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04/07/2016 | LUXEMBOURG | N°37463a

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 04 juillet 2016, 37463a


Tribunal administratif N° 37463a du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 janvier 2016 2e chambre Audience publique du 4 juillet 2016 Monsieur …, … contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 37463 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 29 janvier 2016 par Maître Frank Wies, avocat à la Cour, inscrit au tablea

u de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Nigéria), de natio...

Tribunal administratif N° 37463a du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 janvier 2016 2e chambre Audience publique du 4 juillet 2016 Monsieur …, … contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 37463 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 29 janvier 2016 par Maître Frank Wies, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Nigéria), de nationalité nigériane, demeurant à L-…, tendant à la réformation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 13 janvier 2016 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, de la décision du même ministre du même jour portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 12 février 2016 ;

Vu le jugement du 29 février 2016 inscrit sous le numéro 37463 du rôle rendu par le vice-président du tribunal administratif, siégeant en sa qualité de président de la deuxième chambre du tribunal ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;

Le juge rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Frank Kessler, en remplacement de Maître Frank Wies, et Madame le délégué du gouvernement Elisabeth Pesch en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 13 juin 2016.

Le 26 juin 2015, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après désignée par « la loi du 5 mai 2006 », entretemps abrogée par la loi du 18 décembre 2015 relative à l’accueil des demandeurs de protection internationale et de protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations de Monsieur … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, dans un rapport du même jour.

1Le 8 juillet 2015, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement UE 604/2013 du Parlement et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, dit « règlement Dublin III ».

Monsieur … fut entendu en date du 14 décembre 2015 par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 13 janvier 2016, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée envoyée le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, désigné ci-après par « le ministre », informa Monsieur … qu’il avait statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée en se basant sur les dispositions de l’article 27, paragraphe (1) sous a) de la loi du 18 décembre 2015 et que sa demande avait été refusée comme non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 29 janvier 2016, Monsieur … a fait déposer un recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 13 janvier 2016 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, de la décision du même ministre du même jour portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

En application de l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, le vice-

président du tribunal administratif, siégeant en sa qualité de président de la deuxième chambre du prédit tribunal, a, par jugement rendu en date du 29 février 2016, inscrit sous le numéro 37463 du rôle, dit que le recours n’est pas manifestement infondé, et a renvoyé l’affaire en chambre collégiale du tribunal administratif pour statuer sur ledit recours.

A titre liminaire, le tribunal tient à relever que tout jugement non susceptible d’appel est frappé de l’autorité de chose jugée et que cette dernière s’attache tant au dispositif d’un jugement, qu’aux motifs qui en sont le soutien nécessaire. Par contre, les considérations qui ne sont pas nécessaires à la solution- les obiter dicta- ne sont pas revêtues de l’autorité de la chose jugée.1 En vertu de ce principe, le tribunal ne tranchera plus ce qui a d’ores et déjà été jugé au fond par le vice-président du tribunal administratif siégeant comme juge unique dans son jugement du 29 février 2016, mais limitera son analyse aux seuls points sur lesquels le recours n’a pas été déclaré manifestement infondé.

De même, le tribunal relève que la recevabilité des recours a été tranché par le jugement précité du 29 février 2016.

En l’espèce, s’agissant des motifs gisant à la base du prédit jugement, la demande ainsi que les moyens du recours du demandeur en ce qu’ils tendent à l’obtention du statut du réfugié au sens de l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 ont été rejetés pour être 1 Voir M. Leroy, Contentieux administratif, 4e éd., Bruylant, p.759.

2manifestement infondés. Concernant l’obtention du statut conféré par la protection subsidiaire, il a été décidé que le demandeur ne fait pas état d’un risque de subir la peine de mort ou l’exécution, ainsi que respectivement des menaces graves et individuelles contre sa vie ou sa personne en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international, au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015. Cependant, les moyens du demandeur tendant à établir qu’il n’aurait pas soulevé de moyens sans pertinence, dans la mesure où il aurait couru le risque de subir des atteintes graves, revêtant un certain degré de gravité et contre lesquelles les autorités nigérianes n’auraient pas pu ou voulu lui assurer une protection, ont été déclarés comme n’étant pas visiblement dénués de tout fondement, de sorte qu’il a été retenu que le recours en ce qu’il reproche au ministre d’avoir recouru à la procédure accélérée sur base de ces moyens n’est pas manifestement infondé.

