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17/10/2016 | LUXEMBOURG | N°38451,38452,38453

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 17 octobre 2016, 38451,38452,38453


Tribunal administratif N° 38451, 38452 et 38453 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Tous inscrits le 8 septembre 2016 1re chambre Audience publique du 17 octobre 2016 Recours formés par les consorts …, … contre des décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (3), L. 18.12.2015)

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JUGEMENT

1.

Vu la requête inscrite sous le numéro 38451 du rôle et déposée le 8 septembre 2016 au greffe du tribunal administratif par

Maître Michel Karp, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg...

Tribunal administratif N° 38451, 38452 et 38453 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Tous inscrits le 8 septembre 2016 1re chambre Audience publique du 17 octobre 2016 Recours formés par les consorts …, … contre des décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (3), L. 18.12.2015)

___________________________________________________________________________

JUGEMENT

1.

Vu la requête inscrite sous le numéro 38451 du rôle et déposée le 8 septembre 2016 au greffe du tribunal administratif par Maître Michel Karp, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Syrie), de nationalité syrienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à l’annulation, sinon à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 26 août 2016 par laquelle les autorités luxembourgeoises ont pris la décision de le transférer vers la République d’Italie, Etat membre compétent pour connaître de sa demande de protection internationale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 16 septembre 2016 ;

2.

Vu la requête inscrite sous le numéro 38452 du rôle et déposée le 8 septembre 2016 au greffe du tribunal administratif par Maître Michel Karp au nom de Madame …, née le …, de nationalité syrienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à l’annulation, sinon à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 26 août 2016 par laquelle les autorités luxembourgeoises ont pris la décision de la transférer vers la République d’Italie, Etat membre compétent pour connaître de sa demande de protection internationale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 16 septembre 2016 ;

3.

Vu la requête inscrite sous le numéro 38453 du rôle et déposée le 8 septembre 2016 au greffe du tribunal administratif par Maître Michel Karp, au nom de Madame …, préqualifiée, et de Monsieur …, préqualifié, agissant en leurs qualités de représentants légaux de leurs enfants mineurs …, né le … (Syrie) et …, né le …, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à l’annulation, sinon à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 26 août 2016 par laquelle les autorités luxembourgeoises ont pris la décision de les transférer vers la République d’Italie, Etat membre compétent pour connaître de leurs demandes de protection internationale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 16 septembre 2016 ;

1. + 2. + 3.

1Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport commun, ainsi que Maître Catia Dos Santos, en remplacement de Maître Michel Karp, pour les demandeurs, et Madame le délégué du gouvernement Christiane Martin en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 10 octobre 2016.

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Le 15 avril 2016, Monsieur … et son épouse, Madame …, accompagnés de leurs enfants mineurs … et …, ci-après désignés par « les consorts … », introduisirent une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le 26 mai 2016, Monsieur … et Madame … passèrent séparément un entretien auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de leurs demandes de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après « le règlement Dublin III ».

Les autorités luxembourgeoises contactèrent les autorités italiennes en date du 31 mai 2016 en vue de la reprise en charge des consorts ….

Par décisions du 26 août 2016, notifiées aux intéressés par courrier recommandé expédié le 29 août 2016, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », sur base de la considération que les consorts … avaient été titulaires d’un visa italien valable du 21 mars jusqu’au 16 avril 2016 et que le 23 août 2016, les autorités italiennes avaient tacitement accepté de prendre, respectivement de reprendre en charge l’examen de leurs demandes de protection internationale, informa ceux-ci de sa décision de les transférer dans les meilleurs délais vers l’Italie sur base de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et des dispositions de l’article 22, paragraphe (7) du règlement Dublin III.

Le 30 août 2016, les autorités italiennes acceptèrent explicitement de reprendre en charge l’examen des demandes de protection internationale des intéressés.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 8 septembre 2016, inscrite sous le numéro 38451 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours en annulation, sinon en réformation contre la décision ministérielle précitée du 26 août 2016. Par requête séparée déposée en date du 14 septembre 2016, inscrite sous le numéro 38469 du rôle, il a encore introduit une demande en institution d’une mesure provisoire tendant à voir surseoir à l’exécution de son transfert vers l’Italie et à se voir autoriser à séjourner provisoirement au Luxembourg jusqu’au jour où le tribunal administratif aura statué sur le mérite de son recours au fond, demande dont il a été débouté par ordonnance du 20 septembre 2016.

