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04/07/2016 | LUXEMBOURG | N°37392

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 04 juillet 2016, 37392


Tribunal administratif N° 37392 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 janvier 2016 2e chambre Audience publique du 4 juillet 2016 Recours formé par Monsieur … et consort, … contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 19, L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 37392 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 8 janvier 2016 par Maître Olivier Lang, avocat à la Cour,

inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …(Mo...

Tribunal administratif N° 37392 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 janvier 2016 2e chambre Audience publique du 4 juillet 2016 Recours formé par Monsieur … et consort, … contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 19, L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 37392 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 8 janvier 2016 par Maître Olivier Lang, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …(Monténégro), et de son épouse, Madame …, née le … (Monténégro), tous deux de nationalité kosovare, demeurant ensemble à L-…, tendant, d’une part, à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 8 décembre 2015 rejetant leur demande en obtention d’une protection internationale comme n’étant pas fondée et, d’autre part, à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire luxembourgeois contenu dans la même décision;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 18 février 2016 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Sarah Moineaux, en remplacement de Maître Olivier Lang, et Madame le délégué du gouvernement Christiane Martin en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 20 juin 2016.

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Le 30 juin 2015, Monsieur … et son épouse, Madame …, ci-après désignés par « les époux … », introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection, désignée ci-après par « la loi du 5 mai 2006 ».

Les déclarations des époux … sur leurs identités et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, dans un rapport du même jour, conformément à l’article 8 de la loi du 5 mai 2006.

Le 10 juillet 2015, les époux … furent entendu séparément par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de leur demande de protection internationale en vertu du règlement UE 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, dit « règlement Dublin III ».

Les 23 septembre et 28 octobre 2015, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale, tandis que son épouse, Madame … fut entendue pour les mêmes raisons le 23 septembre 2015.

Par décision du 8 décembre 2015, notifiée par courrier recommandé expédié le lendemain, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après dénommé « le ministre », informa les époux … de ce que leur demande avait été rejetée comme non fondée tout en leur enjoignant de quitter le territoire dans un délai de trente jours. Cette décision est libellée comme suit :

« Madame, Monsieur, J'ai l'honneur de me référer à vos demandes en obtention d'une protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection que vous avez présentées auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères et européennes en date du 30 juin 2015.

Quant à vos déclarations auprès du Service de Police judiciaire En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 30 juin 2015.

Madame, Monsieur, il ressort dudit rapport que vous n'auriez jamais possédé de passeports kosovars. Avec l'aide d'un passeur, vous seriez entrés clandestinement dans l'espace Schengen et vous auriez voyagé, à bord d'une camionnette blanche, du Kosovo vers le Luxembourg.

Madame, vous déclarez que votre mari ainsi que votre fils auraient payé la somme de 8.000.-€ au passeur pour ledit voyage. Il vous serait impossible de donner des informations supplémentaires ainsi que des précisions concernant l'itinéraire de votre voyage.

Vous présentez des cartes d'identité kosovare.

Quant à vos déclarations auprès du Service des Réfugiés En mains les rapports d'entretien Dublin III du 10 juillet 2015 et les rapports d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes des 23 septembre et 28 octobre 2015 sur les motifs sous-tendant vos demandes de protection internationale, ainsi que les documents versés à l'appui de vos demandes de protection internationale.

Monsieur, il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté le Monténégro à cause des problèmes découlant d'une part du mariage de votre fils (R-12404) avec une dénommé … et d'autre part de votre appartenance ethnique.

Vous déclarez qu' « en 2007, mon fils a marié une femme dont les parents (la famille …) ont été terrorisés par des albanais » (page 3/11). Vous déclarez que 15 jours après ledit mariage, un Albanais, un dénommé …, selon vos dires « commandant de l'UCK », aurait prévenu votre fils qu' « il n'avait pas le droit de marier ma belle-fille » (page 3/11), étant donné que ce dernier aurait revendiqué de l'épouser de force. Suite au mariage de votre fils, le dénommé … aurait prédit à votre fils qu'il aurait des problèmes.

L'énumération chronologique suivante reflèterait, selon vos dires, les problèmes, les chicaneries et les destructions de vos biens encourues de votre part, à savoir :

- en 2008 : votre belle fille aurait accouché dans la maison de sa mère, étant donné qu' « elle n'a pas été accepté à l'hôpital » (page 3/11) ;

- en 2009: lors de la construction de votre maison, vous prétendez qu' « ils ont coupé à plusieurs reprises l'eau et l'électricité et ont demandé de l'argent pour le brancher de nouveau » (page 4/11). Vous attribuez ces chicaneries aux « gens qui ont travaillé pour … »(page 4/11) ;

- en 2010 : vous prétendez que « quelqu'un a cassé tous les fenêtres et toutes les portes » (page 4/11) de votre nouvelle maison. Vous auriez déclaré les faits à la police. La police vous aurait répliqué que « ce ne sont pas de grands dégâts et qu'on doit régler tout cela nous même et qu'il ne s'agit pas d'une place pour vivre pour nous » (page 4/11).

- en 2011 : votre belle-fille aurait accouché de son deuxième enfant avec l'aide de votre épouse dans votre maison ;

- en 2012: lors de vos vacances, vous auriez été prévenu par un voisin que votre maison aurait été cambriolée. Vous auriez de nouveau fait appel à la police, sans toutefois obtenir des résultats concrets. Vous ajoutez qu'après votre déménagement dans la nouvelle maison, vous auriez ouvert un cabinet privé de physiothérapie et fait de la publicité pour attirer de nouveaux clients. Les affiches en question auraient été déchirées et profanées par des inscriptions telles : « ceci n'est pas votre place, ni pour vivre, ni pour travailler, vous êtes bochniaque et votre place est en Bosnie » (page 4/11).

- en 2013: en date du 1.06.2013, en partant au travail, vous auriez reçu une lettre de licenciement et vous auriez dû immédiatement quitter votre lieu de travail. Vous proclamez qu' « il ne me manquait seulement trois ans jusqu'à la retraite » (page 4/11).

