Tribunal administratif Numéro 38168 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 14 juillet 2016 chambre de vacation Audience publique extraordinaire du 20 juillet 2016 Recours formé par Monsieur …, Findel, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 120, L.29.08.2008)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 38168 du rôle et déposée le 14 juillet 2016 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … en Albanie, de nationalité albanaise, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant principalement à la réformation, sinon subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 28 juin 2016 ayant ordonné son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision en question ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 15 juillet 2016 ;
Vu le mémoire en réplique de Maître Ardavan Fatholahzadeh, déposé au greffe du tribunal administratif le 18 juillet 2016 pour le compte du demandeur, préqualifié ;
Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 19 juillet 2016 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Ardavan Fatholahzadeh et Madame le délégué du gouvernement Christiane Martin en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 20 juillet 2016.
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Le 14 janvier 2016, Monsieur … fut interpellé par la Police grand-ducale pour un vol à l’étalage, tel que cela ressort du procès-verbal (« Fremdennotiz ») n°50208 dressé le même jour.
Par un arrêté du 14 janvier 2016, notifié à l’intéressé le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, désigné ci-après par « le ministre », déclara irrégulier le séjour de Monsieur … sur le territoire luxembourgeois, lui ordonna de quitter le territoire sans délai et prononça une interdiction du territoire pour une durée de trois ans à son encontre.
Par un arrêté séparé du même jour, notifié à l’intéressé le même jour, le ministre ordonna encore le placement de Monsieur … au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification. La demande de prise en charge de Monsieur …, adressée aux autorités françaises compétentes le 22 janvier 2016, fut avisée favorablement par ces dernières le 29 janvier 2016, de sorte que le transfert de Monsieur … vers la France, au poste frontière Evranges-Frisange, sur base du règlement (UE) n°604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, dit « règlement Dublin III », a pu être effectué le 12 février 2016.
Le 28 juin 2016, Monsieur … a, de nouveau, été interpellé par la Police grand-ducale sur le territoire luxembourgeois.
Le même jour, le ministre ordonna le placement en rétention de Monsieur … au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification. Ledit arrêté, notifié à l’intéressé le même jour, est basé sur les considérations et motifs suivants :
« […] Vu les articles 111, 120 à 123 et 125, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;
Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;
Vu le procès-verbal Nr. : R25040 du 28 juin 2016 établi par la Police grand-ducale, Unité C.I. Luxembourg Capellen ;
Vu ma décision d’interdiction de territoire du 14 janvier 2016 lui notifiée le même jour ;
Vu ma décision de retour du 28 juin 2016 ;
Attendu que l’intéressé est démuni de tout document d’identité et de voyage valable ;
Attendu qu’il existe un risque de fuite dans le chef de l’intéressé, alors qu’il ne dispose pas d’une adresse au Grand-Duché de Luxembourg ;
Attendu que par conséquent les mesures moins coercitives telles qu’elles sont prévues par l’article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;
Considérant que les démarches nécessaires en vue de l’identification et de l’éloignement de l’intéressé seront engagées dans les plus brefs délais ;
Considérant que l’exécution de la mesure d’éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches […] ».
Par requête déposée le 14 juillet 2016 au greffe du tribunal administratif, Monsieur … a fait introduire, aux termes de son dispositif, un recours tendant principalement à la réformation, sinon subsidiairement à l’annulation de la décision de placement au Centre de rétention précitée du 28 juin 2016.
Etant donné que l’article 123, paragraphe (1), de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Partant, il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
A l’appui de son recours, le demandeur soulève des contestations quant au bien-fondé de la décision déférée, en ce qui concerne l’exercice par le ministre des démarches et diligences nécessaires pour procéder à son éloignement rapide et afin d’écourter au maximum la durée de la mesure de rétention, en argumentant qu’il n’existerait aucun empêchement légal quant à son renvoi en France, dans la mesure où les autorités françaises auraient accepté sa reprise en charge en date du 1er juillet 2016. En se référant à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, il conclut finalement à la réformation de la décision déférée du 28 juin 2016 pour violation des articles 3 et 7 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », en ce qu’il estime les conditions de son interpellation, et plus particulièrement la mise de menottes, contraires aux articles, précitées, de la CEDH.
Le délégué du gouvernement, après avoir retracé les faits et rétroactes à la base du présent litige, estime, pour sa part, que la décision de placement au Centre de rétention serait justifiée en fait et en droit, de sorte que le demandeur serait à débouter de son recours. Il invoque encore un arrêt de la Cour administrative1 pour faire valoir que le délai entre la date à laquelle les services de police judiciaire auraient été chargés d’organiser le transfert de Monsieur … vers la France, en l’occurrence le 4 juillet 2016, et celle actuellement prévue pour son transfert, à savoir le 17 août 2016, ne serait pas excessivement long au regard des difficultés inhérentes à un tel rapatriement tenant notamment à la disponibilité des vols, des escortes, à l’obtention des documents de transit et à la coordination avec les autorités françaises. Il conclut encore au rejet du moyen tiré d’une violation des articles 3 et 7 de la CEDH au motif que la prétendue mesure de la police judiciaire de soumettre une personne au port de menottes ne ferait pas l’objet de la mesure de placement proprement dite, mais constituerait une modalité d’exécution de celle-ci, de sorte à ne pas pouvoir être de nature à affecter la légalité de celle-ci.
