La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

13/07/2016 | LUXEMBOURG | N°36808

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 13 juillet 2016, 36808


Tribunal administratif N° 36808 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 14 août 2015 Ire chambre Audience publique du 13 juillet 2016 Recours formé par Madame …et consorts, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers

___________________________________________________________________________


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 36808 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 14 août 2015 par Maître Louis Tinti, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’

Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à … (Monténégro), accompagnée de ...

Tribunal administratif N° 36808 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 14 août 2015 Ire chambre Audience publique du 13 juillet 2016 Recours formé par Madame …et consorts, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers

___________________________________________________________________________

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 36808 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 14 août 2015 par Maître Louis Tinti, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à … (Monténégro), accompagnée de ses enfants Monsieur …, né le … à … et Monsieur …, né le … à …, tous de nationalité monténégrine, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à l’annulation d’une décision de refus implicite du ministre de l’Immigration et de l’Asile suite à leur demande du 3 mars 2015 en obtention d’une autorisation de séjour pour motifs humanitaires d’une exceptionnelle gravité sinon d’un sursis à l’éloignement pour motifs médicaux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 14 décembre 2015 ;

Vu le mémoire en réplique de Maître Louis Tinti déposé au greffe du tribunal administratif le 14 janvier 2016 au nom de ses mandants ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 21 janvier 2016 ;

Vu le mémoire complémentaire de Maître Louis Tinti déposé au greffe du tribunal administratif le 30 juin 2016 au nom de ses mandants ;

Vu le mémoire supplémentaire du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 juillet 2016 ;

Vu les pièces versées en cause ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Shirley Freyermuth, en remplacement de Maître Louis Tinti, et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline Jacques en leurs plaidoiries respectives.

___________________________________________________________________________

Le 13 octobre 2011, Madame …, accompagnée de ses enfants … et …, dénommés ci-

après « les consorts … », introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après désignée par « la loi du 5 mai 2006 », demande qui fut rejetée le 6 juillet 2012 par le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration.

Un recours contentieux dirigé contre ce refus ministériel fut rejeté par un jugement du tribunal administratif du 13 mai 2013, inscrit sous le n° 30918 du rôle, confirmé par un arrêt de la Cour administrative du 1er octobre 2013, inscrit sous le n° 32887C du rôle.

En date du 8 janvier 2014, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, dénommé ci-

après « le ministre », accorda un premier sursis à l’éloignement aux consorts …, sursis qui fut renouvelé en date du 28 mai 2014.

Une demande datée au 29 août 2014 visant à obtenir une autorisation de séjour pour motifs humanitaires en application de l’article 78, paragraphe (3) de la loi modifiée du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », fut rejetée par une décision ministérielle du 5 janvier 2015, refus qui fut confirmé sur recours gracieux en date du 4 février 2015.

Par un courrier du 17 février 2015, les consorts …, par le biais de leur litismandataire, adressèrent au ministre un courrier qualifié de recours gracieux dirigé à l'encontre de la décision ministérielle du 5 janvier 2015 ayant rejeté leur demande de se voir accorder un titre de séjour pour des raisons humanitaires sinon un sursis à éloignement.

Par courrier du 19 février 2015, le ministre répondit comme suit à la demande précitée : « (…) Par la présente j'ai l'honneur de me référer à votre recours gracieux du 17 février 2015 dans le dossier sous rubrique dirigé contre la décision ministérielle du 5 janvier 2015 refusant la prolongation du sursis à l'éloignement initialement accordé à vos mandants en raison de l'état de santé de Monsieur … et refusant une autorisation de séjour sur base de l'article 78(3) de la loi modifiée du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l'immigration à vos mandants.

Par courrier du 26 janvier 2015, votre prédécesseur, Maître Nicky Stoffel a introduit un recours gracieux contre la décision ministérielle du 5 janvier 2015 et après nouvel avis du médecin délégué du Ministère de la Santé du 29 janvier 2015, la prédite décision a été confirmée par courrier du 4 février 2015. Par conséquent, votre recours gracieux du 17 février 2015 n'est pas recevable.

