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06/10/2016 | LUXEMBOURG | N°37074

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 06 octobre 2016, 37074


Tribunal administratif N° 37074 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 octobre 2015 2e chambre Audience publique du 6 octobre 2016 Recours formé par Monsieur …, Luxembourg en matière de nomination d’un commissaire spécial

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 37074 du rôle et déposée le 22 octobre 2015 au greffe du tribunal administratif par Maître Roland Assa, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsie

ur …, demeurant à L-…, tendant à la nomination d’un commissaire spécial en vue de l’exéc...

Tribunal administratif N° 37074 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 octobre 2015 2e chambre Audience publique du 6 octobre 2016 Recours formé par Monsieur …, Luxembourg en matière de nomination d’un commissaire spécial

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 37074 du rôle et déposée le 22 octobre 2015 au greffe du tribunal administratif par Maître Roland Assa, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, demeurant à L-…, tendant à la nomination d’un commissaire spécial en vue de l’exécution du jugement du rôle, rendu par le tribunal administratif en date du 6 mars 2014, inscrit sous le numéro 32006 du rôle ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 11 décembre 2015 par le délégué du gouvernement ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 11 janvier 2016 par Maître Roland Assa pour compte de Monsieur … ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 29 janvier 2016 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement dont l’exécution fait l’objet de la requête introductive d’instance ;

Entendu le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Jonathan Michel en remplacement de Maître Roland Assa et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul Reiter en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 26 septembre 2016.

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Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 1er février 2013, Monsieur … fit introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de deux décisions du ministre de la Santé, désigné ci-après par « le ministre » des 27 juillet 2011 et 23 mai 2012 refusant de faire droit à ses demandes en obtention d’une autorisation pour l’ouverture et l’exploitation d’un laboratoire d’analyses de biologie médicale au sens de l’article 3 (1) de la loi modifiée du 16 juillet 1984 relative aux laboratoires d’analyses médicales, ci-après dénommée « la loi du 16 juillet 1984 ».

Par jugement du 6 mars 2014, inscrit sous le numéro 32006 du rôle, le tribunal administratif déclara le recours justifié et annula les décisions du ministre, tout en renvoyant le dossier au ministre en prosécution de cause. Pour arriver à cette conclusion, le tribunal releva que préalablement à la prise de la décision déférée, le ministre n’avait saisi pour avis ni le Collège médical, ni la Commission consultative des laboratoires. Dans la mesure où l’émission desdits avis constitue une formalité substantielle dans le cadre de l’élaboration de la décision déférée et le tribunal n’étant pas en mesure, au niveau contentieux, de remédier au non-respect d’une formalité substantielle intervenue dans le cadre de la phase précontentieuse, il annula les décisions ministérielles des 27 juillet 2011 et 23 mai 2012 pour violation de l’article 3 (6) de la loi du 16 juillet 1984.

Ledit jugement n’ayant pas été frappé d’appel, Monsieur … s’adressa par courrier de son mandataire du 20 août 2015 au ministre pour s’enquérir des suites réservées au dossier.

A défaut de réponse du ministre, Monsieur … déposa le 22 octobre 2015 au greffe du tribunal administratif une demande sur base de l’article 84 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, désignée ci-après par « la loi du 7 novembre 1996 », tendant à la désignation d’un commissaire spécial « avec la mission de prendre en lieu et place du Ministre de la Santé la décision administrative qui se substituera aux décisions ministérielles des 27 juillet 2011 et 23 mai 2012 annulées par le Tribunal administratif ».

La requête tendant à la nomination d’un commissaire spécial au sens de l’article 84 de la loi précitée du 7 novembre 1996 est recevable pour avoir été introduite dans les formes et délai prévus par la loi.

Le lendemain du dépôt au greffe du tribunal administratif de la requête précitée par Monsieur …, soit le 23 octobre 2015, le ministre prit une décision faisant suite au jugement du tribunal administratif du 6 mars 2014 et refusa de faire droit à la demande de Monsieur … en obtention d’une autorisation pour l’ouverture et l’exploitation d’un laboratoire d’analyses médicales.

Au vu de l’adoption de cette décision, le délégué du gouvernement conclut à ce que la demande en nomination d’un commissaire spécial soit déclarée irrecevable, sinon non fondée.

Le demandeur expose dans le cadre de son mémoire en réplique qu’au vu de la décision du ministre du 23 octobre 2015 et d’après la jurisprudence, sa demande principale tendant à voir nommer un commissaire spécial aurait perdu son objet. Toutefois, la demande fondée sur l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, désignée ci-après par « la loi du 21 juin 1999 », tendant à l’obtention d’une indemnité de procédure, ainsi que la demande tendant à la condamnation de l’Etat aux frais d’instance conserveraient leur objet.