Par requête inscrite sous le numéro 38452 du rôle et déposée le 8 septembre 2016, Madame …, de son côté, a également fait introduire un recours en annulation, sinon en réformation contre la décision ministérielle précitée du 26 août 2016. Par requête séparée 2déposée en date du 14 septembre 2016, inscrite sous le numéro 38468 du rôle, elle a encore introduit une demande en institution d’une mesure provisoire tendant à voir surseoir à l’exécution de son transfert vers l’Italie et à se voir autoriser à séjourner provisoirement au Luxembourg jusqu’au jour où le tribunal administratif aura statué sur le mérite de son recours au fond, demande dont elle a été déboutée par ordonnance du 20 septembre 2016.

Enfin, par une troisième requête, inscrite sous le numéro 38453 du rôle et déposée le 8 septembre 2016, Monsieur … et Madame … ont encore fait introduire en leurs qualités de parents de leurs enfants mineurs …un recours en annulation, sinon en réformation contre la décision ministérielle précitée du 26 août 2016. Par requête séparée déposée en date du 14 septembre 2016, inscrite sous le numéro 38470 du rôle, ils ont également introduit une demande en institution d’une mesure provisoire tendant à voir surseoir à l’exécution de leur transfert vers l’Italie et à se voir autoriser à séjourner provisoirement au Luxembourg jusqu’au jour où le tribunal administratif aura statué sur le mérite de leur recours au fond, demande dont ils ont été déboutés par ordonnance du 20 septembre 2016.

Il convient dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice de joindre les trois recours sous analyse pour les toiser par un seul et même jugement.

Aucune disposition légale ne prévoit de recours au fond en la matière, de sorte que seul un recours en annulation a pu être introduit contre les décisions ministérielles du 26 août 2016. Les recours en annulation introduits à titre principal sont, par ailleurs, recevables pour avoir été introduits dans les formes et délai de la loi. Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur les recours subsidiaire en réformation.

A l’appui de leurs recours, libellés de manière similaire, et en fait, les consorts …, expliquent que leur pays d’origine, la Syrie, se trouverait indéniablement en guerre, de sorte qu’il serait impossible d’y assurer leur sécurité et que leurs demandes de protection internationale seraient de ce fait fondées. Ce serait d’ailleurs pour être en sécurité, mais également en raison des activités professionnelles de Monsieur … qu’ils se seraient installés aux Emirats Arabes où ils auraient finalement obtenu un visa Schengen pour l’Italie, valable du 21 mars jusqu’au 16 avril 2016.

En droit et quant à la compétence reconnue à l’Italie, les consorts … considèrent que la procédure d’application du règlement Dublin III aurait été violée, et plus particulièrement les dispositions de l’article 28 paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, alors que le ministre aurait dû immédiatement surseoir à statuer du fait qu’ils n’auraient jamais caché être rentrés dans l’espace européen par le biais d’un visa italien et que le ministre aurait été informé dès le 15 avril 2016 que le traitement de leur dossier relèverait de la compétence d’un autre pays.

Enfin, les consorts … invoquent la clause discrétionnaire inscrite à l’article 17 paragraphe (1) du règlement Dublin III pour soutenir que comme l’Italie, à l’instar d’autres Etats membres, telle que la Grèce, aurait déjà été condamnée par la Cour européenne des droits de l’Homme pour non-respect du principe de non-refoulement et violation du droit d’asile et que ce pays serait de surcroît surchargé par les arrivées importantes de réfugiés, ce qui serait contraire à l’intérêt de jeunes enfants, le Luxembourg aurait dû se déclarer compétent pour connaître de leurs demandes de protection internationale.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet des recours au motif qu’aucune des conditions légales ne serait remplie en cause.

3 Aux termes de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 : « Si, en application du règlement (UE) n°604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».