Par ailleurs, force est de constater que vous sollicitez également dans votre courrier du 17 février 2015 « un titre de séjour basé sur l'article 78(3) de la prédite loi du 29 août 2008 sinon un sursis à l'éloignement au sens des articles 130 et suivants de la même loi » pour le compte de vos mandants. Vous annexez à votre courrier un certificat médical du 18 janvier 2015 du Dr M. D. Or, ce certificat a déjà été soumis pour avis en date du 27 janvier 2015 au médecin délégué de la Direction de la Santé qui en a pris compte dans son avis du 29 janvier 2015. De même, l'ordonnance médicale du 13 février 2015 du Dr C fait état. d'une pathologie médicale de Monsieur … déjà connue et prise en compte dans les avis du médecin délégué. Par conséquent, je ne suis pas en mesure de prendre une nouvelle décision. (…) ».

Par un courrier du 3 mars 2015, le litismandataire des consorts … introduisit une nouvelle demande en obtention d’une autorisation de séjour basée sur l’article 78, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008 aux termes suivants :

« (…) Par la présente j'accuse réception de votre courrier du 19 février 2015 concernant le dossier sous rubrique.

En annexe à la présente je vous communique un certificat daté au 12 février 2015 renseignant notamment qu'il n'existe aucune possibilité de greffe de reins dont mon mandant pourrait bénéficier dans son pays d'origine.

Le retour de mon mandant au Monténégro entrainerait dans son chef la perte d'une chance de survie alors que la greffe de reins apparait comme la seule solution de nature à améliorer sa durée de survie ( cf certificat du Docteur C).

Vous voudrez considérer le certificat émis par la " Clinicki Centar Crne Gore" comme élément nouveau est dès lors prendre une nouvelle décision au regard des arguments déjà exposés dans mon courrier du 17 février 2015 et censés reproduits dans le cadre de la présente requête.

Nous restons en attente d'une réponse favorable concernant un titre de séjour basé sur l'article, 78 (3) de la loi du 29 août 2008 concernant l'immigration et la liberté de circulation sinon un sursis à éloignement au sens des articles 130 et suivants de la même loi. (…) ».

Après avoir sollicité et obtenu une traduction du certificat émis par la Clinicki Centar Crne Gore, le ministre ne prit plus position quant à cette demande.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 14 août 2015, les consorts … ont fait introduire un recours en annulation contre la décision implicite de refus de leur demande précitée du 3 mars 2015.

En vertu de l’article 4 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, dénommée ci-après « la loi du 7 novembre 1996 », « (1) Dans les affaires contentieuses qui ne peuvent être introduites devant le tribunal administratif que sous forme de recours contre une décision administrative, lorsqu’un délai de trois mois s’est écoulé sans qu’il soit intervenu aucune décision, les parties intéressées peuvent considérer leur demande comme rejetée et se pourvoir devant le tribunal administratif. » Il s’ensuit que les consorts … ont valablement pu déférer le refus implicite du ministre quant à leur demande précitée dont la réception n’est d’ailleurs pas contestée par la partie étatique.

Aucune disposition légale ne prévoyant un recours en réformation ni en matière de refus d’une autorisation de séjour pour motifs humanitaires, ni en matière de refus d’un sursis à l’éloignement, seul un recours en annulation a pu être introduit en l’espèce.

A l’audience des plaidoiries, le délégué du gouvernement a informé le tribunal que Monsieur … se serait récemment marié à une ressortissante luxembourgeoise, de sorte qu’il n’aurait plus d’intérêt à maintenir son recours relatif à la décision de refus d’un sursis à l’éloignement, ainsi que d’une autorisation de séjour humanitaire en son chef.

Dans leur mémoire complémentaire, les consorts … confirment ce changement de la situation administrative de Monsieur … et demandent acte de ce que ce dernier renonce à son recours, de sorte à ce que le recours n’est maintenu qu’en ce qui concerne Madame …et Monsieur ….

