La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

11/07/2016 | LUXEMBOURG | N°36702

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 11 juillet 2016, 36702


Tribunal administratif N° 36702 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 31 juillet 2015 2e chambre Audience publique du 11 juillet 2016 Recours formé par Monsieur …, Wiltz, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 19, L.5.5.2006)

___________________________________________________________________________


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 36702 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 31 juillet 2015 par Maître Louis Tinti, avocat à la Cour, insc

rit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant êtr...

Tribunal administratif N° 36702 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 31 juillet 2015 2e chambre Audience publique du 11 juillet 2016 Recours formé par Monsieur …, Wiltz, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 19, L.5.5.2006)

___________________________________________________________________________

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 36702 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 31 juillet 2015 par Maître Louis Tinti, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à … (Tchad) et être de nationalité tchadienne, demeurant actuellement à L-…, tendant, d’une part, à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 21 juillet 2015 refusant de faire droit à sa demande de protection internationale et, d’autre part, à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 24 septembre 2015 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Ardavan Fatholahzadeh, en remplacement de Maître Louis Tinti et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-

Paul Reiter en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 2 mai 2016.

Le 7 avril 2014, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, désignée ci-

après par la « loi du 5 mai 2006 ».

Les déclarations de Monsieur … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées dans un rapport de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, du même jour.

Le 11 avril 2014, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement UE 604/2013 du Parlement et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, dit « règlement Dublin III ».

1 Les 18 septembre et 13 octobre 2014, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale. Un entretien complémentaire eut lieu en date du 16 avril 2015.

Par décision du 21 juillet 2015, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé envoyé le 23 juillet 2015, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, dénommé ci-après « le ministre », informa Monsieur … que sa demande de protection internationale avait été refusée comme non fondée. Ladite décision, qui comporte encore un ordre de quitter le territoire dans un délai de trente jours à son égard, est libellée de la façon suivante :

« (…) J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection que vous avez présentée auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères et européennes en date du 7 avril 2014.

Quant à vos déclarations auprès du Service de Police Judiciaire En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 7 avril 2014.

Il ressort dudit rapport que vous auriez quitté le Tchad en date du 2 mars 2014 en direction de la Libye, d'où vous auriez gagné l'Italie par voie maritime. Par après, vous expliquez que vous auriez déjà quitté le Gabon en 2012 pour gagner l'Italie par voie aérienne via Addis Abeba. Selon vos dires, vous auriez été en possession d'un passeport tchadien muni d'un visa Schengen que vous auriez perdu en Italie.

Vous présentez une carte d'identité tchadienne expirée en date du 4 août 2014.

Quant à vos déclarations auprès du Service des Réfugiés En mains le rapport d'entretien Dublin III du 11 avril 2014 et les rapports d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes des 18 septembre, 13 octobre 2014 ainsi que du 16 avril 2015 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale.

Il résulte de vos déclarations que vous auriez habité à …. Entre 2005 et 2007, avec vos frères et des amis, vous auriez été membre d'un groupement de rebelles qui ne porterait pas de nom précis. Votre tâche aurait consisté à transmettre des informations sur le pays et sur des remaniements au niveau du Gouvernement et du Parlement à vos collègues. Vous auriez fait ceci à l'aide d'un téléphone satellite interdit au Tchad, que vous auriez utilisé dans une cabine téléphonique.

Lors des élections présidentielles de 2006 vous auriez voté pour le parti politique PLD (Parti pour les Libertés et le développement).

En 2008, les rebelles auraient tenté un coup d'Etat mais la tentative aurait échoué.

Depuis cet incident : « Le Gouvernement contrôle chaque maison. On vous emmène, on vous torture, il faut dire la vérité. Après cela, je me suis enfui. » (p. 4/13). Vous auriez eu peur d'être considéré comme opposant et d'être arrêté car vous auriez voté pour le PLD en 2006. Questionné sur le fait comment le Gouvernement aurait pu savoir pour qui vous auriez voté vous expliquez que chaque électeur reçoit des fiches avec les noms des personnes à élire. Afin de voter, il 2 faudrait insérer le papier sur lequel se trouve le nom du candidat pour lequel on souhaite voter tandis que les fiches restantes seraient contrôlées à la sortie du bureau de votes.

Vous précisez au début que le Gouvernement contrôlerait uniquement les maisons à … étant donné que vos frères et sœurs seraient en sécurité à Moundou. Plus tard vous dites cependant que vos frères se seraient enfuis vers le Soudan étant donné qu'ils auraient fait partie des rebelles.

Vous ajoutez que les membres de l'ethnie Wadaï seraient persécutés par les Zakawas qui gouvernent le pays.

Personnellement, vous n'auriez cependant jamais eu des problèmes avec le Gouvernement mais vous vous seriez néanmoins enfui au Cameroun en 2008 avant de vous diriger vers le Gabon afin d'y déposer une demande de protection internationale. Votre demande aurait été refusée. En 2010, vous auriez quitté le Gabon en direction de la Libye, où vous seriez resté jusqu'en 2013. En 2013 vous auriez gagné l'Italie où vous auriez vécu pendant trois mois.

