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26/10/2016 | LUXEMBOURG | N°38464

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 26 octobre 2016, 38464


Tribunal administratif No 38464 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 septembre 2016 3e chambre Audience publique du 26 octobre 2016 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 28 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 38464 du rôle et déposée le 13 septembre 2016 au greffe du tribunal administratif par Maître Ibtihal EL BOUYOUSFI, avocat

à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur ...

Tribunal administratif No 38464 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 septembre 2016 3e chambre Audience publique du 26 octobre 2016 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 28 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 38464 du rôle et déposée le 13 septembre 2016 au greffe du tribunal administratif par Maître Ibtihal EL BOUYOUSFI, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à … (Soudan) et d’être de nationalité soudanaise, demeurant actuellement à L-

…, représenté par son administratrice ad hoc Maître Ibtihal EL BOUYOUSFI, préqualifiée, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 26 août 2016 de le transférer vers l’Allemagne comme étant l’Etat membre responsable pour connaître de sa demande de protection internationale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 30 septembre 2016 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Ibtihal EL BOUYOUSFI, et Monsieur le délégué du gouvernement Luc REDING en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 12 octobre 2016.

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En date du 9 mai 2016, Monsieur … se présenta au ministère des Affaires étrangères et européennes afin de déposer une demande en obtention d’une protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 » en prétendant être un mineur non accompagné.

En date du 11 mai 2016, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après dénommé le « ministre », sollicita en application de l’article 5, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 la désignation d’un administrateur ad hoc pour Monsieur … auprès du tribunal de la jeunesse et des tutelles près le tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg.

Par ordonnance du 7 juin 2016, le juge des tutelles auprès du tribunal de la jeunesse et des tutelles près le tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg désigna Maître Ibithal EL BOUYOUSFI administratrice ad hoc du mineur ….

Le 13 juillet 2016, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, et en présence de son administratrice ad hoc, une demande en obtention d’une protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015.

Monsieur … fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg. Il fit également l’objet d’un relevé anthropométrique par prise des empreintes digitales et par l’établissement d’un portait photographique.

Lors de la comparaison des empreintes digitales de Monsieur …, la base de données EURODAC a relevé que ces empreintes digitales avaient été enregistrées dans les pays suivants :

Date :

lieu :

14/06/2011 Suisse 03/11/2011 Suisse 03/12/2013 Autriche 14/05/2013 Allemagne 31/08/2015 Norvège Le 2 août 2016, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».

Les autorités luxembourgeoises contactèrent les autorités norvégiennes en date du 12 août 2016 en vue de la reprise en charge de Monsieur … conformément à l’article 18, paragraphe (1) du règlement Dublin III.

Par courrier du 18 août 2016, les autorités norvégiennes refusèrent la reprise en charge de Monsieur …, enregistré dans les fichiers norvégiens sous le nom « …, né le … », au motif que les autorités allemandes ont accepté sa reprise en charge en date du 18 septembre 2015 et qu’il a été transféré vers l’Allemagne le 28 septembre 2015.

En date du 18 août 2016, les autorités luxembourgeoises contactèrent les autorités allemandes en vue de la reprise en charge de Monsieur … conformément à l’article 18, paragraphe (1) du règlement Dublin III.

Par courrier du 22 août 2016, les autorités allemandes acceptèrent la reprise en charge de Monsieur …, enregistré dans les fichiers allemands sous le nom « …, né le … alias …, né le …, alias …, né le …, alias …, né le …, alias …, né le …, alias …, né le … ».

Par décision datée du 26 août 2016, envoyée par lettre recommandée à l’intéressé ainsi qu’à son administratrice ad hoc le 29 août 2016, le ministre, sur base de la considération que Monsieur … avait déposé une demande de protection internationale en date du 14 mai 2013 en Allemagne, et que les autorités allemandes ont accepté de le reprendre en charge, informa ce dernier de sa décisions de le transférer dans les meilleurs délais vers l’Allemagne sur base de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, et de l’article 18, paragraphe (1), d) du règlement Dublin III.

Par requête inscrite sous le numéro 38464 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 13 septembre 2016, Maître Ibtihal EL BOUYOUSFI, agissant en sa qualité d’administratrice ad hoc de Monsieur …, a fait introduire un recours en annulation à l’encontre de la décision ministérielle du 26 août 2016.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 15 septembre 2015, inscrite sous le numéro 38476 du rôle, Maître Ibtihal EL BOUYOUSFI, agissant en sa qualité d’administratrice ad hoc de Monsieur … fit encore introduire une demande tendant à l’institution d’une mesure de sauvegarde, de laquelle elle se désista par courrier du 28 septembre 2016, désistement déclaré régulier et valable par ordonnance du président du tribunal administratif du même jour.