Il échet de leur en donner acte et de déclarer le recours irrecevable en ce qu’il a été introduit par Monsieur ….

Le recours en annulation en ce qu’il est introduit par Madame …et par Monsieur … est recevable pour avoir par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de leur recours, et en fait, les demandeurs expliquent que les raisons à la base de leurs demandes de protection internationale auraient reposé sur l'état de santé de Monsieur … qui souffrirait d'une insuffisance rénale terminale, alors qu’au Monténégro, les médecins seraient incompétents et la chance qu'il serait mis sur une liste d'attente serait très petite, de sorte qu’ils devraient se rendre à Belgrade, ce qui leur serait pourtant impossible faute d’une ordonnance y relative et faute de moyens financiers suffisants. Bien que l’époux de Madame …et Monsieur … aient le même groupe sanguin, ce premier ne serait pas en mesure de donner un rein à son fils, en raison de son mauvais état psychique tel qu’il serait attesté par un rapport d’un médecin spécialiste établi en date du 12 février 2015.

Ils évoquent encore que, depuis leur arrivée au Luxembourg, Monsieur … serait pris en charge par le Docteur C. B. qui attesterait qu’il serait traité en raison d'une insuffisance rénale terminale irréversible par hémodialyse chronique à raison de trois séances par semaine. Ce même médecin aurait relevé suivant certificat médical daté au 13 février 2015 qu’un traitement substitutif serait nécessaire à vie et que parmi les modalités de traitement, la transplantation rénale serait en toute évidence médicale celle qui donnerait les meilleurs résultats, tant au niveau de la qualité de vie qu'à celui de la durée de survie, ce qui serait plus particulièrement vrai pour les jeunes patients. Or, Monsieur … ne serait pas éligible pour une greffe rénale dans sa situation actuelle, alors que selon les règlementations de Eurotransplant, qui s'appliquent aussi pour le Luxembourg, un patient ne pourrait être accepté sur une liste de greffe que s'il est résident d'un pays affilié à Eurotransplant (Benelux, Allemagne, Autriche, Croatie, Slovanie, Hongrie). Ils précisent encore que le Monténégro ne serait pas membre de Eurotransplant.

Les demandeurs estiment ainsi qu’un titre de séjour sur base des dispositions visées à l'article 78 (3) de la loi du 29 août 2008 serait la seule solution permettant à Monsieur … d'obtenir un titre de séjour au Luxembourg et donc de devenir éligible pour une greffe rénale.

Ils soulignent qu’il conviendrait de retenir que l'absence de réponse ministérielle emporterait rejet implicite tant de la demande en autorisation de séjour que de la demande subsidiaire en obtention d’un sursis à l’éloignement.

En droit, et quant à la demande de titre de séjour pour des raisons humanitaires au sens de l'article 78 (3) de la loi du 29 août 2008, les demandeurs concluent à sa recevabilité alors même que les motifs tenant à l'état de santé de Monsieur … auraient déjà partiellement été invoqués à l'occasion de leur demande de protection internationale, au motif que ces faits n'auraient pas été appréciés à l'occasion de cette dernière pour en être exclus de son champ d'application matériel.

Au fond, les demandeurs rappellent que l’insuffisance rénale chronique terminale serait irréversible et que seule une greffe de rein permettrait au malade atteint d'une insuffisance rénale terminale de survivre à moyen terme, les dialyses étant à regarder comme une solution provisoire dans l'attente d'une greffe de rein qui, selon des études récentes, aurait non seulement comme avantage une amélioration de la qualité de vie, mais aussi une meilleure espérance de vie à moindre coût.

Ils ajoutent que l'impossibilité pour Monsieur … de bénéficier d'une greffe de rein dans son pays d'origine ne résiderait non seulement dans le fait que le Monténégro ne ferait pas partie de Eurotransplant, mais serait également renforcée par le fait que, son père n’étant pas en mesure de lui faire don d’un rein, le prélèvement post mortem d'un organe y serait impossible.