Or, selon votre entretien Dublin III, vous seriez arrivé en Italie en 2010 mais vous auriez quitté le Tchad en date du 2 mars 2014. Questionné sur ces imprécisions, vous expliquez que vous auriez mal compris. Après une courte discussion vous vous êtes corrigé en disant que vous auriez quitté le Tchad en janvier 2014. Après une nouvelle discussion sur la contradiction de vos dires vous expliquez que vous auriez quitté le Tchad en 2010 et après avoir vécu en Libye pendant deux ans, vous seriez allé en Italie, où vous seriez resté pendant huit ou neuf mois avant de venir au Luxembourg.

Enfin, il ressort des rapports d'entretien qu'il n'y a plus d'autres faits à invoquer au sujet de votre demande de protection internationale et aux déclarations faites dans ce contexte.

Analyse ministérielle en matière de Protection internationale En application de la loi précitée du 5 mai 2006, votre demande de protection internationale est évaluée par rapport aux conditions d'obtention du statut de réfugié et de celles d'obtention du statut conféré par la protection subsidiaire.

Soulignons dans ce contexte que l'examen et l'évaluation de votre situation personnelle ne se limitent pas à la pertinence des faits allégués, mais qu'il s'agit également d'apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité de vos déclarations.

1. Quant à la Convention de Genève Il y a d'abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n'est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d'origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu'elle laisse supposer une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève de 1951 relative au statut des Réfugiés.

Rappelons à cet égard que l'octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l'article 2 c) de la loi modifiée du 5 mai 2006, que ces actes sont d'une gravité suffisante au sens de l'article 31(1) de la 3 prédite loi, et qu'ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l'article 28 de la loi susmentionnée.

Selon l'article 1A paragraphe 2 de ladite Convention, le terme de réfugié s'applique à toute personne qui craigne avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, qui se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels évènements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner.

En l'espèce, il ressort de votre dossier administratif que les raisons qui vous ont amené à quitter votre pays d'origine pourraient à priori rentrer dans le champ d'application de ladite Convention, toutefois elles ne sauraient retenir dans votre chef l'existence d'une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève et de la loi modifiée du 5 mai 2006.

En effet, Monsieur, selon vos dires, vous auriez été membre des rebelles dont, vous ne connaîtriez pas le nom, entre 2005 et 2007 et vous auriez voté pour un parti d'opposition en 2006. Ainsi, vous craindriez être arrêté par les autorités après que les rebelles auraient tenté un coup d'Etat en 2008.

Force est cependant de relever que l'autorité ministérielle a été amenée à émettre de sérieux doutes quant à la crédibilité de votre récit, alors qu'il résulte de l'examen des rapports d'entretien que vos déclarations présentent de nombreuses incohérences et contradictions.

Relevons d'abord des doutes sérieux quant à votre adhésion à ce soi-disant groupement de rebelles. Il est peu crédible que vous auriez été membre actif d'un groupement rebelle pendant deux ans sans connaître son nom. Selon vos dires, le groupement pour lequel vous auriez travaillé aurait aussi été responsable du coup d'Etat en 2008. Force est cependant de constater que les rebelles ayant attaqué la capitale portaient le nom « Front Uni pour le changement, FUC ». Ainsi, il faut souligner qu'on pourrait s'attendre à ce qu'un membre actif d'un groupement de rebelles serait au courant du nom de l'organisation. Quant à votre tâche de transmettre des nouvelles par téléphone satellite, il y a lieu de relever plusieurs incohérences. Il est premièrement peu compréhensible pourquoi des rebelles auraient besoin d'une personne pour leur transmettre des informations sur des changements de poste au niveau ministériel et parlementaire étant donné que ces informations ne sont pas secrètes. Il convient par la suite de noter qu'il est peu compréhensible pourquoi vous auriez utilisé un téléphone satellite dans une cabine téléphonique si l'utilisation d'un tel téléphone est interdite. Il est donc dépourvu de tout sens de l'utiliser dans un endroit public où tout le monde aurait pu vous voir si vous auriez aussi bien pu téléphoner d'un endroit privé à l'abri des regards des passants. A cela s'ajoute que vous dites au début de votre entretien, ainsi que dans votre entretien Dublin III, que vos frères et sœurs vivraient encore au Tchad alors que vous dites vers la fin de votre entretien que vos frères auraient dû fuir le pays étant donné qu'ils auraient aussi été membres des rebelles. Au vu des confusions et contradictions qui précèdent, peu de crédit ne saurait donc être attribué à votre adhésion au groupement rebelle dont vous ne connaîtriez même pas le nom.

