Tribunal administratif N° 35976 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 mars 2015 2e chambre Audience publique du 30 juin 2016 Recours formé par Monsieur …, … (BE) contre une décision implicite de rejet de la Commission de surveillance du secteur financier en matière d’organisme de placement collectif
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 35976 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 10 mars 2015 par Maître Cathy Arendt, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, demeurant à B-…, tendant à « annuler la décision implicite de rejet émanant de la CSSF de la demande du 22 octobre 2014, refusant d’appliquer la circulaire 02/77 aux quatre compartiments suivants : - … L (anciennement…), - compartiments Euro Liquidity, High Return et Low Volatility ; … , compartiment Bonds EUR Inflation … (anciennement EUR Medium). » ;
Vu l’exploit de l’huissier de justice suppléant Luc Konsbruck en remplacement de l’huissier de justice Geoffrey Gallé, tous deux demeurant à Luxembourg, du 16 mars 2015, portant signification de la requête introductive d’instance à la Commission de surveillance du secteur financier, établissement public, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro J26, représentée par sa direction actuellement en fonction, établie et ayant son siège social à L-1150 Luxembourg, 110, route d’Arlon ;
Vu la constitution d’avocat adressée au greffe du tribunal administratif par télécopie du 27 mars 2015 par Maître Pierre Schleimer, assisté de Maître Dominique Bornert, tous deux avocats à la Cour et inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la Commission de surveillance du secteur financier ;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 10 juin 2015 par Maître Pierre Schleimer assisté de Maître Dominique Bornert, préqualifiés, au nom de la Commission de surveillance du secteur financier, ledit mémoire en réponse ayant été notifié par acte d’avocat à avocat du même jour au mandataire de la partie demanderesse ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 10 juillet 2015 par Maître Cathy Arendt, préqualifée, au nom de Monsieur … ledit mémoire en réplique ayant été notifié par acte d’avocat à avocat du même jour au mandataire de la partie défenderesse;
Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif le 8 octobre 2015 par Maître Pierre Schleimer, assisté de Maître Dominique Bornert, préqualifiés, au nom de la Commission de surveillance du secteur financier, ledit mémoire en duplique ayant été 1notifié par acte d’avocat à avocat en date du même jour au mandataire de la partie demanderesse ;
Vu les pièces versées en cause ;
Entendu le juge-rapporteur en son rapport ainsi que Maître Cathy Arendt et Maître Pierre Schleimer en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 25 janvier 2016.
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La Commission de surveillance du secteur financier, dénommée ci-après « la CSSF », adressa en date du 22 janvier 2014 à la société à responsabilité limitée de droit belge … sprl, ci-après désignée par « la société … », en la personne de Monsieur …, un courrier dont le libellé est le suivant :
« (…) We refer to our previous exchange of correspondence relating to the complaint you filed by your letter dated 8 February 2010 in relation to the Luxembourg based investment companies … and … L (previously named ……).
According to the information at our disposal, you filed a complaint with the European Securities and Markets Authority (« ESMA ») in relation to the Commission de Surveillance du Secteur Financier's (« CSSF ») letter dated 6 October 2011 (O/Ref.: OPC.10/11218-
LMA/LMA 0748 G2), which led to an investigation by ESMA. We understand ESMA has informed you about the results of its investigation.
According to our said letter, the CSSF, with regard to the elements at its disposal, has not found any non-compliance with the applicable requirements, except regarding the investments of the sub-fund … - Bonds EUR Inflation into perpetual bonds (cf. point B.5).
Referring to point B.5. of our letter dated 6 October 2011, we may inform you that in light of the argumentation presented by …, the CSSF was ultimately not in a position to make a conclusive determination by way of a compelling administrative decision that the relevant sub-fund had breached its investment policy. Thus the CSSF accepted the redress proposal presented by … and the CSSF Circular 02/77 redress procedure did not have to be applied.
Further, we would like to refer to our letter dated 27 May 2013 (N/Référence:
OPC.13/6292-CST/CST 0748 B) and remind you that the CSSF has handled the complaint you have filed in accordance with the applicable rules aiming to find an amicable settlement of the complaint. As the CSSF cannot act as a judge passing a mandatory judgment, we have to inform you that if you intend to continue the dispute you may bring a legal action before the competent court.
With regard to the foregoing, we ask you to inform the persons on behalf of which you have filed the complaints about the information provided herewith. (…) ».
