignement.

Dans sa duplique, le délégué du gouvernement conteste que le demandeur ait informé les agents de la force publique au moment de son interpellation de ses problèmes dans son pays d’origine et estime que, même si le demandeur n’avait pas seulement pénétré sur le territoire luxembourgeois juste avant ledit contrôle, il y aurait de sérieuses chances de penser qu’il se soit trouvé en France de façon clandestine auprès de l’ami avec lequel il avait été contrôlé. Il souligne encore que le demandeur, venant de France, ne pourrait pas valablement prétendre s’être trouvé sur l’aire de Capellen à 22.30 heures pour y déposer une demande de protection internationale.

Il signale que dans le cadre de l’instruction de la demande de protection internationale, l’audition du demandeur ne serait pas la seule diligence à effectuer, mais que d’autres recherches pourraient s’avérer nécessaires, au résultat desquelles le ministre pourrait vouloir le confronter.

Il conclut encore au rejet de la proposition du dépôt d’une garantie financière, au motif que le demandeur resterait en défaut de matérialiser cette proposition par un quelconque élément probant telle que par exemple une déclaration y relative d’un membre de sa famille.

Il souligne finalement que la jurisprudence aurait retenu que les mesures moins coercitives de l’article 125 (1) de la loi du 29 août 2008 ne seraient qu’une simple prérogative pour le ministre à défaut pour l’étranger d’avoir renversé la présomption du risque de fuite pesant sur lui en application de l’article 111, paragraphe (3) de cette même loi.

L’article 22 de la loi du 18 décembre 2015 dispose ce qui suit : « (…) (2) Un demandeur ne peut être placé en rétention que:

a) pour établir ou vérifier son identité ou sa nationalité;

b) pour déterminer les éléments sur lesquels se fonde la demande de protection internationale qui ne pourraient pas être obtenus sans un placement en rétention, en particulier lorsqu’il y a risque de fuite du demandeur;

c) lorsque la protection de la sécurité nationale ou de l’ordre public l’exige;

d) conformément à l’article 28 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant d’un pays tiers ou un apatride et lorsqu’il existe un risque de fuite basé sur un faisceau de circonstances établissant que le demandeur a l’intention de se soustraire aux autorités dans le seul but de faire obstacle à une mesure d’éloignement;

e) lorsque le demandeur est placé en rétention dans le cadre d’une procédure de retour en vertu de l’article 120 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration pour préparer le retour et procéder à l’éloignement et lorsqu’il existe des motifs raisonnables de penser que le demandeur a présenté la demande de protection internationale à la seule fin de retarder ou d’empêcher l’exécution de la décision de retour alors qu’il avait déjà eu la possibilité d’accéder à la procédure d’asile; dans ce cas, la durée de placement en vertu de la présente loi court à partir du jour du dépôt de la demande de protection internationale.

(3) La décision de placement en rétention est ordonnée par écrit par le ministre sur la base d’une appréciation au cas par cas, lorsque cela s’avère nécessaire et si d’autres mesures moins coercitives ne peuvent être efficacement appliquées.

On entend par mesures moins coercitives:

a) l’obligation pour le demandeur de se présenter régulièrement, à intervalles à fixer par le ministre, auprès des services de ce dernier ou d’une autre autorité désignée par lui, après remise de l’original du passeport et de tout document justificatif de son identité en échange d’un récépissé valant justification de l’identité;

b) l’assignation à résidence dans les lieux fixés par le ministre, si le demandeur présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite;

l’assignation à résidence peut être assortie, si nécessaire, d’une mesure de surveillance électronique qui emporte pour le demandeur l’interdiction de quitter le périmètre fixé par le ministre. Le contrôle de l’exécution de la mesure est assuré au moyen d’un procédé permettant de détecter à distance la présence ou l’absence du demandeur dans le prédit périmètre. La mise en œuvre de ce procédé peut conduire à imposer au demandeur, pendant toute la durée du placement sous surveillance électronique, un dispositif intégrant un émetteur. Le procédé utilisé est homologué à cet effet par le ministre. Sa mise en œuvre doit garantir le respect de la dignité, de l’intégrité et de la vie privée de la personne. La mise en œuvre du dispositif technique permettant le contrôle à distance et le contrôle à distance proprement dit, peuvent être confiés à une personne de droit privé;

c) l’obligation pour le demandeur de déposer une garantie financière d’un montant de cinq mille euros à virer ou à verser soit par lui-même, soit par un tiers à la Caisse de consignation, conformément aux dispositions y relatives de la loi du 29 avril 1999 sur les consignations auprès de l’Etat. Cette somme est acquise à l’Etat en cas de fuite ou d’éloignement par la contrainte de la personne au profit de laquelle la consignation a été opérée. La garantie est restituée par décision écrite du ministre enjoignant à la Caisse de consignation d’y procéder si les motifs énoncés au paragraphe (2) ne sont plus applicables ou en cas de retour volontaire. (…) ».

En vertu de l’article 22, paragraphe (4), de la loi du 18 décembre 2015 « La décision de placement en rétention indique les motifs de fait et de droit sur lesquelles elle est basée.

Elle est prise pour une durée la plus brève possible ne dépassant pas trois mois. Sans préjudice des dispositions du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 en matière de rétention, la mesure de placement en rétention peut être reconduite par le ministre chaque fois pour une durée de trois mois tant que les motifs énoncés au paragraphe 2, sont applicables, mais sans que la durée de rétention totale ne puisse dépasser douze mois.

Les procédures administratives liées aux motifs de rétention énoncés au paragraphe (2) sont exécutées avec toute la diligence voulue. Les retards dans les procédures administratives qui ne sont pas imputables au demandeur ne peuvent justifier une prolongation de la durée de rétention. (…) ».

