Tribunal administratif N° 37880 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 mai 2016 Ire chambre Audience publique du 6 juillet 2016 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 28 (1), L.18.12.2015)
___________________________________________________________________________
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 37880 du rôle et déposée le 6 mai 2016 au greffe du tribunal administratif par Maître Faisal Quraishi, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à …. (Albanie), de nationalité albanaise, demeurant à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 29 avril 2016 par laquelle il a pris la décision de le transférer vers la République fédérale d’Allemagne, l’Etat membre responsable pour traiter sa demande de protection internationale ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 15 juin 2016 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;
Le juge rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Jacqueline Jacques en sa plaidoirie.
___________________________________________________________________________
Le 21 mars 2016, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une demande en obtention d’une protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la procédure internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Il fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.
Le 14 avril 2016, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».
Les autorités luxembourgeoises contactèrent les autorités allemandes en date du 21 avril 2016 en vue de la reprise en charge de Monsieur … et, par courrier du 25 avril 2016 réceptionné le 26 avril 2016, les autorités allemandes acceptèrent cette reprise en charge.
Le 29 avril 2016, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », sur base de la considération que Monsieur … avait déposé une demande de protection internationale en date du 27 janvier 2016 en Allemagne, et que les autorités allemandes ont accepté de le reprendre en charge informa ce dernier de sa décision de le transférer dans les meilleurs délais vers l’Allemagne sur base de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 18, paragraphe (1), d) du règlement Dublin III.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 6 mai 2016, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 29 avril 2016.
Aucune disposition légale ne prévoit de recours au fond en la matière, de sorte que seul un recours en annulation a pu être introduit contre la décision du 29 avril 2016.
A l’audience des plaidoiries, le délégué du gouvernement a soulevé l’irrecevabilité du recours du demandeur pour défaut d’intérêt à agir au vu de la disparition de ce dernier.
Le fait que Monsieur … ne soit actuellement plus présent à son adresse officielle n’est pas de nature à emporter une perte de l’intérêt à agir.
Dès lors le moyen d’irrecevabilité du recours tiré d’un défaut de maintien de l’intérêt à agir est à rejeter.
Le recours en annulation est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Quant à la demande de jonction formulée à titre liminaire par le délégué du gouvernement du présent recours avec le recours introduit par l’époux de la demanderesse en date du 6 mai 2016, inscrit sous le numéro 37880 du rôle, visant la décision de transfert le concernant, il y a lieu de relever que si les deux décisions concernent certes la même famille, il n’en demeure pas moins que le ministre a pris deux décisions différentes, de sorte qu’il n’est pas nécessaire dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, d’ordonner la jonction de ces instances. La demande de jonction est dès lors à rejeter.
A l’appui de son recours, le demandeur donne à considérer qu’il aurait déposé une demande de protection internationale en Allemagne le 27 janvier 2016 sans que les autorités allemandes l’aient analysée correctement. Un tel comportement contreviendrait aux articles 1er et 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
Par ailleurs, le demandeur fait état de graves problèmes systémiques qui existeraient en Allemagne en rapport avec sa demande de protection internationale. En effet, l’Allemagne aurait accueilli un nombre trop important de demandeurs d’asile par rapport à ses capacités d’accueil, de sorte que le respect des conditions d’hébergement et d’analyse des demandes de protection internationale présentées n’y serait pas garanti.
Il soutient encore qu’il aurait, lors de son départ de l’Albanie voulu se rendre au Luxembourg sans passer par l’Allemagne, de sorte que les dispositions de l’article 18, paragraphe 1 du règlement Dublin III ne s’appliqueraient pas.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours.
Aux termes de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 : « Si, en application du règlement (UE) n°604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».
Aux termes de l’article 18, paragraphe (1) du règlement Dublin III : « L’Etat membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : (…) d) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d’un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre Etat membre. » Il s’ensuit que si, en vertu du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la reprise en charge, le ministre décide, d’un côté, de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable et, de l’autre côté, de ne pas examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.
