Tribunal administratif N° 36590 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 14 juillet 2015 3e chambre Audience publique du 4 octobre 2016 Recours formé par la société anonyme … S.A., …, contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’impôt sur la fortune
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 36590 du rôle et déposée le 14 juillet 2015 au greffe du tribunal administratif par Maître Alain STEICHEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société anonyme … S.A., ayant son siège social à L-…, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonctions, tendant à la réformation d’une décision du directeur de l’administration des Contributions directes rendue le 14 avril 2015, faisant suite à une réclamation contre le bulletin de l’impôt sur la fortune au 1er janvier 2010 émis en date du 6 janvier 2015 ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 10 décembre 2015 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Pol MELLINA, en remplacement de Maître Alain STEICHEN, et Monsieur le délégué du gouvernement Eric PRALONG en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 28 septembre 2016.
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En date du 20 octobre 2009 la société anonyme … S.A., ci-après dénommée « la société … » modifia son objet social dans le but de se conformer aux dispositions de la loi modifiée du 22 mars 2004 relative à la titrisation, ci-après « la loi du 22 mars 2004 relative à la titrisation », en vue « de s’engager, de fonctionner et de servir comme véhicule pour toute transaction de titrisation permise par la Loi sur la Titrisation de 2004 », objet social, qui fut de nouveau modifié le 16 novembre 2010 « de sorte qu'à l'avenir la Société ne prenne plus la forme d'une société de titrisation comme définie par la loi du 22 mars 2004 sur la titrisation, mais la forme d'une société anonyme de participations financières (SOPARFI), régie par la loi du 25 août 2006, modifiant la loi modifiée du 10 août 1915 ».
En date du 5 mars 2014, le bureau d’imposition … de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par le « bureau d’imposition », émit à l’égard de la société … 1conformément à la déclaration fiscale relative à l’année 2010 lui soumise en date du 29 janvier 2014, le bulletin de l’impôt sur la fortune au 1er janvier 2010.
Par un courrier de son mandataire du 3 avril 2014, la société … introduisit une réclamation à l’encontre de ce bulletin de l’impôt sur la fortune auprès du directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par « le directeur », en expliquant avoir déclaré erronément sa fortune nette au 1er janvier 2010 sur base de laquelle le bureau d’imposition a émis le bulletin en question, et en prétendant être exonérée de l’impôt sur la fortune en vertu de la loi modifiée du 16 octobre 1934 concernant l’impôt sur la fortune, dite « Vermögenssteuergesetz », en abrégé « VStG ».
Par une décision du 22 juillet 2014, référencée sous le numéro …, le directeur ordonna le retrait du bulletin de l’impôt sur la fortune au 1er janvier 2010 conformément au paragraphe 299, alinéa 3 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, appelée « Abgabenordnung », en abrégée « AO » et intima le bureau d’imposition d’instruire sur l’assujettissement de la société … à l’impôt sur la fortune au 1er janvier 2010.
Par un courrier du 19 août 2014, le bureau d’imposition informa la société … qu’il envisageait de la soumettre à l’impôt sur la fortune au 1er janvier 2010 sur base d’un capital d’exploitation de ….-€ alors qu’il résulterait des déclarations pour l’impôt des collectivités relatives aux années d’imposition 2010 et 2011 qu’elle ne se serait jamais livrée à des opérations de titrisation tout en l’invitant à formuler ses objections éventuelles.
Par un courrier de son mandataire daté au 3 septembre 2014, la société … présenta ses objections quant à son assujettissement à l’impôt sur la fortune pour l’année 2010.
Par un courrier du 11 novembre 2014, le bureau d’imposition informa la société … qu’il envisageait de la soumettre à l’impôt sur la fortune au 1er janvier 2010 sur base d’un capital d’exploitation de ….-€ alors qu’il résulterait des déclarations pour l’impôt des collectivités relatives aux années d’imposition 2009 et 2010, qu’elle ne se serait jamais livrée à des opérations de titrisation tout en l’invitant à formuler ses objections éventuelles pour le 28 novembre 2014 au plus tard.