Les demandeurs concluent que la possibilité pour Monsieur … de bénéficier d'une greffe de rein, indispensable tant au niveau de sa qualité de vie qu'à la durée de survie devrait être regardée comme un motif humanitaire d'une exceptionnelle gravité qui, au sens des prédites dispositions, justifierait que lui soit délivré un titre de séjour qui, suite à la réforme en juillet 2011, serait passé d’un an à trois ans maximum renouvelables, ce qui permettrait, sans difficulté aucune, de réaliser la greffe de rein préconisée. En ce qui concerne la condition de résidence au Luxembourg pour pouvoir profiter du système Eurotransplant, celle-ci devrait se comprendre comme le séjour habituel du patient nonobstant le caractère précaire de ce séjour et quelque soit sa durée.

Ils contestent ensuite les constatations du médecin délégué tirées de la base de données MedCOI, selon lesquelles la transplantation de reins serait réalisable au Monténégro, alors que jamais aucune greffe de rein n'aurait été réalisée au Monténégro, pays dans lequel un seul prélèvement post mortem aurait été effectué en 2013. Ils invoquent dans ce contexte un rapport d’une policlinique du Monténégro qui renseignerait qu’elle n'aurait pas la possibilité de faire le don d'un rein pour le patient … et qui ne serait pas non plus compétente pour lui prodiguer les soins appropriés, alors même qu’il s’agirait en l’espèce de l'unité la plus spécialisée du Monténégro en matière de traitement d'affections des reins.

Ils contestent encore que Monsieur … soit capable de travailler au vu de son état de santé général fort dégradé et de la nécessité d’effectuer trois dialyses hebdomadaires d’une durée de cinq heures chacune.

Quant à leur demande en obtention d’un sursis à l’éloignement, les demandeurs font plaider que la première condition relative à la gravité de la maladie serait établie à suffisance de droit par les certificats médicaux versés établissant que Monsieur … souffrirait d'une insuffisance rénale chronique terminale dont le défaut de prise en charge aurait des conséquences d'une exceptionnelle gravité dans son chef. En ce qui concerne la deuxième condition, les demandeurs font relever qu’ils auraient bénéficié de deux sursis à éloignement respectivement datés au 8 janvier 2014 et 28 mai 2014, chacun pour une période de six mois, de sorte qu’il y aurait lieu d’en conclure, à défaut de preuve contraire rapportée par l'autorité ministérielle, une présomption selon laquelle il n'existe pas de traitement approprié et suffisamment accessible dans leur pays d'origine, alors que les circonstances de fait et de droit qui auraient prévalu au jour de leur demande seraient identiques à celles qui auraient motivé la délivrance des sursis à l’éloignement obtenus par eux. Il y aurait ainsi violation du principe de la légitime confiance qui s’opposerait à ce que l’administration opère des changements brusques de position quant les circonstances de fait et de droit sont restées identiques.

Les demandeurs sollicitent finalement une expertise médicale dans les deux volets de leur recours au regard des éléments contradictoires portant sur la capacité des autorités monténégrines à réaliser des greffes de reins.