La société … s’adressa par la suite à plusieurs reprises à la CSSF, à savoir par des courriers lui envoyé en date des 17 février 2014 et 7 octobre 2014. Finalement, Monsieur … lui adressa, le 22 octobre 2014, une lettre de « mise en demeure (…) d’appliquer dans les meilleurs délais la circulaire 02/77 aux quatre compartiments […]. Au cas où la CSSF déciderait de ne pas faire appliquer la circulaire 02/77 dans le cadre d’un ou plusieurs des quatre compartiments précités, [il] met[trait] la CSSF en demeure de lui confirmer clairement 2par écrit cette décision administrative. A défaut d’une décision de la CSSF dans les trois mois à dater du jour de la notification de la présente mise en demeure, [il] pourra considérer que sur la base de l’article 4.(1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, sa demande d’application de la circulaire 02/77 [aura] été rejetée.».
Il lui fut répondu en substance par lettre du litismandataire de la CSSF en date du 14 novembre 2014 que par courrier du 22 janvier 2014, la CSSF lui aurait fait part, à titre de conclusion définitive que « the CSSF circular 02/77 redress procedure did not have to be applied. ». Il lui fut ainsi fait remarquer qu’« [e]n réalité [sa] missive n’appelle[rait] aucune réponse de la part de la CSSF, alors qu’il s’agi[rait] simplement de la réitération de réclamations anciennes et qu’[il aurait] été informé à suffisance. ».
Enfin, Monsieur … répondit audit litismandataire par courrier du 23 décembre 2014 contestant en substance la décision de la CSSF aux termes de laquelle celle-ci décida « que la circulaire 02/77 ne [doit] pas être appliquée aux compartiments concernés ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 10 mars 2015, inscrite sous le n°35976 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours visant à « annuler la décision implicite de rejet émanant de la CSSF de la demande du 22 octobre 2014, refusant d’appliquer la circulaire 02/77 aux quatre compartiments suivants : - … L (anciennement…), -
compartiments Euro Liquidity, High Return et Low Volatility ; … , compartiment Bonds EUR Inflation … (anciennement EUR Medium). » La CSSF soulève plusieurs moyens d’irrecevabilité du recours sous examen tenant, premièrement, au défaut de qualité ou d’intérêt à agir dans le chef de Monsieur …, deuxièmement, à la tardivité du recours et, troisièmement, à l’absence d’objet du recours.
En présence de plusieurs moyens invoqués, le tribunal n'est pas lié par l'ordre dans lequel ils lui ont été soumis et détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l'effet utile s'en dégageant1.
La CSSF soulève, notamment, l’absence d’objet du recours sous examen. Elle estime que le recours ne serait pas dirigé contre une véritable « décision » de la CSSF mais contre des avis de la CSSF sans caractère décisionnel et ne causant pas grief. Elle fait valoir que l’erreur de Monsieur … serait de considérer outre qu’il serait le destinataire direct d’un acte administratif que la CSSF aurait rendu à son égard une véritable « décision administrative » l’affectant. Elle lui reproche de prétendre qu’il s’agirait en l’espèce d’un contentieux administratif classique aux termes duquel un administré aurait introduit une « demande » auprès de la CSSF qui aurait fait l’objet d’une « décision de refus » individuelle lui causant grief, à savoir celle de ne pas appliquer la Circulaire 02/77 du 27 novembre 2002 relative à la protection des investisseurs en cas d’erreur dans le calcul de la VNI et de réparation des conséquences de l’inobservation des règles de placement qui sont applicables aux organismes de placement collectif, ci-après désignée par « la Circulaire CSSF 02/77 », de sorte à introduire un recours en annulation devant le tribunal de céans. Or, selon la CSSF, si elle admet certes avoir rendu des « avis » ou des « conclusions », il n’en demeure pas moins qu’elle n’aurait jamais rendu une « décision » au sens du droit administratif, à savoir un acte de nature à produire par lui-même des effets juridiques affectant la situation personnelle ou 1 Trib. adm. 27 octobre 1999, n°11231 et 11232 du rôle, confirmé par Cour adm. 18 mai 2000, n°11707C du rôle, Pas. adm. 2015, V° Procédure contentieuse, n° 772 et les autres références y citées.