- en 2015: en mars 2015, en faisant des courses dans un ma…n proche, vous auriez été prévenu par un voisin, un dénommé …, que votre maison brûlerait. A votre arrivée sur les lieux du sinistre, la police, les pompiers et l'ambulance auraient déjà été sur place et n'auraient pu que constater les dégâts. Selon vos dires, la police aurait retrouvé un pistolet calciné dans les débris et aurait reporté que « la maison a d'abord été cambriolée et après quelqu'un a mis le feu » (page 4/11). Cinq jours après cet incident, deux personnes, … et …, auraient forcé votre fils de retirer la plainte auprès de la police sinon : « ils nous liquideront et brûleront la prochaine fois » (page 5/11). Vous citez que vous auriez déclaré ces faits au chef de police, un dénommé … …, cousin de …. Il vous aurait répondu : « rentrez à la maison, on verra ce qu'on peut faire » (page 5/11). Dix jours plus tard, les dénommés … auraient bloqué la route à votre fils et lui auraient cassé le nez en signe de mécontentement suite à votre nouvelle intervention auprès de la police. Enfin, en date du 19 juin 2015, un monsieur serait venu dans l'école de votre petit-fils … et aurait tenté de l'enlever. Vous ajoutez que votre fils « a vu … … qui voulait kidnapper votre fils » (page 5/11). Vous auriez relaté cet enlèvement au Ministre de l'Intérieur ainsi qu'au bourgmestre et le chef de la police. Vous vous seriez également adressé aux organisations qui défendent les droits des bosniaques « le bureau pour le retour des bochniaques Kancelarija zo povratak Bosnjaka » (page 6/11).

A la fin de votre récit, vous précisez que « toutes les personnes qui nous ont attaqués, étaient des soldats ou commandants anciens de l'UCK » (page 5/11). En outre, vous auriez, à intervalle régulier, donné de l'argent à des membres de l'UCK, argent réclamé par ces derniers pour les orphelins ou les invalides de guerre. Vous ajoutez que vous auriez été verbalement attaqué par des gens qui vous auraient reproché de parler en bochniaque. De plus, vous auriez été giflé par le dénommé … à la fin d'une séance de massage tandis que votre femme aurait été giflée par autrui à plusieurs reprises, « parce qu'elle ne parle pas l'albanais » (page 5/11).

En guise de conclusion, vous affirmez que « … est derrière tout comme il voulait marier de force ma belle-fille » (page 8/11). Dans votre fiche manuscrite remplie en date du 30 juin 2015, vous relatez que « c'est la faute du gouvernement et du pays qu'on a dû quitter notre maison et notre pays ».

Madame, vous confirmez les dires de votre époux. Vous précisez que « votre mari est aveugle et il a été maltraité au travail » (page 3/9). Vous précisez que jusqu'en l'an 2005, vous auriez secondé votre mari sur son lieu de travail pour tout ce qui concerne ses besoins et déplacements privés. Ce privilège vous aurait été interdit par la direction de cet établissement à partir de l'année 2005. Vous auriez écopé d'une interdiction d'entrée sur son lieu de travail.

Vous évoquez également que « des fois, il (ndlr : le mari) ne touchait pas son salaire mais on ne disait rien parce qu'on sait qu'on est une minorité au Kosovo » (page 4/9). Vous ajoutez à propos de votre fils que « ses problèmes sont les miens aussi parce qu'on vivait ensemble » (page 3/9).

A la fin de l'entretien du 23 septembre 2015, vous admettez que « depuis que notre belle-fille est venue chez nous à la maison, nos problèmes ont commencés » (page 6/9).

Il y a lieu de noter que vous avez versé plusieurs documents pour étayer vos dires:

1.

Des photos montrant la maison partiellement brûlée de la victime sous divers angles ainsi qu'un pistolet M-57(TT) ;

2.

Une copie de la lettre d'une décision actée concernant le préavis de fin de contrat de travail remise à l'ouvrier … ;

3.

Une copie d'une détention préventive urgente, émanant de la part de la Direction Régionale de Police-…, à l'encontre de …, datée du 03/03/2015 pour vol aggravé et incendie volontaire ainsi qu'une copie du rapport initial de l'incident, datée du 04/03/2015 ;

4.

Une copie d'une décision d'interdiction à l'encontre de la personne arrêtée, Monsieur …, datée du 05/03/2015, de la part du Ministère Public de …, Département des crimes généraux ;

5.

Un copie du diplôme de fin d'études, section physiothérapeute, de Monsieur ….

Enfin, il ressort des rapports d'entretien du 23 septembre 2015 et du 28 octobre 2015 qu'il n'y a plus d'autres faits à invoquer au sujet de vos demandes de protection internationale et aux déclarations faites dans ce contexte.

Analyse ministérielle en matière de protection internationale En application de la loi précitée du 5 mai 2006, vos demandes de protection internationale sont évaluées par rapport aux conditions d'obtention du statut de réfugié et de celles d'obtention du statut conféré par la protection subsidiaire.

Soulignons dans ce contexte que l'examen et l'évaluation de vos situations personnelles ne se limitent pas à la pertinence des faits allégués, mais qu'il s'agit également d'apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité de vos déclarations.

1. Quant à la Convention de Genève Il y a d'abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n'est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d'origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu'elle laisse supposer une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Rappelons à cet égard que l'octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l'article 2 c) de la loi modifiée du 5 mai 2006, que ces actes sont d'une gravité suffisante au sens de l'article 31(1) de la prédite loi, et qu'ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l'article 28 de la loi susmentionnée.

Selon l'article 1A paragraphe 2 de ladite Convention, le terme de réfugié s'applique à toute personne qui craigne avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels évènements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner.

En l'espèce, il ressort à suffisance de votre dossier administratif que les raisons qui vous ont amenés à quitter votre pays d'origine n'ont pas été motivées par un des critères de fond définis par lesdites Convention et loi.

Madame, Monsieur, notons en premier lieu qu'il n'est nullement établi que tous les problèmes dont vous faites état, seraient liés à votre appartenance ethnique, « le plus grand problème est parce qu'on est bochniaque », ainsi que votre appartenance linguistique, « on ne parle pas l'albanais ». En effet, il découle de vos entretiens que vos problèmes auraient débuté le jour ou votre fils se serait lié d'amitié avec sa future épouse. Madame, vous expliquez que « depuis que notre belle-fille est venue chez nous à la maison, nos problèmes ont commencés » (page 6/9). A cela s'ajoute, Madame, que vous affirmez que les problèmes de votre fils « sont les miens aussi parce qu'on vivait ensemble » (page 3/9). Monsieur, vous ajoutez que « … est derrière tout comme il voulait marier de force ma belle-fille » (page 8/11). Il ne saurait donc pas non plus être exclu que vos problèmes prétendus vous auraient été causés par l'intermédiaire de votre fils, et non pas à cause de votre appartenance ethnique ou linguistique. En tenant compte de ce qui précède, il n'est par conséquent pas exclu que vos problèmes sont d'ordre privé et de droit commun. A cela s'ajoute que vous affirmez que … aurait voulu épouser votre belle-fille qui serait d'ethnie bochniaque. Etant donné qu'il aurait donc été prêt à épouser une femme bochniaque, il ne fait pas de sens que vous expliquez en même temps qu'il voudrait expulser les Bosniaques du Kosovo ou qu'il vous causerait des soucis à cause de votre ethnicité. Au vu de ce qui précède, il n'est donc manifestement pas établi que vous auriez connu le moindre de vos problèmes à cause de votre appartenance ethnique, alors que vous vivriez en plus depuis les années 1970 au Kosovo et que vous ne faites pas part d'un quelconque problème de nature ethnique jusqu'au début de votre conflit présumé avec ….

