Tribunal administratif N° 38337 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 août 2016 4e chambre Audience publique du 27 septembre 2016 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 28 (1), L.18.12.2015)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 38337 du rôle et déposée le 11 août 2016 au greffe du tribunal administratif par Maître Faisal Quraishi, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Afghanistan), de nationalité afghane, représenté par son administrateur ad hoc, Maître Faisal Quraishi, préqualifié, désigné par une ordonnance du juge des tutelles auprès du tribunal de la jeunesse et des tutelles près le tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg du 21 mars 2016, demeurant actuellement à L- 1511 Luxembourg, 162B, avenue de la Faïencerie, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 10 août 2016 de le transférer vers la Norvège comme étant l’Etat membre responsable pour connaître de sa demande de protection internationale ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 12 septembre 2016 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;
Le juge rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul Reiter en sa plaidoirie.
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Le 24 juin 2016, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes une demande en obtention d’une protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Monsieur … fut entendu le même jour par la police judiciaire, service des étrangers et des jeux, sur son identité et l’itinéraire pour venir au Luxembourg.
En date du 18 juillet 2016, Monsieur … fut encore entendu par un agent du ministre des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement UE 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, dit « règlement Dublin III ».
Le 28 juillet 2016, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », contacta les autorités norvégiennes aux fins de la reprise de Monsieur … sur base du résultat de la recherche dans la base de données Eurodac.
En date du 2 août 2016, les autorités norvégiennes confirmèrent que Monsieur … aurait introduit une demande de protection internationale en date du 27 mai 2015 et acceptèrent la reprise en charge de celui-ci.
Par décision du 10 août 2016, envoyée par lettres recommandées à l’intéressé, ainsi qu’à son administrateur ad hoc, le 11 août 2016, le ministre, sur base de la considération que Monsieur … avait introduit une demande de protection internationale en Norvège en date du 27 mai 2015 et que les autorités norvégiennes avaient accepté le 2 août 2016 de reprendre en charge l’examen de sa demande de protection internationale, informa Monsieur … de sa décision de le transférer dans les meilleurs délais vers la Norvège sur base de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, et de l’article 18, paragraphe (1) d) du règlement Dublin III.
Le même jour, le service de la police judiciaire fut chargé d’organiser le transfert de Monsieur … avec les autorités norvégiennes. Le transfert de Monsieur … vers la Norvège a été prévu pour le 26 octobre 2016 par voie aérienne.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 11 août 2016, inscrite sous le numéro 38337 du rôle, Monsieur … a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 10 août 2016.
En vertu de l’article 35, paragraphe (3) de la loi du 18 décembre 2015, le tribunal administratif est compétent pour connaître du recours en annulation. Le recours en annulation est encore recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours et en fait, Monsieur … fait valoir qu’il aurait déposé en date du 27 mai 2015 une demande de protection internationale en Norvège sans que les autorités norvégiennes l’auraient « analysé correctement à ce jour » tout en omettant de respecter un délai raisonnable. Il souligne qu’il n’aurait pas pu soumettre utilement sa demande de protection internationale en Norvège, de sorte que la procédure en Norvège devrait être déclarée irrégulière en ce qu’il ne lui aurait pas été garanti « le droit à l’examen effectif de sa demande d’asile ». Il insiste qu’il n’aurait pas eu droit à l’assistance d’un administrateur ad hoc et que la loi norvégienne ne garantirait pas « une mesure d’asile particulière pour les mineurs ». « [L]e comportement des autorités allemandes contrevien[drait] aux articles 1 et 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne » et les problèmes systémiques rencontrés en Norvège s’opposeraient à un transfert en Norvège, qui, en raison de l’afflux massif de demandeurs de protection internationale, aurait dépassé ses capacités d’accueil, ce qui aurait conduit à une détérioration des conditions d’hébergement. Monsieur … expose encore qu’à l’origine, il aurait voulu se rendre au Luxembourg, de sorte que les dispositions de l’article 18, paragraphe 1, d) du règlement Dublin III ne seraient pas applicables en l’espèce.
En droit, Monsieur … fait valoir que l’absence d’un examen effectif de sa demande de protection internationale en Norvège contreviendrait au principe essentiel de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés du 28 juillet 1951, ci-après désignée par « la Convention de Genève ». Il insiste qu’il aurait initialement prévu de se rendre au Luxembourg depuis l’Afghanistan. Il en conclut que le Grand-Duché du Luxembourg aurait dû se déclarer responsable de sa demande de protection internationale au sens du règlement Dublin III alors que l’examen effectif de sa demande de protection internationale ne serait pas garanti en Norvège au sens de l’article 3, paragraphe 2, alinéa 2 du même règlement.
Le délégué du gouvernement conclut quant à lui au rejet du recours pour n’être fondé en aucun de ses moyens.
Aux termes de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 : « Si, en application du règlement (UE) n°604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».
Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable sans examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.
L’article 18 (1) d) du règlement Dublin III, sur lequel le ministre s’est basé pour conclure à la responsabilité des autorités norvégiennes pour procéder à l’examen de la demande de protection internationale de Monsieur …, prévoit que l’ « L’État membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de (…) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l’apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d’un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre État membre. ».
