Tribunal administratif Numéro 38546 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 4 octobre 2016 1re chambre Audience publique du 12 octobre 2016 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 120, L.29.08.2008)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 38546 du rôle et déposée le 4 octobre 2016 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à …(Serbie), de nationalité serbe, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant, aux termes de son dispositif, principalement à la réformation, sinon subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 22 septembre 2016 ayant ordonné son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision en question ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 6 octobre 2016 ;
Vu le mémoire en réplique de Maître Ardavan Fatholahzadeh, déposé au greffe du tribunal administratif le 7 octobre 2016 pour le compte du demandeur, préqualifié ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Ardavan Fatholahzadeh et Madame le délégué du gouvernement Christiane Martin en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 10 octobre 2016.
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Le 17 octobre 2011, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection dont il fut débouté par une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 13 mars 2012, confirmée définitivement par un arrêt de la Cour administrative du 2 juillet 2013, inscrit sous le numéro 32104C du rôle.
Par décision du 26 septembre 2013, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration octroya au demandeur un sursis à l’éloignement qui fut prorogé à deux reprises jusqu’au 24 mai 2014.
Par courrier du 31 octobre 2014, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », convoqua le demandeur pour le 6 novembre 2014 dans les locaux du ministère des Affaires étrangères et européennes en vue de l’organisation de son retour en Serbie, convocation à laquelle il ne donna pas suite.
Par arrêté du 2 décembre 2014, le ministre prononça à l’encontre du demandeur une interdiction d’entrée sur le territoire luxembourgeois pour une durée de trois ans. La mesure de placement au Centre de rétention décidée par arrêté ministériel du même jour ne put être exécutée du fait que le demandeur avait entretemps quitté son foyer d’hébergement sans laisser d’adresse.
Par courrier du 9 janvier 2015 de son mandataire, le demandeur sollicita un nouveau sursis à l’éloignement, demande dont il fut définitivement débouté par un jugement du tribunal administratif du 16 novembre 2015, inscrit sous le numéro 35545 du rôle.
Par courrier ministériel du 1er avril 2015, le demandeur fut convoqué pour le 8 avril 2015 dans les locaux du ministère afin d’organiser son retour en Serbie. A cette occasion, il marqua son accord pour retourner volontairement dans son pays d’origine le 16 avril 2015, mais ne se présenta finalement pas à la date convenue et disparut par la suite. Par décision du 8 avril 2015, le ministre prononça à l’encontre du demandeur une nouvelle interdiction d’entrée sur le territoire pour une durée de trois ans.
Le 30 avril 2015, le ministre demanda à la police grand-ducale de procéder au signalement national de Monsieur … afin de découvrir son lieu de résidence.
Le 28 juillet 2015, les autorités françaises sollicitèrent de la part des autorités luxembourgeoises la reprise du demandeur sur base des dispositions du règlement n°604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, demande que les autorités luxembourgeoises accueillirent favorablement par courrier du 30 juillet 2015. En date du 28 septembre 2015, les autorités françaises reportèrent le délai de transfert du demandeur à 18 mois, alors que celui-ci avait pris la fuite.
Le 22 septembre 2016, Monsieur … fut finalement interpellé par des agents de l’administration des Douanes et Accises et il fut remis le jour même aux autorités policières du centre d’intervention Luxembourg-Gare. Le même jour, le ministre prononça à l’encontre du demandeur une nouvelle interdiction d’entrée sur le territoire pour une durée de trois ans.
Par arrêté séparé du 22 septembre 2016, notifié à l’intéressé le même jour, le ministre ordonna le placement de Monsieur … au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification. Ledit arrêté est basé sur les considérations et motifs suivants :
« […] Vu les articles 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;
Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;
Vu le rapport no 54128 du 22 septembre 2016 établi par la Police grand-ducale ;
Vu ma décision de retour du 13 mars 2012, lui notifiée le 23 mars 2012 ;
Vu mon interdiction d’entrée sur le territoire du 22 septembre 2016 ;
Attendu que l’intéressé a été signalisé le 30 avril 2015 comme ayant disparu alors qu’il s’était engagé à un retour volontaire prévu en date du 16 avril 2015 ;
Attendu que l’intéressé évite la procédure d’éloignement ;
Attendu qu’il existe un risque de fuite dans le chef de l’intéressé, alors qu’il ne dispose pas d’une adresse au Grand-Duché de Luxembourg ;
Attendu par conséquent que les mesures moins coercitives telles qu’elles sont prévues par l’article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;
Considérant que les démarches nécessaires en vue de l’éloignement de l’intéressé seront engagées dans les plus brefs délais ;
Considérant que l’exécution de la mesure d’éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches […] ».
