Tribunal administratif N° 37037 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 octobre 2015 1re chambre Audience publique du 13 juillet 2016 Recours formé par Madame …et consorts, …, contre un arrêté grand-ducal du 25 juin 2015, en matière de changement de nom patronymique
___________________________________________________________________________
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 37037 du rôle et déposée le 12 octobre 2015 au greffe du tribunal administratif par Maître Daniel Noel, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, agissant en sa qualité de représentant légal de ses trois enfants mineurs …, née le … 2000 à …, …, née le … à … et …, née le … à …, les quatre demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’un arrêté grand-ducal du 25 juin 2015 portant refus de l’autorisation de changer le nom patronymique de ses filles mineures de « … » en « ……» ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 16 décembre 2015 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment l’arrêté grand-ducal déféré ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Daniel Noel et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul Reiter en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 4 juillet 2016.
___________________________________________________________________________
Par courrier du 24 février 2014, entré auprès du ministère de la Justice en date du 2 mars 2014, Madame …s’adressa audit ministère afin de solliciter l’autorisation de changer le nom patronymique de ses enfants mineurs …, … et … de « … » en celui de « ……».
Par avis respectifs des 21 et 25 avril 2014, le procureur d’Etat et le procureur général d’Etat se prononcèrent en défaveur du changement de nom patronymique sollicité par la demanderesse. Le Conseil d’Etat émit le 24 février 2015 également un avis défavorable quant au changement de nom patronymique sollicité.
Suite à ces avis, la requête en changement de nom patronymique fut rejetée par arrêté grand-ducal du 25 juin 2015 transmis à l’intéressée par un courrier du ministre de la Justice du 9 juillet 2015, expédié le 14 juillet 2015. Cet arrêté est motivé comme suit :
« Vu la demande présentée le 24 février 2014 par Madame …, sollicitant l’autorisation de changer le nom patronymique actuel de ses enfants mineurs, …, née le … à …, …, née le … à …, et …, née le … à …, toutes les trois de nationalité luxembourgeoise et demeurant à L-…, en celui de « ……» ;
Vu le titre II de la loi du 11-21 germinal an XI relative aux prénoms et changements de noms, telle que modifiée par la loi du 18 mars 1982 relative aux changements de noms et de prénoms ;
Vu les avis négatifs rendus par le Procureur d'État de Luxembourg le 21 avril 2014 et par le Procureur général d'État le 25 avril 2014 ;
Vu l’avis négatif rendu par le Conseil d'État en date du 25 février 2015 ;
Considérant que le principe de la fixité du nom patronymique constitue une règle d'ordre public et social ;
Considérant qu'un changement de nom patronymique ne peut être autorisé qu'en présence de circonstances exceptionnelles et pour des raisons importantes ;
Considérant que la requête ne comporte aucune motivation susceptible de justifier un changement de nom ;
Considérant que l’information fournie entre parenthèses que les trois filles n’auraient plus de contact avec Monsieur … …, du chef duquel elles portent leur nom actuel, ne constitue pas une circonstance d’une gravité suffisamment exceptionnelle pour motiver un changement du nom ;
Sur le rapport de Notre Ministre de la Justice et après délibération du Gouvernement en Conseil;
Arrêtons :
Art. 1er. - L'autorisation sollicitée est refusée.
Art. 2. - Notre Ministre de la Justice est chargé de l'exécution du présent arrêté. » Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 12 octobre 2015, Madame …, agissant en sa qualité de représentant légal de ses trois filles mineures, …, … et …, a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de l’arrêté grand-
ducal du 25 juin 2015 portant refus de la demande de changement du nom patronymique de ses filles.
Aucune disposition de la loi du 11-21 germinal an XI relative aux prénoms et changements de noms, telle que modifiée par la loi du 18 mars 1982 relative aux changements de noms et de prénoms, ci-après désignée par « la loi modifiée du 11-12 germinal an XI », ne prévoyant de recours de pleine juridiction contre une décision de refus de changement de nom patronymique, seul un recours en annulation a pu être introduit contre la décision sous examen. Le tribunal n’est dès lors pas compétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal.