Venons ensuite à votre crainte d'être recherché parce que vous auriez voté pour le PLD lors des élections présidentielles en 2006. Vous expliquez que chaque électeur aurait dû insérer la 4 feuille contenant le nom du candidat qu'il aurait choisi dans une urne mais que les fiches restantes auraient été contrôlées par la suite. Ainsi, le gouvernement aurait été au courant que vous n'auriez pas voté pour Idriss Déby. Il ressort cependant des recherches ministérielles que : « A single ballot paper (one for each registered voter in a constituency) is used for each election with the ordering of candidates determined by lot (…) The polling booths must be placed so as to shield the voters from observation while they mark their ballots; voters requiring assistance in marking their ballots may choose another voter to assist them. ».Votre description du système électorale tchadien n'a donc rien en commun avec le déroulement officiel décrit en supra. Finalement, il y a lieu de relever que le PLD n'a pas présenté de candidat lors des élections présidentielles de 2006 dont les participants étaient ldriss Déby Itno (MPS), Delwa Kassiré Coumakoye (Viva-RNDP), Albert Pahimi Padacké (RNDT-Le Réveil), Mahamat Abdoulaye (MPDT) et Brahim Koulamallah (MSA-R). Peu de crédit ne saurait donc être attribué à votre récit.

Les doutes quant à votre histoire sont renforcés par le fait que vous n'invoquez aucun des problèmes susmentionnés sur votre fiche de motif remplie en date du 7 avril 2014 selon laquelle vous seriez venu au Luxembourg afin de trouver du travail.

A cela s'ajoute que vous présentez plusieurs versions différentes quant à votre date de départ du Tchad. Lors de votre entretien Dublin III vous expliquez d'abord que vous auriez quitté le Tchad en date du 2 mars 2014 mais que vous seriez entré en Italie en 2010. Confronté à cette contradiction vous dites que vous auriez quitté le Tchad en janvier 2014. Après une discussion avec l'agent en charge de votre entretien, vous dites que vous auriez quitté votre pays d'origine en 2010. Or, lors de votre entretien sur les motifs de votre demande, vous dites que vous auriez quitté le Tchad en 2008.

Force est par la suite de constater que bien que vous avez présenté une carte d'identité tchadienne authentique, des doutes sont à émettre quant à votre identité. Notons en premier lieu que la personne qui se trouve sur la photo de cette carte d'identité ne vous ressemble pas.

Notamment, les oreilles de la personne sur la carte d'identité sont plus écartées que les vôtres et ses os de la joue et de la mâchoire sont beaucoup plus prononcés. A cela s'ajoute qu'il est indiqué sur la carte d'identité que vous seriez né à …. Or, en date du 7 avril 2014, lors de votre entretien avec le Service de Police Judiciaire et lors de l'enregistrement de vos données, vous expliquez que vous seriez né à …. Par la suite, lors de votre entretien Dublin III et lors de votre entretien daté au 18 septembre 2014, vous affirmez être né à … mais lors de votre entretien complémentaire daté au 16 avril 2015, vous dites à nouveau être né à …. Force est de relever qu'il y a une distance d'environ 753 kilomètres entre ces deux villes. De plus, la carte d'identité que vous avez présentée indique que votre profession serait « Etudiant » alors qu'il ressort clairement de votre entretien que : « Je n'ai pas fait des études. Je n'ai pas fini ma septième année primaire. ». (p. 3/13). Etant donné que cette carte a été établie le 4 août 2004 donc quand vous auriez eu 24 ans, il est peu crédible que vous auriez encore été en septième année primaire.

Votre identité est donc sujette à caution, tout comme la carte d'identité déposée qui semble, de toute évidence, appartenir à une autre personne.

Ainsi, le caractère confus et peu vraisemblable de vos déclarations en altère la crédibilité, de sorte que la totalité des faits que vous décrivez à l'appui de votre demande de protection internationale peut être mise en cause.

En tout état de cause, même en supposant que vous auriez réellement été membre de rebelles de 2005 à 2007 et que vous auriez effectivement voté pour l'opposition en 2006, il ressort de vos propres dires que vous n'auriez jamais eu de problèmes avec le Gouvernement et 5 ceci jusqu'au moment de votre départ en 2008 ou 2010. De même, vous ne faites état d'aucune discrimination sur base de votre ethnicité. Vos craintes sont donc purement hypothétiques qui se traduisent en un sentiment général d'insécurité plutôt que dans une crainte fondée de persécution.

Relevons finalement que vous seriez déjà en Europe soit depuis 2010, soit depuis 2013, sans y avoir recherché une forme quelconque de protection. Or, on peut s'attendre à ce qu'une personne vraiment persécutée dans son pays d'origine dépose une demande de protection internationale dans le premier pays sûr rencontré. Ceci confirme le fait que les ennuis que vous invoquez n'entrent pas dans le cadre de la Convention de Genève.

En conclusion, les faits que vous alléguez ne peuvent, à eux seuls, établir dans votre chef une crainte fondée d'être persécuté dans votre pays d'origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l'article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève ainsi que les articles 31 et 32 de la loi précitée du 5 mai 2006.

De tout ce qui précède, les conditions permettant l'octroi du statut de réfugié ne sont pas remplies.