Par requête déposée le 4 octobre 2016 au greffe du tribunal administratif, Monsieur … a fait introduire, aux termes de son dispositif, un recours tendant principalement à la réformation, sinon subsidiairement à l’annulation de la décision de placement au Centre de rétention précitée du 22 septembre 2016.
Etant donné que l’article 123, paragraphe (1), de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Partant, il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
A l’appui de son recours et en droit, le demandeur fait en premier lieu valoir qu’en l’espèce, les conditions pour prononcer une mesure de placement à son encontre ne seraient pas remplies. Il estime à cet égard plus particulièrement que l’autorité ministérielle pourrait procéder à son refoulement sur base de la loi du 10 janvier 2013 portant approbation de l’accord entre le Gouvernement du Grand-Duché de Luxembourg et le Gouvernement fédéral de la République Fédérale de Yougoslavie relatif à la reprise et la réadmission de personnes qui ne remplissent pas ou ne remplissent plus les conditions d’entrée ou de séjour sur le territoire de l’autre Etat membre signé à Belgrade le 19 juillet 2002. A cela s’ajouterait que le ministre pourrait procéder à son refoulement sur base de l’accord de réadmission communautaire signé avec la Serbie le 18 septembre 2007, ratifié le 1er janvier 2008, qui définirait des obligations claires à respecter par les parties contractantes.
Il soutient ensuite que dans la mesure où l’original de son passeport aurait été remis à l’autorité ministérielle au moment du dépôt de sa demande de protection internationale, il ne serait aucunement impossible de le refouler vers son pays d’origine, ce d’autant plus qu’il aurait lui-même manifesté sa volonté d’y retourner volontairement.
Le demandeur en conclut que comme l’autorité ministérielle aurait disposé d’un délai raisonnable pour organiser son refoulement sur base de la loi précitée du 10 janvier 2003 ainsi que sur base de l’accord de réadmission communautaire signé le 18 septembre 2007 avec la Serbie, aucune circonstance de fait n’empêcherait son éloignement.
En second lieu, le demandeur soulève des contestations en relation avec le port de menottes dont il aurait fait l’objet avant son transfert vers le Centre de rétention. Il déclare en effet avoir été menotté pendant plus de quatre heures sur une chaise avant d’être transféré au Centre de rétention et ce sans qu’il n’ait été tenu compte de la perte de sa main droite et de son état de santé mental, tel qu’il serait attesté par le biais d’un certificat émis en date du 8 mai 2014 par le docteur …, psychiatre. En tout état de cause, le fait de porter des menottes et partant de subir le même régime que les délinquants de droit commun constituerait une véritable sanction pénale, voire une sanction pénale accessoire, à l’instar du port de bracelets électroniques. Or, aucune personne ne pourrait être soumise au port de menottes sans base légale, le demandeur soulignant à cet égard qu’aucune disposition légale ne permettrait l’utilisation de menottes pour l’exécution d’un arrêté de placement. Il soutient plus particulièrement qu’aucun retenu administratif ne pourrait être forcé de porter des menottes sans l’intervention d’un juge, garant de la liberté individuelle telle que prévue à l’article 12 de la Constitution. Comme le port de menottes aurait été effectué de manière forcée et sans base légale, il serait intervenu en violation de l’article 7 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH). A défaut de base légale, le port de menottes ne pourrait pas non plus être qualifié de modalité d’exécution de la mesure de placement. Dans cette même optique, il sollicite « l’examen de ce moyen sur base des articles 6 et 13 » de la CEDH, ces articles prévoyant l’accès du justiciable à un recours et examen effectif par un tribunal indépendant quant à la violation d’un de ses droits soulevés dans le cadre d’un recours introduit devant le tribunal administratif, tout en faisant valoir qu’aucune autre juridiction ne serait compétente pour statuer sur la légalité de la mise de menottes à un étranger faisant l’objet d’une mesure de placement.
Dans le dispositif de son recours, le demandeur sollicite finalement que la partie étatique se voit ordonner la communication de la copie intégrale du dossier administratif.
Dans son mémoire en réplique, le demandeur réitère ses critiques par rapport au port de menottes qui lui aurait été imposé tout en insistant sur le fait que la mise de menottes aurait créé dans son chef un sentiment d’infériorité et d’angoisse, respectivement une profonde atteinte à sa dignité, le demandeur mettant en avant qu’il serait anormal voire dégradant pour un retenu de subir le même régime que celui appliqué aux délinquants de droit commun et que de ce fait le port de menottes devrait s’analyser en une situation humiliante et dégradante contraire aux articles 3 et 7 de la CEDH. Quant à la violation alléguée de l’article 12 de la Constitution, il insiste sur le fait qu’il aurait été arrêté et menotté par la police au moment de l’exécution de la décision de placement litigieuse avant que cette arrestation ne soit ordonnée « en vertu de l’ordonnance motivée du juge ».