3patrimoniale de celui qui le réclame, en l’occurrence, Monsieur …. En invoquant les dispositions du Règlement n°13-02 de la CSSF relatif à la résolution extrajudiciaire des réclamations, elle fait valoir que ses conclusions ne seraient pas comminatoires, de sorte qu’il serait loisible à l’investisseur lésé de saisir le juge judiciaire qui serait seul compétent pour trancher le litige. Elle insiste sur le fait que son office, dans le cadre de la procédure de conciliation visée par ledit règlement, n’aboutirait pas à la prise d’une « décision » au sens du droit administratif dans la mesure où il ne s’agirait pas d’un acte contraignant de nature à produire par lui-même des effets juridiques. Elle appuie encore son raisonnement en s’emparant de l’exemple d’un voisin exhortant le bourgmestre à refuser une autorisation de bâtir pour une construction adjacente à son habitation en concluant que ledit voisin n’acquerrait pas la qualité de destinataire direct de la décision administrative d’octroi de l’autorisation, au simple motif qu’il aurait adressé une plainte auprès du bourgmestre et aurait essuyé un refus. Elle fait valoir que le voisin pourrait certes exercer un recours administratif en annulation à l’encontre de la décision querellée sous certaines conditions mais surtout en qualité de tiers intéressé. Elle conclut qu’en l’espèce, seuls les organismes de placement collectif ou leurs administrateurs ou leurs gérants pourraient être qualifiés de destinataires directs d’une de ses décisions qui leur imposeraient des injonctions ou des sanctions administratives, ce qui ne serait pas le cas de Monsieur ….
Monsieur … conteste ne pas être le destinataire d’une décision de refus de la CSSF.
Selon lui « il [serait] évident que les investisseurs lésés [seraient] directement concernés par l’application ou non de la Circulaire 02/77. ». Il relève, à cet égard, « que la circulaire prévoi[rait] une procédure d’information aux investisseurs (page 10 : « e) Les communications à faire aux investisseurs à indemniser ») ». Il soutient encore que « [p]rétendre que seul l’OPC [serait] le destinataire direct de la décision de la CSSF [serait] indéfendable, d’autant qu’il ne [serait] pas contestable qu’[il] [aurait] été le destinataire de la décision qui [ferait] l’objet du présent recours : [ce serait] sa demande de faire appliquer la circulaire 02/77 à quatre fonds qui [aurait] été rejetée par l’absence de décision par la CSSF dans les trois mois suivant mise en demeure. Il [serait] donc bien le destinataire de cette décision. ». Par ailleurs, il conteste le fait que la CSSF ait interprété le contenu de son recours qui ne viserait pas des sanctions administratives à imposer ou non « à … ». Il soutient encore en substance être « directement affecté dans ses droits en tant qu’investisseur dans les fonds … par le fait du refus d’application par la CSSF de la circulaire 02/77 » en raison de ce qu’il n’aurait pas pu bénéficier de la procédure de compensation collective et que s’il intentait une action en justice contre le gestionnaire il ne bénéficierait pas d’un procès équitable au motif que le refus par la CSSF d’appliquer la circulaire 02/77 démontrerait qu’il n’y aurait pas eu d’inobservation des règles d’investissement.
En l’espèce, Monsieur … a introduit un recours tendant à « annuler la décision implicite de rejet émanant de la CSSF de la demande du 22 octobre 2014 refusant d’appliquer la circulaire 02/77 aux quatre compartiments suivants : - … L (anciennement…), -
compartiments Euro Liquidity, High Return et Low Volatility ; - … , compartiment Bonds EUR Inflation … (anciennement EUR Medium). » Ainsi, l’action de Monsieur … tend à faire vérifier par le tribunal de céans la légalité d’un prétendu manquement de la CSSF de donner suite à la « mise en demeure » lui adressée en date du 22 octobre 2014 par le demandeur, manquement qu’il qualifie de « refus » d’appliquer la Circulaire 02/77 aux quatre compartiments sus-visés de sorte que ce refus serait constitutif d’une « décision implicite de rejet » à son encontre.
4Il est constant en cause pour ressortir de la lettre de « mise en demeure » adressée à la CSSF en date du 22 octobre 2014 par Monsieur … qu’en se référant à la position adoptée par la CSSF dans sa lettre du 6 octobre 2011 lui adressée aux termes de laquelle cette dernière formule les observations suivantes : « l’analyse menée par la CSSF sur base des éléments à [sa] disposition n’a pas permis de déceler des inobservations quant aux règles en vigueur, sauf en ce qui concerne l’investissement par le compartiment Bonds EUR Inflation … (anciennement EUR Medium) de la société d’investissement … dans des obligations perpétuelles (…) », Monsieur … considère que « [m]algré cette confirmation écrite par la CSSF de non-observation des règles de placement, la CSSF n’[aurait] pas encore fait respecter sa circulaire 02/77. Au contraire, au lieu d’imposer la mise en application de la circulaire comme l’exige[rait] la règlementation luxembourgeoise, la CSSF [aurait] invité les plaignants à tenter d’obtenir une compensation à l’amiable soit en saisissant les tribunaux.