2. Quant à la Protection subsidiaire L'octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d'application de l'article 37 précité de la loi modifiée du 5 mai 2006, à savoir qu'ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c) de l'article 37 de ladite loi, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l'article 28 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d'acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.

En l'espèce, il ressort de votre dossier administratif que vous basez votre demande de protection subsidiaire sur les mêmes motifs que ceux exposés à la base de votre demande de reconnaissance du statut du réfugié. En effet, vous indiquez que vous craindriez être incarcéré et maltraité au Tchad car vous pourriez être perçu comme opposant au régime.

Au vu de ce qui précède, il convient de conclure que votre récit ne contient pas de motifs sérieux et avérés permettant de croire que vous courez un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 37 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection. En effet, les faits invoqués à l'appui de votre demande, qui en outre n'emportent pas conviction, ne nous permettent pas d'établir que a) vous craignez de vous voir infliger la peine de mort ou de vous faire exécuter, b) vous risquez de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, c) vous êtes susceptible de faire l'objet de menaces graves et individuelles contre votre vie en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international. De tout ce qui précède, les conditions permettant la reconnaissance du statut conféré par la protection subsidiaire ne sont pas remplies.

Votre demande en obtention d'une protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens de l'article 19§1 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection.

6 Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination du Tchad, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner.

(…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 31 juillet 2015, Monsieur … a fait introduire un recours tendant, d’une part, à la réformation de la décision du ministre du 21 juillet 2015 portant rejet de sa demande de protection internationale et, d’autre part, à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire, contenu dans la même décision.

A titre liminaire, le tribunal relève que la loi du 5 mai 2006 a été abrogée par la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 », publiée au Mémorial A le 28 décembre 2015 et entrée en vigueur 3 jours francs après sa publication, soit le 1er janvier 2016, à défaut de disposition spéciale de mise en vigueur contraire.

Dans la mesure où, à travers l’article 83 de la loi du 18 décembre 2015, le législateur s’est limité à abroger purement et simplement la loi du 5 mai 2006 dans son intégralité, sans prévoir de mesures transitoires, se pose la question de la loi applicable au présent litige.

Quant à la recevabilité des recours introduit par Monsieur …, le tribunal relève que seule la loi en vigueur au jour où une décision critiquée a été prise est applicable pour apprécier la recevabilité d’un recours contentieux dirigé contre elle, étant donné que l’existence et le type d’une voie de recours sont des règles de fond du droit judiciaire, de sorte qu’en l’absence de mesures transitoires, les conditions dans lesquelles un recours contentieux peut être introduit devant une juridiction doivent être réglées suivant la loi sous l’empire de laquelle a été rendue la décision attaquée1. Il s’ensuit que la recevabilité des recours sous examen devra être analysée conformément aux dispositions de la loi du 5 mai 2006.

Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de décisions de refus d’une demande de protection internationale, ainsi qu’un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, le tribunal est compétent pour connaître, d’une part, du recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 21 juillet 2015 portant rejet de la demande de protection internationale de Monsieur …, et, d’autre part, du recours en annulation introduit contre l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte, lesdits recours étant, par ailleurs, recevables pour avoir été introduits dans les formes et délai prévus par la loi du 5 mai 2006.

Quant à la loi applicable au fond du litige, il y a lieu de rappeler que, dans le cadre d'un recours en réformation, le juge administratif est amené à considérer les éléments de fait et de droit de la cause au moment où il statue, en tenant compte des changements intervenus depuis la décision litigieuse2, tandis que, dans le cadre d’un recours en annulation, la légalité d'une décision administrative s'apprécie en considération de la situation de droit et de fait au jour où elle a été prise3, de sorte que, d’une part, le tribunal est amené à appliquer la 1 Trib. adm. 5 mai 2010, n° 25919 du rôle, Pas. adm. 2016, V° Procédure contentieuse, n° 295 et l’autre référence y citée.

2 Trib. adm., 15 juillet 2004, n° 18353 du rôle, Pas. adm. 2016, V° Recours en reformation, n° 17 et l’autre référence y citée.

3 Trib. adm., 27 janvier 1997, n° 9724 du rôle, Pas. adm. 2016, V° Recours en annulation, n° 18 et les autres références y citées.

7 nomenclature de la loi du 18 décembre 2015 dans le cadre du recours en réformation introduit à l’encontre de la décision déférée portant refus d’un statut de protection internationale – étant relevé que le contenu des dispositions applicables à l’appréciation des conditions d’octroi d’un tel statut reste le même – et, d’autre part, la loi du 5 mai 2006 continue à s’appliquer pour l’analyse du bien-fondé de l’ordre de quitter le territoire.

1. Quant au recours tendant à la réformation de la décision portant refus d’une protection internationale À l’appui de son recours et en fait, le demandeur fait valoir qu’il serait de nationalité tchadienne et qu’il appartiendrait à l’ethnie Wadai. Il aurait eu d’importants problèmes dans son pays d’origine émanant des autorités tchadiennes en raison de son activisme au profit de mouvements rebelles. Il aurait quitté son pays d’origine suite à la tentative de coup d’Etat en 2008 auquel ses frères et son cousin auraient participé de manière plus active.

