La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

04/07/2016 | LUXEMBOURG | N°36309,36310

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 04 juillet 2016, 36309,36310


Tribunal administratif Nos 36309 et 36310 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrits le 19 mai 2015 1re chambre Audience publique du 4 juillet 2016 Recours formés par Monsieur … et Monsieur …, … contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers

__________________________________________________________________________


JUGEMENT

I.

Vu la requête inscrite sous le numéro 36309 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 mai 2015 par Maître Saliha Dekhar, avocat à la Cour, ins

crite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Iraq), de na...

Tribunal administratif Nos 36309 et 36310 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrits le 19 mai 2015 1re chambre Audience publique du 4 juillet 2016 Recours formés par Monsieur … et Monsieur …, … contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers

__________________________________________________________________________

JUGEMENT

I.

Vu la requête inscrite sous le numéro 36309 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 mai 2015 par Maître Saliha Dekhar, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Iraq), de nationalité iraquienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 18 février 2015 refusant le regroupement familial avec son fils majeur célibataire, Monsieur … ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 28 juillet 2015 ;

II.

Vu la requête inscrite sous le numéro 36310 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 mai 2015 par Maître Saliha Dekhar, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Iraq), de nationalité iraquienne, demeurant actuellement à …, tendant, aux termes de son dispositif, à la réformation, sinon à l’annulation « de la décision en placement en centre de rétention daté du 4 avril 2014 et celle subséquente du 2 mai 2014 et prise par le Ministre de l’Immigration et de l’Asile » ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 28 juillet 2015 ;

I. et II.

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Saliha Dekhar et Madame le délégué du gouvernement Christiane Martin en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 23 mai 2016.

___________________________________________________________________________

En date du 11 janvier 2013, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, désignée ci-après par « la loi du 5 mai 2006 ».

Par décision du 25 septembre 2013, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration informa Monsieur … que le statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et le Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par le règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après désigné par « la Convention de Genève », lui fut accordé.

Par courrier de son mandataire du 26 novembre 2013, rappelé par courriers des 12 décembre 2013 et 16 janvier 2014, Monsieur … sollicita le regroupement familial en faveur de son épouse, Madame …, et de ses trois enfants, …, … et ….

Par courrier du 7 février 2014, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, entretemps en charge du dossier, ci-après désigné par « le ministre », exigea de Monsieur … la communication d’une « […] demande en bonne et due forme […], conforme à l’article 70 de la loi modifieé du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-

après désignée par « la loi du 29 août 2008 », demande à laquelle le mandataire réagit par courrier du 1er juin 2014.

Par décision du 15 septembre 2014, le ministre refusa la demande de regroupement familial dans le chef de Monsieur … sur base de l’article 70, paragraphe (1), point c) de la loi du 29 août 2008 au motif que cette disposition limiterait le regroupement familial aux descendants directs mineurs, Monsieur … étant toutefois majeur, tout en l’informant qu’il ne serait pas prouvé qu’il remplirait les conditions lui permettant de bénéficier d’une des autorisations de séjour prévues par l’article 38 de la même loi.

Par courrier de son litismandataire du 6 novembre 2014, Monsieur … précisa que la demande d’autorisation de séjour serait principalement basée sur l’article 70, paragraphe (5), point c) de la loi du 29 août 2008, et subsidiairement, en ce qui concerne uniquement Monsieur …, sur l’article 78, paragraphe (1), point c) de la même loi.

Suite à un recours gracieux, introduit par courrier de son mandataire du 22 décembre 2014, le ministre confirma sa décision de refus en date du 18 février 2015 dans les termes suivants :

« […] Quant au recours gracieux contre ma décision du 15 septembre 2014 refusant le regroupement familial dans le chef de Monsieur …, je suis au regret de vous informer qu’à défaut d’éléments pertinents nouveaux, je ne peux que confirmer ma décision précitée dans son intégralité.

Je tiens toutefois à apporter quelques précisions par rapport aux éléments que vous invoquez. La loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration tient bien compte de, je cite, « l’acceptation plus ambitieuse et plus réaliste du concept de famille nucléaire ». En effet, en application de l’article 70, paragraphe (5), point b) de la prédite loi, le ministre peut autoriser l’entrée et le séjour à l’enfant majeur célibataire du regroupant lorsqu’il est objectivement dans l’incapacité de subvenir à ses propres besoins en raison de son état de santé. Or il n’est pas prouvé que l’état de santé du fils de votre mandant, né en 1986, soit tel qu’il ne saurait pas subvenir à ses besoins par ses propres moyens.