Ensuite, il faudrait bien distinguer entre les problèmes de votre fils et belle-fille, et ce vous concernant directement, à savoir :

-

diverses chicaneries encourues lors de la construction de votre maison ainsi que des cambriolages et la destruction partielle de votre maison ;

-

des problèmes financiers suite au licenciement de vous, Monsieur, et la difficulté de trouver des nouveaux clients pour votre cabinet privé ;

-

des remarques déplacées de la part de gens non autrement définis ;

-

des demandes de paiement d'argents de la part de l'UCK pour les orphelins ou les invalides de guerre.

Notons ainsi que les demandes d'argent de la part d'anciens membres de l'UCK, les diverses chicaneries encourues lors de la construction de votre maison ainsi que les cambriolages et la destruction partielle de votre maison, dirigés et exécutés selon vos dires par les dénommés …, … … et …, ne sont pas d'une gravité suffisante pour fonder une demande en obtention du statut de réfugié politique.

De plus, les demandes d'argent, les diverses chicaneries, les cambriolages et la destruction partielle de votre maison dont vous faites état constituent des délits relevant du droit commun, punissables selon la loi kosovare et qui ne sauraient être considérés comme acte de persécution au sens de la Convention de Genève et de la loi modifiée du 5 mai 2006.

A cela s'ajoute que les anciens membres de l'UCK ainsi que les dénommés …, … … et … sont à considérer comme des personnes privées. Or, s'agissant d'actes émanant de personnes privées, une persécution commise par des tiers peut être considérée comme fondant une crainte légitime au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités politiques pour l'un des motifs énoncés par ladite Convention et dont l'existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur de protection internationale. Or, tel n'est pas le cas en l'espèce.

En outre, en application de l'article 29 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection au cas de l'espèce, il ne ressort pas des rapports d'audition que l'Etat ou d'autres organisations étatiques présentes sur le territoire de votre pays ne peuvent ou ne veulent pas vous accorder une protection à l'encontre de vos présumés malfaiteurs albanais.

Monsieur, d'une part, vous signalez avoir déclaré les faits mentionnés à la police, mais que celle-ci « ne peut pas nous protéger » (page 8/11). Vous ajoutez qu'« on n'avait aucune protection de la part du gouvernement » et que « c'est la faute du gouvernement et du pays qu'on a dû quitter notre maison ». D'autre part, vous devez tout de même consentir que la police ait rédigé un rapport à chaque intervention de leur part. En preuve, vous présentez deux copies prouvant que la police a bien fait son travail :

1.

Une copie d'une détention préventive urgente, émanant de la part de la Direction Régionale de Police-…, à l'encontre de …, datée du 03/03/2015 ainsi qu'une copie du rapport initial de l'incident, datée du 04/03/2015 suite à votre témoignage auprès de la police ;

2.

Une copie d'une décision d'interdiction à l'encontre de la personne arrêtée, Monsieur …, datée du 05/03/2015, de la part du Ministère Public de …, Département des crimes généraux à cause du cambriolage et de l'incendie de votre maison;

De plus, les menaces de vos malfaiteurs envers votre fils afin que celui-ci retire ses plaintes, démontrent que ceux-ci craignent la justice kosovare, que donc celle-ci fonctionne bien et dissuade les citoyens de commettre des actes illicites en général et même vis-à-vis des personnes d'ethnie bochniaque.

Ainsi, il n'est pas démontré que les autorités kosovares ne peuvent ou ne veulent pas vous offrir une protection. Bien au contraire, vous versez vous-même la preuve qu'elles ont accompli leurs devoirs, qu'elles auraient fait une enquête et que vous avez pu vous adresser aux autorités compétentes pour faire valoir vos droits et vous défendre contre les injustices que vous auriez vécues. Monsieur, à cela s'ajoute qu'il ressort clairement de la décision d'interdiction versée que vous avouez être le propriétaire illégal du pistolet retrouvé brûlé dans votre maison. Il s'ensuit que vous auriez donc menti au cours de votre entretien pendant lequel vous signalez que le pistolet aurait appartenu à vos malfaiteurs et qu'il s'ensuivrait qu'ils seraient passés chez vous dans le but de vous assassiner. Dans ce même contexte, il s'agit de préciser que le document précité témoigne également du fait que le cambrioleur présumé aurait connu des soucis financiers, raison pour laquelle il vous aurait volé de l'argent. Par ailleurs, il aurait mis le feu à la chambre à coucher pour effacer ses traces. Loin de constituer un conflit ethnique qui mettrait en jeu votre survie, le problème mentionné constituerait donc une atteinte à la propriété d'un petit délinquant à court d'argent. Ce constat est d'autant plus plausible que vos malfaiteurs présumés auraient attendu votre départ en vacances ou du moins votre absence de votre maison pour la cambrioler à deux reprises.

En tous cas, force est de constater que la police kosovare est multiethnique et, malgré le fait qu'elle est régionalement pas représentée à un niveau optimal dû au nombre restreint d'effectifs, elle se prévaut d'une bonne réputation: « Des sources signalent que la police du Kosovo mène ses activités sous l'autorité du ministère des Affaires internes (Ministry of Internai Affairs) et compte environ 7 000 policiers (Conseil de l'Europe 2 juill. 2009, paragr.

82; É.-U. 8 avr. 2011, sect. 1.d). Selon des statistiques affichées sur le site Internet de la police du Kosovo, en 2009, 85,8% des policiers étaient Albanais, 9,4% étaient Serbes et 4,8% appartenaient à une autre minorité ethnique (Kosovo 2009). L'International Crisis Group souligne que les Serbes et d'autres minorités sont fortement représentés dans la police (19 mai 2010, 5). ».

De même, il ressort des informations en nos mains que: « L'international Crisis Group décrit la police du Kosovo comme [traduction] « la plus forte des institutions du Kosovo pour ce qui est d'assurer la primauté du droit » En effet: « Polling data in 2009 and 2010 found the Kosovo Police to be the most trusted Kosovo institution. Organisational restructuring has led to an improved perception of the Kosovo police by the public. The police has met its training targets and achieved diversity in terms of ethnicity and gender, with 10% of ethnic Serbs and 15% of women officers. It has a low level of corruption. ».