Il explique que sa participation aux activités des rebelles se serait limité à leur fournir des informations sur les événements se déroulant à la capitale …, tels qu’un changement de ministre ou de député puisque ceux-ci auraient été « en brousse » et que tous les moyens de communication auraient été coupés.

Il aurait fui son pays d’origine suite à l’échec du coup d’Etat en 2008 craignant pour sa vie puisque le gouvernement aurait « contrôlé chaque maison » et que des personnes auraient été arrêtées et torturées, tout en indiquant qu’il n’aurait pas de « sécurité à l’intérieur du pays ».

Il aurait dans un premier temps déposé une demande d’asile au Gabon, qui lui aurait été refusée, avant de rejoindre la Lybie, où il aurait résidé pendant deux ans et demi pour finalement arriver au Luxembourg.

En cas de retour dans son pays d’origine, il est convaincu d’être incarcéré en raison de sa participation au mouvement rebelle, en relevant que le Tchad ne serait pas un Etat de droit où ses droits de la défense seraient respectés.

En droit, le demandeur fait valoir de prime abord que ce serait à tort que le ministre aurait remis en doute la véracité de son récit.

Il y a lieu de relever qu’en vertu de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015, anciennement l’article 2 a) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de la même loi, reprenant, en substance, les termes de l’ancien article 2 d) de la loi du 5 mai 2006, comme « (…) tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…) », tandis que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » est définie 8 par l’article 2 g) de la loi 18 décembre 2015, anciennement l’article 2 f) de la loi du 5 mai 2006, comme « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

Force est au tribunal de constater que tant la notion de « réfugié », que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » impliquent nécessairement des persécutions ou des atteintes graves, ou à tout le moins un risque de persécution ou d’atteintes graves dans le pays d’origine du demandeur.

Par ailleurs, l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015, anciennement l’article 31 de la loi du 5 mai 2006, dispose que « (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent:

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales;

ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). (…) ».

Quant aux atteintes graves, l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, anciennement l’article 37 de la loi du 5 mai 2006, les définit comme :

« a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Dans les deux hypothèses, les faits dénoncés doivent être perpétrés par un acteur de persécutions ou d’atteintes graves, au sens de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, anciennement l’article 28 de la loi du 5 mai 2006, lesquels peuvent être :

« (…) a) l’Etat;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. ».

9 Aux termes de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015, anciennement l’article 29 de la loi du 5 mai 2006 : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. (…) ».

Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine. Cette dernière condition s’applique également au niveau de la demande de protection subsidiaire, conjuguée avec les exigences liées à la définition de l’atteinte grave reprises à 48 de la loi du 18 décembre 2015 et rappelées précédemment.

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire. Particulièrement, si l’élément qui fait défaut touche à l’auteur des persécutions ou des atteintes graves, aucun des deux volets de la demande de protection internationale ne saurait aboutir, les articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015 s’appliquant tant à la demande tendant à l’obtention du statut de réfugié qu’à celle tendant à l’octroi de la protection subsidiaire.

Force est tout d’abord au tribunal de relever que tant le ministre que le délégué du gouvernement contestent la crédibilité du récit du demandeur en relevant de nombreuses contradictions et incohérences qui ont trait à son identité ainsi qu’à ses expériences prétendument vécues au Tchad ou dont il craindrait la réalisation à son retour.

Or, dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. A 10 défaut de pièces, le demandeur d’asile doit au moins présenter un récit crédible et cohérent.

En effet, la crédibilité d’un demandeur de protection internationale constitue un élément d’appréciation fondamental dans l’appréciation de la justification d’une demande d’asile, spécialement lorsque des éléments de preuve matériels font défaut.

Il échet encore de rappeler que dans le cadre d’un recours en réformation, le juge est amené à apprécier la décision déférée quant à son bien-fondé et à son opportunité, avec le pouvoir de substituer sa propre décision impliquant que cette analyse s’opère au moment où il est appelé à statuer, les deux parties en cause étant autorisées à compléter leurs arguments respectifs en cours d’instance4.

Le tribunal est à cet égard amené à relever que le demandeur a tenté de clarifier à travers la requête introductive d’instance les différentes incohérences, invraisemblances et contradictions relevées par le ministre dans la décision sous examen.

En effet, quant à sa participation au groupe rebelle il explique que son rôle aurait été de renseigner sporadiquement certains rebelles avec lesquels il n’aurait eu que de rares contacts non personnels. Il n’aurait ainsi pas recherché à rejoindre un groupe rebelle en particulier, ce qui serait de nature à expliquer pour quelle raison il ne connaîtrait pas la dénomination de ce groupe rebelle.

En ce qui concerne le doute formé par le ministre quant à la nécessité pour les rebelles de se voir communiquer des informations librement accessibles, il indique que ceux-ci auraient été « en brousse » et, auraient eu difficilement accès aux médias de sorte qu’il leur aurait été nécessaire d’être informés par quelqu’un résidant la capitale.