A titre subsidiaire, vous sollicitez une autorisation de séjour pour raisons privées sur base de l’article 78, paragraphe (1), point c) de la loi du 29 août 2008 précitée. La mère de Monsieur … vire certes une certaine somme d’argent à ce dernier qui vit cependant séparé des autres membres de sa famille nucléaire à Bagdad. Les intéressés ne témoignent dès lors pas d’une vie familiale préexistante et n’entretiennent pas de relation familiale stable et intense de sorte qu’il est porté de façon disproportionnée à leur droit à la vie privée et familiale en refusant l’autorisation de séjour au fils aîné de votre mandant.

Pour le surplus, je donne à considérer qu’afin de pouvoir bénéficier d’une autorisation de séjour sur cette base, les conditions fixées à l’article 78, paragraphe (2) de la même loi doivent être remplies, c’est-à-dire, l’intéressé doit prouver qu’il dispose de ressources financières suffisantes. Or, Monsieur … est à charge du Fonds nationale de Solidarité et la situation financière de la famille est, et sera après leur arrivée sur le territoire luxembourgeois, à qualifier comme précaire. Votre mandant ne sait donc ni subvenir à ses besoins par ses propres moyens, ni à ceux de sa famille et ne saura en conséquence pas prendre en charge son fils aîné.

L’autorisation de séjour pour raisons privées est en conséquence refusée à Monsieur … conformément à l’article 101, paragraphe (1), point 1. de la loi du 29 août 2008 précitée.

[…] ».

Par requête déposée le 19 mai 2015 au greffe du tribunal administratif, inscrit sous le n° 36309 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision, précitée, du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 18 février 2015 refusant le regroupement familial avec son fils majeur célibataire, Monsieur ….

Par requête déposée le même jour au greffe du tribunal administratif, inscrit sous le n° 36310 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours tendant, aux termes de son dispositif, à la réformation, sinon à l’annulation « de la décision en placement en centre de rétention daté du 4 avril 2014 et celle subséquente du 2 mai 2014 et prise par le Ministre de l’Immigration et de l’Asile » ;

A l’audience publique des plaidoiries, le tribunal a soulevé d’office la question de la recevabilité du recours introduit par Monsieur …, inscrit sous le n° 36310 du rôle, dans la mesure où celui-ci tend, aux termes de son dispositif, à la réformation, sinon à l’annulation « de la décision en placement en centre de rétention daté du 4 avril 2014 et celle subséquente du 2 mai 2014 et prise par le Ministre de l’Immigration et de l’Asile ».

Les deux parties se sont rapportées à prudence de justice.

Force est au tribunal de constater, en ce qui concerne l’objet du recours introduit par Monsieur … et inscrit sous le n° 36310 du rôle, d’une part, que Monsieur … n’a pas fait l’objet d’un placement au Centre de rétention par le biais d’une décision du ministre du 4 avril 2014, respectivement du 2 mai 2014, de sorte qu’un recours dirigé contre de telles décisions, qui n’existent pas, serait dépourvu d’objet, mais que, d’autre part, la référence aux décisions des 4 avril et 2 mai 2014 doit être considérée comme une simple erreur matérielle dans la mesure où Monsieur … déclare, dans les visas de sa requête introductive d’instance, diriger le recours contre la « […] décision de Monsieur le Ministre de l’Immigration et de l’Asile notifiée le 19 février 2015 rejet[…]ant sa demande d’autorisation de séjour […] », tout en expliquant, tant dans sa description des faits à la base du présent litige, que dans ses développements juridiques les liens familiaux et affectifs l’unissant à son père, de sorte à concerner exclusivement la demande de regroupement familial litigieuse. Il y a partant lieu d’admettre que le recours introduit par Monsieur … et inscrit sous le n°36310 du rôle est dirigé contre la décision ministérielle du 18 février 2015 rejetant sa demande de regroupement familial avec son père.

Dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, il convient de joindre les deux recours pour les toiser par un seul et même jugement, étant donné que les deux recours concernent la même décision ministérielle du 18 février 2015 Concernant la recevabilité des recours inscrits sous les nos 36309 et 36310 du rôle, dans la mesure où ni la loi du 29 août 2008 ni aucune autre disposition légale n’instaure un recours au fond en matière d’autorisation de séjour, le tribunal est incompétent pour connaître du recours principal en réformation, mais compétent pour connaître du recours subsidiaire en annulation qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de leur recours, Monsieur …, de nationalité iraquienne, déclare avoir été enlevé, séquestré et torturé par un groupe terroriste en Iraq de 2005 à 2011, avant de s’enfuir de son pays d’origine en décembre 2012. Son épouse, ainsi que ses deux enfants cadets auraient pu se réfugier à Amman en Jordanie, avant de le rejoindre au Luxembourg en 2015.