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours pour n’être fondé en aucun de ses moyens en mettant plus particulièrement en doute l’affirmation du demandeur selon laquelle il aurait été menotté.
Il appartient tout d’abord au tribunal de vérifier la légalité externe de l’acte lui déféré, avant de se livrer, par le biais de l’examen de la légalité et du bien-fondé des motifs, au contrôle de la légalité interne.
En ce qui concerne la question de la légalité externe de la décision déférée, critiquée par le demandeur au motif que le dossier administratif ne lui aurait pas été communiqué en temps utile par la partie étatique, malgré une demande afférente de son litismandataire en date du 29 septembre 2016, il ressort en effet du dossier administratif que par télécopie du 3 octobre 2016, l’autorité ministérielle a informé celui-ci qu’une copie du dossier administratif avait été envoyée au précédent mandataire du demandeur en date du 30 septembre 2016, tout en invitant l’actuel litismandataire du demandeur à se procurer ledit dossier auprès de son prédécesseur.
Le tribunal se doit cependant de relever à cet égard que les dispositions de l’article 11 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, encore qu’elles n’aient pas été expressément invoquées par le demandeur, imposent à l’administration une obligation de communication à première demande du dossier administratif, sans que celle-ci ne puisse exciper d’une quelconque excuse pour refuser ladite communication, lorsqu’elle a été demandée en temps utile.
La communication du dossier administratif n’est toutefois pas une condition de légalité d’une décision administrative qui a été prise préalablement à une demande de communication du dossier administratif, étant relevé que la communication du dossier suite à une telle demande n’a aucune incidence sur la décision d’ores et déjà prise. Le respect de cette obligation de transparence n’est pas une fin en soi, mais l’administré ne saurait utilement en invoquer une violation que si un défaut de communication du dossier a pour effet de porter une atteinte aux droits de la défense.1 Ainsi, la sanction appropriée de la non-communication du dossier administratif durant la phase de la procédure administrative consiste en la suspension du délai de recours et non en l’annulation de la décision.
En l’espèce, le demandeur invoque non seulement pas la moindre lésion de ses droits en relation avec la réponse lui opposée par la partie étatique à sa demande de communication du dossier administratif, mais il reste également en défaut de préciser concrètement quel élément du dossier administratif lui aurait fait défaut pour pouvoir utilement préparer et déposer un recours contre la décision déférée, le demandeur n’ayant plus particulièrement pas pris position par le biais de son mémoire en réplique par rapport à un élément de fait ou de droit nouveau qui aurait été porté à sa connaissance par le dépôt du dossier administratif dans le cadre de la procédure contentieuse.
Le tribunal ne constate dès lors pas de violation des formes destinées à protéger les intérêts privés du demandeur, ou encore de ses droits de la défense ou de son droit à un procès équitable, de sorte que le moyen afférent est à rejeter, le même sort étant à réserver à la demande tendant à voir ordonner la communication du dossier administratif, ledit dossier ayant en effet, tel que relevé ci-dessus, été porté à la connaissance du demandeur au plus tard 1 Voir en ce sens Trib. adm. 9 juillet 2009, n° 25142 du rôle, Pas. adm. 2016, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 118 et les références y citées.
au moment du dépôt du mémoire en réponse et ce conformément à l’article 8, paragraphe (5) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.
Quant au fond, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 120, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008, tel que modifié par la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après « la loi du 18 décembre 2015 », : « Afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement en application des articles 111, 116 à 118 […], l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées. Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. […] ».
En vertu de l’article 120, paragraphe (3), de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien. Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire. ».
L’article 120, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, lorsque, comme en l’espèce, l’intéressé dispose de documents d’identité, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite plus particulièrement l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.
En vertu de l’article 120, paragraphe (3), de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.
En ce qui concerne la légalité interne de la décision attaquée, le tribunal relève à titre liminaire que par l’effet de la décision ministérielle, précitée, du 13 mars 2012 déclarant le séjour de Monsieur … sur le territoire luxembourgeois illégal et portant dans son chef ordre de quitter le territoire, ainsi que par celles des 2 décembre 2014, 8 avril 2015 et 22 septembre 2016 lui interdisant à chaque fois l’entrée sur ledit territoire pour une durée de trois ans, le ministre était autorisé à prendre des mesures coercitives pour procéder à l’éloignement du demandeur. Il y a encore lieu de relever que la présomption de l’existence d’un risque de fuite dans le chef de Monsieur …, telle que découlant de l’article 111, paragraphe (3) c) de la loi du 29 août 2008, n’a pas été contestée par celui-ci.