En ce qui concerne la critique du ministre quant au fait qu’il aurait utilisé un téléphone satellitaire interdit au Tchad dans une cabine téléphonique publique, il indique avoir mal compris la question en ce qu’il se serait référé à l’usage du téléphone non satellitaire se trouvant dans sa rue.

En ce qui concerne les élections de 2006, il précise, d’une part, que le gouvernement tchadien saurait qu’il aurait voté pour le candidat du parti politique PDL puisqu’il aurait déposé le bulletin du candidat pour lequel il aurait voté dans l’urne, tandis que des personnes auraient contrôlé les fiches restantes à la sortie des bureaux de vote et, d’autre part, que le déroulement des élections tel que décrit par lui ne serait pas à remettre en cause au vu du rapport cité par la partie étatique puisque celui-ci se rapporterait aux élections de 2010, postérieures à celles invoquées à l’appui de sa demande de protection internationale.

En ce qui concerne le fait qu’il n’aurait invoqué aucun motif de persécution politique sur sa fiche des motifs lors de l’introduction de sa demande de protection internationale indiquant uniquement qu’il serait venu au Luxembourg pour y trouver du travail. Il relève que la fiche des motifs ne contiendrait aucune indication selon laquelle les données y renseignées seraient confidentielles, de sorte que les demandeurs de protection internationale s’abstiendraient à cette occasion d’exprimer la réalité des problèmes à la base de leur demande. Aucun reproche ne saurait lui être fait puisque à ce stade de la demande il n’aurait pas été assisté par un avocat.

4 Trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699 du rôle, Pas. adm. 2016, V° Recours en réformation, n° 15 et les autres références y citées.

11 En ce qui concerne les différentes versions quant à son départ du Tchad, il reconnaît ne pas avoir dit la vérité lors de son entretien basé sur le règlement Dublin III, ne s’étant pas senti suffisamment rassuré pour « évacuer la pression » qui aurait pesé sur lui.

En ce qui concerne la carte d’identité tchadienne, le demandeur relève qu’un faux en écriture ne se présumerait pas et qu’il aurait appartenu à la partie étatique de formuler une demande en inscription de faux afin de remettre en cause l’authenticité du document. En ce qui concerne les différences d’apparence physique, il considère que celles-ci seraient dues à «l’évolution physiologique», tout en affirmant que « la profession d’étudiant [serait] couramment indiquée sur les cartes d’identité africaines lorsque leur auteur ne travaille[rait] pas ».

Le délégué du gouvernement pour sa part conclut au rejet du recours en relevant de nombreuses et importantes contradictions, incohérences et invraisemblances dans les propos du demandeur, de sorte à conclure que celles-ci seraient de nature à entacher la crédibilité de son récit et de ses motifs de fuite. Il soutient ainsi avoir d’importants doutes concernant l’activisme politique du demandeur puisque, d’une part, celui-ci n’aurait aucune connaissance, ni ne connaîtrait la dénomination, du groupe rebelle pour lequel il aurait effectué des tâches pendant deux ans et, d’autre part, son récit concernant les missions exercées pour ce groupe rebelle serait contradictoire. En ce qui concerne d’ailleurs les élections de 2006 ayant eu lieu au Tchad, le délégué du gouvernement indique que le parti politique pour lequel le demandeur indique avoir voté n’aurait présenté aucun candidat lors de ces élections.

En raison des divergences entre, d’une part, son récit tel qu’acté dans son rapport d’audition et, d’autre part, la fiche des motifs remplie par le demandeur lors de l’introduction de sa demande de protection internationale, le délégué du gouvernement indique que des doutes existeraient quant à la véracité de ses dires concernant les motifs sous-tendant sa demande de protection internationale. Il précise que chaque demandeur d’asile serait informé du fait que l’ensemble de son dossier administratif, y compris la fiche des motifs, serait traité de manière confidentielle, de sorte qu’il n’y aurait aucune raison de ne pas invoquer les motifs réels gisant à la base de la demande de la protection internationale sur sa fiche des motifs.

Le demandeur aurait reconnu avoir menti en ce qui concerne son voyage vers l’Europe. Le délégué du gouvernement soulève que si certes de telles informations ne sont pas décisives au point de justifier à elles seules un refus de sa demande de protection internationale, ces contradictions ébranleraient cependant fortement la crédibilité du récit du demandeur.

Le délégué du gouvernement remet encore en doute l’identité du demandeur en ce que la carte d’identité tchadienne qu’il aurait remise contiendrait des informations divergentes avec celles déclarées par le demandeur lors de son audition notamment quant à son lieu de naissance et sa profession, ainsi qu’en raison du fait que la photo de la personne sur cette carte d’identité ne ressemblerait pas à Monsieur ….

