Tribunal administratif Numéro 37014 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 1er octobre 2015 2e chambre Audience publique extraordinaire du 1er août 2016 Recours formé par Monsieur … et consort, … (CH) contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’échange de renseignements
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 37014 du rôle et déposée le 1er octobre 2015 au greffe du tribunal administratif par Maître Alain Steichen, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … et de son épouse Madame …, demeurant à CH-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du 28 juillet 2015 prise par le directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’échange de renseignements ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 30 octobre 2015 ;
Vu le mémoire en réplique déposé par au greffe du tribunal administratif par Maître Alain Steichen, préqualifié, en date du 30 novembre 2015 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Alain Steichen et Madame le délégué du gouvernement Betty Sandt en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 6 juin 2016.
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Le 28 juillet 2015, le directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par « le directeur », adressa au …, Cellule fiscale, une décision d’injonction en vertu de l’article 3 paragraphe 3 de la loi du 25 novembre 2014 prévoyant la procédure applicable à l’échange de renseignements sur demande en matière fiscale, ci-après dénommée « la loi du 25 novembre 2014 », avec prière de fournir pour la période du 1er janvier 2011 au 31 décembre 20111 des renseignements et documents relatifs aux relations bancaires énumérés dans ladite injonction concernant Monsieur … et son épouse Madame …, ci-après désignés par « les consorts … », ladite décision d’injonction étant libellée comme suit :
« En date du 19 décembre 2014, l’autorité compétente de l'administration fiscale suisse nous a transmis une demande de renseignements en vertu de la de la convention fiscale entre le Luxembourg et la Confédération suisse du 21 janvier 1993, modifiée par la loi du 31 mars 2010 portant approbation de l'Avenant et de l'échange de lettres y relatif à ladite 1 La décision indique par ailleurs dans le cadre des questions soulevées que la période de référence est celle du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2012 convention.
L'autorité compétente luxembourgeoise a vérifié la régularité formelle de ladite demande de renseignements.
Les personnes physiques concernées par la demande sont Monsieur …, né le …, son épouse la dame …, née le …, demeurant tous les deux à CH-… (autres adresses : CH-… ;
CH-… ; CH-) ainsi que leurs enfants …, née le …, et …, née le ….
Je vous prie de bien vouloir nous fournir pour la période du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2012, les renseignements et documents suivants pour le 2 septembre 2015 au plus tard.
Veuillez fournir les extraits bancaires de tous les comptes et dépôts (y compris les comptes nos …, …, … (… SA), … (… SA)] pour la période visée, y compris les états de fortune au 1er janvier 2011 et 1er janvier 2012, des relations bancaires pour lesquelles, quelles que soient les structures interposées ou les ayants droit économiques, Monsieur … et/ou Madame … étaient titulaires directs ou indirects et/ou ayants droit économiques ou porteurs de procurations de comptes dont les ayants droit économiques ou titulaires directs ou indirects sont Madame … … et/ou Madame … … ou l'une des sociétés suivante; … SA, … SA, … SA SPF, … SA, … SA, … SA, … SCS, … SA SPF, … SA, … SA, … SA SPF (anc. … SA), … SPF, … SA (anc. … SA) ;
Veuillez fournir le détail des apports (provenance détaillée : banque, n° compte, titulaire) et des prélèvements (destination détaillée) enregistrés sur la période visée pour les positions d'une valeur égale ou supérieure à 100.000 EUR ainsi qu'un récapitulatif des revenus (intérêts, dividendes, plus-values, etc.) enregistrés sur cette période en indiquant la date, le montant et le nature du revenu perçu ;
Veuillez fournir les documents d'ouverture de compte, documents d'ouverture de relation, documents de droits de signature, procurations et documents identifiant l’ayant droit économique pour tous les comptes identifiés sous le premier tiret ;
Si des contrats de prêts et/ou des actes de servitude (p.ex. acte de nantissement) ont été signés par votre établissement en faveur de Monsieur et/au Madame … avec effet durant la période visée, veuillez transmettre une copie détaillée et complète de ceux-ci.
