Tribunal administratif N° 37191 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 novembre 2015 3e chambre Audience publique du 29 juin 2016 Recours formé par Monsieur …, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 19, L.5.5.2006)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 37191 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 23 novembre 2015 par Maître Pascale Petoud, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à … (Côte d’Ivoire), et déclarant être de nationalité ivoirienne, demeurant actuellement à L-
…, tendant, d’une part, à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 20 octobre 2015 portant refus de sa demande de protection internationale, et, d’autre part, à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans le même acte ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé en date du 15 janvier 2016 au greffe du tribunal administratif ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Pascale Petoud et Madame le délégué du gouvernement Elisabeth Pesch en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 22 juin 2016 ;
En date du 15 juillet 2014, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, désignée ci-après par « la loi du 5 mai 2006 ».
Les déclarations de Monsieur … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg furent actées par un agent de la Police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, dans un rapport du même jour.
En date du 24 juillet 2014, Monsieur … fit l’objet d’un entretien auprès du ministre des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement UE 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, dit « règlement Dublin III ».
En date des 29 et 30 juin, 9 et 10 juillet, 27 août et 22 septembre 2015, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
A cette occasion, Monsieur … déclara avoir vécu à Ecradon, dans la sous-préfecture de Guitry en Côte d’Ivoire et que cette zone aurait été considérée comme pro-Gbagbo, mais que lui et sa famille auraient soutenu le « Parti démocratique de Côte d’Ivoire » (PDCI) ainsi que le « Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix » (RHDP).
Il expliqua qu’il aurait travaillé dans la plantation de cacao de sa famille et qu’il aurait cofondé et enregistré la Coopérative Agricole et Rurale de Guitry en 2004, composée d’une cinquantaine de planteurs de cacao et d’environ deux cent ouvriers. Le but aurait été de vendre leur marchandise directement en Europe via les grands exportateurs internationaux, sans devoir passer par les acheteurs locaux de café et de cacao, ceci afin de garantir une meilleure rentabilité.
Lors de la crise électorale en 2011, les « Forces Républicaines de la Côte d’Ivoire » (FRCI) se seraient installées dans la région. En 2012, lorsque Coulibaly Ousmane serait devenu préfet de la région, celui-ci aurait commencé à contrôler le marché du cacao. Suite au refus de Monsieur … et de la Coopérative Agricole et Rurale de Guitry de vendre le cacao au prix commandé par Coulibaly Ousmane, les membres des FRCI seraient venus au début de la campagne agricole en septembre 2013 pour piller les marchandises et ceci sous prétexte de vouloir les protéger. Monsieur … ajouta que les soldats auraient souvent perquisitionné les maisons des agriculteurs pendant la nuit, sous prétexte de chercher des armes des miliciens pro-Gbagbo, alors que leur vrai but aurait été d’intimider les agriculteurs. Les soldats auraient également menacé les planteurs, ainsi que leurs ouvriers et leurs familles et l’auraient menacé lui-même de le « tegger », c’est-à-dire de le tuer.
Il expliqua qu’il se serait adressé au sous-préfet de la région pour l’informer de ce qui se serait passé, mais que ce dernier n’aurait rien pu faire, et lui aurait recommandé de se rendre à la gendarmerie. Le même jour, lorsqu’il se serait trouvé sur les plantations, les soldats des FRCI auraient agressé sa mère, laquelle serait décédée quelques jours après ces faits. Il n’aurait pas porté plainte auprès de la police alors que cette dernière serait composée de soldats des FRCI et ne se serait pas non plus adressé à la gendarmerie de Divo.
Monsieur … expliqua qu’il se serait senti visé personnellement par les membres des FRCI suite aux violences physiques subies par sa mère, de sorte qu’il aurait quitté le pays en septembre 2013. Sa famille aurait par la suite consulté le « leader politique » de sa région afin de porter plainte contre les malfaiteurs, mais aucune poursuite n’aurait pu être entamée. Sa coopérative aurait finalement été dissoute suite à son départ.
Par décision du 20 octobre 2015, notifiée par lettre recommandée expédiée le 21 octobre 2015, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après dénommé « le ministre », informa Monsieur … que sa demande de protection internationale avait été rejetée comme non fondée, tout en lui enjoignant de quitter le territoire dans un délai de 30 jours.
Le ministre motiva sa décision par la considération que si les raisons qui ont amené Monsieur … à quitter son pays d’origine seraient a priori de par leur nature, susceptibles de tomber dans le champ d’application de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après dénommée « la Convention de Genève », elles ne justifieraient cependant pas dans son chef une crainte fondée de persécution au sens de la même convention, respectivement de la loi du 5 mai 2006.
Ainsi, le ministre estima que Monsieur … n’aurait jamais été menacé personnellement par des soldats des FRCI et que des actes de perquisitions dans le but de trouver des armes ainsi que des pillages ne sauraient être considérés comme actes de persécution au sens de la Convention de Genève alors qu’ils n’auraient pas été motivés pour des raisons d’ordre politique, ethnique ou religieux.
Le ministre donna également à considérer que des faits non personnels, mais vécus par d’autres membres de la famille ne seraient susceptibles de fonder une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève que si le demandeur de protection internationale établit dans son chef un risque réel d’être victime d’actes similaires, ce qui ne serait cependant pas le cas en l’espèce. Dans ce contexte, il souligna plus particulièrement qu’il ne serait pas établi que les violences envers sa mère auraient été liées au fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques, et que ses affirmations, selon lesquelles les membres des FRCI auraient été à sa recherche lors de l’agression constitueraient de simples allégations étant donné qu’il n’aurait pas été physiquement présent lors de l’incident.