Une telle invitation [pourrait] être justifiée dans certains cas mais certainement pas lorsque la réglementation impose[rait] la mise en place d’une procédure collective (circulaire CSSF 02/77) dont le but [serait] d’éviter aux investisseurs la complexité, les délais et les frais d’une action en justice et de leur faire bénéficier d’une procédure rapide, gratuit[e] et entièrement contrôlé[e] par la CSSF ». Ainsi, Monsieur … reproche à la CSSF de s’être abstenue de faire appliquer la Circulaire CSSF 02/77 alors qu’elle aurait constaté la non-observation des règles de placement dans un compartiment concerné.
Il appartient au tribunal à ce stade des développements d’analyser la portée de la circulaire litigieuse en ce que Monsieur … dans la lettre précitée « met en demeure la Commission de Surveillance du Secteur Financier du Luxembourg d’appliquer dans les meilleurs délais la circulaire 02/77 aux quatre compartiments […] ».
Il ressort du prospectus relatif à l’émission des actions de la SICAV …… daté de décembre 2008 dont relèvent les trois premiers compartiments : «… Euro Liquidity », «… Bonds High Return » et «… Bonds Low Volatility » que cette dernière est constituée selon les dispositions de la loi modifiée du 10 août 1915 relative aux sociétés commerciales, ci-après désignée par « la loi du 10 août 1915 », et est régie par les dispositions de la loi modifiée du 20 décembre 2002 concernant les organismes de placement collectif, ci-après désignée par « la loi du 20 décembre 2002 », et relève plus particulièrement des dispositions de la Partie II de ladite loi. Quant au quatrième compartiment intitulé « … L bonds EUR Medium » dont les titres furent détenus par les compartiments «… Bonds High Return » et «… Bonds Low Volatility » de la SICAV ……, il relève de la SICAV … constituée selon les dispositions de la loi du 10 août 1915 relative aux sociétés commerciales et est régie par les dispositions de la loi du 20 décembre 2002 et relève plus particulièrement des dispositions de la Partie I de ladite loi, les deux SICAV étant collectivement désignées ci-après par « … ».
En tant que société d’investissement à capital variable relevant des dispositions de la Partie II de la loi du 20 décembre 2002, la SICAV …… n’est pas soumise à des restrictions spécifiques d’investissement. En effet, l’article 72(1) de la loi du 20 décembre 2002 renvoie à l’adoption d’un règlement grand-ducal pour la fixation des limites d’investissement. Or, ce règlement ne fut jamais adopté et la CSSF détailla dans le cadre de la Circulaire 91/75 telle que modifiée par la Circulaire CSSF 05/177 relative à la révision et refonte des règles auxquelles sont soumis les organismes luxembourgeois qui relèvent de la loi du 30 mars 1988 relative aux organismes de placement collectif (« opc »), ci-après désignée par « la Circulaire 91/75 » les limites d’investissement qu’elle estimait devoir être respectées2. Au-delà de 2 Organismes de placement collectif et véhicules d’investissement apparentés en droit luxembourgeois, 2ème édition, Claude Kremer et Isabelle Lebbe, Larcier, point 256.
5l’absence légale de définition des restrictions d’investissement d’une société d’investissement à capital variable relevant des dispositions de la Partie II de la loi du 20 décembre 2002, la SICAV …… a indiqué dans les parties idoines de son prospectus d’émission3 les restrictions d’investissement à respecter.
S’agissant de la SICAV … qui relève de la Partie I de la loi du 20 décembre 2002, sa politique de placement est régie par les règles du chapitre 5 de ladite loi intitulé « Politique de placement d’un OPCVM ». Celles-ci sont reflétées dans la section relative du prospectus d’émission intitulée « Politique d’investissement »4 ainsi que dans la fiche signalétique supplémentaire relative au compartiment concerné, à savoir le compartiment … L Bonds EUR Medium5.
Ainsi, quant aux restrictions d’investissement à respecter, la SICAV …… est soumise aux dispositions de la Circulaire 91/75, tandis que la SICAV …voit sa politique de placement régie par les règles du chapitre 5 de la loi du 20 décembre 2002.