En date du 6 janvier 2015 le bureau d’imposition émit à l’égard de la société … le bulletin de l’impôt sur la fortune au 1er janvier 2010 en fixant la fortune imposable à ….-€.
Par un courrier de son mandataire daté au 20 février 2015, la société … introduisit une réclamation au sens du paragraphe 228 AO à l’encontre de ce bulletin de l’impôt sur la fortune auprès du directeur.
Par une décision du 14 avril 2015, référencée sous le numéro …, le directeur rejeta comme non fondée ladite réclamation en les termes suivants :
« […] Vu la requête introduite le 24 février 2015 par Maître Alain Steichen, au nom de la société anonyme …, avec siège social à L-…, pour réclamer contre le bulletin de l'impôt sur la fortune au 1er janvier de l'année 2010, émis le 6 janvier 2015 ;
2 Vu la décision directoriale du 22 juillet 2014, n° … du rôle, ayant vidé la réclamation introduite par la société … à l'égard du bulletin de l'impôt sur la fortune au 1er janvier de l'année 2010, émis le 5 mars 2014 sur pied du paragraphe 100a de la loi générale des impôts (AO) ; que cette décision directoriale a abouti à voir retirer le dit bulletin de l'impôt sur la fortune au 1er janvier 2010, et, par la même occasion, a fini par intimer le bureau d'imposition, conformément au § 299, alinéa 3 AO, d'instruire sur l'assujettissement de la réclamante à l'impôt su r la fortune à la date-clé du 1er janvier 2010 ; que le bureau d'imposition, après avoir mené son instruction en bonne et due forme, a jugé légitime de garder sa position initiale et d'émettre un bulletin de l'impôt sur la fortune au 1er janvier 2010 définitif, à savoir justement celui datant du 6 janvier 2015, faisant l'objet de la présente décision sur réclamation ;
Vu le dossier fiscal ;
Vu les §§ 102, 107, 228, 238, 254, alinéa 2 et 301 AO ;
Vu la mise en état du directeur des contributions du 19 juin 2014, en vertu des §§ 243, 244 et 171 AO, ainsi que la réponse y relative de la réclamante entrée le 4 juillet 2014 ; que cette mise en état fut expédiée à la réclamante dans le cadre de l'affaire …, affaire dont la problématique s'avère parfaitement similaire à celle de l'espèce, de sorte que la réponse fournie à l'époque de la part de la requérante garde sa juste valeur et peut dès lors servir à titre de moyen légal dans le cadre de la présente décision sur réclamation ;
Considérant que la réclamation a été introduite par qui de droit (§ 238 AO), dans les forme (§ 249 AO) et délai (§ 245 AO) de la loi, qu'elle est partant recevable ;
Considérant que la réclamante fait grief au bureau d'imposition de l'avoir soumise à l'impôt sur la fortune, alors qu'elle en serait exonérée, vu qu'en date du 20 octobre 2009 elle aurait changé son objet social de « soparfi » tout à fait régulière en société anonyme de titrisation, conformément à la loi du 22 mars 2004 relative à la titrisation ;
Considérant qu'en vertu du § 243 AO, une réclamation régulièrement introduite déclenche d'office un réexamen intégral de la cause, sans égard aux conclusions et moyens de la réclamante, la loi d'impôt étant d'ordre public ; qu'à cet égard, le contrôle de la légalité externe de l'acte doit précéder celui du bien-fondé ;
qu'en l'espèce la forme suivie par le bureau d'imposition ne prête pas à critique ;
Considérant, à titre illustratif, que la réclamante, société anonyme constituée en 1996 pour une durée illimitée, a comme objet « toutes les opérations se rapportant directement ou indirectement à la prise de participations, sous quelque forme que ce soit, dans toute entreprise, ainsi que l'administration, la gestion, le contrôle et le développement de ces participations » ; qu'en date du 20 octobre 2009, elle a changé son objet social pour le mettre en conformité avec la loi du 22 mars 2004 relative à la titrisation et a modifié en conséquence l'article correspondant de ses statuts ; que l'objet social de la requérante consistait dorénavant de « s'engager, de fonctionner et de servir comme véhicule pour toute transaction de titrisation permise par la loi de 2004 » ;