Je tiens à vous rendre attentif que, conformément à l'article 2 (2) de la loi du 25 novembre 2014 précitée, le détenteur des renseignements est obligé de fournir les renseignements demandés ainsi que les pièces sur lesquelles ces renseignements sont fondés en totalité, de manière précise et sans altération.
Conformément à l'article 6 de la loi du 25 novembre 2014 précitée, aucun recours ne peut être introduit à l'encontre de la présente décision d'injonction. (…)» Suite à une demande introduite par courrier électronique daté du 4 août 2015 du responsable de la Cellule fiscale du …, la Direction – … accorda, par retour de courrier électronique, daté du même jour audit responsable un délai supplémentaire jusqu’au 2 octobre 2015 au plus tard pour fournir les informations requises.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 1er octobre 2015, les consorts … ont fait introduire un recours tendant à la réformation sinon à l’annulation de ladite décision du 28 juillet 2015 prise par le directeur de l’administration des Contributions directes.
A titre liminaire, il y a lieu de constater que les parties sont en désaccord sur la loi applicable au présent litige, les consorts … soutenant que la loi du 31 mars 2010 portant approbation des conventions fiscales et prévoyant la procédure y applicable en matière d’échange de renseignements sur demande, ci-après désignée par « la loi du 31 mars 2010 », aurait vocation à s’appliquer en l’espèce alors que la partie étatique est d’avis que ce serait la loi du 25 novembre 2014, qui y serait applicable. Etant donné que la détermination de la loi applicable conditionne la question de la recevabilité du présent recours, recevabilité qui est contestée par le délégué du gouvernement au titre tant de la qualité à agir des parties que de l’absence de recours existant à l’encontre de la décision déférée et que les consorts … ont, par ailleurs, invité le tribunal à saisir la Cour constitutionnelle de la question de la conformité de l’article 6 (1) de la loi du 25 novembre 2014 qui établit l’absence de recours contre une demande d’échange de renseignements et une décision d’injonction avec la Constitution, le tribunal est amené à trancher, en première lieu, la question de la loi applicable qui est déterminante pour dégager les principes lui permettant de toiser les autres moyens relevés ci-
dessus.
Il est constant que la décision déférée fut rendue par le directeur en date du 28 juillet 2015 suite à une demande de renseignements transmise, le 14 décembre 2014, par l’autorité compétente de l'administration fiscale suisse en vertu de la de la convention fiscale entre le Luxembourg et la Confédération suisse du 21 janvier 1993, modifiée par la loi du 31 mars 2010 portant approbation de l'Avenant et de l'échange de lettres y relatif à ladite convention.
En l’absence de dispositions transitoires, l’existence ainsi que la nature d’une voie de recours sont déterminées d’après la loi sous l’empire de laquelle a été rendue la décision attaquée. En l’espèce, l’article 8 de la loi du 25 novembre 2014 prévoit la disposition transitoire suivante : « Les articles 2 à 6 de la loi du 31 mars 2010 portant approbation des conventions fiscales et prévoyant la procédure y applicable en matière d’échange de renseignements sur demande continuent à s’appliquer aux demandes d’échange de renseignements dont les administrations fiscales sont saisies avant l’entrée en vigueur de la présente loi ».
L’article 10 de la loi du 25 novembre 2014 dispose que la loi entre en vigueur le premier jour du mois qui suit sa publication au Mémorial de sorte qu’ayant été publiée au Mémorial A du 27 novembre 2014, elle est entrée en vigueur le 1er décembre 2014.
Par ailleurs, l’article 7 de ladite loi dispose que « Les articles 2 à 6 de la loi du 31 mars 2010 portant approbation des conventions fiscales et prévoyant la procédure y applicable en matière d’échange de renseignements sur demande sont abrogés ».
Ainsi, la procédure applicable aux demandes d’échange de renseignements en matière fiscale établie aux articles 2 à 6 de la loi du 31 mars 2010 est abrogée depuis l’entrée en vigueur de la loi du 25 novembre 2014, au 1er décembre 2014, nonobstant le fait qu’elle est appelée à survivre pour les demandes d’échange de renseignements dont les administrations fiscales furent saisies avant l’entrée en vigueur de ladite loi.