En ce qui concerne la situation spécifique de Madame …au regard des conditions d’octroi d’une autorisation de séjour pour raisons humanitaires et d’un sursis à l’éloignement à son égard, - question soulevée d’office à l’audience des plaidoiries par le tribunal en raison de la majorité de Monsieur … et du défaut d’invoquer des raisons personnelles à elle dans le cadre des deux demandes - les demandeurs soulignent que Monsieur … présenterait des problèmes de santé qui diminueraient largement son autonomie, de sorte qu’il aurait besoin de l’assistance de sa mère. Au regard de la demande relative à l’obtention d'un sursis à éloignement, ils demandent dès lors de faire application des dispositions visées à l'article 131, paragraphe (4) de la loi du 29 août 2008 permettant au ministre d’étendre le bénéfice des mesures prévues aux paragraphes (1) et (2) aux membres de la famille qui accompagnent l'étranger et qui sont également susceptibles d'être éloignés du territoire, pour une durée identique à celle accordée au bénéficiaire principal. S'agissant de la demande en obtention d'un titre de séjour pour raisons humanitaires, il y aurait lieu de se référer, pour les mêmes raisons, au principe établi aux termes de l'alinéa 2 de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dénommée ci-après « la CEDH », selon lequel, il ne peut y avoir ingérence d'une autorité dans l'exercice du droit au respect de la vie familiale et privée que pour autant que cette ingérence est prescrite par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou la protection des droits et libertés d'autrui.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours en faisant valoir que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs en s’appuyant sur les recherches effectuées par le médecin délégué sur MedCOI, dont il résulterait que le traitement des maladies rénales, à savoir les dialyses et transplantations rénales, seraient possible au Monténégro.

En ce qui concerne la greffe rénale envisagée, le délégué du gouvernement donne encore à considérer que le système Eurotransplant n’accorderait des greffes d’organes qu’à des personnes résidant dans l’un des Etats membres, à savoir l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, les Pays-Bas, le Grand-Duché de Luxembourg, la Slovénie et la Croatie, de sorte que même si le demandeur se voyait accorder une autorisation de séjour pour motifs humanitaires, « (…) leur domiciliation au Luxembourg resterait une domiciliation précaire (puisque limitée dans le temps) qui ne leur permettrait pas d’être considérés comme « résidant » et de se faire transplanter (…) ». Dès lors, afin de bénéficier d’une transplantation rénale, Monsieur … devrait retourner dans son pays d’origine, puisqu’il s’agirait du seul endroit où il pourrait être considéré comme « résidant ».

Finalement, il souligne encore que le Luxembourg ne pratiquerait pas des transplantations rénales et que les patients du Monténégro seraient envoyés pour les greffes de reins en Croatie, pays membre d’Eurotransplant.

La partie étatique se réfère encore à un courrier de l’ambassade du Monténégro à Bruxelles relatif au cas spécifique de Monsieur … et qui confirmerait que ce dernier se serait trouvé sur la liste des patients hémodialysés auprès du service pour hémodialyse de l’Hôpital de Bar du 8 décembre 2004 jusqu’au 1er décembre 2011, date de son départ pour le Luxembourg, et que ce serait en raison de son départ du Monténégro qu’il n’aurait pas été mis sur la liste d’attente pour une greffe rénale. L’Etat souligne encore que, si Monsieur … n’est actuellement plus affilié à la sécurité sociale monténégrine, ce ne serait qu’en raison de son départ vers le Luxembourg et que rien ne s’opposerait à une réaffiliation en cas de retour dans son pays d’origine, notamment au vu de son aptitude au travail qui serait corroborée par la demande de ce dernier visant à obtenir une autorisation de travail temporaire au Luxembourg.

L’Etat signale que si, en raison de l’alcoolémie et des problèmes psychiatriques du père de Monsieur …, un don d’organe de la part de ce dernier serait difficile, il ne serait pourtant pas impossible.

Quant à l’argument relatif à la violation du principe de légitime confiance, le délégué du gouvernement souligne que les sursis à l’éloignement seraient par nature limités dans le temps et sujets à réévaluation, de sorte qu’il ne pourrait pas en résulter un droit acquis pour les demandeurs. Il relève que le cadre factuel ne serait d’ailleurs plus resté le même, alors que le médecin délégué se serait basé sur des ressources nouvelles, à savoir la base de données MedCOI qui n’aurait pas fait partie de l’évaluation précédente basée uniquement sur les certificats médicaux versés. Parallèlement, le ministre se serait encore adressé aux autorités consulaires monténégrines en ce qui concerne le cas spécifique de Monsieur ….