3 Considérant encore que dans le cadre de sa déclaration fiscale relative à l'année 2010, la réclamante a, selon ses propres dires, « erronément » déclaré sa fortune nette s'élevant à … euros, de sorte que sur base de cette déclaration, le bureau d'imposition a confirmé les montants retenus dans sa déclaration pour l'impôt sur la fortune et, par conséquent, les a soumis à l'impôt ; qu'il a fixé l'impôt sur la fortune à … euros, le tout sur base d'une assiette nouvelle, en exécution du § 13 de la loi concernant l'impôt sur la fortune (VStG) (et non pas sur base d'une assiette spéciale (selon le § 14 VStG), comme le présume la réclamante) fixant la fortune imposable de la réclamante au 1er janvier de l'année 2010, comme cité en rubrique, à … euros ;
Considérant que s'il est constant que les sociétés de titrisation, pour autant qu'elles remplissent les conditions de la loi du 22 mars 2004 relative à la titrisation, afin d'être qualifiées de telles, sont exemptes de l'impôt sur la fortune, conformément au § 3, n° 4 VStG, il en est d'ailleurs tout autrement des sociétés de participations tout à fait régulières (communément appelées « soparfis »), quelle qu'en soit leur forme juridique (dans la majorité des cas les soparfis sont constituées sous forme de « société anonyme ») ; qu'il y a dorénavant lieu de vérifier si la réclamante est effectivement à qualifier de société de titrisation au sens de la loi du 22 mars 2004 relative à la titrisation, afin de savoir si elle est à soumettre à l'impôt sur la fortune ou non ;
Considérant qu'afin de voir plus clair en ce qui concerne son appartenance au groupe des sociétés de titrisation au sens de la dite loi du 22 mars 2004, le directeur s'est adressé à elle en date du 19 juin 2014 moyennant missive l'invitant, d'une part, à « fournir des explications quant aux diverses raisons qui l'ont motivée à abolir son statut de « soparfi », pour se transformer en une société de titrisation, conformément à la loi du 22 mars 2004 relative à la titrisation, tout en sachant qu'ensuite et endéans un délai de même pas 13 mois (20 octobre 2009 — 16 novembre 2010), elle a adopté à nouveau son statut initial de « soparfi », et, d'autre part, « à présenter son agrément lui conféré de la part de la Commission de surveillance du Secteur Financier (« CSSF »), l'habilitant à exercer ses activités de société de titrisation » ;
Considérant que la requérante y a répliqué à travers une lettre datant du 4 juillet 2014 à force de laquelle elle prend position comme suit :
« 1) La société (i.e. la réclamante) a aboli son statut de « soparfi » le 20 octobre 2009 pour se transformer en une société de titrisation, conformément à la loi du 22 mars 2004 relative à la titrisation. La raison pour ce changement de statut se trouve dans un projet de refinancement de la Société, qui prévoyait de transformer la dette bancaire de la Société en des valeurs mobilières sous forme d'obligations de titrisation. Afin de procéder à ces opérations, la Société a adopté le statut d'une société de titrisation régi par la Loi de 2004. Au cours de l'année 2010, les établissements de crédit créanciers ont cependant décidé de ne pas convertir leurs créances en valeurs mobilières de titrisation de la Société. Par conséquent, la Société s'est trouvée dans une situation où la titrisation de la dette bancaire existante n'était plus envisageable. Le statut de véhicule de titrisation ne s'avérant plus adéquat par rapport aux opérations envisagées et à l'objet social, la Société a décidé d'abandonner le projet de titrisation et de se retransformer par conséquent en une société de statut « soparfi ».