Etant donné qu’il ressort manifestement de la décision d’injonction déférée du 28 juillet 2015 que les autorités luxembourgeoises ont été saisies suite à une demande de renseignements transmise le 14 décembre 2014, soit après la date d’entrée en vigueur de la loi du 25 novembre 2014 au 1er décembre 2014, par l’autorité compétente de l'administration fiscale suisse en vertu de la de la convention fiscale entre le Luxembourg et la Confédération suisse du 21 janvier 1993, modifiée par la loi du 31 mars 2010 portant approbation de l'Avenant et de l'échange de lettres y relatif à ladite convention, de sorte que c’est à tort que les consorts … soutiennent que la loi du 31 mars 2010 serait applicable au présent litige. En effet, l’article 6 (1) de la loi du 25 novembre 2014 invoqué par les consorts … ne s’applique qu’aux demandes d’échange de renseignements dont les administrations fiscales furent saisies avant l’entrée en vigueur de la loi, soit avant la date du 1er décembre 2014. Il y a ainsi lieu de conclure que la décision déférée est régie par le présent litige est régi par les dispositions de la loi du 25 novembre 2014.
Au cours de l’audience des plaidoiries, les consorts … ont expliqué qu’ils ne s’opposeraient pas à ce que le tribunal attende l’issue de la procédure pendante devant la Cour de Justice de l’Union Européenne dans une affaire similaire avant de toiser les moyens développés dans le présent recours et la partie étatique n’a pas formulé d’objection quant à cette proposition.
Par un arrêt du 17 décembre 2015, inscrit sous le n° 36893 C du rôle, la Cour administrative a posé les questions préjudicielles suivantes à la Cour de Justice de l’Union européenne :
« 1) Est-ce qu’un Etat membre met en œuvre le droit de l’Union et rend partant la Charte applicable, conformément à l’article 51, paragraphe 1er, de cette dernière, dans une situation telle celle de l’espèce lorsqu’il fixe à l’égard d’un administré une sanction administrative pécuniaire en raison de manquements reprochés à ce dernier par rapport à ses obligations de coopération découlant d’une décision d’injonction prise par son autorité nationale compétente sur base des règles de procédure de droit interne instaurées à cet effet dans le cadre de l’exécution, par cet Etat membre en sa qualité d’Etat requis, d’une demande d’échange de renseignements émanant d’un autre Etat membre et fondée par ce dernier notamment sur les dispositions de la directive 2011/16 relatives à l’échange de renseignements sur demande ? 2) en cas d’application vérifiée de la Charte au cas d’espèce, est-ce qu’un administré peut se prévaloir de l’article 47 de la Charte lorsqu’il estime que la sanction administrative pécuniaire prévisée fixée à son encontre tendrait à l’obliger à fournir des renseignements dans le cadre de l’exécution, par l’autorité compétente de l’Etat membre requis dont il est un résident, d’une demande de renseignements émanant d’un autre Etat membre qui serait sans aucune justification quant au but fiscal réel, de manière qu’un but légitime ferait défaut dans le cas d’espèce, et qui viserait à obtenir des renseignements dont la pertinence vraisemblable pour le cas d’imposition concerné ferait défaut ? 3) en cas d’application vérifiée de la Charte au cas d’espèce, est-ce que le droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial tel que consacré par l’article 47 de la Charte requiert, sans que l’article 52, paragraphe 1er, de la Charte ne permette de prévoir des restrictions, que le juge national compétent doit disposer d’une compétence de pleine juridiction et partant du pouvoir de contrôler du moins par voie d’exception la validité d’une décision d’injonction prise par l’autorité compétente d’un Etat membre dans le cadre de l’exécution d’une demande d’échange de renseignements soumise par l’autorité compétente d’un autre Etat membre notamment sur base de la directive 2011/16 dans le cadre du recours introduit par le tiers détenteur des renseignements, destinataire de cette décision d’injonction et dirigé contre une décision de fixation d’une sanction administrative pécuniaire en raison du manquement reproché à ce justiciable par rapport à son obligation de collaboration dans le cadre de l’exécution de ladite demande ? 