Concernant la municipalité d'Istoestok (votre lieu de résidence), on peut préciser que:

« The Kosovo Police station in Istog/Istok municipality has 83 police officers; 78 Kosovo Albanians, three (3) Kosovo Bosniaks, one (1) Kosovo Serb and one (1) Kosovo Egyptian officer, while ten (10) are female (source: Kosovo Police). As for the international military presence Slovenian KFOR covers the area (source: Slovenian KFOR Liaison Monitoring Team LMT). » Il convient ensuite de rappeler que la notion de protection de la part du pays d'origine n'implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission d'actes de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d'une efficacité suffisante pour maintenir un certain degré de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d'un acte criminel, mais seulement dans l'hypothèse où les agressions commises par un groupe de population seraient encouragées par les autorités en place, voire où celles-

ci seraient incapables d'offrir une protection appropriée. Or, tel n'est pas le cas en l'espèce.

Quant à vos allégations que la police ne pourrait pas vous protéger et que « c'est la faute du gouvernement et du pays qu'on a dû quitter notre maison », il y a lieu de constater que vos craintes sont purement hypothétiques. En effet, vous basez vos allégations sur des simples suspicions non-fondées. Or, des craintes hypothétiques ne sauraient fonder une demande d'asile politique.

Quoi qu'il en soit, si vous vous sentiez effectivement lésés par le comportement de la police kosovare, vous auriez eu la possibilité de dénoncer cela auprès des autorités compétentes: « As defined in the Rules of Procedure 2005/54, the Police Inspectorate of Kosovo is established as an executive body of the Ministry of Internal Affairs. The Police Inspectorate of Kosovo consists of the executive manager and inspection officers, who are civilian officials and completely independent of the Kosovo Police Service. These officials are mandated with range of competencies for entry into and inspection of the police stations and departments, to interview police officers of all categories, to collect data on manners of tasks accomplishment, investigate discipllnary complaints and, if necessary, to seize the police documents. (…) The Police Inspectorate of Kosovo is an independent mechanism for monitoring police and it has two main functions: Inspection of the manner in which the tasks are accomplished by KPS in a defined range of management functions in the context of appropriateness, effectiveness and application of the applicable laws, as well as to conduct review of all the complaints for misconduct of the KPS police officers regardless of their ranks. ».

En plus, il y a lieu de constater, qu'il existe à côté de la police, d'autres institutions présentes sur le territoire kosovar auxquelles vous auriez pu vous adresser pour faire valoir vos droits. Ainsi, l'EULEX et l'OSCE au Kosovo ont au centre de leur mandat la protection des minorités. Vous auriez donc certainement eu la possibilité de rechercher leur soutien contre les injustices dont vous dites avoir été victime. Notons que l'Union Européenne: « (…) attend d'EULEX qu'elle agisse conformément au mandat que lui a confié l'Union en vue d'encourager le développement stable du Kosovo et de garantir l'État de droit pour toutes les communautés du Kosovo; souligne à cet égard qu'EULEX sert les intérêts de toutes les minorités ethniques du Kosovo puisqu'elle traite, entre outres, les plaintes pour discrimination, harcèlement et violence à caractère ethnique, ainsi que les nombreuses questions de propriété qui demeurent pendantes. ».

Quant à la minorité bochniaque, vous dites Madame, dans votre fiche manuscrite remplie en date du 30 juin 2015, que « c'est la faute du gouvernement et du pays qu'on a dû quitter parce qu'ils n'ont fait aucun effort pour nous protéger ». Vous ajoutez que « c'est très injuste pour moi de licencier quelqu'un trois ans avant sa retraite parce qu'il est bochniaque » et « c'est leur pays et nous sommes une minorité » (page 4/9). Monsieur, vous ajoutez qu' «on était emprisonné à la maison » et que des gens vous auraient crié « eh bochniaque, tu es encore là, que fais-tu ici, ici ce n'est pas ta place » (page 5/11).

Il ressort cependant des recherches ministérielles que: « Generally, the Kosovo Bosniak community enjoys freedom of movement and has managed, unlike many other communities in Kosovo, to live peacefully alongside both the Kosovo Albanian and Kosovo Serb communities. As Muslims who speak Bosnian, i.e. Siavic language quite similar to Serbian and Croatian, the Kosovo Bosniak community has generally enjoyed ties with the Kosovo Serb community (e.g. linguistic reasons), as well as with the Kosovo Albanian community (e.g. religious reasons). (…) Usually, Kosovo Bosniaks enjoy unhindered access to social services and social welfare. Kosovo Bosniaks residing in the northern Mitrovica receive benefits and services from Serbia-financed institutions. Some municipalities, such as Istog/Istok in the Peć region, provide the most vulnerable familles with ad hoc support. (…) The level of crime in the municipality is low compared to the situation in other municipalities. The police station in Istog/Istok was transferred from UNMIK to the Kosovo Police Service control in February 2005. (…) The municipality is mainly agricultural, with 80% of its inhabitants having worked in the agricultural sector before the 1999 conflict. The municipality's agricultural products include cereals, fruits, vegetables and meat products. Istoestok is also well known for a trout fish farm which was privatized in 2004 and is a successful example of the privatization process. Unemployment remains high even though 1082 businesses, such as shops, coffee bars and restaurants are registered with the Ministry of Trade and Industry. Despite these figures, Public Administration remains the main employer. » En tenant compte de ce qui précède, à savoir un tôt de chômage élevé dans la région d'Istok, on peut facilement imaginer que votre licenciement, Monsieur …, en 2013 repose plutôt sur des problèmes économiques que sur des raisons liées à votre appartenance ethnique, d'autant plus que pendant des décennies, votre ethnicité bochniaque n'aurait apparemment dérangé personne sur votre lieu de travail. Monsieur, vous confirmez cette thèse par vos propos tenus au sujet de votre licenciement : « peut-être parce que je suis bochniaque ou bien à cause des raisons économiques » (page 6/11).

Quant à la situation générale des minorités au Kosovo il y a lieu à constater que :

« (…) Es gibt aber keine Hinweise auf staatliche Repressionen aufgrund der Volksgruppenzugehörigkeit. Insgesamt hat die Akzeptanz der verschiedenen ethnischen Gruppen untereinander seit der Unabhängig im Jahr 2008 zugenommen. Repressionen Dritter gegenüber ethnischen Minderheiten haben seit 2004 stetig abgenommen. (…) Ethnisch bedingte Gewalttaten gegen Minderheitenangehörige durch Dritte kommen nur noch in Einzelfällen vor; sie sind insgesamt rückläufig und machen nur noch einen geringen Teil der Kriminalität aus. (…) Eine jederzeitige und allgegenwärtige akute Gefährdung von Leib und Leben allein auf Grund der ethnischen Zugehörigkeit lässt sich pauschal nicht feststellen. ».