Le demandeur précise, à cet égard, qu’il aurait été obligé d’introduire une procédure judiciaire afin de voir l’Etat réserver une suite au jugement du tribunal administratif du 6 mars 2014, alors même que l’article 84 de la loi du 7 novembre 1996 fixerait un délai de trois mois à compter du prononcé du jugement pour la prise d’une décision s’y conformant. Il précise à ce sujet, que tant le Collège médical que la Commission consultative des laboratoires auraient été consultés par le ministre et auraient rendu leurs avis respectifs les 30 avril et 7 mai 2014, c’est-à-

dire dans un délai très rapproché du jugement du 6 mars 2014, de sorte que le retard pris par le ministre pour prendre une décision en application dudit jugement du 6 mars 2014 serait injustifié.

Le demandeur soulève encore qu’il aurait fait preuve d’une grande patience à l’égard du ministre en envoyant d’abord un courrier demandant les suites réservées au dossier et ce qu’en date du 20 août 2015.

Dans le cadre de son mémoire en duplique, le délégué du gouvernement expose que tant la demande principale du demandeur tendant à la désignation d’un commissaire spécial que la demande accessoire tendant à l’obtention d’une indemnité de procédure seraient à déclarer non fondées. Quant à ce dernier point il fait valoir que les conditions de l’article 84 de la loi du 7 novembre 1996 ne seraient pas remplies et que le seul fait que le ministre n’ait pas pris de décision dans le délai de trois mois prévu audit article 84 ne pourrait pas servir de justification à l’octroi d’une indemnité de procédure. Il ajoute qu’il y aurait lieu de faire une application restrictive de l’article 33 de la loi du 21 juin 1999 et de considérer l’équité comme seul critère pour l’allocation ou le refus d’une indemnité de procédure. Or, le seul élément qui pourrait prêter à discussion en l’espèce, à savoir le délai mis par le ministre pour prendre une décision serait à qualifier de raisonnable au vu des éléments du dossier. Ainsi, l’administration serait amenée à prendre en considération l’ensemble des aspects de la problématique qui pourraient avoir des répercussions sur la gestion du service public dont elle est en charge. En d’autres termes, la décision du ministre serait susceptible de produire des répercussions sur toutes les demandes identiques ou similaires introduites à l’avenir. Le ministre aurait partant été obligé de prendre des précautions et de s’entourer des informations jugées nécessaires, telles que les avis du Collège médical ou encore de la Commission consultative des laboratoires, avant de prendre une décision.

De l’avis du délégué du gouvernement, aucune attitude fautive ou négligeant ne saurait partant être reproché au ministre.

Aux termes de l’article 84 de la loi du 7 novembre 1996 : « Lorsqu’en cas d’annulation ou de réformation, coulée en force de chose jugée, d’une décision administrative qui n’est pas réservée par la Constitution à un organe déterminé, la juridiction ayant annulé ou réformé la décision a renvoyé l’affaire devant l’autorité compétente et que celle-ci omet de prendre une décision en se conformant au jugement ou à l’arrêt, la partie intéressée peut, à l’expiration d’un délai de trois mois à partir du prononcé de l’arrêt ou du jugement, saisir la juridiction qui a renvoyé l’affaire en vue de charger un commissaire spécial de prendre la décision aux lieu et place de l’autorité compétente et aux frais de celle-ci. La juridiction fixe au commissaire spécial un délai dans lequel il doit accomplir sa mission. La désignation du commissaire spécial dessaisit l’autorité compétente. ».

A titre liminaire, le tribunal précise que lorsqu’au moment où le juge administratif est appelé à statuer sur la demande en désignation d’un commissaire spécial, l’autorité administrative a pris une nouvelle décision, la demande en désignation d’un commissaire est à considérer comme étant devenue sans objet1.

Il est constant en cause qu’en date du 23 octobre 2015, le ministre a pris une décision portant rejet de la demande de Monsieur … tendant à l’ouverture et l’exploitation d’un laboratoire d’analyses médicales, et ce, en exécution du jugement du 6 mars 2014. Il s’ensuit que les conditions pour la nomination d’un commissaire spécial chargé de l’exécution du jugement 1 cf. Cour adm. 8 février 2007, n° 22027C du rôle, Pas. adm. 2016, V° Procédure contentieuse, n° 1023.

précité du 6 mars 2014 ne sont pas remplies, de sorte qu’il y a lieu de rejeter la demande principale du recours sous examen tendant à la désignation d’un commissaire spécial qui est devenue sans objet.

En ce qui concerne ensuite la demande tendant à l’allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 5.000 euros, telle que formulée par le demandeur, il échet d’abord de retenir qu’une demande en allocation d'une indemnité de procédure procède d'une cause juridique particulière et autonome, de sorte que le rejet du recours principal pour défaut d'objet n'implique pas l'irrecevabilité de la demande en allocation d'une indemnité de procédure2. En effet, une demande en obtention d’une indemnité de procédure sort du cadre d’une simple défense à l’action et a une individualité propre et doit dès lors être toisée à la demande du demandeur ou du défendeur3.