En vertu de l’article 35, paragraphe (3) de la loi du 18 décembre 2015, le tribunal administratif est compétent pour connaître du recours en annulation, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui du recours, l’administratrice ad hoc rappelle le vécu de Monsieur … tel que développé lors de son entretien au ministère des Affaires étrangères et européennes en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement Dublin III du 2 août 2016, à savoir, qu’il serait né au Soudan et que sa mère l’aurait emmené ensemble avec sa sœur à Tel Aviv (Israël) lorsqu’il avait cinq ans pour y vivre jusqu’en 2013 où une attaque à la bombe aurait tué sa mère et sa sœur. Il aurait été récupéré par des égyptiens qui l’auraient emmené en Egypte et auraient pris soin de lui pendant deux mois et demi avant de lui demander de trouver son chemin. Il serait alors arrivé en Italie à travers la Lybie fin de l’année 2013. Ensuite, il se serait rendu au Danemark pour y déposer sa demande de protection internationale, mais les autorités danoises l’auraient transféré vers l’Italie comme étant l’Etat membre responsable de sa demande. Sans déposer une demande de protection internationale en Italie, il se serait par la suite rendu au Luxembourg. L’administratrice ad hoc précise que Monsieur … maintient ces faits même après avoir été confronté aux résultats de la base de données EURODAC, en expliquant ces incohérences par le traumatisme qu’aurait subi ce dernier.

En droit, l’administratrice ad hoc fait valoir que la minorité de Monsieur … n’aurait jamais été contestée depuis qu’il s’est présenté au ministère des Affaires étrangères et européennes en date du 9 mai 2016, mais qu’au contraire, sa minorité aurait été admise du fait de la demande du ministre en nomination d’un administrateur ad hoc tel que prévu par l’article 20 de la loi du 18 décembre 2015, et aurait par ailleurs été constatée par l’ordonnance du 7 juin 2015 du tribunal de la jeunesse et des tutelles près le tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, laquelle aurait autorité de chose jugé et force exécutoire.

Elle estime dès lors que le Luxembourg serait responsable d’analyser la demande de protection internationale de Monsieur … en vertu de l’article 8, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015, selon lequel l’Etat membre responsable serait celui dans lequel le mineur non accompagné a introduit une demande de protection internationale, à condition que ce soi t dans l’intérêt supérieur de l’enfant, article qui serait à interpréter suivant un arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne1, ci-après désignée par « la CJUE » comme désignant l’Etat membre dans lequel le mineur se trouve physiquement après y avoir déposé une demande.

Elle ajoute que l’intérêt supérieur de l’enfant, exigée tant par le règlement Dublin III que par l’article 24 de la Charte européenne des droits fondamentaux, commanderait le maintien de Monsieur … sur le territoire luxembourgeois, notamment au vu de son traumatisme physique et psychique qu’il aurait subi et des liens qu’il aurait développé avec les éducateurs et membres de la Croix Rouge et de la Caritas, avec son mandataire, son psychiatre et avec ses camarades de classe au lycée. L’intérêt supérieur de Monsieur … résiderait plus précisément dans la conservation et le maintien d’une stabilité et sécurité psychologique, de sorte qu’il y aurait lieu d’annuler la décision déférée pour violation de la loi, détournement, sinon excès de pouvoir.

Finalement, l’administratrice ad hoc conclut à l’annulation de la décision déférée pour violation de l’article 11 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, ci-après désigné par « le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 », alors que les éléments du dossier administratif ayant conduit à la décision entreprise auraient été communiqués tardivement, soit le vendredi 9 février 2016, à un moment où un entretien avec Monsieur … sur les données figurant dans la mise à jour du dossier administratif n’aurait plus pu être effectué, ce qui heurterait ses droits de la défense.

Le délégué du gouvernement conteste la minorité de Monsieur … et conclut au rejet du recours au motif que l’article 8 du règlement Dublin III ainsi que l’arrêt de la CJUE, citée par la partie demanderesse, ne sauraient trouver application en l’espèce.

Il conclut encore au rejet du moyen tiré de la violation de l’article 11 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 de sorte que le recours serait à rejeter pour n’être fondé en aucun de ses moyens.