En cas de dépassement des restrictions d’investissement d’une société d’investissement à capital variable, les dispositions de la Circulaire CSSF 02/77 en son volet portant sur la réparation des conséquences de l’inobservation des règles de placement qui sont applicables aux organismes de placement collectif ont vocation à s’appliquer6. Ce volet de cette circulaire a pour objectif d’édicter des règles de conduite à l’égard des dirigeants de l’organisme de placement collectif concerné dès la découverte d’inobservations des règles de placement, telles que, notamment, l’obligation de procéder à la réalisation des placements non conformes à la politique d’investissement qui est définie dans le prospectus, ou de procéder à la réalisation des positions excédentaires, ou encore de ramener les emprunts contractés au niveau de la limite autorisée. Le tribunal relève qu’en ultime ressort, cette circulaire érige une obligation « à ceux qui ont causé les préjudices d’en assurer la réparation, lorsqu’ils n’ont pas respecté les obligations qui leurs sont applicables. Au cas où ce principe ne [pourrait] être appliqué, il appartient aux promoteurs de procéder à la réparation ». Il convient encore de constater que la circulaire 02/77 indique spécifiquement s’adresser « A tous les organismes de placement collectif luxembourgeois et à tous les intervenants dans le fonctionnement et le contrôle de ces organismes ».
Quant à sa portée juridique, une circulaire émise par la CSSF constitue un mode de réglementation sui generis ayant pour objectif de préciser le contenu de certaines normes légales tout en revêtant une forme souple et modulable. Par le truchement de cet instrument, la CSSF entend informer les tiers de la teneur de sa position dans le domaine concerné par la circulaire. En considération du fait que la CSSF peut être amenée à accorder des dérogations sur les positions qu’elle a adoptées, il ne saurait être question de considérer une circulaire comme un instrument édictant une norme de droit. Ainsi, il y a lieu de considérer une circulaire comme un outil de transparence plutôt qu’un instrument de réglementation7.
3 Annexe 1. Restrictions d’investissement p. 40 4 p.10 du prospectus d’émission.
5 P. 50 et ss du prospectus d’émission.
6 Organismes de placement collectif et véhicules d’investissement apparentés en droit luxembourgeois, 2ème édition, Claude Kremer et Isabelle Lebbe, Larcier, point 1017 et ss.
7 Organismes de placement collectif et véhicules d’investissement apparentés en droit luxembourgeois, 3ème édition, Claude Kremer et Isabelle Lebbe, Larcier, points 82 et 83.
6 Il découle du contenu de la de lettre de « mise en demeure » adressée à la CSSF en date du 22 octobre 2014 par Monsieur … que ses griefs portent sur le prétendu refus opposé par la CSSF d’appliquer aux compartiments concernés la Circulaire CSSF 02/77 prise en son volet ayant trait à la réparation des conséquences de l’inobservation des règles de placement qui sont applicables aux organismes de placement collectif.
En l’espèce, Monsieur … reproche à la CSSF au travers du recours sous examen d’avoir décidé que malgré la constatation faite par elle dans son courrier du 6 octobre 2011 relative aux « inobservations quant aux règles en vigueur » « en ce qui concerne l’investissement par le compartiment Bonds EUR Inflation … (anciennement EUR Medium) de la société d’investissement … dans des obligations perpétuelles (…) » il n’y aurait pas lieu d’enjoindre aux dirigeants de … de mettre en œuvre les mesures préconisées par la Circulaire CSSF 02/77 afin de régulariser la situation du ou des compartiments concernés qui auraient fait l’objet d’un dépassement de leur politique d’investissement.
Or, ladite position de la CSSF, outre qu’elle a uniquement vocation à s’adresser aux dirigeants de … voire en ultime ressort aux promoteurs du fond d’investissement, n’a manifestement pas pour objet de produire des effets juridiques affectant la situation personnelle ou patrimoniale de Monsieur … dès lors que, premièrement, il n’est manifestement pas le destinataire de la Circulaire CSSF 02/77 et, deuxièmement, le refus par la CSSF d’enjoindre aux destinataires de celle-ci, à savoir les dirigeants ou les promoteurs de … de prendre certaines mesures visant à régulariser la situation du ou des compartiments concernés ne saurait aucunement s’analyser comme constitutive d’une décision implicite de rejet de nature à affecter négativement sa situation en fait ou en droit.