Même en admettant que vous ayez été victimes d'un traitement discriminatoire à cause de votre appartenance ethnique, vous auriez pu vous adresser à d'autres institutions pour vous défendre contre ces injustices. En effet, vous auriez pu vous adresser à l'Ombudsman, afin de vous permettre de vous défendre contre d'éventuelles injustices: « The Ombudsperson Institution remains engaged in its mandate to investigate complaints concerning human rights violations, including those based on discrimination. Competencies also extend to ex officio investigations and the issuance of general recommendations to other institutions in terms of their compliance with national and international human rights standards. The Advisory Committee welcomes the commitment and engagement of the Ombudsperson who is trusted by all communities as an independent voice. (…) En guise de conclusion, il y a lieu de retenir que tous vos problèmes auraient commencé le jour où « notre belle-fille est venue chez nous à la maison ». Madame, vous déclarez qu' « en tant que mère, je supporte mes enfants et ses problèmes sont les miens et aussi parce qu'on vivait ensemble » (page 3/9). Monsieur, vous précisez que « … est derrière tout comme il voulait marier de force ma belle-fille » (page 8/11). De plus, vous précisez que vous seriez propriétaire d'un appartement et d'une maison. Ainsi, il vous aurait été loisible de vivre en paix en vous séparant physiquement de votre fils et de sa famille en vous logeant soit dans l'appartement, soit dans votre nouvelle maison.

Relevons qu'en vertu de l'article 30 (1) de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection, le ministre peut estimer qu'un demandeur n'a pas besoin de protection internationale lorsque, dans une partie du pays d'origine, il n'y a aucune raison de craindre d'être persécuté ni aucun risque réel de subir des atteintes graves et qu'il est raisonnable d'estimer que le demandeur peut rester dans cette partie du pays.

Ainsi, la conséquence d'une fuite interne présume que le demandeur puisse mener, dans une autre partie de son pays d'origine, une existence conforme à la dignité humaine.

Selon les lignes directrices de l'UNHCR, l'alternative de la fuite interne s'applique lorsque la zone de réinstallation est accessible sur le plan pratique, sur le plan juridique, ainsi qu'en termes de sécurité.

En l'espèce, il ressort uniquement de vos dires que « le Kosovo est tellement petit que notre situation serait pareille n'importe où » (page 6/9). Or, indépendamment de l'absence d'un quelconque élément de preuve de vos déclarations, les craintes que vous exprimez à l'égard de la population albanaise s'analysent en l'expression d'un simple sentiment général d'insécurité. Or, de simples craintes hypothétiques, qui ne sont basées sur aucun fait réel ou probable ne sauraient cependant constituer des motifs visés par la Convention de Genève.

Vous ne soulevez donc pas de raison valable qui puisse justifier l'impossibilité d'une fuite interne.

Compte tenu des constatations qui précèdent concernant les conditions générales dans cette partie du pays et votre situation personnelle, force est de retenir que les critères du paragraphe 2 de article 30 de la loi modifiée du 5 mai 2006 sont clairement remplis.

En conclusion, les faits que vous alléguez ne peuvent, à eux seuls, établir dans vos chefs une crainte fondée d'être persécutés dans votre pays d'origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l'article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève ainsi que les articles 31 et 32 de la loi précitée du 5 mai 2006.

De tout ce qui précède, les conditions permettant l'octroi du statut de réfugié ne sont pas remplies.

2. Quant à la Protection subsidiaire L'octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d'application de l'article 37 précité de la loi modifiée du 5 mai 2006, à savoir qu'ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c) de l'article 37 de ladite loi, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l'article 28 de cette même loi, étant relev é que les conditions de la qualification d'acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.

En l'espèce, il ressort de votre dossier administratif que vous basez vos demandes de protection subsidiaire sur les mêmes motifs que ceux exposés à la base de vos demandes de reconnaissance du statut du réfugié. En effet, Madame, Monsieur, vous indiquez que vous auriez été menacés et maltraités à cause de votre appartenance ethnique (bochniaque) et linguistique. Vous faites également allusion aux problèmes de votre fils suite à son mariage avec … … en l'an 2007.

Au vu de ce qui précède, il convient de conclure que vos récits ne contiennent pas de motifs sérieux et avérés permettant de croire que vous courez un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 37 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection. En effet, les faits invoqués à l'appui de vos demandes ne nous permettent pas d'établir que a) vous craignez de vous voir infliger la peine de mort ou de vous faire exécuter, b) vous risquez de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, c) vous êtes susceptibles de faire l'objet de menaces graves et individuelles contre votre vie en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.

De tout ce qui précède, les conditions permettant la reconnaissance du statut conféré par la protection subsidiaire ne sont pas remplies.

Vos demandes en obtention d'une protection internationale sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l'article 19§1 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection.

Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination du Kosovo, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisés à séjourner.(…) ».

Par requête déposée le 8 janvier 2016 au greffe du tribunal administratif, les époux … ont fait introduire un recours tendant, d’une part, à la réformation de la décision ministérielle précitée du 8 décembre 2015 portant refus de leur demande en obtention d’une protection internationale et, d’autre part, à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire, inscrit dans la même décision.

A titre liminaire, le tribunal relève que la loi du 5 mai 2006 a été abrogée par la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 », publiée au Mémorial A le 28 décembre 2015 et entrée en vigueur 3 jours francs après sa publication, soit le 1er janvier 2016, à défaut de disposition spéciale de mise en vigueur contraire.

Dans la mesure où, à travers l’article 83 de la loi du 18 décembre 2015, le législateur s’est limité à abroger purement et simplement la loi du 5 mai 2006 dans son intégralité, sans prévoir de mesures transitoires, se pose la question de la loi applicable au présent litige.

Quant à la recevabilité des recours introduit par les époux …, le tribunal relève que seule la loi en vigueur au jour où une décision critiquée a été prise est applicable pour apprécier la recevabilité d’un recours contentieux dirigé contre elle, étant donné que l’existence et le type d’une voie de recours sont des règles de fond du droit judiciaire, de sorte qu’en l’absence de mesures transitoires, les conditions dans lesquelles un recours contentieux peut être introduit devant une juridiction doivent être réglées suivant la loi sous l’empire de laquelle a été rendue la décision attaquée1. Il s’ensuit que la recevabilité des recours sous examen devra être analysée conformément aux dispositions de la loi du 5 mai 2006.

Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de décisions de refus d’une demande de protection internationale, ainsi qu’un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, le tribunal est compétent pour connaître, d’une part, du recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 8 décembre 2015 portant rejet de la demande de protection internationale des époux …, et, d’autre part, du recours en annulation introduit contre l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte, lesdits recours étant, par ailleurs, recevables pour avoir été introduits dans les formes et délai prévus par la loi du 5 mai 2006.

Quant à la loi applicable au fond du litige, il y a lieu de rappeler que, dans le cadre d'un recours en réformation, le juge administratif est amené à considérer les éléments de fait et de droit de la cause au moment où il statue, en tenant compte des changements intervenus depuis la décision litigieuse2, tandis que, dans le cadre d’un recours en annulation, la légalité d'une décision administrative s'apprécie en considération de la situation de droit et de fait au jour où elle a été prise3, de sorte que, d’une part, le tribunal est amené à appliquer la nomenclature de la loi du 18 décembre 2015 dans le cadre du recours en réformation introduit à l’encontre de la décision déférée portant refus d’un statut de protection internationale – étant relevé que le contenu des dispositions applicables à l’appréciation des conditions d’octroi d’un tel statut reste le même – et, d’autre part, la loi du 5 mai 2006 continue à s’appliquer pour l’analyse du bien-fondé de l’ordre de quitter le territoire.

1. Quant au recours tendant à la réformation de la décision portant refus d’une protection internationale A l’appui de leur recours et en fait, les demandeurs renvoient à leurs déclarations respectives recueillies dans les rapports d’audition versés en cause.

Quant à la crédibilité de leur récit, et notamment en ce qui concerne la question de savoir si, tel que le prétend la partie étatique, ils ont menti lors de leurs entretiens respectifs en déclarant que le pistolet brûlé retrouvé par la police kosovare dans leur maison aurait appartenu aux malfaiteurs, alors qu’il se dégagerait de la « décision d’interdiction » versée en cause que M. … aurait avoué en être le propriétaire, les demandeurs exposent que s’il est vrai qu’ils auraient possédé une arme à leur domicile, notamment un pistolet à gaz, ce ne serait cependant pas le pistolet retrouvé par les autorités kosovares sur le pas de leur porte. Sous le choc, ils auraient déclaré à la police kosovare être détenteurs d’une arme, sans préciser qu’il s’agirait d’un pistolet à gaz différent de celui retrouvé par les forces de l’ordre. Ils auraient 1 Trib. adm. 5 mai 2010, n° 25919 du rôle, Pas. adm. 2015, V° Procédure contentieuse, n° 288 et l’autre référence y citée.

2 Trib. adm., 15 juillet 2004, n° 18353 du rôle, Pas. adm. 2015, V° Recours en reformation, n° 17 et l’autre référence y citée.

3 Trib. adm., 27 janvier 1997, n° 9724 du rôle, Pas. adm. 2015, V° Recours en annulation, n° 17 et les autres références y citées.

néanmoins dès le lendemain rectifié leur déclaration auprès de la police, qui n’en aurait cependant pas pris note dans les actes de procédure.

Compte tenu de ces explications plausibles des demandeurs, le tribunal retient qu’il ne saurait leur être reproché d’avoir menti lors de leurs auditions respectives. Dès lors, le récit globalement cohérent des demandeurs, doit être considéré comme étant avéré.

Les demandeurs exposent ensuite les faits et rétroactes à la base de la décision déférée en insistant sur la considération selon laquelle l’ensemble des faits relatés par eux et ayant entraîné leur fuite du Kosovo seraient motivés par un dénominateur commun, à savoir leur appartenance ethnique. Ainsi, le licenciement du requérant, les insultes subies de la part de la population albanaise locale, les multiples cambriolages dont ils auraient été victimes, l’incendie de leur maison en 2015, le racket par des hommes armés se revendiquant membres de l’UCK (l’armée de Libération du Kosovo), ainsi que le refus voire l’absence de protection de la part des autorités kosovares seraient tous motivés par leur appartenance à l’ethnie des Bosniaques du Kosovo. Confrontés depuis la guerre à des discriminations, leur situation se serait cependant aggravée depuis le mariage de leur fils avec … …, appartenant à la minorité ethnique des Bosniaques du Kosovo et surtout à la famille …. Ils citent un ouvrage de Numan Balic, intitulé « Istina (La Vérité) », pour soutenir qu’un dénommé …, un des commandants après-guerre de l’UCK, souhaiterait radier les Bosniaques du Kosovo et plus particulièrement tous les membres de la famille …. Depuis que leur fils aurait marié un membre de cette famille, le prénommé … aurait étendu sa volonté de persécutions et d’anéantissement sur leur propre famille. Les demandeurs insistent que le dénommé …, présumé auteur du vol et de l’incendie de leur maison, œuvrerait pour le compte de ….

Ils concluent que dans la mesure où les faits relatés par eux auraient été motivés par leur appartenance à la minorité des Bosniaques et au groupe social des membres de la famille …, ils auraient fait état de persécutions subies et de craintes de persécutions en raison de leur race, de leur nationalité et de leur appartenance à un groupe social au sens de l’article 32 (1) a), c) et d) de la loi du 5 mai 2006.

Les demandeurs reprochent ensuite au ministre de ne pas avoir analysé la gravité des persécutions dont ils craindraient faire l’objet en cas de retour dans leur pays d'origine et d’avoir minimisé celle des actes de persécution qu’ils y auraient d’ores et déjà subis, à savoir les demandes d’argent de la part d’anciens membres de l’UCK, les diverses chicaneries encourues lors de la construction de leur maison, les cambriolages et la destruction partielle de leur maison. Or, ces faits seraient d’une gravité suffisante au regard de l’article 31 (1) a) de la loi du 5 mai 2006, en ce qu’ils seraient constitutifs d’une violation de leurs droits fondamentaux. En effet, l’assassinat dont ils seraient menacés rentrerait dans le champ d’application de l’article 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH ».

Dans ce contexte, les demandeurs invoquent la présomption se dégageant de l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006. Ils précisent qu’au vu de la détermination et de la dangerosité du dénommé … lequel agirait en toute impunité depuis presque deux décennies contre les membres de la famille …, ils auraient de bonnes raisons de présumer qu’en cas de retour au Kosovo, ils risqueraient à nouveau d’être persécuté. Ils insistent encore sur le caractère actuel, réel et fondé de leur crainte.