En ce qui concerne la légalité externe de la décision déférée et plus particulièrement le moyen tiré d’une communication tardive du dossier administratif, l’article 11 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 dispose que « Tout administré a droit à la communication intégrale de son dossier relatif à sa situation administrative, chaque fois que celle-ci est atteinte, ou susceptible de l’être, par une décision administrative prise ou en voie de l’être.

[…] ».

L’article 11 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 consacre dès lors le droit pour tout administré d’obtenir communication de son dossier administratif dans les hypothèses y prévues, à savoir à chaque fois que sa situation administrative est atteinte ou susceptible de l’être par une décision administrative.

Le non-respect des prescriptions de l’article 11 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 ne saurait cependant se résoudre impérativement en une annulation de la décision administrative, étant donné que cette omission est indépendante du contenu même de la décision prise et que, dès lors, le seul grief susceptible d’affecter le destinataire de la décision est celui de ne pas avoir pu exercer utilement les voies de recours. Par conséquent, la sanction adéquate et conforme à la finalité de la prescription est la suspension des délais de recours jusqu’à due notification de la décision2, respectivement jusqu’à la communication complète 1 CJUE du 6 juin 2013, numéro C-648/11, MA, BT and DA v. Secretary of State of the Home Department.

2 Trib. adm., 20 mai 1999, n° 10913 du rôle, Pas. adm. 2016, V° Procédure administrative non contentieuse, du dossier administratif, puisque la finalité de ces obligations est de permettre à l’administré de décider, en pleine connaissance de cause, au vu des éléments dont dispose l’administration et sur lesquels elle se base pour asseoir sa décision, s’il est utile pour lui de saisir une juridiction3.

En l’espèce, il résulte des pièces soumises à l’appréciation du tribunal que l’administratrice ad hoc a introduit, par courrier daté au 18 juillet 2016, une première demande en communication du dossier administratif de Monsieur …, demande qui a été favorablement accueillie par le ministre en date du même jour. Par courrier daté au 27 juillet 2016, l’administratrice ad hoc a introduit une demande en vue de la communication du « procès-verbal de l’entretien du 13 juillet 2016 », demande qui a été favorablement accueillie par le ministre le lendemain. Par courrier du 29 août 2016 et par courrier de rappel du 6 septembre 2016, l’administratrice ad hoc a introduit une demande en communication d’une mise à jour du dossier administratif de Monsieur …, demande qui a été favorablement accueillie le 7 septembre 2016. En date du 13 septembre 2016, date d’expiration du délai contentieux, l’administratrice ad hoc a introduit le recours sous analyse.

Or, le tribunal est amené à retenir d’un côté, l’administratrice ad hoc est resté en défaut d’établir son impossibilité de mener un entretien avec Monsieur … suite à la communication de la mise à jour du dossier administratif et avant l’expiration du délai de recours et, de l’autre côté, d’établir quelles données contenues dans la mise à jour du dossier administratif auraient exactement nécessité un tel entretien. Il échet encore de souligner que l’administratrice ad hoc a pu déposer dans le délai lui imparti un recours contentieux motivé, dans lequel elle a valablement pu exposer ses moyens, consistant par ailleurs principalement en une violation alléguée de procédure en raison de l’âge de Monsieur …, de sorte que les droits de la défense de la partie demanderesse n’ont, en tout état de cause, aucunement été affectés par la communication de la mise à jour du dossier administratif en date du 7 septembre 2016 dans un délai, par ailleurs jugé raisonnable.

Il s’ensuit que le moyen fondé sur une communication tardive du dossier administratif et l’impossibilité alléguée de s’entretenir avec Monsieur … sur les données figurant dans la mise à jour du dossier administratif, est à rejeter comme étant non fondé.

Quant à la légalité interne de la décision déférée, il convient de rappeler qu’aux termes de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 : « Si, en application du règlement (UE) n°604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».

Aux termes de l’article 18, paragraphe (1) du même règlement Dublin III : « L’Etat membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : […] d) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l’apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d’un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre Etat membre.

L’article 8 du même règlement III intitulé « Mineurs » dispose dans son paragraphe n°214 et les autres références y citées.

3 Trib. adm., 4 avril 2011, n° 27357 du rôle, disponible sur www.ja.etat.lu (4) : « En l’absence de membres de famille, de frères ou sœurs ou de proches […] l’Etat membre responsable est celui dans lequel le mineur non accompagné a introduit sa demande de protection internationale, à condition que ce soit dans l’intérêt supérieur de l’enfant. » Il s’ensuit que si, en vertu du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen d’une demande de protection internationale formulé par un ressortissant d’un pays tiers et si ce pays accepte la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide, d’un côté, de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable et, de l’autre côté, de ne pas examiner sa demande de protection internationale introduite au Luxembourg.