L’Etat souligne finalement que la question qui se poserait ne serait pas celle de la confiance légitime, mais celle de la charge de la preuve qui pèserait exclusivement sur les demandeurs en vertu des articles 130 et suivants de la loi du 29 août 2008.

Lorsque le juge administratif est saisi d’un recours en annulation, il a le droit et l’obligation d’examiner l’existence et l’exactitude des faits matériels qui sont à la base de la décision attaquée, de vérifier si les motifs dûment établis sont de nature à motiver légalement la décision attaquée et de contrôler si cette décision n’est pas entachée de nullité pour incompétence, excès ou détournement de pouvoir, ou pour violation de la loi ou des formes destinées à protéger des intérêts privés1.

En ce qui concerne la demande d’une autorisation de séjour pour raisons humanitaires, il échet de rappeler les termes de l’article 78, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008 qui dispose qu’« A condition que leur présence ne constitue pas de menace pour l’ordre public, la santé ou la sécurité publiques, le ministre peut accorder une autorisation de séjour pour des motifs humanitaires d’une exceptionnelle gravité au ressortissant de pays tiers. La demande est irrecevable si elle se base sur des motifs invoqués au cours d’une demande antérieure qui a été rejetée par le ministre. En cas d’octroi d’une autorisation de séjour telle que visée ci-

dessus, une décision de retour prise antérieurement est annulée.» Force est au tribunal de constater que, quand bien même que le délégué du gouvernement ne l’ait pas expressément soulevé, si les demandeurs estiment que leur 1 Cour adm. 4 mars 1997, n° 9517C du rôle, Pas. adm. 2016, V° Recours en annulation, n° 30 et les autres références y citées.

demande serait recevable en raison du fait que les raisons médicales, déjà invoqués dans le cadre de la demande de protection internationale précédemment refusée, pourraient être invoqués de nouveau dans le cadre de leur demande actuelle en autorisation de séjour pour motifs humanitaires, alors qu’elles auraient été exclues du champ d'application matériel de la protection internationale, il ressort des rétroactes cités ci-avant que les demandeurs avaient déjà, en date du 29 août 2014, sollicité une autorisation de séjour sur base de l’article 78, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008 et qui était également motivée par l’état de santé de Monsieur …, à savoir son insuffisance rénale et son souhait de pouvoir bénéficier d’une greffe rénale au Luxembourg. Etant donné que cette demande a été rejetée par le ministre en date du 5 janvier 2015, refus confirmé par la décision gracieuse du 4 février 2015, la demande actuelle, introduite en date du 3 mars 2015 et basée sur l’article 78, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008, ainsi que sur les mêmes motifs que la première, est a priori à considérer comme irrecevable.

Pour autant que de besoin, force est de retenir que le ministre a également valablement pu rejeter la demande au fond, alors que les demandeurs restent en défaut d’établir en quelle mesure leur situation serait suffisamment grave pour être considérée comme un motif d’une exceptionnelle gravité, à savoir qui soit de nature à mettre en danger leur vie ou leur liberté, respectivement de léser de manière gravissime leurs droits fondamentaux de l’Homme.

En effet, si l’état de santé de Monsieur … est irréversible et certes très grave, force est cependant de relever qu’il ressort du dossier administratif et notamment du courrier de l’ambassade du Monténégro à Bruxelles du 19 novembre 2015 qu’il peut bénéficier dans son pays d’origine d’un service d’hémodialyse qu’il avait d’ailleurs utilisé pendant plusieurs années avant son départ pour le Luxembourg. Il en ressort également que le demandeur y a la possibilité de s’inscrire sur une liste d’attente en vue d’une greffe d’organe. Etant donné que tant la greffe de rein que l’hémodialyse sont à considérer comme des traitements efficaces en cas d’insuffisance rénale et que les demandeurs concèdent que la greffe rénale serait plutôt de nature à améliorer la qualité de vie de Monsieur …, il ne peut en être conclu que son pronostic vital serait immédiatement et irrémédiablement atteint par un retour dans son pays d’origine.