Quant aux agents de persécution et quant à la protection des autorités nationales, les demandeurs font valoir que les actes invoqués à l’appui de leur demande de protection internationale seraient à qualifier de persécutions émanant d’agents étatiques, alors que même si lesdits actes ont été commis par des personnes privées, celles-ci auraient agi en toute impunité, voire même avec le soutien de certains représentants des autorités nationales kosovares. En effet, la protection accordée par les autorités kosovares ne serait pas effective, les demandeurs soulignant le faible niveau d’implication de ces dernières dans la poursuite des auteurs des agressions dont ils auraient été victimes. Dans ce contexte, ils estiment que les rapports internationaux auxquels se serait référé le ministre ne seraient pas de nature à ébranler le constat quasi unanime selon lequel le fonctionnement du système judiciaire au sens large au Kosovo serait calamiteux. Ils invoquent à ce sujet différents rapports d’organisations internationales, notamment un extrait d’un rapport de l’Assemblée générale du Conseil de l’Europe du 7 janvier 2013, une résolution de la même Assemblée du 22 janvier 2013, un rapport de l’organisation « Human Rights Watch » du 29 janvier 2015, intitulé « World Report 2015 – Kosovo », un rapport de la Cour des comptes de l’Union européenne de 2012 intitulé « L’aide de l’Union européenne au Kosovo dans le domaine de l’Etat de droit », ainsi qu’un rapport de la Commission européenne d’octobre 2014, intitulé « Kosovo Progress Report », faisant état de corruption, ainsi que d’un manque d’indépendance et de la lenteur de la justice. Ils évoquent encore des accusations accablantes de corruption à l’encontre de hauts fonctionnaires de la mission EULEX et relèvent que l’OSCE ne serait pas dotée d’un mécanisme de protection en tant que tel.

Ce serait également à tort que le ministre, face à l’absence d’aide de la police, aurait relevé qu’ils auraient pu s’adresser à l’Inspectorat de police ou à l’Ombdusman. A cet égard, les demandeurs soutiennent encore que l’efficacité de ces institutions serait loin d’être démontrée. Ils citent à ce sujet plusieurs sources internationales, notamment un rapport de l’organisation « Human Rights Watch » du 2008 intitulé « Kosovo Criminal Justice Scorecard », un rapport de « l’International Crisis Group » du 19 mai 2010 intitulé « The Rule of Law in Independent Kosovo », un rapport de juin 2011 du « Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants » et le rapport précité de la Commission européenne d’octobre 2014, s’inquiétant quant à l’influence et au contrôle du pouvoir politique sur l’institution de l’Inspectorat de Police et quant au manque de ressources de ce dernier.

Ils contestent encore toute possibilité de fuite interne dans leur chef, en soulignant que le ministre aurait failli à son obligation d’établir concrètement, en fonction de leur situation personnelle, dans quelle partie du Kosovo et de quelle manière une telle fuite interne serait envisageable.

A l’appui de leur demande de protection subsidiaire, les demandeurs invoquent les mêmes motifs que ceux qui sont à la base de leur demande de reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours qui ne serait fondé en aucun de ses moyens.

Il y a lieu de rappeler qu’aux termes de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015 la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de la même loi comme « (…) tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…) », tandis que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » est définie par l’article 2 g) de la loi 18 décembre 2015 comme « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

Force est au tribunal de constater que tant la notion de « réfugié », que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » impliquent nécessairement des persécutions ou des atteintes graves, ou à tout le moins un risque de persécution ou d’atteintes graves dans le pays d’origine.

Par ailleurs, l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015 dispose que « (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent:

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales;

ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). (…) ».

Quant aux atteintes graves, l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 les définit comme :

« a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Dans les deux hypothèses, les faits dénoncés doivent être perpétrés par un acteur de persécutions ou d’atteintes graves, au sens de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 lesquels peuvent être :

« (…) a) l’Etat;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. ».

Aux termes de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015 : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. (…) ».

Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine. Cette dernière condition s’applique également au niveau de la demande de protection subsidiaire, conjuguée avec les exigences liées à la définition de l’atteinte grave reprises à 48 de la loi du 18 décembre 2015 et rappelées précédemment.

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire. Particulièrement, si l’élément qui fait défaut touche à l’auteur des persécutions ou des atteintes graves, aucun des deux volets de la demande de protection internationale ne saurait aboutir, les articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015 s’appliquant tant à la demande tendant à l’obtention du statut de réfugié qu’à celle tendant à l’octroi de la protection subsidiaire.

Or, indépendamment de la qualification des faits invoqués par les époux … à l’appui de leur demande de protection internationale ou encore de celle de savoir si ces faits sont d’une gravité suffisante pour être qualifiés de persécutions ou d’atteintes graves au sens de la loi du 18 décembre 2015, le tribunal relève que les auteurs desdits faits sont des personnes privées, sans lien avec l’Etat, en l’occurrence le dénommé … et ses complices. Ils ne sauraient dès lors faire valoir un risque réel de subir des persécutions ou des atteintes graves que si les autorités kosovares ne veulent ou ne peuvent leur fournir une protection effective contre les agissements de ces personnes, en application de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, ou si les demandeurs sont, du fait de leur crainte, en droit de ne pas vouloir se réclamer de la protection des autorités de leur pays d’origine.

Dans ce contexte, il y a encore lieu de relever que, chaque fois que la personne concernée est admise à bénéficier de la protection du pays dont elle a la nationalité, et qu’elle n’a aucune raison, fondée sur une crainte justifiée, de refuser cette protection, l’intéressé n’a pas besoin de la protection internationale4. En toute hypothèse, il faut que l’intéressé ait tenté d’obtenir la protection des autorités de son pays pour autant qu’une telle tentative paraisse raisonnable en raison du contexte. Cette position extensive se justifie au regard de l’aspect protectionnel du droit international des réfugiés qui consiste à substituer une protection internationale là où celle de l’État fait défaut5.

Il y a, à cet égard, encore lieu de rappeler l’article 40 (2) de la loi du 18 décembre 2015 qui définit la protection comme suit : « La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection ». Si une protection n’est considérée comme suffisante que si les autorités ont mis en place une structure policière et judiciaire capable et disposée à déceler, à poursuivre et à sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave et lorsque le demandeur a accès à cette protection, la disponibilité d’une protection nationale exigeant par conséquent un examen de l’effectivité, de l’accessibilité et de l’adéquation d’une protection disponible dans le pays d’origine même si une plainte a pu être enregistrée, - ce qui inclut notamment la volonté et la capacité de la police, des tribunaux et des autres autorités du pays d’origine, à identifier, à poursuivre et à punir ceux qui sont à l’origine des persécutions - cette exigence n’impose toutefois pas pour autant un taux de résolution et de sanction des infractions de l’ordre de 100 %, taux qui n’est pas non plus atteint dans les pays dotés de structures policière et judiciaire les plus efficaces, ni qu’elle n’impose nécessairement l’existence de structures et de moyens policiers et judiciaires identiques à ceux des pays occidentaux.

En effet, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion.