Au vu des considérations qui précèdent l’analyse du tribunal ne portera plus sur les moyens du recours du demandeur en ce qu’ils tendent à l’obtention du statut de réfugié et à l’application de la procédure accélérée eu égard à ces moyens. Le tribunal portera par contre son analyse sur le volet de la demande en ce qu’elle tend à l’obtention du statut conféré par la protection subsidiaire, et plus particulièrement sur la question de savoir si le demandeur risque de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, et sur la mise en œuvre justifiée ou non de la procédure accélérée compte tenu des moyens développés à l’appui de cette demande.

A l’appui de son recours et en fait, le demandeur explique s’être retrouvé seul après la mort de son père. Un ami, Jerry, lui aurait demandé à plusieurs reprises de l’accompagner aux réunions du groupe « Black Axe », ce qu’il aurait finalement accepté et il aurait ainsi accompagné Jerry à Ikweere dans un camp en janvier 2015. Il précise qu’il y aurait appris que les principales activités du groupe « Black Axe » seraient d’enlever des personnes pour réclamer des rançons et de les tuer au cas où la rançon ne serait pas payée. Il n’aurait cependant pas voulu faire partie d’un tel groupe et il aurait ainsi déclaré ne pas rejoindre le groupe « Black Axe ». En février 2015, cinq membres dudit groupe seraient venus à son domicile pour le menacer de mort en cas de refus de les rejoindre, ce qu’il aurait finalement promis. Dès leur départ, il se serait réfugié auprès d’un prêtre qui lui aurait conseillé de quitter le pays. Il aurait vécu en cachette chez le prêtre, le temps de préparer sa fuite, ensuite, le prêtre l’aurait accompagné au Sénégal où il aurait embarqué dans un bateau vers l’Espagne. De l’Espagne il aurait rejoint le Luxembourg en bus avec le prêtre, qui aurait ensuite disparu en emmenant son passeport.

1. Quant au recours visant la décision de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée A l’appui de ce volet de son recours, le demandeur reproche de prime abord au ministre d’avoir retenu qu’il n’aurait soulevé que des faits sans pertinence, alors que depuis son refus de rejoindre le groupe « Black Axe », il serait devenu la cible de menaces de mort. Le fait qu’il aurait décrit la police nigériane comme « not trustworthy » et qu’il n’aurait pas requis sa protection ne permettrait pas de minimiser ni l’existence ni l’envergure des menaces dont il aurait fait l’objet. Il conclut qu’il aurait appartenu au ministre d’analyser sa demande dans le cadre de l’article 26 de la loi du 18 décembre 2015 et non point dans le cadre de l’article 27 de la même loi et ainsi selon une procédure accélérée.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours en reprenant en substance les motifs à la base de la décision déférée, et en estimant que les faits dont le demandeur ferait 3état à savoir de simples menaces de la part de membres du groupe « Black Axe » ne pourraient pas rentrer dans le champ d’application de la Convention de Genève ou de la loi du 18 décembre 2015 puisqu’ils ne seraient pas motivés par l’un des critères y énoncés, à savoir, la race, la nationalité, la religion, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social. Le délégué du gouvernement émet encore des doutes quant à la crédibilité du récit du demandeur et plus particulièrement quant à l’initiation qu’il aurait suivie au groupe « Black Axe ». Il argumente par ailleurs que la demande de protection internationale du demandeur serait également fondée sur des raisons économiques lesquelles ne pourraient pas justifier l’octroi d’une protection internationale. Il conclut que le ministre aurait à bon droit décidé de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée.

A titre liminaire, le tribunal tient à relever que le vice-président du tribunal administratif statuant comme juge unique a retenu que le récit du demandeur est crédible dans sa globalité, de sorte qu’en vertu des développements faits ci-avant quant à l’autorité de chose jugée, il n’y a plus lieu de statuer sur ce moyen.

Aux termes du point a) de l’article 27, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, « Sous réserve des articles 19 et 21, le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants :

a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ; ou […] ».

Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 27, paragraphe (1) sous a) de la loi du 18 décembre 2015, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée, s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont sans pertinence au regard de l’examen de cette demande.

Afin d’analyser si le demandeur n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection subsidiaire, il y a d’abord lieu de relever qu’aux termes de l’article 2 g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

L’article 48 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Il faut encore que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi.