Il s’ensuit que le fait de devoir retourner dans son pays d’origine pour reprendre le traitement par hémodialyse dont il avait bénéficié avant son départ avec la possibilité de s’y inscrire sur une liste en vue d’une greffe rénale ne saurait constituer pour lui un motif d’une exceptionnelle gravité pouvant justifier l’octroi d’une autorisation de séjour au sens de l’article 78, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008.

Les conditions de l’autorisation de séjour pour motifs humanitaires n’étant pas remplies dans le chef de Monsieur …, la demande incidente y relative de sa mère basée sur l’article 8 de la CEDH doit suivre le même sort.

Il s’ensuit que le recours dirigé contre la décision implicite de refus de leur demande en obtention d’un titre de séjour en application de l’article 78, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008 est à rejeter.

En ce qui concerne la demande d’un sursis à l’éloignement pour raisons médicales, l’article 130 de la loi du 29 août 2008 dispose ce qui suit : « Sous réserve qu’il ne constitue pas une menace pour l’ordre public ou la sécurité publique, l’étranger ne peut être éloigné du territoire s’il établit au moyen de certificats médicaux que son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut entraînerait pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité, et s’il rapporte la preuve qu’il ne peut effectivement bénéficier d’un traitement approprié dans le pays vers lequel il est susceptible d’être éloigné », tandis qu’aux termes de l’article 131 de la loi du 29 août 2008, « (1) L’étranger qui satisfait aux conditions énoncées à l’article 130 peut obtenir un sursis à l’éloignement pour une durée maximale de six mois. Ce sursis est renouvelable, sans pouvoir dépasser la durée de deux ans.

(2) Si, à l’expiration du délai de deux ans visé au paragraphe (1) qui précède, l’étranger rapporte la preuve que son état tel que décrit à l’article 130 persiste, il peut obtenir une autorisation de séjour pour raisons médicales pour la durée du traitement, sans que cette durée ne puisse dépasser un an. Le cas échéant cette autorisation peut être renouvelée, après examen de sa situation.

(3) Les décisions visées aux paragraphes (1) et (2) qui précèdent, sont prises par le ministre, sur avis motivé du médecin délégué visé à l’article 28, selon les modalités à déterminer par règlement grand-ducal. Le médecin délégué procède aux examens qu’il juge utiles. L’avis du médecin délégué porte sur la nécessité d’une prise en charge médicale, les conséquences d’une exceptionnelle gravité et la possibilité de bénéficier d’un traitement approprié dans le pays vers lequel l’étranger est susceptible d’être éloigné.

(4) Le ministre peut, le cas échéant, étendre le bénéfice des mesures prévues aux paragraphes (1) et (2) qui précèdent, aux membres de la famille qui accompagnent l’étranger et qui sont susceptibles d’être éloignés du territoire, pour une durée identique à celle accordée au bénéficiaire principal. » En ce qui concerne la maladie visée par l’article 130 de la loi du 29 août 2008, les travaux préparatoires renseignent que : « Les personnes ne résidant pas ou plus légalement sur le territoire ne peuvent être éloignées, malgré une décision d’éloignement à leur égard, si elles sont atteintes d’une maladie grave qui nécessite impérativement une prise en charge médicale dont elles ne pourront bénéficier dans le pays vers lequel elles sont susceptibles d’être éloignées. La maladie qui est prise en compte est celle qui, sans traitement ou soins médicaux, entraîne des conséquences d’une exceptionnelle gravité pour la personne concernée, notamment celle qui peut causer la mort de la personne, réduire son espérance de vie ou entraîner un handicap grave. La question de savoir s’il existe un traitement approprié et suffisamment accessible dans le pays d’origine devra s’analyser au cas par cas, en tenant compte de la situation individuelle du demandeur. ».