Seul son fils aîné, Monsieur …, n’aurait pas encore réussi à s’enfuir d’Iraq et se cacherait toujours à Baghdad en craignant d’être, tout comme son père, enlevé par le même groupement terroriste. Les demandeurs déclarent qu’avant le départ de Monsieur … d’Iraq, ils auraient toujours vécu ensemble, les enfants ne quittant le giron familial, selon la tradition musulmane, que lorsqu’ils feraient l’objet d’un mariage « émancipateur ». Tout au long de leur séparation, ils auraient cependant gardé des liens profonds, stables et intenses, matérialisés par des appels téléphoniques pluri-hebdomadaires et par le virement d’argent de la part de Monsieur … à son fils, par le biais de Madame …, ayant vécu en Jordanie.

Quant au fond, les demandeurs soutiennent que la décision critiquée du 18 février 2015, en refusant le regroupement familial à Monsieur …, serait contraire à l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », à l’article 7 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et à l’article 12 de la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948, repris par l’article 17 du Pacte international des Droits civils et politiques, pour constituer une atteinte à leur vie familiale. Ils se prévalent à ce sujet de la réponse de l’UNHCR au « European Commission Green Paper on the Right to Family Reunification of Third Country Nationals Living in the European Union (directive 2003/86/EC) », ainsi que de la communication de la commission au Conseil et au Parlement européen concernant les lignes directrices pour l’application de la directive 2003/86/CE relative au droit au regroupement familial du 3 avril 2014 pour affirmer qu’il y aurait lieu d’inclure, parmi les membres de famille susceptibles de faire l’objet d’un regroupement familial, les personnes de 18 ans révolus et à charge physiquement, financièrement, psychologiquement et émotionnellement avec le regroupant. Ils précisent encore, en s’appuyant sur un arrêt1 de la Cour de justice de l’Union européenne, ci-après désignée par « la CJUE », que la directive 2003/86/CE du Conseil du 22 septembre 2003 relative au droit au regroupement familial, ci-

après désignée par « la directive 2003/86/CE », consacrerait dans le chef des Etats-membres une marge d’appréciation limitée à la fixation des droits au regroupement familial, tant que ceux-ci ne mettraient pas en péril la réalisation des objectifs de la directive et de son effet utile. Le niveau auquel ces droits seraient fixés ne devrait avoir ni pour objet ni pour effet de créer un obstacle à l’exercice du droit au regroupement familial. Quant à l’existence d’une vie familiale entre eux, même après le départ d’Iraq de Monsieur …, les demandeurs réitèrent que, malgré la distance les séparant, les liens affectifs auraient toujours été maintenus, grâce à des appels téléphoniques pluri-hebdomadaires, en plus de la dépendance financière qui existerait entre eux, matérialisée par des virements quasi-mensuels variant entre 200 et 500 dollars, par le biais de l’épouse de Monsieur … ayant vécu à Amman en Jordanie, au profit de son fils habitant à Baghdad.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre aurait correctement analysé la situation de Monsieur … et de son fils majeur, Monsieur … et conclut au rejet du recours qui ne serait fondé en aucun de ses moyens, en relevant encore que les moyens tirés d’une violation de l’article 8 de la CEDH, de l’article 7 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, respectivement de l’article 12 de la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948, repris par l’article 17 du Pacte international des Droits civils et politiques, n’auraient été que simplement suggérés par le demandeur, sans avoir été soutenus effectivement par ce dernier.

Force est tout d’abord au tribunal de constater que la décision ministérielle déférée du 18 février 2015 porte non seulement rejet de la demande de regroupement familial sur la base de l’article 70, paragraphe (5), point b) de la loi du 29 août 2008, mais encore de la demande d’autorisation de séjour pour raisons privées sur base de l’article 78, paragraphe (1), point c) de la loi du 29 août 2008. Or, les demandeurs sont restés en défaut de formuler un quelconque moyen à l’égard de ce dernier volet de la décision déférée, de sorte que l’examen du tribunal se limitera nécessairement à analyser la légalité du refus ministériel d’accorder le regroupement familial à Monsieur … qui est fondé sur l’article 70, paragraphe (5), point b) de la loi du 29 août 2008 en vertu duquel « L’entrée et le séjour peuvent être autorisés par le ministre: […] b) aux enfants majeurs célibataires du regroupant ou de son conjoint ou partenaire visé au paragraphe (1), point b) qui précède, lorsqu’ils sont objectivement dans l’incapacité de subvenir à leurs propres besoins en raison de leur état de santé ;[…] ».