S’agissant ensuite de la question de savoir si l’éloignement est en cours, il convient de prime abord de relever que, contrairement à ce qui est soutenu par le demandeur, l’article 120 de la loi du 29 août 2008, en sa version issue de la loi du 18 décembre 2015, et avant cela de celle du 1er juillet 2011 modifiant la loi du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration et la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ne renvoie plus à la condition que l’exécution de la mesure d’éloignement est impossible en raison de circonstances de fait, mais cette disposition pose comme condition que la préparation de l’exécution de la mesure d’éloignement soit en cours et soit entreprise avec toute la diligence requise. Il s’ensuit que l’argumentation du demandeur fondée sur un défaut de preuve d’une impossibilité d’exécuter l’éloignement en raison de circonstances de fait au regard de la circonstance qu’il aurait disposé de l’original de son passeport et au regard plus particulièrement de l’existence d’un accord entre le Gouvernement luxembourgeois et le Gouvernement fédéral de Yougoslavie, respectivement la Serbie, relatif à la réadmission des personnes en séjour irrégulier sont à rejeter, le constat que l’exécution de l’éloignement est en cours étant suffisant.
Force est ensuite de constater, contrairement à ce que semble suggérer le demandeur, qu’en l’espèce, l’exécution de l’éloignement est en cours, étant donné qu’il ressort du dossier administratif que dès le 26 septembre 2016, le ministre a pris des mesures pour organiser le retour du demandeur vers la Serbie, en chargeant plus particulièrement une agence de voyage de l’émission de billets d’avion à destination de Belgrade. Il résulte également du dossier administratif qu’un vol a été réservé pour le 25 octobre 2016 pour le demandeur ainsi que pour une escorte policière composée de deux personnes.
Pour être tout à fait complet, le tribunal relève, en ce qui concerne les démarches à entreprendre, que si la circonstance que le demandeur dispose d’un passeport et celle qu’il existe une convention relative à la réadmission de personnes en séjour irrégulier telle que précitée, facilitent certes les démarches afin d’organiser le retour du demandeur, de sorte que les diligences entreprises doivent être appréciées avec autant de sévérité, elles ne dispensent pas pour autant le ministre de prendre des mesures matérielles afin d’organiser l’éloignement, en l’occurrence il doit notamment organiser un titre de transport et une escorte policière.
Au regard de la courte durée du placement en rétention depuis le 22 septembre 2016 jusqu’au jour du prononcé du présent jugement et compte tenu des démarches concrètement entreprises en vue d’éloigner le demandeur, il y a lieu de conclure que le ministre a respecté les obligations lui incombant en vertu de l’article 120 de la loi du 29 août 2008 quant à la diligence avec laquelle l’éloignement doit être organisé.
En ce qui concerne ensuite les contestations soulevées par le demandeur en relation avec le port de menottes qui lui aurait été imposé en vue de son transfert au Centre de rétention, et plus particulièrement la violation alléguée de l’article 12 de la Constitution, respectivement des articles 3 et 7 de la CEDH, le tribunal relève tout d’abord qu’aux termes de l’article 12 de la Constitution : « La liberté individuelle est garantie. - Nul ne peut être poursuivi que dans les cas prévus par la loi et dans la forme qu’elle prescrit. - Nul ne peut être arrêté ou placé que dans les cas prévus par la loi et dans la forme qu’elle prescrit. -
Hors le cas de flagrant délit, nul ne peut être arrêté qu’en vertu de l’ordonnance motivée du juge, qui doit être signifiée au moment de l’arrestation, ou au plus tard dans les vingt-quatre heures. - Toute personne doit être informée sans délai des moyens de recours légaux dont elle dispose pour recouvrer sa liberté ».
Il résulte de cette disposition que seule l’arrestation d’une personne est subordonnée à la condition d’une ordonnance motivée du juge, une telle condition n’étant pas requise en cas de placement d’une personne en rétention.