En ce qui concerne tout d’abord la violation alléguée de l’article 28 paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, en ce que le ministre n’aurait pas sursis à statuer, force est de constater que le ministre a sursis à statuer au fond sur les demandes de protection internationale des consorts …, de sorte que le moyen afférent est à rejeter. Pour autant que de besoin, il y a lieu de relever que les entretiens Dublin III, qui ont, en l’espèce, eu lieu le 26 mai 2016 et qui visaient exclusivement à déterminer l’Etat responsable des demandes de protection internationale, ne sont pas à considérer comme une instruction du fond de la demande de protection internationale, de sorte qu’il ne peut pas en être déduit que le ministre n’aurait pas sursis à statuer sur les demandes respectives de protection internationale introduites par les demandeurs.

Ensuite, il résulte de l’article 28, paragraphe (1), précité, de la loi du 18 décembre 2015 que si, en vertu du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la reprise en charge, le ministre décide, d’un côté, de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable et, de l’autre côté, de ne pas examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.

Le tribunal constate qu’en l’espèce, les décisions ministérielles déférées sont motivées, d’une part, par le fait que les demandeurs avaient été titulaires d’un visa italien valable du 21 mars jusqu’au 16 avril 2016 et, d’autre part, par le fait qu’à la date du 23 août 2016, les autorités italiennes avaient implicitement accepté de les reprendre en charge, de sorte que c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé de les transférer vers l’Italie et de ne pas examiner leurs demandes de protection internationale, étant à cet égard relevé qu’aux termes de l’article 12, paragraphe (4) du règlement Dublin III, lorsque le demandeur de protection internationale est titulaire d’un visa périmé depuis moins de 6 mois lui ayant effectivement permis d’entrer sur le territoire d’un Etat membre, c’est l’Etat membre qui a délivré ledit visa qui est responsable de l’examen de sa demande de protection internationale aussi longtemps qu’il n’a pas quitté le territoire des Etats membres. Or, en l’espèce, il ressort tant des résultats des recherches effectuées par le service de police judiciaire dans le système EURODAC que des déclarations des demandeurs eux-mêmes dans le cadre de leurs auditions respectives qu’ils sont entrés dans l’espace Schengen sur base d’un visa délivré par l’ambassade de la République d’Italie à Riad aux Emirats Arabes, valable du 21 mars jusqu’au 16 avril 2016. A cela s’ajoute que, suivant l’article 22, paragraphe (1) du règlement Dublin III, les autorités italiennes disposaient d’un délai de 2 mois à partir de la réception de la demande de reprise en charge introduite par les autorités luxembourgeoises en date du 31 mai 2016 pour procéder aux vérifications nécessaires et statuer sur ladite demande, le paragraphe (7) dudit article stipulant que « L’absence de réponse à l’expiration du délai de deux mois mentionné au paragraphe 1 et du délai d’un mois prévu au paragraphe 6 équivaut à l’acceptation de la requête et entraîne l’obligation de prendre en charge la personne concernée, y compris l’obligation d’assurer une bonne organisation de son arrivée », de sorte 4que le ministre a valablement pu considérer au moment de la prise de la décision litigieuse que la reprise en charge des demandeurs avait été implicitement acceptée par les autorités italiennes, prise en charge qui a, tel que relevé ci-dessus, également été explicitement confirmée par courrier du 30 août 2016.

Force est ensuite de relever que les demandeurs, en l’espèce, ne contestent pas la compétence de principe de l’Etat italien, respectivement l’incompétence de principe de l’Etat luxembourgeois, mais ils affirment que l’Italie connaîtrait des dysfonctionnements systémiques au niveau de la procédure d’asile et ne respecterait pas les droits fondamentaux des demandeurs de protection internationale, de sorte à invoquer l’application par l’Etat luxembourgeois de la clause discrétionnaire prévue à l’article 17 du règlement Dublin III.

Le tribunal relève à cet égard que le recours à la clause discrétionnaire, telle qu’inscrite à cet article, aux termes duquel, « […] chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. L’Etat membre qui décide d’examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l’Etat membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. […] », est soumis à une limitation.