Il s’ensuit également des dispositions qui précèdent que l’Etat membre responsable de la demande de protection internationale introduite par un mineur non accompagné n’ayant pas de membre de sa famille sur le territoire d’un Etat membre, est celui dans lequel le mineur se trouve après y avoir déposé une demande de protection internationale4, à condition que ce soit dans l’intérêt de l’enfant.

Le tribunal constate de prime abord que la décision ministérielle déférée est motivée, d’une part, par le fait que le demandeur a déposé le 14 mai 2013 une demande de protection internationale en Allemagne et, d’autre part, par le fait que les autorités allemandes ont accepté de le reprendre en charge de sorte à admettre que le ministre n’a pas appliqué les dispositions relatives aux mineurs prévues par l’article 8 du règlement Dublin III.

En l’espèce, il n’est pas contesté qu’en application des dispositions relatives aux mineurs du règlement Dublin III, l’Etat membre responsable pour analyser la demande de protection internationale présentée par Monsieur … serait le Luxembourg, les parties étant cependant en désaccord sur la question de savoir si Monsieur … est un mineur d’âge, et partant sur la compétence de principe de l’Etat luxembourgeois, respectivement l’incompétence de principe de l’Etat allemand pour examiner sa demande de protection internationale, de sorte que le tribunal doit examiner cette question en premier lieu.

Or, au stade actuel de l’instruction de l’affaire, le tribunal est amené à retenir que Monsieur … ne saurait être considéré comme un mineur d’âge. En effet, d’un côté, il ressort du dossier administratif que Monsieur … a déposé plusieurs demandes de protection internationale, lors desquelles ses empreintes digitales ont été enregistrées et téléchargées dans la base de données EURODAC, dans différentes Etats membres, notamment en Suisse en date des 14 juin et 3 novembre 2011, en Autriche le 3 décembre 2013, en Allemagne le 14 mai 2013 et en Norvège le 3 août 2015, avant de venir déposer une demande au Luxembourg.

Le tribunal constate également qu’à ces occasions, il a indiqué différentes identités aux autorités en charge, l’intéressé était notamment connu sous cinq différents alias et avec cinq différentes dates de naissance. Ce n’est en effet qu’au Luxembourg qu’il a prétendu être un mineur non accompagné. Ces constatations sont de nature à mettre fortement en doute la crédibilité de Monsieur …. Par ailleurs, Monsieur … se trouve manifestement depuis 2011 en Europe et aurait, suivant ses déclarations actuelles, dû être âgé de quatorze ans au moment où il prétend avoir été victime en 2013 d’un attentat à la bombe en Israël, pour se réveiller de manière incongrue en Egypte. Les photos prétendument prises suite à cet attentat devraient encore, suivant ses dernières déclarations, montrer un enfant de quatorze ans, alors qu’ils montrent plutôt un jeune adulte.

Il ressort par ailleurs du dossier administratif que lors de l’entretien de Monsieur … en date du 13 juillet 2016, l’agent du service de police judiciaire a déjà mis en doute la minorité 4 CJUE du 6 juin 2013, numéro C-648/11, MA, BT and DA v. Secretary of State of the Home Department.

de ce dernier en retenant qu’il a apparu être bien plus âgé que dix-sept ans et en soulignant qu’à un certain moment de l’audition il n’a plus su son nom. Il ressort encore des explications circonstanciées du délégué du gouvernement qu’un examen médical n’a pas été envisagé dans le cas de Monsieur … au vu de l’impossibilité inhérente aux méthodes médicales d’affirmer avec certitude la majorité d’un individu à quelques mois près ;

l’intéressé ayant déclaré être âgé de dix-sept ans et cinq mois.

Il s’ajoute que les explications de l’administratrice ad hoc relatives aux incohérences entre le résultat de la base de donnés EURODAC et le récit de Monsieur …, notamment qu’elles résulteraient du traumatisme subi par ce dernier, ne sont corroborées par aucune pièce concluante versée au dossier attestant de ce traumatisme, la seule ordonnance médicale prescrivant à l’intéressé un médicament antidépresseur pour un mois étant insuffisante à cet égard.

En ce qui concerne l’argument de la partie demanderesse selon lequel par l’ordonnance du 7 juin 2015 le juge des tutelles aurait reconnu la minorité de Monsieur … et que cette ordonnance aurait acquis force de chose jugée à cet égard, l’article 1351 du Code civil dispose que : « L’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même, que la demande soit fondée sur la même cause, que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité. », étant encore précisé que l’autorité de chose jugée ne s’attache qu’au dispositif d’une décision judiciaire, ensemble les motifs le sous-tendant directement5.