4Le changement de statut vers une société de titrisation régi par la Loi de 2004 était motivé par des considérations stratégiques et opérationnelles, et non pas par des motifs fiscaux. Lors du changement de statut vers un véhicule de titrisation, la Société n'envisageait pas de revenir à nouveau à son statut initial de « soparfi ». Cette décision s'explique par le choix des établissements de crédit détenant des créances dans la Société. Ex contrario, si les changements de statut auraient été motivées (sic) par des considérations fiscales, la Société aurait pu attendre encore jusqu'en janvier 2011 pour adopter de nouveau le statut de « soparfi ».
2) Quant à l'agrément de la Société par la CSSF, la Loi de 2004 précise que « les organismes de titrisation qui émettent en continu des valeurs mobilières à destination du public (organismes de titrisation agréés ») doivent être agréés par la CSSF pour exercer leurs activités ».
Si un organisme de titrisation envisage des transactions qui sont susceptibles de remplir cumulativement les deux critères « en continu » et « à destination du public », alors il faut qu'il requière d'abord l'agrément de la CSSF (article 19 de la Loi de 2004).
Emission de valeurs mobilières en continu :
L'émission de valeurs mobilières est présumée continue si l'organisme de titrisation procède à plus de trois émissions au public par an. Le nombre d'émissions à prendre en compte est le total des émissions de tous les compartiments de l'organisme de titrisation.
Emission de valeurs mobilières à destination du public :
En ce qui concerne l'émission de valeurs mobilières à destination du public, la CSSF a arrêté les critères suivants :
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les émissions destinées à des clients professionnels au sens de l'annexe II de la directive 2004/39/CE (MiFID) ne constituent pas des émissions destinées au public, -
les émissions dont les coupures sont égales à ou dépassent EUR 125.000 sont présumées ne pas être destinées au public, -
la seule cotation d'une émission sur un marché réglementé ou alternatif n'entraîne pas ipso facto que cette émission doit être considérée comme étant destinée au public, -
les émissions distribuées sous la forme de placements privés, quel que soit le montant de la coupure, ne constituent pas des émissions destinées au public. La qualification de placement privé doit être apprécié de cas en cas selon les moyens de communications utilisées (sic) et la technique employée pour la distribution des valeurs mobilières.
Toutefois, la souscription de valeurs mobilières par un intermédiaire financier ou un investisseur institutionnel en vue du placement ultérieur de telles valeurs mobilières dans le public constitue un placement dans le public. Par ailleurs dans l'hypothèse où l'émission de titres par l'organisme de titrisation est structurée en vue de la commercialisation au moyen d'un « wrapper » destiné au public, alors une telle émission sera présumée être à destination du public.
L'appréciation du caractère « public » des émissions se fera notamment en relation avec le public cible auquel les valeurs mobilières émises seront offertes et/ou distribuées. ll va de soi que l'organisme de titrisation offrant ses valeurs mobilières ou les entités qui, le cas échéant, les 5distribuent ou les placent auprès des investisseurs doivent s'assurer qu'ils respectent toutes les dispositions légales applicables dans les différentes juridictions, et notamment celles en matière d'« offres au public ».
L'appréciation de l'obligation d'agrément doit tenir compte, le cas échéant, des systèmes de distribution mis en place pour les valeurs mobilières émises (« look-through approach »). En effet, certaines valeurs mobilières peuvent être offertes de manière continue au grand public par des canaux de distribution visant spécialement les investisseurs de détail (« retail investors »).