En effet, s’il est vrai que lorsqu’en application des critères du règlement Dublin III, l’Etat luxembourgeois n’est pas responsable de l’examen de la demande de protection internationale, il peut malgré tout décider d’examiner une demande de protection internationale en vertu de la clause de souveraineté prévue à l’article 17 du règlement Dublin III, cette possibilité relève cependant du pouvoir discrétionnaire du ministre, s’agissant d’une disposition facultative qui accorde un pouvoir d’appréciation étendu aux Etats membres1. Si un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend certes pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge2, et qu’il appartient au juge administratif de vérifier si les motifs invoqués ou résultant du dossier sont de nature à justifier la décision attaquée3, de sorte que lorsque l’autorité s’est méprise, à partir de données fausses en droit ou en fait, sur ses possibilités de choix et sur les limites de son pouvoir d’appréciation, il y a lieu d’annuler la décision en question, encore faut-il que pareille erreur dans le chef de l’autorité administrative résulte effectivement des éléments soumis au tribunal.

Plus précisément, en ce qui concerne la situation où, comme en l’espèce, un Etat membre a accepté la reprise en charge d’un demandeur d’asile, le demandeur ne peut mettre en cause cette décision qu’en invoquant l’existence de défaillances systémiques de la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs d’asile dans cet Etat membre qui constituent des motifs sérieux et avérés de croire que ledit demandeur courra un risque réel 1 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 65.

2 « Les limites du pouvoir discrétionnaire des autorités administratives », in Rapports belges du VIIe Congrès international de Droit comparé, CIDC, 1966, p.449.

3 CdE, 11 mars 1970, Pas. 21, p.339.

5d’être soumis à des traitements inhumains ou dégradants au sens de l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne4.

Il y a à cet égard lieu de constater qu’en l’état actuel d’instruction du dossier, les demandeurs restent en défaut de rapporter la preuve d’un tel état de fait. En effet, il ne saurait être conclu de l’invocation, sans autre précision, par les demandeurs de condamnations passées de l’Italie par la Cour européenne des droits de l’Homme pour non-respect du principe de non-refoulement et violation du droit d’asile, que ce pays connaît actuellement des défaillances systémiques dans le cadre de ses procédures d’asile et de ses conditions d’accueil. Le même constat s’impose en ce qui concerne l’invocation par les demandeurs, sans autre commentaire ni analyse, d’un arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’Homme en date du 4 novembre 2014. En effet, si dans cet arrêt la Cour a retenu dans un premier temps que la structure et la situation générale du dispositif d’accueil en Italie entraînerait un risque pour un nombre significatif de demandeurs d’asile d’être privés d’hébergement ou hébergés dans des structures surpeuplées impliquant promiscuité, insalubrité et violence, elle n’en a toutefois pas conclu que le système italien présenterait, à ses yeux, des défaillances systémiques. A cela s’ajoute que si, dans un deuxième temps, elle a été amenée à juger que dans certains cas particuliers, un transfert devait être accompagné de garanties individuelles et pouvait, en l’absence de telles garanties, être suspendu alors même que le système d’asile du pays de renvoi ne présente pas de défaillances systémiques, elle est arrivée à cette conclusion en se basant sur la situation particulière des demandeurs d’asile concernés, ainsi que sur la situation générale du dispositif d’accueil italien au moment où elle a été amenée à statuer. Or, force est de constater que les demandeurs restent en tout état de cause en défaut d’expliquer dans quelle mesure cette jurisprudence serait transposable à leur cas particulier et aux conditions d’accueil telles qu’ayant existé en Italie au moment de la prise de la décision litigieuse.

En ce qui concerne ensuite le document intitulé « Immigration : l’Italie menace l’Europe », celui-ci, outre d’avoir été mis à jour pour la dernière fois en juin 2015, ne permet pas non plus de dégager de quelconques défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandes de protection internationale en Italie. Le même constat s’impose également en ce qui concerne les coupures de presse intitulées « Migrants. La situation dramatique en Italie préoccupe les Autrichiens », « Migrants :13 000 personnes secourues en une semaine : l’Italie en situation de crise » et « Italien verschärft Asylpraxis ».