Le tribunal constate de prime abord qu’en l’espèce, la décision ministérielle déférée est motivée, d’une part, par le fait que le demandeur a déposé le 27 janvier 2016 une demande de protection internationale en Allemagne et, d’autre part, par le fait que les autorités allemandes ont accepté de le reprendre en charge, de sorte que c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé de le transférer vers l’Allemagne et de ne pas examiner sa demande de protection internationale, étant par ailleurs relevé que c’est encore à bon droit que le ministre a basé sa décision sur l’article 18, paragraphe (1), d) du règlement Dublin III, étant donné qu’il ressort des déclarations du demandeur faites dans le cadre de son audition auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes que les autorités allemandes ont rejeté comme non fondée la demande de protection internationale y déposée par lui le 27 janvier 2016.
Force est de relever que le demandeur, en l’espèce, ne conteste pas la compétence de principe de l’Etat allemand, respectivement l’incompétence de principe de l’Etat luxembourgeois, mais il reproche en substance au ministre d’avoir violé l’article 3, paragraphe 2, 2e alinéa du règlement Dublin III, aux termes duquel « Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’État membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’État membre procédant à la détermination de l’État membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable » et estime que sa demande en obtention d’une protection internationale n’aurait pas été effectivement analysée en Allemagne, en raison de graves problèmes systémiques qui y existeraient à cause du nombre important de demandeurs de protection internationale dépassant les capacités d’accueil des autorités allemandes.
Le tribunal est amené à conclure, de concert avec le délégué du gouvernement, que les affirmations selon lesquelles il existerait de graves problèmes systémiques en Allemagne en ce qui concerne les demandes de protection internationale et l’accueil des demandeurs de protection internationale, restent à l’état de pures allégations, en ce que le demandeur est resté en défaut, d’une part, de faire valoir un problème concret ayant pu affecter l’analyse de sa demande de protection internationale, respectivement ses conditions d’accueil, en Allemagne et, d’autre part, de soumettre au tribunal un quelconque élément de preuve, tels que notamment des rapports internationaux, relatifs aux difficultés prétendument rencontrées par les autorités allemandes dans le traitement des demandes de protection internationale et en ce qui concerne les conditions d’accueil des demandeurs d’asile.
Par ailleurs, il échet de relever que le système Dublin III est basé sur l’hypothèse que tous les Etats membres de l’Union européenne sont des Etats de droit dans lesquels les demandeurs de protection internationale peuvent faire valoir leurs droits et requérir l’aide des organes étatiques, notamment judiciaires, au cas où ils estiment que leurs droits ont été lésés.
S’il est exact qu’il est admis qu’une acceptation de prise en charge par un Etat membre peut être remise en cause par un demandeur de protection internationale lorsqu’il y existe des défaillances systémiques de la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale dans cet Etat membre, il n’en reste pas moins que ces défaillances systémiques requièrent, pour être de nature à s’opposer à un transfert, d’être qualifiées de traitements inhumains et dégradants au sens de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.1 Or, en l’espèce, le demandeur se limite à invoquer la circonstance abstraite que sa demande de protection internationale déposée en Allemagne le 27 janvier 2016 n’aurait pas été analysée correctement, sans étayer ce moyen et sans apporter la preuve que des défaillances systémiques en la présente matière seraient apparues en Allemagne suite à l’augmentation récente du nombre de demandeurs de protection internationale.
Il suit des considérations qui précèdent que le moyen du demandeur fondé sur une violation de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, ainsi que des articles 1 et 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne est à rejeter pour ne pas être fondé Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent, et à défaut d’autres moyens, que le recours est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
rejette la demande de jonction du présent recours avec le recours inscrit sous le n° 37879 du rôle ;
au fond, déclare le recours non justifié, partant en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
1 CJCE, 10 décembre 2013, C-394/12, Shamso Abdullahi c. Bundesasylamt, point 62 Ainsi jugé par :
Carlo Schockweiler, premier vice-président, Olivier Poos, juge, Michèle Stoffel, juge, et lu à l’audience publique du 6 juillet 2016, par le premier vice-président, en présence du greffier Marc Warken.
s.Marc Warken s.Carlo Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 06/07/2016 Le Greffier du Tribunal administratif 5