En ce qui concerne d’abord l’allégation des demandeurs selon laquelle les persécutions émaneraient d’agents étatiques, en ce qu’ils craignent que les actes subis soient laissés impunis et auraient peut-être même eu le soutien de certains représentants des autorités 4 Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut des réfugiés, UNHCR, décembre 2011, p.21, n° 100.

5 Jean-Yves Carlier, Qu’est-ce qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 754.

nationales kosovares, il échet de constater que ces affirmations s’analysent en de pures suppositions de la part des demandeurs. Il ne ressort, en effet, pas de leurs déclarations que l’Etat kosovare n’aurait pas été disposé, respectivement capable de leur assurer une protection contre ces actes, ni que les autorités kosovares auraient d’une quelconque façon encouragé la commission des actes invoqués à l’appui de la demande de protection internationale.

Concernant les divers cambriolages intervenus, il ressort des déclarations de Monsieur … que la police est à chaque fois intervenue. Le tribunal tient à relever que l’argument exposé par les demandeurs tiré du fait que la police serait restée inactive face à leurs plaintes ne peut tenir, alors que celle-ci n’a jamais refusé d’intervenir et qu’elle a fait les démarches usuelles en vue de déterminer les coupables. Le simple fait que ces derniers n’ont pas pu être identifiés, n’entraîne pas ipso facto un défaut de protection, alors que même dans un pays aux systèmes policier et judiciaire les plus efficaces, il n’y a pas de taux d’élucidation des infractions de 100%, tel que relevé ci-avant.

De même, il ressort des auditions des demandeurs que suite au vol et à l’incendie commis dans leur maison en 2015, la police est bien venue sur place pour faire les constatations nécessaires, que l’auteur présumé a été placé en détention préventive et que le dossier a été suivi par le Procureur d’Etat.

Concernant les menaces subies de la part de membres de l’UCK, il ne ressort pas des auditions des demandeurs qu’ils aient tenté d’obtenir la protection de la police. Ils ne sauraient partant pas faire valoir une absence de protection de cette dernière, à défaut, pour eux, d’avoir rapporté la preuve qu’une telle demande de protection adressée aux autorités de leur pays d’origine aurait été vaine.

En ce qui concerne ensuite le reproche des demandeurs selon lequel une corruption générale règnerait au Kosovo et les documents cités à ce titre, le tribunal est amené à retenir que cette simple affirmation, non appuyée par des éléments concrets tirés du vécu des demandeurs, est insuffisante pour conclure à une absence de protection.

Il ressort des déclarations des demandeurs qu’ils n’ont jamais dénoncé l’inactivité alléguée des policiers auprès des autorités hiérarchiquement supérieures, telles que l’Inspectorat de la Police ou l’Ombudsman, respectivement auprès des autorités judiciaires kosovares ou bien auprès des organisations internationales installées au Kosovo. Les explications figurant dans la requête introductive d’instance relatives à l’inefficacité, au manque d’indépendance, ainsi qu’au phénomène de la corruption non encore éradiqué concernant certaines de ces institutions ne sauraient d’emblée excuser l’inaction y relative des demandeurs, faute par ces derniers de pouvoir faire état d’une expérience personnelle dans ce sens de sorte à pouvoir ébranler de manière définitive leur confiance dans le système judiciaire du Kosovo au sens large. Dans ce contexte, il ressort d’ailleurs des documents remis par Monsieur … que les policiers ont placé en détention préventive l’auteur présumé, …, du vol et de l’incendie de la maison des époux … et que le Ministère public a prononcé une décision d’interdiction à l’encontre de la personne arrêtée, de sorte à pouvoir en conclure que les agissements ne sont visiblement pas tolérés par les autorités policières et judiciaires kosovares.

Par ailleurs, il a encore été retenu dans un arrêt de la Cour administrative du 8 décembre 2015, inscrit sous le n° 37069C du rôle, que les institutions de l’Etat du Kosovo mises en place et épaulées, encore actuellement, par la communauté internationale, dont l’Union européenne, « fonctionnent cependant d’une manière passablement satisfaisante, encore que la perfection n’ait pas été atteinte,(…) ce qui implique qu’il y a des possibilités concrètes pour loger des plaintes au niveau des institutions de l’Etat du Kosovo, même si le dépôt de pareilles plaintes peut s’avérer plus difficile à certains endroits qu’à d’autres.

S’il est vrai que les institutions judiciaires et policières ne fonctionnent pas encore toujours de manière optimale, il n’en reste pas moins que des efforts certains ont été entrepris dans le sens plus précisément qu’une certaine inter-ethnicité du personnel est désormais garantie à de larges échelons notamment au niveau de l’organisation policière. Si, dès lors, de manière ponctuelle, certains ressortissants du Kosovo, ressentent et présentent leur situation dans le sens qu’il n’y ait pas de répondant face à des appels au secours ou des plaintes déposées auprès des autorités policières, cette vision essentiellement subjective de la situation ne saurait impliquer automatiquement que les autorités du Kosovo ne veuillent ou ne puissent déceler, poursuivre ou sanctionner les actes mis en avant par un demandeur de protection internationale au sens de l’article 29, paragraphe 2, de la loi du 5 mai 2006. » Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’il n’est pas établi en cause que les autorités kosovares n’auraient pas pu ou voulu fournir une protection effective aux demandeurs. C’est pourtant à bon droit que le ministre a refusé d’accorder aux demandeurs le statut de réfugié ainsi que le statut conféré par la protection subsidiaire.

Dès lors, le tribunal retient que c’est à bon droit que le ministre a déclaré la demande de protection internationale sous analyse comme non justifiée, de sorte que le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé en ses deux volets.

2. Quant au recours tendant à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire Les demandeurs soutiennent que si la décision de refus d’octroi du statut de protection internationale encourt la réformation, l’ordre de quitter devrait également être annulé.

Il se dégage des conclusions ci-avant retenues par le tribunal que le ministre a à bon droit refusé d’accorder aux demandeurs une protection internationale, de sorte qu’il a également pu valablement émettre l’ordre de quitter le territoire litigieux.

Il s’ensuit que le recours en annulation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 8 décembre 2015 portant refus d’un statut de protection internationale;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision déférée portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

donne acte aux demandeurs qu’ils déclarent bénéficier de l’assistance judiciaire ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par :

Françoise Eberhard, vice-président, Daniel Weber, juge Anne Foehr, attaché de justice délégué, et lu à l’audience publique du 4 juillet 2016 par le vice-président, en présence du greffier Goreti Pinto.

s. Goreti Pinto s. Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 4 juillet 2016 Le greffier du tribunal administratif 20


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 37392
Date de la décision : 04/07/2016

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2016-07-04;37392 ?

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