Dans son analyse le tribunal est toutefois amené à constater que par l’ordonnance du 7 juin 2015, le juge des tutelles n’a pas constaté la minorité de Monsieur …, mais a uniquement fait droit à la demande du ministre en nomination d’un administrateur ad hoc, l’objet de ladite l’ordonnance n’était donc pas de se prononcer sur l’état civil de Monsieur ….

S’y ajoute que la requête en nomination d’un administrateur ad hoc suite à la prétendue minorité de Monsieur …, a été introduite par le ministre en date du 11 mai 2016 sur base des seules affirmations de celui-ci lors de sa première présentation au ministère des Affaires étrangères et européennes en date du 9 mai 2016, et que les éléments ayant par la suite mené le ministre de mettre en doute sa minorité d’âge sont apparu s que postérieurement à la nomination de l’administrateur ad hoc et se dégagent notamment des déclarations faites par Monsieur … sur son vécu lors des entretiens en date des 13 juillet et 2 août 2016, ainsi que des informations obtenues par les autorités norvégiennes en date du 18 août 2016.

Le fait, par le ministre, de solliciter auprès du juge des tutelles la nomination d’un administrateur ad hoc constitue une mesure sollicitée à titre purement conservatoire afin de permettre à l’intéressé d’introduire sa demande de protection internationale dans les conditions prévues par la loi. Affirmer le contraire reviendrait à admettre que le seul fait par un demandeur de protection internationale de prétendre d’être un mineur d’âge auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes suffirait pour bénéficier du régime protecteur mis en place pour les mineurs, tout en déniant au ministre tout droit de contester ces prétentions par la suite.

Finalement, le tribunal retient que la pièce versée6 par la partie demanderesse à l’appui de son affirmation selon laquelle, dans un cas identique à celui de l’espèce, le 5 Trib. adm., 24 octobre 2001, n° 13634 du rôle, Pas. adm. 2016, V° Procédure contentieuse, n° 826, et les autres références y citées.

6 Pièce 21 de la deuxième farde de pièces de Maître El Bouyousfi.

Luxembourg se serait déclaré compétent pour prendre en charge un demandeur de protection internationale7, n’est pas de nature à renverser les constations qui précèdent, étant donné qu’en vertu des clauses discrétionnaires prévues par l’article 17 du règlement Dublin III, chaque Etat membre peut décider d’examiner la demande de protection internationale lui présentée même si cet examen ne lui incombe pas, ce choix relevant de son appréciation discrétionnaire.

Par ailleurs, et en tout état de cause, le tribunal souligne que l’Allemagne respecte en tant que membre de l’Union européenne et signataire de ces conventions les droits et libertés prévus par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ainsi que le respect du principe de non-refoulement prévu par la Convention de Genève du 28 juillet 1951 et la Convention de New York du 20 novembre 1989 relative aux droits de l’enfant. L’Allemagne dispose encore d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés. Le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève et le protocole de 1967, ainsi que dans la Convention européenne des droits de l’Homme, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard8.

Comme la partie demanderesse, en l’état actuel du dossier, n’a pas rapporté la preuve de la minorité de Monsieur … ni fait état d’éléments concluants et convaincants laissant conclure à une telle minorité d’âge, le tribunal est amené à retenir que l’article 8 du règlement Dublin III ne s’applique pas en l’espèce, de sorte que c’est à bon droit que le ministre a estimé ne pas être compétent de sa demande de protection internationale et a décidé de le transférer vers l’Allemagne comme étant l’Etat membre responsable pour connaître de sa demande de protection internationale.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent, et à défaut d’autres moyens, que le recours est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

quant au fond, le déclare non fondé, partant en déboute ;

condamne la partie demanderesse aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 26 octobre 2016 par :

Thessy Kuborn, vice-président, 7 La Hongrie a refusé de reprendre en charge un demandeur de protection internationale y enregistré comme majeur au motif qu’il serait enregistré comme mineur non accompagné au Luxembourg.

8 CJUE, 21 décembre 2011, C-411/10, N. S. e.a, point 78.

Paul Nourissier, premier juge, Géraldine Anelli, attaché de justice, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 26 octobre 2016 Le greffier du tribunal administratif 9


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 38464
Date de la décision : 26/10/2016

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2016-10-26;38464 ?

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