Il est constant en l’espèce que la décision litigieuse a été adoptée par le ministre en application de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 18, paragraphe (1) du règlement Dublin III, au motif que ce ne serait pas le Luxembourg qui serait compétent pour le traitement de la demande de protection internationale présentée par Monsieur …, mais bien la Norvège, Etat dans lequel il aurait déposé une demande de protection internationale qui aurait été refusée par la suite, de sorte que c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé de de ne pas examiner sa demande de protection internationale déposée au Luxembourg et de transférer le demandeur vers la Norvège.
Le demandeur, en l’espèce, ne conteste pas avoir déposé une demande de protection internationale en Norvège, mais conteste « que les autorités norvégiennes l’aient analysé correctement à ce jour » en leur reprochant de avoir pris la décision dans un délai déraisonnable et en affirmant n’avoir pas pu bénéficier d’un administrateur ad hoc.
Force est d’abord au tribunal de retenir que face aux constations de la partie étatique, les arguments du demandeur relatifs à la procédure norvégienne, qui auraient éventuellement pu être avancés dans le cadre du recours introduit contre la décision de refus des autorités norvégiennes du 21 août 2015 ayant donné lieu à un jugement du 30 janvier 2016, laissent d’être établis en l’espèce pour être même contredits par les affirmations du demandeur lui-
même, alors qu’il ressort notamment de l’entretien Dublin III du demandeur que ce dernier a bel et bien pu bénéficier d’une assistance auprès des autorités norvégiennes.
Monsieur … reproche ensuite au ministre d’avoir violé l’article 3, paragraphe 2, 2e alinéa du règlement Dublin III, aux termes duquel « Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’État membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’État membre procédant à la détermination de l’État membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable ».
Ainsi, en ce qui concerne la situation où un Etat membre a accepté la prise en charge d’un demandeur d’asile, le demandeur ne peut mettre en cause cette décision qu’en invoquant l’existence de défaillances systémiques de la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs d’asile dans cet Etat membre qui constituent des motifs sérieux et avérés de croire que ledit demandeur courra un risque réel d’être soumis à des traitements inhumains ou dégradants au sens de l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne1. En effet, le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, ainsi que dans la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard2. C’est précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping » l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants3. Dès lors, comme ce système européen commun d’asile repose sur la présomption que l’ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard, il appartient au demandeur de rapporter la preuve matérielle de défaillances avérées4.
En l’espèce, Monsieur … affirme que les centres d’hébergement seraient débordés et que de nombreux actes de violence auraient été dénombrés dans les foyers pour demandeurs de protection internationale en Norvège, sans toutefois étayer ses affirmations par des pièces justificatives, de sorte que le tribunal est amené à conclure que le demandeur reste en défaut d’établir une défaillance systémique de la procédure d’asile en Norvège de nature à être qualifiée de traitement inhumain et dégradant au sens de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et de l’article 3 paragraphe (2) alinéa 2 du règlement Dublin III.
Le demandeur reste également en défaut de rapporter la preuve que des défaillances 1 CJUE, grande chambre, 10 décembre 2013, Abdullahi c. Bundesasylamt, C-394/12, point 62.
2 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., (C-411/10) et (C-493/10), point 78.
3 voir par exemple trib. adm., 1er juillet 2015, n° 36439 du rôle ; trib. adm., 1er juillet 2015, n° 36441 du rôle ;
trib. adm., 14 octobre 2015, n° 36966 du rôle ; trib. adm., 21 octobre 2015, n° 36996 du rôle ; trib. adm. 28 octobre 2015, n° 37015 du rôle.
4 Voir aussi Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg, 8 janvier 2015, n° A11 S 858/14.
systémiques en la présente matière seraient apparues en Norvège suite à l’augmentation récente du nombre de demandeurs de protection internationale. La simple affirmation non autrement étayée, selon laquelle le nombre de demandeurs de protection internationale aurait dépassé les capacités d’accueil en Norvège ne saurait suffire pour être qualifié de défaillance systémique au sens de l’article précité du règlement Dublin III.
En ce qui concerne le moyen selon lequel l’absence d’un examen effectif de sa demande contreviendrait aux principes non autrement spécifiés de la Convention de Genève, il échet de relever d’une part, que le tribunal vient de retenir qu’il n’est pas établi que les demandes de protection internationale déposées en Norvège n’auraient pas bénéficié d’un examen effectif et, d’autre part, qu’il n’est pour le surplus pas en mesure de prendre position par rapport à un tel moyen simplement suggéré, sans être soutenu effectivement, étant donné qu’il n’appartient pas au tribunal de suppléer à la carence de la partie demanderesse et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de ses conclusions.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent, et à défaut d’autres moyens, que le recours est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
quant au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
donne acte au demandeur qu’il déclare être bénéficiaire de l’assistance judiciaire ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par :
Carlo Schockweiler, premier vice-président, Olivier Poos, juge, Michèle Stoffel, juge, et lu à l’audience publique du 27 septembre 2016, par le premier vice-président, en présence du greffier Marc Warken.
s.Marc Warken s.Carlo Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 27/09/2016 Le Greffier du Tribunal administratif 5