En ce qui concerne le recours subsidiaire en annulation, la partie étatique en soulève l’irrecevabilité pour cause d’obscuri libelli, au motif que la demanderesse aurait omis d’indiquer les moyens à l’appui de son recours, tel qu’exigé par l’article 1er, alinéa 2 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après désignée par « la loi du 21 juin 1999 ». Elle resterait plus particulièrement en défaut de préciser si elle conteste la légalité de la décision litigieuse pour incompétence, excès de pouvoir, détournement de pouvoir, violation de la loi ou violation des formes destinées à protéger les intérêts privés, ce qui mettrait la partie étatique dans l’impossibilité de présenter une défense en bonne et due forme.
Aux termes de l’article 1er, alinéa 2 de la loi du 21 juin 1999: « La requête, qui porte date, contient : […] l’exposé sommaire des faits et des moyens invoqués, […] ». Ainsi, il incombe au demandeur d’indiquer sommairement les faits à la base de sa requête, ainsi que les moyens qu’il entend invoquer contre la décision administrative déférée.
Le tribunal relève tout d’abord que si l’article 1er, alinéa 2, précité, prévoit que la requête introductive d’instance contienne l’exposé sommaire des moyens invoqués, l’exigence de l’indication formelle de celui ou de ceux des cinq cas d’ouverture du recours en annulation prévus par l’article 2 de la loi du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif n’est en revanche pas requise par la loi1.
Ensuite, il appartient au tribunal saisi d'apprécier in concreto si l'exposé sommaire des faits et des moyens, ensemble les conclusions s'en dégageant, est suffisamment explicite ou non. L’exceptio obscuri libelli, qui est d'application en matière de contentieux administratif, sanctionne d’irrecevabilité l'acte y contrevenant, étant entendu que son but est de permettre au défendeur de savoir quelle est la décision critiquée et quels sont les moyens à la base de la demande, afin de lui permettre d'organiser utilement sa défense,2 sous réserve de l’article 29 de la loi du 21 juin 1999 qui dispose que « L’inobservation des règles de procédure n'entraîne l'irrecevabilité de la demande que si elle a pour effet de porter effectivement atteinte aux droits de la défense. ».
En l’espèce, s’il est vrai que l’indication des faits et moyens dans la requête introductive d’instance est très succincte et se limite à une discussion des faits invoqués à l’appui de la demande de changement de nom litigieuse, sans aucune argumentation juridique, force est au tribunal de constater que la partie étatique ne s’est pas méprise à ce sujet puisqu’elle a utilement pu présenter ses moyens de défense quant au fond. Le tribunal est dès lors amené à retenir que les droits de la défense de la partie étatique n’ont pas été violés en l’espèce.
Il s’ensuit que le moyen relatif à l’exceptio obscuri libelli est à rejeter pour ne pas être fondé.
Le recours subsidiaire en annulation est dès lors recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours, la demanderesse fait valoir que, depuis son divorce avec Monsieur … …, intervenu le 29 juillet 2011, ses trois enfants n’auraient plus aucun contact avec leur père, tout en précisant que déjà pendant l’instance de divorce, Monsieur … aurait coupé tout contact avec les enfants. A cela s’ajouterait qu’il n’aurait jamais contribué à 1 Trib. adm. 3 octobre 2005, n° 19759 du rôle, Pas. adm. 2015, V° Procédure contentieuse, n° 387.
2 Trib. adm. 30 avril 2003, n° 15482 du rôle, Pas. adm. 2015, V° Procédure contentieuse, n° 401 386 et les autres références y citées l’entretien, ni à l’éducation des enfants.
Au vu de ces considérations, la demanderesse déclare solliciter à titre principal le changement du nom patronymique de ses enfants mineurs en «…» et à titre subsidiaire en «…… ».
Le délégué du gouvernement conclut quant à lui au rejet du recours sous analyse pour ne pas être fondé.
En vertu de l’article 1er de la loi du 6 fructidor an II, aucun citoyen ne peu t porter de nom, ni de prénom autres que ceux exprimés dans son acte de naissance. L’article 4 de la loi modifiée du 11-21 germinal an XI, précitée, déroge au principe de la fixité des noms et prénoms en disposant que toute personne qui aura quelque raison de changer de nom ou de prénoms en adressera la demande motivée au gouvernement. En vertu de l’article 5 de la même loi, le gouvernement se prononcera dans la forme prescrite pour les règlements d’administration publique.
Il découle des textes de loi précités que le principe de la fixité du nom patronymique est une règle d’ordre public et social. Ce n’est qu’en présence de circonstances exceptionnelles et pour des raisons importantes qu’un changement de nom peut être accordé3.