Il découle de ce qui précède que la Société n'envisageait pas des transactions qui sont susceptibles de remplir cumulativement les deux critères « en continu » et « à destination du public ». Par conséquent, la Société n'était pas, au cours des années 2009 et 2010, un organisme de titrisation dans le sens de l'article 19 de la Loi de 2004. Un agrément préalable de la CSSF n'était pas jugé nécessaire pour les opérations envisagées de la Société. » ;
Considérant que tandis que les développements sub 2) ci-dessus ne prêtent pas à critique, il en est autrement pour ce qui est des explications et interprétations citées sub 1) supra ; que même s'il est juste et dès lors non contesté que la réclamante ait changé son objet social en date du 20 octobre 2009 afin de se conformer aux dispositions de la loi du 22 mars 2004 relative à la titrisation, quelle qu'en fût la raison, il n'en demeure pas moins que sa vraie nature tout comme ses activités et objet réels n'ont pas changé d'un brin ; que bien au contraire, elle a continué ses activités commerciales journalières comme si rien ne s'était passé au niveau de son statut, ses rentrées d'argent se faisant toujours et sans exception à travers des capitaux d'une envergure considérable qu'elle a mis à la disposition d'autrui, ceci afin de générer par ce biais un certain rendement de son capital accumulé, tout comme elle n'a cessé d'investir des sommes conséquentes dans des valeurs mobilières de toute nature et de placer encore un bon nombre de ses avoirs et liquidités sur des comptes bancaires ;
Considérant que d'un point de vue matériel, au détriment de l'approche purement juridique, la requérante a donc incontestablement continué sur sa lancée d'antan, sans que la modification de son statut y aurait exercé la moindre influence ; qu'à ce titre, il importe de garder fermement en mémoire les dispositions du § 11 de la loi d'adaptation fiscale (StAnpG), celui-ci retenant notamment qu'il y a lieu, en matière fiscale, de s'agripper autant que possible au principe de l'appréciation d'après les critères économiques ; que ce principe de l'appréciation d'après les critères économiques (wirtschaftliche Betrachtungsweise) retient qu'il ne suffit pas de s'arrêter aux seules formes juridiques choisies par les parties pour réaliser une opération déterminée, mais, au -
delà de l'apparence juridique, de rechercher et d'analyser la réalité économique recouverte par lesdites formes juridiques ; qu'en effet, il est de principe en droit fiscal que les faits et actes juridiques doivent être interprétés et appréciés à la lumière de critères économiques ;
Considérant qu'il en découle que d'un point de vue matériel et économique, la réclamante n'est donc nullement à considérer de société de titrisation au sens de la loi du 22 mars 2004 relative à la titrisation, mais qu'elle ne constitue autre chose qu'une « soparfi » tout à fait régulière et soumise de plein droit à l'impôt sur la fortune ; que le fait qu'elle ait modifié son statut une seconde fois endéans même pas 13 mois, pour revenir exactement et jusque dans le moindre détail à son statut d'origine, y met largement du sien ; qu'en guise de conclusion, force est d'admettre que 6la requérante est de plein droit à soumettre à l'impôt sur la fortune à la date clé du 1er janvier de l'année 2010, le bureau d'imposition étant dès lors à confirmer dans sa manière d'agir ;
PAR CES MOTIFS reçoit la réclamation en la forme, la rejette comme non fondée […] » Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 14 juillet 2015, la société … a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision directoriale précitée du 14 avril 2015.
Conformément aux dispositions combinées du paragraphe 228 AO et de l’article 8 (3) 1. de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l'ordre administratif, le tribunal est compétent pour statuer comme juge du fond sur le recours dirigé par un contribuable contre une décision du directeur ayant statué sur les mérites d’une réclamation de sa part notamment contre un bulletin de l’impôt sur la fortune.
Il s’ensuit que le tribunal administratif est compétent pour connaître du recours en réformation, qui est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours la société … expose dans un premier temps les faits et rétroactes à la base de la décision entreprise.