En effet, si l’article 4 de la loi du 7 novembre 1996 dispose certes qu’un recours contre une décision administrative peut être introduit lorsqu’un délai de trois mois s’est écoulé sans qu’il ne soit intervenu une décision de sorte que les parties intéressées peuvent considérer leur demande comme rejetée, il n’en demeure pas moins qu’il est de jurisprudence constante qu’au-delà de la question de l’intérêt à agir, l'acte administratif susceptible de faire l'objet d'un recours contentieux doit constituer une véritable décision de nature à faire grief, c'est -à-dire un acte susceptible de produire par lui-même des effets juridiques affectant la situation personnelle et patrimoniale de celui qui réclame. A contrario, tout acte qui n’est pas destiné à produire par lui-même des effets juridiques, n’a pas la qualité de décision faisant grief.8 Or, l’abstention, de la part d’une autorité administrative, de statuer ou d’agir dans un cas où elle n’est pas légalement tenue d’intervenir n’est pas un acte administratif susceptible de faire grief9.
En l’espèce, le tribunal a retenu plus en avant que la circulaire est un instrument instituant un mode de réglementation sui generis ayant pour objectif de préciser le contenu de certaines normes légales. Il s’y ajoute que dans le cadre de l’appréciation du respect de règles de placement des sociétés d’investissement, la sophistication des marchés financiers ayant entraîné une complexité accrue du respect des règles de placement a conduit la CSSF à introduire le principe de la prise en considération d’un certain seuil de tolérance10. Ainsi, la 8 Trib. adm 23 juillet 1997 n°9658 du rôle, confirmé sur ce point par Cour adm. 19 février 1998, n°10263C du rôle, Pas. adm. 2015, V° Acte admistratifs, n° 52 et les autres références y citées.
9 J.Falys, La recevabilité des recours en annulation des actes administratifs, Bruylant, 1975, n° 59 et 62.
10 Organismes de placement collectif et véhicules d’investissement apparentés en droit luxembourgeois, 2ème édition, Claude Kremer et Isabelle Lebbe, Larcier, point 1029.
7position retenue par la CSSF de ne pas mettre en œuvre la procédure prévue dans le cadre de la Circulaire CSSF 02/77 alors que, d’une part, elle n’est pas légalement tenue de le faire compte-tenu des précisions faites ci-avant quant à la valeur juridique des circulaires de la CSSF et, d’autre part, qu’il lui est loisible de prendre en considération un certain seuil de tolérance dans l’appréciation du non-respect des règles de placement des organismes de placement collectif, n’est pas un acte administratif susceptible de faire grief dans le chef de Monsieur ….
Il s’ensuit que c’est à juste titre que la CSSF conclut à l’irrecevabilité du recours faute d’être dirigé contre une décision administrative de nature à faire grief.
A titre superfétatoire, le tribunal observe que par le truchement de l’action introduite par Monsieur …, ce dernier vise indirectement à faire contrôler par le juge administratif la régularité de l’exercice de la surveillance prudentielle de la CSSF qui lui est dévolu en vertu de l’article 2 de la loi modifiée du 23 décembre 1998 portant création d’une commission de surveillance du secteur financier aux termes duquel « la CSSF est l’autorité compétente pour la surveillance (…) des organismes de placement collectif (…) ». Or, il n’est pas sans intérêt de rappeler à cet égard que l’exercice de la surveillance prudentielle par la CSSF des entités surveillées est encadrée à l’article 20 de sa loi organique comme suit : « (1) La surveillance exercée par la CSSF n’a pas pour objet de garantir les intérêts individuels des entreprises ou des professionnels surveillés ou de leurs clients ou de tiers, mais elle se fait exclusivement dans l’intérêt public. (2) Pour que la responsabilité civile de la CSSF pour des dommages individuels subis par des entreprises ou des professionnels surveillés, par leurs clients ou par des tiers puisse être engagée, il doit être prouvé que le dommage a été causé par une négligence grave dans le choix et l’application des moyens mis en œuvre pour l’accomplissement de la mission de service public de la CSSF. ». Ainsi, dans l’éventualité où, en sa qualité d’actionnaire des compartiments concernés par d’éventuels dépassements de leur politique d’investissement respective, Monsieur … venait à exciper d’un préjudice, il lui appartient de faire valoir ledit préjudice afin d’en obtenir réparation devant les juridictions civiles pour autant que les conditions afférentes à ladite réparation soient remplies conformément à l’article 20 sus-visé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
déclare le recours irrecevable ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par:
Françoise Eberhard, vice-président, Anne Gosset, premier juge, Daniel Weber, juge, et lu à l’audience publique du 30 juin 2016 par le vice-président, en présence du greffier Goreti Pinto.
8 s. Goreti Pinto s.Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 01 juillet 2016 Le greffier du tribunal administratif 9