En ce qui concerne la légalité interne de la décision attaquée, le tribunal relève tout d’abord que par l’effet de la décision ministérielle, précitée, du 28 janvier 2016, dont la légalité n’a pas été mise en cause par le demandeur, déclarant le séjour de Monsieur … sur le territoire luxembourgeois irrégulier, lui ordonnant de le quitter sans délai et lui interdisant l’entrée sur ledit territoire pour une durée de trois, le ministre était autorisé à prendre des mesures coercitives pour procéder à l’éloignement du demandeur. Il y a encore lieu de relever que la présomption de l’existence d’un risque de fuite dans le chef de Monsieur …, tel que découlant de l’article 111, paragraphe (3) c) de la loi du 29 août 2008 n’a pas été contestée par ce dernier.
1 Cour adm. 12 mai 2016, n° 37873C du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu Par ailleurs, aux termes de l’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008: « Afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement en application des articles 111, 116 à 118 […], l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins qu’il ne soit assigné à résidence en application de l’article 125, paragraphe (1). Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. […] » et de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien. Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire. » L’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite en premier lieu l’identification de l’intéressé et la mise à la disposition de documents d’identité et de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères en vue de l’obtention d’un accord de reprise de l’intéressé. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.
En vertu de l’article 120, paragraphe (3), de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.
Quant aux démarches concrètement entreprises par les autorités ministérielles, il ressort des pièces versées en cause et notamment du dossier administratif que les autorités luxembourgeoises avaient contacté le 28 juin 2016, c’est-à-dire dès le placement au Centre de rétention de Monsieur …, les autorités françaises en vue de sa reprise en charge sur base du règlement Dublin III, demande qui fut accueillie favorablement le 1er juillet 2016. Le 4 juillet 2016, le ministre chargea les services policiers d’organiser le transfert du demandeur, transfert actuellement prévu pour le 17 août 2016 qui devrait se réaliser par la remise de l’intéressé aux autorités françaises au poste de frontière Evranges-Frisange. Le 13 juillet 2016 un laissez-passer fut émis.
Le tribunal est amené à retenir qu’il est incompréhensible que les autorités luxembourgeoises organisent le rapatriement du demandeur en programmant un transfert qui se situe à quatre semaines de la date d’obtention du laissez-passer et acceptent ainsi que l’intéressé soit privé de son droit à la liberté pendant ces quatre semaines, sans qu’il ne ressorte du dossier administratif que la partie étatique avait l’obligation de verser en intégralité aux débats en vertu de l’article 8, paragraphe (5) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ni d’ailleurs des explications du délégué du gouvernement fournies à l’audience publique des plaidoiries sur question afférente du tribunal, que des démarches supplémentaires auraient été nécessaires auprès des autorités françaises. La partie étatique a invoqué, à l’audience des plaidoiries, comme unique raison de ce délai, la difficulté d’organiser une escorte pendant la période estivale où de nombreux fonctionnaires des forces de l’ordre seraient en congé. Si dans certains cas, un tel délai de quatre semaines a pu, le cas échéant, être justifié, notamment en raison de considérations liées à la disponibilité de vols pour plusieurs personnes pendant la période estivale, respectivement liées à l’obtention des documents officiels requis de la part d’autorités étrangères pour procéder à un rapatriement, aucun de ces cas de figure n’est donné en l’espèce, dans la mesure où les autorités luxembourgeoises sont en possession de l’ensemble des documents requis depuis le 13 juillet 2016 et que le transfert du demandeur s’opère à la frontière franco-luxembourgeoise, distante d’une vingtaine de kilomètres du Centre de rétention et accessible en voiture.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le ministre n’a pas respecté son obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais, de sorte que le recours est fondé et qu’il y a lieu d’ordonner la libération immédiate du demandeur, sans qu’il n’y ait lieu de toiser le moyen tiré d’une violation des articles 3 et 7 de la CEDH, dont l’examen est devenu surabondant.
Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit le recours principal en réformation en la forme ;
au fond, le déclare justifié ;
partant par réformation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 28 juin 2016 ordonne la mise en liberté immédiate de Monsieur … ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
condamne l’Etat aux frais.
Ainsi jugé par :
Claude Fellens, vice-président, Françoise Eberhard, vice-président, Paul Nourissier, juge, et lu à l’audience publique extraordinaire du 20 juillet 2016 par Claude Fellens, en présence du greffier Goreti Pinto.
s. Goreti Pinto s. Claude Fellens Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 20 juillet 2016 Le greffier du tribunal administratif 6