Elle explique ensuite que le changement de ses statuts aurait eu lieu en vue de réaliser un projet de refinancement, par lequel sa dette bancaire aurait dû être transformée en valeurs mobiliers sous forme d’obligations de titrisation. Ce projet aurait cependant échoué alors que les établissements bancaires auraient, au cours de l’année 2010 et pour des raisons internes, décidé de ne pas convertir leurs créances, de sorte qu’elle aurait par la suite repris la forme d’une société anonyme de participations financières. Elle souligne à cet égard que ce changement des statuts vers une société de titrisation aurait été exclusivement motivé par des considérations stratégiques et pas par des motifs fiscaux.
En droit, la société … soutient que le directeur n’aurait pas dû se baser sur les déclarations de l’impôt sur les collectivités des années 2009, 2010 et 2011 pour soutenir qu’elle serait assujettie à l’impôt sur la fortune alors qu’il s’agirait de deux impôts différents, régis par deux lois différentes et que le fait générateur de l’impôt sur les collectivités interviendrait postérieurement à celui de l’impôt sur la fortune.
La demanderesse estime encore qu’elle aurait été, en date du 1er janvier 2010, une société régie par la loi de 2004 relative à la titrisation étant donné qu’il n’existerait aucun délai légal pour se livrer à des opérations de titrisation et qu’aucune condition supplémentaire ne serait prévue par les textes normatifs applicables pour bénéficier de l’exonération fiscale, de sorte qu’elle n’aurait, conformément au paragraphe 3, alinéa 1 n° 4 VStG, pas été soumise à l’impôt sur la fortune pour l’année 2010.
7 Elle estime également qu’une simple interprétation économique des faits ne pourrait déroger aux dispositions claires de la loi de sorte que la décision afférente violerait l’article 99 de la Constitution, selon lequel aucun impôt au profit de l’Etat ne peut être établi que par une loi.
Elle souligne finalement que le paragraphe 204 AO imposerait à l’administration fiscale d’instruire le dossier du contribuable à charge comme à décharge, de sorte que les agents de l’administration fiscale auraient dû corriger la déclaration de la fortune au 1er janvier 2010, erronément déposée par elle et la retirer du dossier administratif. De même, l’instruction subséquente sur son assujettissement aurait dû se faire en conformité avec le paragraphe 204 AO et non pas afin de pouvoir émettre un nouveau bulletin d’imposition retenant le même montant.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours en soutenant que le directeur aurait procédé à une application classique du principe de l’appréciation d’après les critères économiques, ancré au paragraphe 11 de la loi d’adaptation fiscale du 16 octobre 1934, appelée « Steueranpassungsgesetz », en abrégé « StAnpG », selon lequel il ne conviendrait pas de s’arrêter aux seules formes juridiques choisies par les parties pour réaliser une opération déterminée, mais, au-delà de l’apparence juridique, de rechercher et d’analyser la réalité économique recouverte par lesdites formes juridiques.
Le paragraphe 3, alinéa 1er VStG dispose dans son point 4 que sont exonérés de l’impôt sur la fortune, les sociétés de titrisation constituées sous la forme d’une société anonyme, d’une société en commandite par actions, d’une société à responsabilité limitée ou d’une société coopérative organisée comme une société anonyme, sous réserve de l’impôt sur la fortune minimum déterminé conformément aux dispositions du § 8, alinéa 2.
En vertu de l’article 1er de la loi du 22 mars 2004 relative à la titrisation « (1) La «titrisation», au sens de la présente loi, est l'opération par laquelle un organisme de titrisa tion acquiert ou assume, directement ou par l'intermédiaire d'un autre organisme, les risques liés à des créances, à d'autres biens, ou à des engagements assumés par des tiers ou inhérents à tout ou partie des activités réalisées par des tiers en émettant des valeurs mobilières dont la valeur ou le rendement dépendent de ces risques.
(2) Sont des «organismes de titrisation», au sens de la présente loi, les organismes qui accomplissent entièrement la titrisation et ceux qui participent à une telle opération par la prise en charge de tout ou partie des risques titrisés – les organismes d'acquisition – ou par l'émission des valeurs mobilières destinées à en assurer le financement – les organismes d'émission, et dont les statuts, le règlement de gestion ou les documents d'émission prévoient qu'ils sont soumis aux dispositions de la présente loi. ».