4 Ainsi, aux termes de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être :

a) l’Etat ;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves. », et aux termes de l’article 40 de la même loi, « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. » (3) Lorsqu’il détermine si une organisation internationale contrôle un Etat ou une partie importante de son territoire et si elle fournit une protection au sens du paragraphe (2), le ministre tient compte des orientations éventuellement données par les actes du Conseil de l’Union européenne en la matière.» Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48 précité de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précités, de l’article 48, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

Par ailleurs, l’article 2 g), précité, définissant la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine elle « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », cette définition vise partant une personne risquant 5d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 établit une présomption simple que les atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque réel de subir des atteintes graves qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de ses auditions, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que s’agissant du risque de subir des traitements inhumains ou dégradants, il échet certes de constater que le demandeur n’a été menacé de mort qu’à une seule reprise par des membres du groupe « Black Axe », lorsque ces derniers se sont rendus à son domicile pour le convaincre de les rejoindre. Il ressort toutefois du rapport du « Immigration and Refugee Board of Canada » du 3 décembre 2012 intitulé « Nigeria : The Black Axe confraternity, also known as the Neo-Black Movement of Africa, including their rituals, oaths of secrecy, and use of symbols or particular signs ; whether they use force to recruit individuals », dont se prévaut le demandeur, que ledit groupe forme une secte qui n’hésite pas à recourir à la violence pour imposer ses principes, notamment à l’égard de membres d’autres groupes ou en vue de recruter de nouveaux membres.

Partant, c’est à tort que le ministre a décidé de statuer sur la demande de protection internationale du demandeur dans le cadre d’une procédure accélérée sur base de l’article 27, paragraphe (1) a) de la loi du 18 décembre 2015, en ce que les faits présentés à l’appui de la demande sont d’une certaine pertinence en ce qui concerne l’octroi de la protection subsidiaire.

Le tribunal, statuant en réformation et au vu des considérations qui précèdent, déclare le recours en réformation justifié. Cependant, le demandeur n’a pas soulevé de moyens visant à faire valoir qu’il aurait subi un préjudice suite au recours par le ministre à la procédure accélérée. Le tribunal doit dès lors constater qu’en l’espèce les droits de la défense du demandeur ont été respectés dans la mesure où il avait la possibilité de présenter tous ses moyens et de remettre à l’appui de sa demande toutes les pièces utiles et susceptibles d’avoir une influence sur la décision à intervenir, de sorte à porter son analyse sans autre suite sur le bien-fondé de la décision portant refus d’une protection subsidiaire.

2. Quant au recours tendant à la réformation de la décision portant refus d’une protection subsidiaire En ce qui concerne le volet de son recours relatif à l’obtention du statut de protection subsidiaire, le demandeur soulève le fait que les menaces de mort dirigées contre sa personne seraient à qualifier de torture ou de traitements ou sanctions inhumains ou dégradants au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015. Aucun élément ne permettrait d’ailleurs d’exclure qu’il ne risquerait pas à nouveau de subir des atteintes graves en cas de retour dans son pays d’origine. Il soutient finalement qu’il ne pourrait pas obtenir une protection adéquate à l’encontre de ces atteintes dans son pays d’origine. En effet, il explique le fait, pour lui, de ne pas s’être adressé aux autorités nigérianes afin d’obtenir une protection contre 6les agissements du groupe « Black Axe » par la circonstance qu’il n’aurait pas pu faire confiance à la police nigériane. Il se réfère dans ce contexte plus concrètement à un rapport de l’organisation « Human Rights Watch » de janvier 2014 intitulé « Nigeria », relatant le fait que la police nigériane serait régulièrement impliquée dans des violations des droits de l’homme telles que des arrestations arbitraires, la torture, voire même des mises à mort extrajudiciaires, ainsi que dans des affaires de corruption, dans la mesure où des policiers solliciteraient régulièrement de l’argent de la part de victimes pour enquêter ou, à l’inverse, de la part de suspects pour abandonner les enquêtes. Il conteste qu’il aurait pu s’adresser aux autres autorités énumérées par le ministre dans la décision déférée afin d’obtenir une protection idoine, dans la mesure où il serait discutable que la « National Drug Law Enforcement Agency », la « Economic and Financial crimes Commission » ou la « Federal Road Safety Commission » seraient à considérer comme les autorités adéquates pour lui assurer une protection contre le groupe « Black Axe ». Enfin, il se réfère au rapport, précité, de l’« Immigration and Refugee Board of Canada » du 3 décembre 2012 intitulé « Nigeria :