En l’espèce, force est au tribunal de retenir que c’est à bon droit que le ministre a retenu un manque de crédibilité du récit du demandeur. En effet, le tribunal est amené à relever certaines incohérences, voire contradictions dans les déclarations présentées par le 12 demandeur à l’appui de sa demande de protection internationale, tant en ce qui concerne son identité qu’en ce qui concerne les événements vécus par lui dans son prétendu pays d’origine et qui seraient à l’origine de sa décision de se réfugier au Luxembourg.

Ainsi, il échet de constater que lors du dépôt de sa demande de protection internationale en date du 7 avril 2014, Monsieur … a déclaré avoir quitté son pays d’origine pour trouver du travail au Luxembourg, pour ensuite déclarer, lors de sa première audition en date du 18 septembre 2014 par un agent du ministère, avoir quitté son pays d’origine car il aurait procuré des renseignements par téléphone satellitaire à un groupe rebelle ayant tenté un coup d’Etat en 2008 qui aurait échoué, et pour avoir voté pour le parti PLD (parti pour les libertés et le développement) lors des élections présidentielles en 2006. Il craindrait d’être emprisonné et torturé à son retour au Tchad. Ce dernier récit a été maintenu par le demandeur à l’appui de sa requête introductive d’instance. Or, d’une part, le délégué du gouvernement a soulevé à raison que le parti PLD n’avait pas présenté de candidat pour les élections présidentielles de 2006, les partis d’opposition ayant boycotté ces élections, de sorte qu’indépendamment de la question du déroulement de ces élections, il est tout simplement impossible pour le demandeur d’avoir voté pour un parti n’y ayant pas désigné de candidat auxdites élections, de sorte qu’il est manifeste que le demandeur a menti sur ce point. En ce qui concerne ensuite son activisme politique, il est effectivement peu crédible de soutenir qu’il aurait été activement engagé en politique, raison pour laquelle il craindrait être persécuté en cas de retour au Tchad, alors qu’il ignore aussi bien le nom, que les motivations du groupe rebelle pour lequel il aurait effectué des missions. Les explications du demandeur selon lesquelles il n’aurait renseigné que sporadiquement certains rebelles avec lesquels il n’aurait eu que de rares contacts non personnels ne viennent pas infirmer ce constat et plaident davantage pour l’absence de sentiment d’appartenance du demandeur à un groupe rebelle, de sorte qu’il serait plutôt à considérer comme simple sympathisant et non comme un membre actif du groupe rebelle craignant des persécutions en cas de retour dans son pays d’origine. Son récit concernant les raisons pour lesquelles les rebelles auraient eu besoin de lui pour se procurer des informations librement accessibles, ainsi qu’à la manière dont ces renseignements auraient été transmis aux rebelles n’emportent pas la conviction du tribunal en ce qu’elles sont manifestement contradictoires, le demandeur indiquant, d’une part, que les voies de communication auraient été bloquées et, d’autre part, ne pas avoir utilisé de téléphone satellitaire mais le téléphone d’une cabine téléphonique se situant dans la rue pour communiquer avec les rebelles. Au vu des explications vagues, contradictoires et peu claires, le tribunal n’est pas en mesure de retenir l’activisme politique du demandeur dans son pays d’origine en raison du manque de cohérence de son récit comme motif crédible.

L’explication selon laquelle il aurait fourni deux récits totalement différents à l’appui de sa demande de protection internationale puisque les demandeurs d’asile s’abstiendraient au moment de remplir leur fiche des motifs « d’exprimer la réalité des problèmes qui sous-

tendent leur demande de protection internationale » puisque ladite fiche ne contiendrait « aucune indication renseignant que ses données [seraient] confidentielles » n’est pas de nature à convaincre le tribunal de la véracité de son récit, étant donné, tel que correctement expliqué par le délégué du gouvernement, la fiche des motifs fait partie du dossier administratif et est de ce fait confidentielle, d’autant plus que le demandeur a largement été informé du fait que toutes les informations données dans le cadre de sa demande seraient traitées de manière confidentielle à travers la brochure d’information pour demandeurs de protection internationale qui lui a été remise en date du 7 avril 2014. A cet égard, il y a lieu de rappeler que des changements essentiels apportés par un demandeur de protection 13 internationale à son récit sont de nature à remettre en cause sa crédibilité.5 En ce qui concerne ensuite son identité et le voyage effectué pour arriver au Luxembourg, s’il est vrai que des contradictions et mensonges concernant ces éléments du récit ne sont pas décisifs à eux seuls pour justifier un refus d'une demande d'asile, pareilles contradictions ébranlent cependant la crédibilité d'un demandeur d'asile.6 En l’espèce, il y a lieu de relever que Monsieur … a remis une carte d’identité tchadienne qui, après analyse par le service Central : UCPA-SCA-Section Expertise Documents se basant sur un rapport de contrôle n°255 du 1er octobre 2014 de la Section Expertise Documents, s’avère être un document authentique. En ce qui concerne l’argumentation du demandeur concernant l’inscription en faux, il y a lieu de relever que le juge administratif a le pouvoir de constater le caractère vicié d’une pièce, même sans être obligé de recourir à la procédure du faux incident, lorsque celui-ci s’impose avec évidence, la procédure du faux incident étant par ailleurs une faculté pour le juge et non une obligation.7 En l’espèce, le tribunal partage ainsi les constatations de la partie étatique selon lesquelles les contradictions concernant sa ville de naissance et sa profession ne viennent que renforcer ce doute. En effet, Monsieur … a indiqué à plusieurs reprises et pour la dernière fois dans sa requête introductive d’instance être né à …. Or, la carte d’identité renseigne comme ville de naissance …. Ensuite, selon le ministre, la carte d’identité indiquerait également la profession d’« étudiant » du demandeur d’asile, ce qui n’est pas contesté par le demandeur qui indique seulement que l’appellation étudiant serait fréquente dans les pays africains pour les personnes n’exerçant aucune profession sans fournir le moindre élément probant de nature à corroborer ses dires. Or, le demandeur a indiqué lors de son audition ne pas avoir fait d’études supérieurs et qu’il aurait comme dernier emploi fait « le commerce » en cultivant et vendant au marché. Il s’ensuit que ces contradictions sont de nature à remettre en cause l’identité du demandeur.