Par ailleurs, il échet de relever, d’une part, que suivant la règle de la fixité, sinon de la pérennité du nom patronymique, laquelle participe à l’ordre public, les raisons devant justifier le changement de nom patronymique sont appelées à s'analyser en des circonstances exceptionnelles à énoncer dès la demande adressée au gouvernement, qui doit être dûment motivée. Cette exigence d'une motivation spécifique dès la demande formulée auprès du gouvernement se justifie, d'une part, en raison des circonstances exceptionnelles pouvant seules sous-tendre valablement un changement de nom patronymique et, d'autre part, par le caractère nécessairement éclairé non seulement de l'autorité de décision à travers les avis rendus à son escient par le Conseil d'Etat, ainsi que le procureur d’Etat compétent ensemble le procureur général d'Etat, mais encore dans le chef de ces derniers mêmes4.
D’autre part, il y a encore lieu de rappeler que, de manière générale, dans le cadre de l’analyse d’un recours en annulation, le tribunal est amené à analyser la légalité d’une décision administrative en considération non seulement de la situation de droit et de fait au jour où elle a été prise, mais encore dans les circonstances spécifiques se dégageant des dispositions légales régissant les demandes en changement de nom patronymique et notamment celles de la loi modifiée du 11-21 germinal an XI, ce plus particulièrement de son article 4, de sorte que seuls les faits dûment étayés dès la demande en autorisation de changement de nom patronymique, tels que soumis successivement aux instances consultatives, puis à l’autorité de décision, sont à prendre utilement en considération pour apprécier la légalité de la décision rendue.
Il appartient à cet égard en tout état de cause à la demanderesse de fournir à l’autorité de décision les éléments nécessaires pour pouvoir apprécier s’il existe de telles circonstances exceptionnelles ou raisons importantes et plus particulièrement si le port du nom 3 Trib. adm. 13 novembre 1997, n° 9854 du rôle; Trib. adm. 16 janvier 2002 n° 13851 du rôle, Pas. adm. 2015, V°Noms- Prénoms- Domicile- Etat civil, n°5 et les autres références y citées.
4 Trib. adm. 12 mai 2005, n° 20084 du rôle, Pas. adm. 2015, V° Noms- Prénoms- Domicile- Etat civil, n°4 et les autres références y citées.
patronymique litigieux peut ou non être ressenti à juste titre comme intolérable par ses enfants.
En l’espèce, il se dégage du dossier administratif que dans sa demande introduite en date du 24 février 2014 auprès du ministère de la Justice, la demanderesse a sollicité le changement du nom de ses trois enfants mineurs de « … » en « ……», en se limitant à énoncer entre parenthèses le motif à la base de ladite demande comme suit :
« […] Kanner hun iwer 4 Joer an 3 Méint keen Kontakt …. […] ».
Force est encore de constater qu’elle n’a versé à l’appui de sa demande ni le jugement de divorce prononcé entre elle et Monsieur … …, ni un jugement constatant l’abandon de famille allégué, voire une plainte pénale déposée de ce chef.
Or, si l’abandon vérifié d’un enfant par son père, respectivement par la personne du chef duquel il porte son nom actuel, est susceptible de constituer une raison suffisamment grave pour justifier un changement de nom de l’enfant concerné, encore faut-il que l’abandon ainsi invoqué soit établi. En l’espèce, la seule affirmation, non autrement documentée, selon laquelle les trois enfants mineurs n’auraient plus aucun contact avec Monsieur … … depuis plus de quatre ans ne permet pas d’établir la réalité d’un tel reproche et ne revêt pas un caractère étayé et précisément circonscrit de nature à justifier, en l’état du dossier tel que soumis à l’appréciation de l’autorité administrative, face au principe de fixité du nom patronymique, un changement dudit nom dans le chef des trois enfants mineurs de la demanderesse.
Au vu des considérations qui précèdent, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause la légalité de l’arrêté grand-ducal déféré.
Il s’ensuit qu’à défaut d’autres moyens, le recours sous analyse est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation ;
reçoit le recours en annulation introduit à titre subsidiaire en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
condamne la demanderesse aux frais.
Ainsi jugé par :
Annick Braun, premier juge, Paul Nourissier, juge, Alexandra Castegnaro, juge, et lu à l’audience publique du 13 juillet 2016 par le premier juge en présence du greffier Michèle Hoffmann.
s. Michèle Hoffmann s. Annick Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 14/7/2016 Le Greffier du Tribunal administratif 6