Il suit des dispositions qui précèdent que pour être reconnu comme un organisme de titrisation au sens de la loi du 22 mars 2004 relative à la titrisation, l’organisme en question doit, outre le fait de prévoir dans ses statuts, son règlement de gestion ou ses documents d'émission sa soumission aux dispositions de la loi précitée, soit accomplir entièrement la titrisation, c’est-à-dire une opération par laquelle un organisme de titrisation acquiert ou assume, directement ou par l'intermédiaire d'un autre organisme, les risques liés à des créances, à d'autres biens, ou à des 8engagements assumés par des tiers ou inhérents à tout ou partie des activités réalisées par des tiers en émettant des valeurs mobilières dont la valeur ou le rendement dépendent de ces risques, soit participer à une telle opération par la prise en charge de tout ou partie des risques titrisés ou par l’émission des valeurs mobilières destinées à en assurer le financement.
En l’espèce, il est constant en cause que la demanderesse a modifié en date du 20 octobre 2009 son objet social en ajoutant dans ses statuts d’être soumise à la loi du 22 mars 2004 relative à la titrisation et remplit partant la première condition pour être reconnue comme un organisme de titrisation au sens de la loi précitée. Or, en ce qui concerne la seconde condition cumulative posée par l’article précité, il ressort du dossier fiscal et notamment des explications de la partie demanderesse que l’opération de titrisation projetée en 2010 en vue d’un refinancement a dû être abandonnée suite au refus de participation des établissements bancaires. L’absence d’activité de titrisation n’étant pas contestée en l’espèce, la demanderesse ne remplit pas la seconde condition cumulative posée par l’article 1er de la loi du 22 mars 2004 relative à la titrisation et ne peut, dès lors pas être considérée comme société de titrisation au 1er janvier 2010, le seul changement des statuts étant insuffisant pour être considérée comme société de titrisation en vertu de la loi précitée.
A cet égard, il convient encore de relever que la fiscalité par son essence est une matière qui frappe des manifestations de nature économique, le but de la loi fiscale étant d’imposer des charges que seul celui qui possède la capacité contributive correspondante peut supporter sans dommages.
Or, un tel résultat n’est garanti que si la loi fiscale se place du point de vue économique, l’expérience enseignant en effet que les formes du droit privé ne sont pas toujours adéquates pour refléter le contenu réel de l’opération économique sous-jacente. L’imposition est effectivement attachée à des situations, des actes et des faits juridiques relevant du droit privé qui en sont la traduction juridique. Dans ceux-ci, c’est la force contributive des contribuables qui se manifeste et ce sont ces manifestations-là de la puissance économique qui doivent être atteintes par les lois fiscales1. Dans un souci d’égalité devant l’impôt, ce ne sont par conséquent pas les opérations formelles qui intéressent les lois fiscales, de sorte que la méthode de l’appréciation économique doit être appliquée, consistant à dégager derrière les formes choisies, le véritable contenu des opérations économiques, celui qui est pertinent pour l’application de la loi fiscale. Elle se limite à apprécier ce que le contribuable a réalisé, sans se soucier quels autres chemins il aurait pu emprunter, cette dernière question relevant en effet plus spécifiquement du paragraphe 6 StAnpG.
Dès lors, en application de ce principe, les faits et les actes juridiques doivent être interprétés et appréciés d’après des critères économiques, de sorte que la juridiction saisie, à l’instar des autorités fiscales avant elle, ne saurait s’arrêter aux seules formes juridiques choisies par les parties pour réaliser une opération déterminée, mais elle est appelée, au-delà de l’apparence juridique, de rechercher et d’analyser la réalité économique recouverte par lesdites formes juridiques2.