En l’espèce, le tribunal est amené à constater que la demande tendant à l’allocation d’une indemnité de procédure telle que formulée par le demandeur est justifiée. En effet, force est de constater que le jugement précité du tribunal administratif du 6 mars 2014 ayant annulé les décisions ministérielles des 27 juillet 2011 et 23 mai 2012 et renvoyé le dossier en prosécution de cause au ministre n’a été suivi d’aucun effet jusqu’au 23 octobre 2015, date correspondant au lendemain de l’introduction du recours sous examen, soit pendant une durée de 19 mois. Il s’y ajoute que durant ces 19 mois, le demandeur a relancé, en vain, à deux reprises le ministre en vue de l’adoption d’une décision en conformité au jugement du 6 mars 2014. Ainsi, par courrier du 22 septembre 2014 le demandeur a répondu à une demande d’informations lui adressée par le ministre en date du 3 juin 2014 et en date du 20 août 2015, le demandeur a envoyé un rappel au ministre. Il échet, par ailleurs, de constater que le lendemain-même du dépôt au greffe du tribunal administratif du recours, sous examen, le ministre a enfin pris une décision en exécution du jugement du 6 mars 2014, coïncidence qui ne saurait trouver une explication dans le pur hasard.

Bien au contraire, au vu des éléments qui précèdent, le tribunal, est amené à conclure que la décision ministérielle est intervenue en date du 23 octobre 2015, précisément en raison du recours contentieux introduit le jour précédent. Or, dès lors qu'un administré est obligé d’engager une instance en justice, impliquant la représentation obligatoire par un avocat, pour obtenir l’adoption d’une décision en conformité à un jugement du tribunal administratif ayant renvoyé le dossier en prosécution de cause à l’autorité administrative, il serait inéquitable de laisser à sa charge les sommes exposées par lui pour faire valoir ses droits et qui ne sont pas comprises dans les dépens4.

La conclusion qui précède n’est par énervée par les développements du délégué du gouvernement selon lesquels le délai de réponse du ministre serait raisonnable et s’expliquerait par le fait que le ministre aurait nécessairement dû « prendre toutes les précautions et […] s’entourer des toutes les informations jugées nécessaires. ». En effet, tel que l’indique à juste titre le demandeur, et tel qu’il ressort des pièces soumises à l’appréciation du tribunal, dès la fin du mois de mai 2014 au plus tard, le ministre disposait tant de l’avis du collège médical du 7 mai 2014 que de l’avis de la Commission consultative des Laboratoires qui ressort du projet de 2 en ce sens : trib. adm. 23 septembre 2013, n°31658 du rôle, Pas. adm. 2016, V° Procédure contentieuse, n° 972.

3 cf. Cour adm. 9 octobre 2007, n° 22603C du rôle, Pas. adm. 2016, V° Procédure contentieuse, n° 970 et trib. adm. 5 mars 2008, n° 23409 du rôle, Pas. adm. 2016, V° Procédure contentieuse, n° 973 et autres références y citées.

4 En ce sens : trib. adm. 21 mars 2012, n°29057 du rôle, Pas. adm. 2016, V° Procédure contentieuse, n° 972.

compte rendu de sa réunion du 30 avril 2014, tel qu’approuvé lors de la réunion subséquente du 21 mai 2014. A défaut par la partie étatique de préciser quelles autres recherches auraient éventuellement dû être accomplies en vue de la prise d’une décision se conformant au jugement du 6 mars 2014, le délai de 17 mois s’étant écoulé entre la réception par le ministre des avis précités et la prise de la décision ministérielle du 23 octobre 2015 n’est pas à qualifier de raisonnable.

Dès lors, compte tenu du fait que le demandeur a dû recourir à une procédure contentieuse afin d’amener le ministre à prendre une décision en exécution du jugement du 6 mars 2014 et au vu de l’article 33 de la loi du 21 juin 1999, il paraît inéquitable de laisser en l’espèce à sa charge les frais exposés par lui et non compris dans les dépens, de sorte qu’il y a lieu de faire droit à sa demande et de lui accorder une indemnité de procédure évaluée ex æquo et bono au montant de 1.000 euros.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit la demande en nomination d’un commissaire spécial en la forme ;

au fond, dit qu’elle est devenue sans objet, partant en déboute ;

condamne la partie étatique à payer une indemnité de procédure d’un montant de 1.000 euros à Monsieur … ;

condamne la partie étatique aux frais.

Ainsi jugé par :

Françoise Eberhard, vice-président, Anne Gosset, premier juge, Daniel Weber, juge, et lu à l’audience publique du 6 octobre 2016 par le vice-président en présence du greffier Goreti Pinto.

s. Goreti Pinto s. Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 7 octobre 2016 Le greffier du tribunal administratif 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 37074
Date de la décision : 06/10/2016

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2016-10-06;37074 ?

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