4) en cas d’application vérifiée de la Charte au cas d’espèce, est-ce que les articles 1er, paragraphe 1er, et 5 de la directive 2011/16 doivent, à la lumière, d’un côté, du parallélisme avec la norme de la pertinence vraisemblable découlant du Modèle de convention fiscale de l’OCDE concernant le revenu et la fortune et, d’un autre côté, du principe de la coopération loyale inscrit à l’article 4 du TUE, ensemble la finalité de la directive 2011/16, être interprétés en ce sens que le caractère vraisemblablement pertinent, par rapport au cas d’imposition visé et à la finalité fiscale indiquée, des renseignements sollicités par un Etat membre auprès d’un autre Etat membre constitue une condition à laquelle la demande de renseignements doit satisfaire en vue de déclencher l’obligation pour l’autorité compétente de l’Etat membre requis d’y donner suite et de légitimer une décision d’injonction à un tiers détenteur de sa part ? 5) en cas d’application vérifiée de la Charte au cas d’espèce, est-ce que les dispositions combinées des articles 1er, paragraphe 1er, et 5 de la directive 2011/16, ainsi que 47 de la Charte doivent être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à une disposition légale d’un Etat membre limitant d’une manière générale l’examen, par son autorité nationale compétente agissant en tant qu’autorité de l’Etat requis, de la validité d’une demande de renseignements, à un contrôle de la régularité formelle et qu’elles imposent au juge national, dans le cadre d’un recours contentieux tel que décrit dans la troisième question ci-dessus dont il se trouve saisi, de vérifier le respect de la condition de la pertinence vraisemblable des renseignements demandés sous tous ses aspects tenant aux liens avec le cas d’imposition concrètement en cause, à la finalité fiscale invoquée et au respect de l’article 17 de la directive 2011/16 ? 6) en cas d’application vérifiée de la Charte au cas d’espèce, est-ce que l’article 47, paragraphe 2, de la Charte s’oppose à une disposition légale d’un Etat membre qui exclut la soumission au juge national compétent de l’Etat requis, dans le cadre d’un recours contentieux tel que décrit dans la troisième question ci-dessus dont il se trouve saisi, de la demande de renseignements formée par l’autorité compétente d’un autre Etat membre et impose-t-il la production de ce document devant le juge national compétent et l’accès à accorder au tiers détenteur, voire la production de ce document devant le juge national, sans conférer un accès au tiers détenteur en raison du caractère confidentiel de ce document sous condition que toutes les difficultés causées au tiers détenteur par une limitation de ses droits doivent être suffisamment compensées par la procédure suivie devant le juge national compétent ? » Alors même que lesdites questions préjudicielles tournent essentiellement autour de l’application des dispositions de droit communautaire et, en particulier, l’article 47 de la Charte des Droits Fondamentaux de l'Union Européenne, il n’en demeure pas moins qu’il existe une similitude entre les questions préjudicielles soulevées par la Cour administrative dans l’affaire sus-visée portant sur une décision directoriale également régie par loi du 25 novembre 2014 et celles qui sont soumises à l’examen du tribunal de céans relatives notamment au droit à un recours effectif et à l’accès à un tribunal impartial auquel est, par ailleurs, subordonné l’intérêt à agir des consorts … dans la présente instance.
Le tribunal estime dès lors utile, avant tout autre progrès en cause et dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice d’attendre l’issue de la procédure pendante devant la Cour de Justice de l’Union Européenne pour lui permettre de trancher, à titre liminaire, la question de la recevabilité du présent recours.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
avant tout autre progrès en cause, renvoie l’affaire pour fixation à l’audience des plaidoiries du 12 décembre 2016 dans l’attente de l’issue réservée aux questions préjudicielles posées par l’arrêt de la Cour administrative du 17 décembre 2015, inscrit sous le n° 36893 C du rôle à la Cour de Justice de l’Union Européenne, en ce que lesdites questions sont susceptibles d’avoir une incidence sur la solution du présent litige ;
réserve la demande en allocation d’une indemnité de procédure présentée par la partie demanderesse, ainsi que les frais.
Ainsi jugé par :
Françoise Eberhard, vice-président, Anne Gosset, premier juge, Anne Foehr, attachée de justice déléguée, et lu à l’audience publique extraordinaire du 1er août 2016 par le vice-président, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 2 août 2016 Le greffier du tribunal administratif 6