The Black Axe confraternity, also known as the Neo-Black Movement of Africa, including their rituals, oaths of secrecy, and use of symbols or particular signs ; whether they use force to recruit individuals » pour expliquer qu’il aurait eu raison de ne pas faire confiance aux autorités nigérianes, puisque, selon ledit rapport, le groupe « Black Axe » détiendrait le soutien de personnes « in high places ». Le demandeur affirme que d’après le même rapport, le groupe « Black Axe » serait répandu à travers tout le Nigéria de sorte que le ministre n’aurait pas pu lui reprocher de ne pas s’être installé dans une autre région de son pays d’origine et plus particulièrement à Lagos, où le rapport du « Immigration and Refugee Board of Canada » relaterait expressément la présence du groupe « Black Axe » et préciserait même le nombre de personnes qui y auraient été tuées par ledit groupe. Le demandeur signale encore la présence du groupe terroriste « Boko Haram » au Nord du Nigéria. Enfin, il conclut qu’une fuite à l’intérieur du Nigéria n’aurait pas pu lui apporter une quelconque protection contre les agissements du groupe « Black Axe » qu’il qualifie de groupe terroriste bien établi sur une grande partie du territoire du Nigéria.

Le tribunal retient que les menaces de mort proférées à l’encontre du demandeur par le groupe « Black Axe » sont d’une gravité suffisante au regard de l’article 48 b) de la loi du 18 décembre 2015, étant donné qu’il se dégage du rapport susvisé du « Immigration and Refugee Board of Canada » du 3 décembre 2012 que ledit groupe forme une secte qui n’hésite pas à recourir à la violence pour imposer ses principes, notamment à l’égard de membres d’autres groupes ou en vue de recruter de nouveaux membres, de sorte que le tribunal considère qu’il ne saurait être exclu que le groupe « Black Axe » puisse en venir à passer à l’acte.

S’agissant des auteurs de ces actes, le tribunal constate que les menaces de mort ont été proférées à l’égard du demandeur par des personnes privées sans lien avec l’Etat, de sorte que ces personnes ne peuvent être considérées comme acteurs d’atteintes graves au sens de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 que sous la condition que les autorités nigérianes, ainsi que les organisations internationales présentes au Nigéria ne peuvent pas ou ne veulent pas lui accorder une protection contre les agissements desdites personnes.

Il y a, à cet égard, encore lieu de rappeler l’article 40 (2) de la loi du 18 décembre 2015, qui définit la protection comme suit : « La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, 7entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection ». Si une protection n’est considérée comme suffisante que si les autorités ont mis en place une structure policière et judiciaire capable et disposée à déceler, à poursuivre et à sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave et lorsque le demandeur a accès à cette protection, la disponibilité d’une protection nationale exigeant par conséquent un examen de l’effectivité, de l’accessibilité et de l’adéquation d’une protection disponible dans le pays d’origine même si une plainte a pu être enregistrée, - ce qui inclut notamment la volonté et la capacité de la police, des tribunaux et des autres autorités du pays d’origine, à identifier, à poursuivre et à punir ceux qui sont à l’origine des atteintes graves - cette exigence n’impose toutefois pas pour autant un taux de résolution et de sanction des infractions de l’ordre de 100 %, taux qui n’est pas non plus atteint dans les pays dotés de structures policière et judiciaire les plus efficaces, ni qu’elle n’impose nécessairement l’existence de structures et de moyens policiers et judiciaires identiques à ceux des pays occidentaux.

En effet, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion.

Par conséquent des atteintes graves ne sauraient être admises dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par une personne ou un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée.

En l’espèce, le tribunal relève que si lors de son entretien par un agent ministériel, le demandeur s’est limité à expliquer qu’il ne se serait pas adressé à la police nigériane puisque celle-ci ne serait pas « trustworthy », il a expliqué dans le cadre de son recours que celle-ci serait régulièrement impliquée dans des affaires de corruption, voire de violations des droits de l’homme. A l’appui de ses affirmations, le demandeur a versé en cause le rapport précité de l’organisation « Human Rights Watch » selon lequel : « (…) The Nigerian police have also been involved in frequent human rights violations, including extrajudicial killings, torture, arbitrary arrests, and extortion-related abuses. Despite the dismantling of many “road blocks” by the inspector general of police, corruption in the police force remains a serious problem. The police routinely solicit bribes from victims to investigate crimes and from suspects to drop investigations. Senior police officials embezzle or mismanage police funds, often demanding monetary “returns” that their subordinates extort from the public. (…) ».