1 Jean-Pierre Winandy, « Appréciation économique et report des pertes en droit fiscal luxembourgeois », Droit fiscal luxembourgeois, Livre Jubilaire de l’IFA, Bruylant 2008, p. 357.
2 Cour adm., 26 juin 2008, n° 24061C, Pas. adm. 2016, V° Impôts, n° 58 et les autres références y citées ; trib. adm., 25 août 1999, n° 10456, Pas. adm. 2016, V° Impôts, n° 62 et l’autre référence y citée ; Cour adm., 23 mars 2000, n° 11565C, Pas. adm. 2016, V° Impôts, n° 63 et l’autre référence y citée.
9Ainsi, et eu égard au principe de la « wirtschaftliche Betrachtungsweise » retenu ci-avant, l’administration des contributions directes a valablement pu se baser sur les informations figurant au dossier administratif, à savoir les déclarations de l’impôt sur le revenu des collectivités de la demanderesse des années 2009, 2010 et 2011, sa déclaration de l’impôt sur la fortune de l’année 2010 déposée « erronément », ensemble avec les explications recueillies au cours de l’instruction de sa part, pour rechercher et analyser la réalité économique de l’activité de la société … et statuer sur son assujettissement à l’impôt sur la fortune, de sorte que le moyen afférent est à rejeter pour ne pas être fondé.
A cela s’ajoute qu’il ne saurait pas non plus être reproché à l’administration des Contributions directes, respectivement à son directeur, d’avoir appliqué ladite théorie de la « wirtschaftliche Betrachtungsweise », en violation de l’article 99 de la Constitution en vertu duquel aucun impôt au profit de l’Etat ne peut être établi que par une loi, alors que tant l’impôt sur la fortune, que les cas d’exonération sont prévus par la loi, notamment pas les trois premiers paragraphes du VStG, de sorte que le moyen afférent laisse également d’être fondé.
L’administration des contributions directes a encore valablement pu prendre en considération la déclaration d’impôt sur la fortune de l’année 2010 déposée « erronément » par la société … pour en déduire sa fortune nette et procéder au calcul de l’impôt sur la fortune dû pour l’année 2010, sans violer paragraphe 204 AO. En effet, il résulte des pièces soumises à l’appréciation du tribunal que la partie demanderesse a été informée des démarches envisagées par le bureau d’imposition et a à plusieurs reprises eu la possibilité de présenter ses objections, respectivement de prendre position par rapport à son assujettissement à l’impôt sur la fortune, notamment par invitations expresses du bureau d’imposition dans ses courriers des 19 août et 11 novembre 2014, et qu’elle a effectivement formulé ses objections par courrier de réponse daté au 3 septembre 2014, de sorte que le tribunal est amené à retenir qu’un défaut d’instruction à décharge de la société … ne peut être reproché au bureau d’imposition.
Le moyen n’est dès lors pas fondé.
Etant donné qu’il ressort du dossier administratif et des explications non contestées de la partie étatique que la demanderesse ne s’est jamais livrée à une opération de titrisation au sens de la loi du 22 mars 2004 relative à la titrisation pendant la période dans laquelle elle était, selon ses statuts, soumise officiellement à cette loi, mais a continué ses activités commerciales journalières d’une société de participations financières, le tribunal est amené à conclure que c’est à juste titre que le directeur a retenu que la société … n’était pas une société de titrisation en vertu de la loi la loi du 22 mars 2004 relative à la titrisation et a refusé à la demanderesse l’exonération de l’impôt sur la fortune pour l’année 2010.
Il s’ensuit de l’ensemble des considérations qui précèdent, et à défaut d’autres moyens, que le recours est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;
10 reçoit le recours en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non fondé, partant en déboute ;
condamne la demanderesse aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 4 octobre 2016 par :
Thessy Kuborn, vice-président, Daniel Weber, juge, Géraldine Anelli, attaché de justice, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 4 octobre 2016 Le greffier du tribunal administratif 11