En l’espèce, indépendamment de la considération que le choix des policiers de menotter une personne pendant un certain laps de temps en vue de son transfert au Centre de rétention n’est pas de nature à énerver la légalité de la décision de placement en question puisqu’une telle mesure ne fait pas l’objet de la décision de placement, mais peut tout au plus être considérée comme une mesure d’exécution de celle-ci, force est de constater que le demandeur a fait l’objet d’une décision de placement en rétention et non pas d’une arrestation. Il s’ensuit qu’aucune ordonnance motivée du juge n’était requise pour le placer en rétention, de sorte que ce volet du moyen du demandeur tiré d’une violation de l’article 12 de la Constitution est à rejeter pour ne pas être fondé, sans qu’il y ait besoin de saisir la Cour Constitutionnelle d’une question préjudicielle telle que suggérée par le demandeur aux termes du dispositif de la requête introductive, cette question étant dénuée de tout fondement au sens de l’article 6 de la loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour constitutionnelle, le demandeur ne tombant pas dans l’hypothèse d’une arrestation au sens de l’article 12 de la Constitution.
Par ailleurs, c’est à tort que le demandeur soutient que le fait de l’avoir soumis au port de menottes violerait l’article 7 de la CEDH.
En effet, contrairement à ce que soutient le demandeur, le port des menottes auquel il a, le cas échéant, pu être soumis dans le cadre de l’exécution de la mesure de placement ne constitue pas une peine, de sorte que le moyen tiré d’une violation de l’article 7 de la CEDH consacrant le principe de la légalité des délits et des peines est à rejeter comme inopérant.
Le demandeur fait également valoir que le port des menottes auquel il aurait été soumis en l’espèce serait contraire à l’article 3 de la CEDH et constituerait une mesure disproportionnée, en ce qu’il créerait un sentiment d’infériorité et d’angoisse et constituerait une atteinte à sa dignité, puisqu’il aurait subi le même régime que les détenus de droit commun.
L’article 3 de la CEDH dispose que : « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. » La Cour européenne des droits de l’homme a posé le principe selon lequel seul un mauvais traitement revêtant un minimum de gravité est à considérer comme acte de torture ou de traitement inhumain et dégradant. L’intensité de la souffrance infligée constitue donc un critère d’application de l’article 3 de la CEDH et donc un élément définissant les notions de torture et de traitement inhumain et dégradant.
Au-delà du constat que la mise de menottes constitue une modalité d’exécution de la mesure de placement qui n’est pas de nature à affecter la légalité de la mesure de placement en tant que telle, il convient de relever que s’il ne saurait être nié que le port des menottes lors de la mise en rétention est intrinsèquement humiliant, il convient cependant de relever qu’il ne revêt pas un caractère de gravité tel qu’il serait contraire à l’article 3 de la CEDH. Ce constat ne se trouve d’ailleurs pas ébranlé par l’invocation par le demandeur de la perte de sa main droite, celui-ci n’ayant en effet pas argué avoir subi de quelconques séquelles physiques du fait de la mise de menottes, ni par l’invocation non autrement précisé de son état de santé mental qui n’est d’ailleurs pas autrement documenté que par des certificats médicaux datant de 2014.
Il s’ensuit que le moyen tiré d’une violation de l’article 3 de la CEDH est à rejeter pour ne pas être fondé.
Finalement, il y a lieu de relever que dans le dispositif de son mémoire en réplique, Monsieur … demande qu’il lui soit donné acte qu’il « propose que sa libération soit conditionnée à toute autre mesure qu’il appartiendra audit tribunal de décider, par application de l’article 15 de la Directive du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, respectivement par application de la loi du 10 décembre 2009, relative à l’hospitalisation/placement sans leur consentement des personnes atteintes de troubles mentaux ».
Le tribunal ne saurait toutefois se prononcer sur un moyen simplement suggéré à travers un renvoi dans le dispositif de la requête introductive d’instance à un article d’une directive, respectivement à un texte de loi, sans indication claire et précise dans le corps de la requête quant à la pertinence des dispositions ainsi invoquées par rapport au cas d’espèce, ni quant à la manière dont ces dispositions, à les supposer pertinentes, pourraient être applicables au demandeur, la seule communication de deux certificats médicaux mettant en avant l’état psychique fragilisé du demandeur en 2014 étant en tout état de cause insuffisante à cet égard.
Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent et en l’absence d’autres moyens, le recours en réformation est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit le recours principal en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
rejette la demande tendant à voir ordonner à la partie étatique de verser l’intégralité du dossier administratif ;
rejette la demande tendant à voir saisir la Cour constitutionnelle d’une question préjudicielle ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par :
Annick Braun, vice-président, Paul Nourissier, premier juge, Alexandra Castegnaro, premier juge, et lu à l’audience publique du 12 octobre 2016 par le vice-président, en présence du greffier Marc Warken.
s. Marc Warken s. Annick Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 13/10/2016 Le Greffier du Tribunal administratif 10