Le tribunal déduit de ce rapport que les autorités nigérianes ne sont pas en mesure d’accorder au demandeur une protection suffisante par rapport aux agissements du groupe « Black Axe ».

Cette conclusion n’est pas énervée par les observations tant du ministre que du délégué du gouvernement aux termes desquelles le demandeur aurait pu s’adresser à d’autres autorités que la police nigériane en vue d’obtenir une protection contre les agissements du groupe « Black Axe », telles que la « National Drug Law Enforcement Agency », la « Economic and Financial crimes Commission » ou la « Federal Road Safety Commission ». Le tribunal note, en effet, que ni le ministre, ni le délégué du gouvernement n’ont fourni de précisions quant 8aux missions exactes desdites autorités, de sorte qu’il n’est pas en mesure d’apprécier si ces autorités peuvent effectivement accorder une protection au demandeur. Eu égard à ces considérations, c’est à juste titre que le demandeur affirme dans le cadre de sa requête introductive d’instance, qu’elles ne seraient pas à considérer comme constituant des autorités adéquates pour lui assurer une protection contre les agissements du groupe « Black Axe ».

Quant à la possibilité de fuite interne, le tribunal renvoie aux conclusions tirées du vice-

président du tribunal administratif dans le cadre de son jugement du 29 février 2016 aux termes duquel « il ressort cependant du rapport précité du « Immigration and Refugee Board of Canada », versé en cause par le demandeur que le groupe « Black Axe » est actif à travers tout le Nigéria et plus particulièrement dans les grandes villes, telle que Lagos » de sorte que « la possibilité d’une fuite interne au Nigéria s’avère compromise dans le chef du demandeur ».

Au vu de toutes les considérations qui précèdent, le tribunal est amené à conclure que le demandeur court un risque sérieux, en cas de retour dans son pays d’origine, d’être soumis à des traitements et sanctions inhumains et dégradants au sens de l’article 48b) de la loi du 18 décembre 2015, de sorte qu’il y a lieu de lui accorder le statut conféré par la protection subsidiaire.

Dès lors, la décision déférée encourt la réformation en ce sens.

3. Quant au recours tendant à la réformation de la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire En l’espèce, le demandeur sollicite la réformation de l’ordre de quitter le territoire, au motif que la décision ministérielle portant refus de sa demande de protection internationale devrait également encourir la réformation.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours en annulation.

Aux termes de l’article 34 (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2 q) de la prédite loi, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ».

Dans la mesure où le tribunal vient de retenir que le demandeur est fondé à se prévaloir du statut de la protection subsidiaire, et que la décision de refus de la protection internationale est à réformer dans cette mesure, il y a lieu de réformer l’ordre de quitter le territoire tel que contenu dans la décision ministérielle déférée.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties et sur renvoi par le jugement du 29 février 2016 inscrit sous le numéro 37463 du rôle rendu par le vice-président du tribunal administratif, siégeant en sa qualité de président de la deuxième chambre du tribunal;

déclare justifié le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 13 janvier 2016 de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée;

9 déclare justifié le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 13 janvier 2016 portant refus du statut de protection subsidiaire, partant, par réformation et dans la limite de sa saisine circonscrite à la protection subsidiaire, accorde à Monsieur … la protection subsidiaire au sens de l’article 2 g) de la loi du 18 décembre 2015 et renvoie le dossier en prosécution de cause au ministre de l’immigration et de l’Asile;

déclare justifié le recours en réformation introduit contre l’ordre de quitter le territoire, partant le déclare sans objet;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par :

Anne Gosset, premier juge, Daniel Weber, juge, Anne Foehr, attaché de justice délégué, et lu à l’audience publique du 4 juillet 2016 par le premier juge, en présence du greffier Goreti Pinto.

s. Goreti Pinto s. Anne Gosset Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 4 juillet 2016 Le greffier du tribunal administratif 10


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 37463a
Date de la décision : 04/07/2016

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2016-07-04;37463a ?

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