En ce qui concerne son trajet, ainsi que sa date de départ du Tchad, il y a lieu de constater que le demandeur a indiqué de nombreux itinéraires différents, de même qu’il a expliqué avoir quitté le Tchad en 2014, pour ensuite affirmer l’avoir quitté qu’en 2008.

D’ailleurs, il reconnaît avoir menti sur cet élément de sa demande. Malgré le fait que ces mensonges ne viennent pas à eux seuls remettre en cause l’entièreté de son récit, ils viennent tout de même en affaiblir sa crédibilité.

Il s’ensuit qu’il se dégage des incohérences et contradictions relevées ci-avant que le récit du demandeur est incohérent, contradictoire et peu crédible, de sorte à ne pas convaincre le tribunal de l’existence, dans son chef, d’une persécution ou d’une crainte de persécution susceptible de justifier la reconnaissance au demandeur du statut de réfugié au sens de la loi du 18 décembre 2015.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a rejeté la demande en reconnaissance du statut de réfugié du demandeur.

5 Trib. adm. du 22 avril 2015, n° 35910 du rôle, Pas. adm. 2016, V° Etrangers, n° 113 et autre référence y citée.

6 Trib. adm. du 17 octobre 2001, n°12930 du rôle, confirmé par Cour adm du 7 mars 2002, n°14213C du rôle, Pas.adm 2016, V° Etrangers, n°114 et les autres références y citées.

7 Trib. adm., du 19 mars 2015, n°34352 du rôle, Pas. adm 2016, V° Procédure contentieuse, n°658 14 Quant au volet de la décision litigieuse portant refus dans le chef du demandeur d’un statut de protection subsidiaire, il convient de relever que dans la mesure où le tribunal vient de retenir que les faits avancés par le demandeur pour se voir reconnaître la qualité de réfugié manquent de crédibilité, il n’aperçoit aucun élément susceptible d’établir, sur base des mêmes événements, qu’il existerait, dans le chef du demandeur, un risque de subir des atteintes graves, telles que la peine de mort ou l’exécution, la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, ou des menaces graves et individuelles contre sa vie ou sa personne en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international, au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015.

C’est dès lors également à bon droit que le ministre a refusé au demandeur le statut de la protection subsidiaire.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a déclaré la demande de protection internationale sous analyse comme non justifiée, de sorte que le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

2) Quant au recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire Le demandeur sollicite l’annulation de l’ordre de quitter le territoire au motif qu’il serait la conséquence directe du refus d’octroi de la protection internationale.

Aux termes de l’article 19 (1) de la loi du 5 mai 2006, « une décision négative du ministre vaut décision de retour (…) ». En vertu de l’article 2 r) de la loi du 5 mai 2006 la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ».

Dans la mesure où le tribunal vient de retenir que c’est à juste titre que le ministre a rejeté la demande de protection internationale du demandeur, et que par conséquent un retour dans son pays d’origine ne le soumet ni à des persécutions ni à des atteintes graves au sens de la loi du 18 décembre 2015, anciennement la loi du 5 mai 2006, il a également valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire.

Partant, le moyen afférent laisse d’être fondé.

A défaut d’autres moyens soulevés par le demandeur, le tribunal ne saurait mettre en cause la légalité de l’ordre de quitter le territoire pris à son égard, de sorte que le recours en annulation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 21 juillet 2015 portant refus d’une protection internationale ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 15 21 juillet 2015 portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

Anne Gosset, premier juge, Hélène Steichen, juge, Daniel Weber, juge, et lu à l’audience publique du 11 juillet 2016 par le premier juge, en présence du greffier Goreti Pinto.

s. Goreti Pinto s. Anne Gosset Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 13 juillet 2016 Le greffier du tribunal administratif 16


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 36702
Date de la décision : 11/07/2016

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2016-07-11;36702 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award