Pour ce qui est de l’article intitulé « Italie, les migrants sont à la rue », il dresse avant tout un bilan négatif des conditions d’accueil matérielles des réfugiés originaires de la Corne d’Afrique à Rome, tandis qu’il ressort du dossier administratif que les demandeurs seront transférés à Milan. Pour ce qui est des liens internet auxquels les demandeurs renvoient, sans autre explication, dans leur recours, force est de constater que celui intitulé « Italie-plus de 90 des migrants victimes de traitements cruels inhumains ou dégradants » ne dénonce aucune défaillance systémique dans le cadre de l’accueil et du traitement des demandeurs d’asile en Italie mais évoque un rapport de l’organisation des médecins pour les droits de l’Homme dans lequel celle-ci a constaté les traumatismes subis par les migrants avant et pendant leur voyage pour rejoindre l’Europe, de sorte à faire appel aux autorités italiennes d’avoir égard aux traumatismes subis et d’organiser les structures d’accueil de manière à pouvoir traiter au mieux les syndromes traumatiques des migrants. L’autre lien internet qui renvoie au rapport annuel d’Amnesty International pour 2015 et 2016 ne fait pas non plus état de défaillances 4 CJUE, grande chambre, 10 décembre 2013, Shamso Abdullahi c. Bundesasylamt, C-394/12, point 62.

6systémiques ayant été constatées sur cette période en Italie. A cela s’ajoute qu’aucune des coupures de presse versées au tribunal, ni aucun des liens internet indiqués dans le recours sous analyse, n’a été discutée, ni analysée dans le cadre du recours. Or, tel que l’a relevé le juge du provisoire, il n’appartient certainement pas au tribunal d’analyser de son propre chef des documents ou articles, pour y déceler d’éventuels éléments susceptibles de plaider en faveur de la thèse des demandeurs. En effet, il convient de manière générale de relever que conformément à la jurisprudence, le renvoi, sans autre précision, à des documents, sans indication des passages pertinents, sans adaptation du contenu de ces documents à la situation particulière des demandeurs et sans aucune discussion de leur contenu, n’est pas à prendre en considération par le tribunal, étant donné qu’il n’appartient pas au tribunal de suppléer à la carence de la partie demanderesse et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de ses conclusions, en procédant indépendamment des moyens effectivement soutenus par la partie demanderesse à un réexamen général et global de la situation de la partie demanderesse. Ainsi, le fait de faire siennes toutes les remarques formulées dans des avis simplement énumérés, sans adaptation de contenu, ni précision de l’assiette des objections ainsi énoncées, entraîne que ces avis sont à écarter pour ne pas permettre aux autres parties d’assurer valablement leur défense, ni au tribunal de cerner in concreto et sans ambiguïté le contenu exact des moyens effectivement soulevés5.

Il y a finalement lieu de relever que, comme le système européen commun d’asile repose sur la présomption - réfragable - que l’ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par le règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après désigné par « la Convention de Genève », et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard, il appartient aux demandeurs de rapporter la preuve matérielle de défaillances avérées. S’y ajoute que l’Italie est tenue au respect, en tant que membre de l’Union européenne et signataire de ces conventions, des droits et libertés prévus par la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (CEDH), le Pacte international des droits civils et politiques ou par la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ainsi que du principe de non-refoulement prévu par la Convention de Genève et dispose d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés. A cet égard, il convient de souligner que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant, qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard. C’est précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping » l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants.

5 Trib. adm. 11 février 2015, n° 35704 du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu.

7Au vu des considérations qui précèdent, et en l’absence d’autres moyens, les recours en annulation sont à rejeter pour n’être fondés en aucun de ses moyens.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit les recours principal en annulation en la forme ;

au fond les dit non justifiés, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur les recours subsidiaire en réformation ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par :

Annick Braun, vice-président, Paul Nourissier, premier juge, Alexandra Castegnaro, premier juge, et lu à l’audience publique du 17 octobre 2016 par le vice-président, en présence du greffier en chef Arny Schmit.

s. Arny Schmit s. Annick Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 17.10.2016 Le greffier du tribunal administratif 8


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 38451,38452,38453
Date de la décision : 17/10/2016

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2016-10-17;38451.38452.38453 ?

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