En l’espèce, si la condition de gravité de la maladie de Monsieur … n’est pas contestable, il résulte de ce qui a été retenu plus en avant, quant à la demande d’une autorisation de séjour pour motifs humanitaires, que le traitement, qui consiste en l’occurrence actuellement dans l’hémodialyse, est bien disponible au Monténégro, de sorte qu’en cas de retour dans son pays d’origine, Monsieur … est susceptible de reprendre ce traitement dont il a bénéficié avant son départ pour le Luxembourg. Pour autant que de besoin et tel qu’il a également été relevé ci-avant, il ressort encore des explications de l’ambassade du Monténégro qu’il est possible pour Monsieur … de s’inscrire sur une liste d’attente en vue d’obtenir une greffe rénale. Il ressort encore des éléments du dossier administratif que si Monsieur … n’est actuellement plus affilié au système de sécurité sociale au Monténégro, une réaffiliation est tout à fait envisageable, d’autant plus qu’il peut être déduit de sa demande en obtention d’une autorisation de travail temporaire au Luxembourg que son état de santé ne s’oppose pas à un travail régulier.

Cette conclusion n’est pas énervée par le moyen relatif à une violation du principe de la légitime confiance, alors même qu’il a déjà été décidé que ce principe est de nature à pouvoir s’appliquer en matière de demandes de sursis à éloignement, en ce qu’il impose à l’administration une obligation de motivation renforcée pour justifier expressément dans sa décision ou par des éléments du dossier pourquoi elle déroge à sa ligne de conduite antérieure2. Force est en effet de relever, au vu des conclusions du délégué du gouvernement reprises ci-avant, que le refus litigieux est basé sur des nouvelles recherches dans la base de données MedCOI, ainsi que sur les explications circonstanciées des autorités monténégrines relatives à la situation spécifique de Monsieur …, informations qui n’étaient pas encore à la disposition du ministre lors des décisions précédentes, de sorte que le changement de position dans l’attitude de l’administration peut valablement s’en trouver justifié.

Or, force est au tribunal de constater que les demandeurs, sur lesquels repose toujours la charge de la preuve qu’un traitement n’est pas disponible dans leur pays d’origine, sont restés en défaut de soumettre au tribunal des éléments suffisamment probants de nature à établir une erreur manifeste d’appréciation de la part du ministre. Mis à part le fait non contesté que le Monténégro offre la possibilité d’un traitement par hémodialyse, le fait que la transplantation d’organes prélevés sur des morts n’est pas encore pratiquée au Monténégro même n’est pas de nature à énerver le constat que le Monténégro dispose d’une liste d’attente pour une greffe de rein et que les patients sont envoyés pour les transplantations en Croatie, pays membre d’Eurotransplant. Il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu de procéder à l’expertise médicale proposée par les demandeurs, qui ne saurait pallier leur défaillance dans l’administration de la preuve dont la charge leur incombe.

C’est partant à bon droit que le ministre a refusé d’accorder un sursis à l’éloignement pour raisons médicales à Monsieur …. Il s’ensuit que la demande de sa mère pour pouvoir bénéficier des dispositions de l’article 131 (4) de la loi du 29 août 2008 suit le même sort.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en annulation est à rejeter comme non fondé en tous ses moyens.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

donne acte à Monsieur … qu’il renonce à son recours et déclare le recours irrecevable en ce qu’il a été introduit par lui ;

reçoit en la forme le recours en annulation introduit par Madame …et par Monsieur … à l’encontre du refus implicite ;

au fond, le dit non justifié, partant en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par :

2 trib. adm. 20 juin 2006, n° 22160 du rôle, confirmé par Cour adm. 10 avril 2008, n°23265C du rôle, Pas. adm.

2016, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 75.

Carlo Schockweiler, premier vice-président, Olivier Poos, juge, Géraldine Anelli, attaché de justice délégué, et lu à l’audience publique du 13 juillet 2016 par le premier vice-président, en présence du greffier Marc Warken.

s. Marc Warken s. Carlo Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 13/07/2016 Le Greffier du Tribunal administratif 11


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 36808
Date de la décision : 13/07/2016

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2016-07-13;36808 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award