En l’espèce, la décision déférée est basée sur les points b) et e) de l’article 22, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 qui permet de placer une personne en rétention administrative en vue de déterminer les éléments sur lesquels se fonde la demande de protection internationale qui ne pourraient pas être obtenus sans un placement en rétention, en particulier lorsqu’il y a un risque de fuite dans le chef du demandeur, respectivement lorsqu’il existe des motifs raisonnables de penser que le demandeur, placé en rétention dans le cadre d’une procédure de retour en vertu de l’article 120 de la loi du 29 août 2008 en vue de préparer son retour et de procéder son l’éloignement, a présenté une demande de protection internationale à la seule fin de retarder ou d’empêcher l’exécution de la décision de retour alors qu’il avait déjà eu la possibilité d’accéder à la procédure d’asile.

Le paragraphe (4) de l’article 22 de la loi du 18 décembre 2015 précise que le maintien de la rétention est conditionné par le fait que la procédure administrative liée aux motifs de rétention, à savoir en l’espèce, les diligences dans le cadre de l’instruction de la demande de protection internationale déposée par le demandeur, soit en cours et soit exécutée avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour que le placement ne se prolonge pas au-delà du délai raisonnable nécessaire pour accomplir les procédures administratives requises, étant relevé que cette mesure de placement peut être reconduite à trois reprises, chaque fois pour une durée de trois mois, si les conditions énoncées au paragraphe (2) de l’article 22, précité, sont toujours réunies.

Quant aux conditions d’application de l’article 22, paragraphe (2), point b) de la loi du 18 décembre 2015, force est de relever que le ministre, face au constat que le demandeur a déjà passé, suite au premier entretien relatif à l’application du règlement Dublin III, une audition sur sa situation et les motifs gisant à la base de sa demande de protection internationale qui s’est déroulée sur deux jours, à savoir le 3 et le 7 novembre 2016, ayant dès lors permis à l’agent de revenir sur certains faits évoqués lors d’un première entretien, reste en défaut de préciser quels éléments de la demande il entend soumettre à une mesure d’instruction supplémentaire et qui ne pourraient pas être obtenus sans un placement en rétention du demandeur. La simple affirmation de la partie étatique que d’autres recherches pourraient s’avérer nécessaires dans le cadre desquelles le ministre pourrait être amené à vouloir confronter le demandeur à leur résultat ne saurait suffire à justifier le maintien de la mesure de placement, d’autant plus que la signature du procès-verbal d’audition date déjà de plus d’une vingtaine de jours.

Il suit de ces considérations que c’est en l’occurrence à tort que le ministre entend se baser sur le point b) de l’article 22, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 pour justifier le maintien en rétention du demandeur.

En ce qui concerne le point e) de l’article 22, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, force est de retenir qu’en l’espèce, si le demandeur n’a effectivement pas sollicité une protection internationale au moment même de son interpellation et s’il n’a demandé à déposer une telle demande que cinq jours après avoir été mis en rétention sur base de la loi du 29 août 2008 en vue de son éloignement et après qu’une décision de retour ait été prononcée à son encontre, le ministre reste néanmoins en défaut d’établir à suffisance de droit que le demandeur ait déjà eu la possibilité d’accéder à la procédure d’asile avant son interpellation en date du 14 octobre 2016, respectivement avant la décision de retour prise à son encontre le lendemain. En effet, il ne ressort d’aucun élément de la cause que le demandeur ait déjà séjourné au Luxembourg suffisamment longtemps avant le contrôle d’identité pour qu’il ait pu déposer une demande de protection internationale en bonne et due forme, respectivement que ses affirmations selon lesquelles, au moment de son interpellation, il venait à peine de pénétrer sur le territoire luxembourgeois, seraient contraires à la vérité, les hypothèses de la partie étatique sur un séjour clandestin prolongé en France avant de venir au Luxembourg n’étant d’aucune pertinence en l’espèce.

Il s’ensuit qu’il n’est pas établi en l’espèce que le demandeur ait été dans la possibilité d’avoir accès à la procédure d’asile au Luxembourg avant son interpellation, de sorte que le ministre ne pouvait pas valablement se baser sur le point e) de l’article 22 (2) de la loi du 18 décembre 2015 pour justifier le placement du demandeur en sa qualité de demandeur d’une protection internationale, d’autant plus qu’il ressort du dossier administratif que la décision de placement litigieuse basée sur l’article 22 (2) de la loi du 18 décembre 2015 a pris effet avant même le dépôt officiel de la demande de protection internationale, étant rappelé que l’article 22 (2) point e) précise que, dans le cas de son application, la durée de placement court à partir du jour du dépôt de la demande de protection internationale.

Force est dès lors d’en déduire que la mesure de placement litigieuse ne pouvait pas non plus valablement se baser sur l’article 22 (2), point e) précité de la loi du 18 décembre 2016.

Il suit de ces considérations qu’à l’heure actuelle, la mesure de placement déférée ne se trouve justifiée ni sur base de l’article 22 (2) point b), ni sur base de l’article 22 (2) point e) de la loi du 18 décembre 2015, de sorte que le recours est à déclarer fondé et la libération immédiate du demandeur est à ordonner.

Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare justifié, partant, par réformation de la décision déférée du 21 octobre 2016, ordonne la libération immédiate de Monsieur … ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par :

Carlo Schockweiler, premier vice-président, Olivier Poos, premier juge, Michèle Stoffel, juge, et lu à l’audience publique du 2 décembre 2016, par le premier vice-président, en présence du greffier Marc Warken.

s.Marc Warken s.Carlo Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 02/12/2016 Le Greffier du Tribunal administratif 8


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : 38742
Date de la décision : 02/12/2016

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2016-12-02;38742 ?

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