En vertu de la disposition légale précitée, transposant l’article 4, paragraphe (2) b) de la directive 2003/86/CE relative au regroupement familial, ci-après désignée par « la directive 2003/86/CE » en droit luxembourgeois, et de l’article 69, paragraphe (2) de la loi du 29 août 2008, les enfants majeurs célibataires d’un ressortissant d’un Etat tiers bénéficiant d’un statut de protection internationale peuvent uniquement se voir accorder un droit de séjour sur le territoire luxembourgeois s’ils sont dans l’incapacité pour subvenir à leurs propres besoins en raison de leur état de santé, l’octroi d’un tel droit de séjour demeurant une faculté pour le ministre.

Force est au tribunal de constater qu’il ne ressort ni des pièces soumises à son analyse, ni des développements des demandeurs, tant dans la phase précontentieuse que contentieuse, 1 Arrêt 508/10 « CE c/ Royaume des Pays-Bas » du 26 avril 2012 pts 62, 64 et 65 que Monsieur …, en raison de son état de santé, serait incapable de subvenir à ses propres besoins. Les demandeurs sont, en effet, restés en défaut de verser à l’appui de leur demande de regroupement familial, en ce qui concerne Monsieur …, un quelconque élément, tel que notamment un certificat médical, documentant son état de santé, de sorte que le ministre a, à bon droit, pu retenir que Monsieur … ne remplit pas les conditions de l’article 70, paragraphe (5) point b) de la loi du 29 août 2008.

En ce qui concerne le moyen ayant trait à une violation de l’article 8 de la CEDH, de l’article 7 de la Charte européenne des droits fondamentaux, respectivement de l’article 12 de la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948, repris par l’article 17 du Pacte international des Droits civils et politiques, en ce que ces textes consacrent le droit à une vie familiale, force est au tribunal de rappeler d’abord qu’aux termes de l’article 8 de la CEDH « 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. » S’il est de principe, en droit international, que les Etats ont le pouvoir souverain de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des étrangers, il n’en reste pas moins que les Etats qui ont ratifié la CEDH ont accepté de limiter le libre exercice de cette prérogative dans la mesure des dispositions de la Convention.

L’étendue de l’obligation des Etats contractants d’admettre des non nationaux sur leur territoire dépend de la situation concrète des intéressés mise en balance avec le droit de l’Etat à contrôler l’immigration.

En effet, l’article 8 de la CEDH ne garantit pas le droit de choisir le lieu le plus approprié pour développer une famille. S’il est vrai que sur base dudit article l’existence d’une vie familiale effective et stable, susceptible d’être protégée, peut effectivement constituer un obstacle à un refus d’une autorisation de séjour, il faut encore que le demandeur puisse invoquer l’existence, au-delà des liens familiaux ou de la simple contribution pécuniaire en vue de la satisfaction de besoins matériels, d’une vie familiale effective et stable que le refus d’un titre de séjour perturberait de façon disproportionnée.

Concernant plus particulièrement l’hypothèse de personnes adultes désireuses de venir rejoindre leur famille dans le pays d’accueil, elles ne sauraient être admises au bénéfice de la protection de l’article 8 CEDH que lorsqu’il existe des éléments supplémentaires de dépendance, autres que les liens affectifs normaux2.

Or, il convient tout d’abord de relever que les demandeurs se limitent à affirmer avoir gardé des liens stables, profonds et intenses depuis le départ de Monsieur … d’Iraq en 2012 et se matérialisant par des appels téléphoniques plusieurs fois par semaine, sans cependant avoir soumis le moindre élément probant y relatif, tel qu’un relevé des appels téléphoniques, au 2 CEDH, 17 avril 2003, Yilmaz c. Allemagne, req.n° 52853/99.

ministre dans le cadre du recours gracieux du 22 décembre 2014, respectivement au tribunal dans le cadre de la procédure contentieuse. Par ailleurs, le versement mensuel d’une somme d’argent variant entre 200 et 500 dollars pendant une période de 10 mois est insuffisante pour retenir dans le chef de Monsieur … et de son fils majeur une vie familiale susceptible d’être protégée au sens de l’article 8 de la CEDH, dans la mesure où ces versements, à défaut de tout autre élément probant quant à la situation matérielle et financière de Monsieur … en Iraq, doivent être considérés comme une simple contribution financière en vue de la satisfaction de besoins matériels et non pas comme un secours alimentaire indispensable dans le chef de ce dernier, matérialisant un état de dépendance de Monsieur … à l’égard de son père, étant encore précisé que d’après les extraits soumis au tribunal, ces versements se sont arrêtés au mois de septembre 2014, soit six mois avant la décision ministérielle déférée. Il y a finalement lieu de relever le choix des consorts Al Taie de mener une vie familiale à distance et donc de renoncer à une vie familiale étroite au cours des dernières années. En effet, le demandeur a quitté son pays d’origine en 2012 pour venir s’installer au Luxembourg, sans qu’il ne ressorte des éléments soumis à l’appréciation du tribunal que son fils, pourtant âgé de 26 ans au moment du départ de son père, n’ait, depuis cette date, accompli une quelconque démarche en vue de rejoindre son père au Luxembourg si ce n’est affirmer vouloir se rendre au Luxembourg pour y déposer une demande de protection internationale dès l’obtention d’une autorisation de séjour dans le cadre d’un regroupement familial.

Il suit des considérations qui précèdent que les demandeurs sont restés en défaut de soumettre au tribunal des éléments permettant de retenir l’existence, entre Monsieur … et son fils majeur, au-delà de leurs liens affectifs normaux liés à la parenté, de liens de dépendance indispensables justifiant la protection prévue à travers l’article 8 CEDH.

Quant au moyen fondé sur une violation de l’article 7 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, force est d’abord de retenir que du fait que l’article 70, paragraphe (5), point b) de la loi du 29 août 2008 est le résultat de la transposition de la directive 2003/86/CE, la Charte a effectivement également vocation à s’appliquer dans le cadre des décisions prises sur base de l’article 70 précité3, sans préjudice des droits reconnus par d’autres instruments internationaux telle que la CEDH, étant relevé que, dans le cas où les droits conférés par la Charte sont les mêmes que ceux garantis par la CEDH, leur sens et leur portée sont alors les mêmes que ceux conférés par la CEDH.4 Le droit au respect de la vie privée et familiale prévu par l’article 7 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne étant identique au droit conféré par l’article 8 de la CEDH, le tribunal ne saurait se départir pour l’application de l’article 7 de la Charte des droits fondamentaux de ses conclusions prises plus haut en ce qui concerne la prétendue violation de la vie privée et familiale au sens de l’article 8 de la CEDH, de sorte que le moyen y relatif est également à rejeter.

La conclusion retenue ci-avant au sujet de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne s’impose également aux dispositions correspondantes de la Déclaration 3 Charte, Art. 51.1. : « Les dispositions de la présente Charte s'adressent aux institutions et organes de l'Union dans le respect du principe de subsidiarité, ainsi qu'aux États membres uniquement lorsqu'ils mettent en oeuvre le droit de l'Union. » 4 Charte, Art. 52.3. : « Dans la mesure où la présente Charte contient des droits correspondant à des droits garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, leur sens et leur portée sont les mêmes que ceux que leur confère ladite convention. » universelle des droits de l’homme, respectivement du Pacte international relatif aux droits civils et politiques consacrant le droit au respect de la vie privée et familiale.

Il s’ensuit que la légalité de la décision ministérielle litigieuse n’est pas utilement énervée par les moyens présentés par les demandeurs, de sorte que leur recours est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

joint les recours introduits sous les numéros 36309 et 36310 du rôle ;

se déclare incompétent pour connaître des recours en réformation introduits à titre principal contre la décision du 18 février 2015 par Monsieur … et Monsieur …;

reçoit les recours subsidiaires en annulation en la forme ;

au fond, les déclare non justifiés et en déboute;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par :

Annick Braun, premier juge, Paul Nourissier, juge, Alexandra Castegnaro, juge, et lu à l’audience publique du 4 juillet 2016 par le premier juge, en présence du greffier en chef Arny Schmit.

Arny Schmit Annick Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 4.7.2016 Le greffier du tribunal administratif 8


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 36309,36310
Date de la décision : 04/07/2016

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2016-07-04;36309.36310 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award