En se basant sur divers rapports internationaux, le ministre mit encore en exergue les progrès tangibles en ce qui concerne la situation sécuritaire et économique de la Côte d’Ivoire, ainsi que les progrès en matière d’anti-corruption et de reconstitution de propriété suite à la crise de 2010-2011.
Le ministre souligna encore le fait que la coopérative de Monsieur … aurait été remplacée par la « Coopérative Agricole Source de Guitry », profitant d’un patronage de la part des autorités qui auraient versé une large somme d’argent en tant que remerciement, de sorte qu’il serait évident que les membres des FRCI auraient abandonné leur emprise sur les champs de cacao dans la région de Guitry et peu probable que Monsieur … risquerait encore des conflits avec ces membres en cas de retour.
Il ajouta que Monsieur … aurait pu bénéficier d’une fuite interne et s’installer à Abidjan alors qu’il résulterait de ses propres déclarations que les problèmes vécus n’auraient eu qu’un caractère local.
Le ministre retint dès lors que les faits à la base de la demande de protection internationale de Monsieur … ne seraient pas de nature à établir dans son chef une crainte de persécution fondée sur un des critères retenus dans la Convention de Genève.
Le ministre estima par ailleurs que les faits invoqués à l’appui de la demande ne constitueraient pas des atteintes graves au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 23 novembre 2015, Monsieur … a fait introduire un recours tendant, d’une part, à la réformation de la décision du ministre du 20 octobre 2015 portant refus de sa demande de protection internationale et, d’autre part, à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans le même acte.
A titre liminaire, force est au tribunal de constater que la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection a été abrogée par l’article 83 de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « loi du 18 décembre 2015 ». La nouvelle loi précitée du 18 décembre 2015 a apporté plusieurs changements législatifs notamment au niveau de la procédure et de la nature des voies de recours en la présente matière. Par ailleurs, la loi du 18 décembre 2015 prévoit dans son article 35, paragraphe (1) de manière générale un recours en pleine juridiction devant le tribunal administratif contre les décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile prises dans le cadre d’un refus ou de retrait de la demande de protection internationale et contre l’ordre de quitter le territoire, contrairement à la loi abrogée du 5 mai 2006, qui ne prévoyait qu’un recours au fond contre la seule décision du ministre portant refus d’accorder un des statuts de la protection internationale. Or, en ce qui concerne les affaires contentieuses en cours au moment de l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, ce changement législatif quant à la nature de la voie de recours qui est ouverte, est susceptible, à défaut de dispositions transitoires, d’entraîner des conflits de lois dans le temps.
En l’espèce, la procédure contentieuse était pendante au moment de l’entrée en vigueur de la nouvelle loi précitée du 18 décembre 2015. En effet, le recours contentieux contre les décisions déférées a été introduit en date du 23 novembre 2015, tandis que la nouvelle loi date du 18 décembre 2015 et est entrée en vigueur, à défaut de dispositions spécifiques afférentes, trois jours après sa publication au journal officiel le 28 décembre 2015, c’est-à-dire avant que l’affaire n’ait été prise en délibéré et que le tribunal n’ait statué. Il se pose dès lors la question de savoir quelle loi est applicable en l’espèce et plus particulièrement quelle voie de recours était ouverte à l’encontre des décisions déférées.
Conformément au droit commun, les lois de droit judiciaire privé entrent en vigueur à la date qu’elles fixent ou à défaut, trois jours après leur publication. Or, ce principe n’est pas transposable de manière aussi évidente s’agissant de l’application de la nouvelle loi aux instances en cours, qui par hypothèse, ont débuté sous l’empire de la loi ancienne. En principe, la nouvelle loi a vocation à s’appliquer immédiatement à ces instances et cela quel que soit son objet1. Ainsi, tant la jurisprudence française que luxembourgeoise s’accordent à dire que, sauf s’il n’en a été autrement disposé par le législateur, toute loi nouvelle de compétence et de procédure s’applique aux instances qui sont en cours au jour de son entrée en vigueur, à moins qu’une décision sur le fond ait été rendue2.
Toutefois, le principe de l’application directe de la nouvelle loi connaît des exceptions.
Ainsi, la loi ancienne de compétence continue à s’appliquer lorsque, au moment de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, la juridiction saisie a déjà rendu une décision intéressant le fond de l’affaire. La loi ancienne doit également continuer à s’appliquer lorsque la loi nouvelle met en cause le fond du droit3. Or, l’existence d’une voie de recours est une règle de fond du droit judiciaire et non pas une règle de forme4. Dès lors, la survie de la loi ancienne joue également en matière de voies de recours. La nouvelle loi est applicable aux instances en cours quand elle se contente de modifier les formes ou la procédure du recours, mais elle ne l’est pas lorsqu’elle affecte la recevabilité même du recours qui doit être appréciée selon la loi en vigueur au jour où la décision a été rendue. En résumé, l’existence d’une voie de recours est régie, en l’absence de mesures transitoires, par la loi sous l’empire de laquelle a été rendue la 1 Loïc Cadiet, Emmanuel Jeuland, Droit judiciaire privé, Litec, 5e édition, p.11, n°19.
2 Encyclopédie Dalloz, Procédure, V° Conflits de lois dans le temps, n° 132 et 133 et voir dans le même sens :
trib. adm. 25 juin 2009, n°24354 du rôle, Pas. adm. 2015, V° Lois et règlements, n° 43.
3 Loïc Cadiet, Emmanuel Jeuland, op. cit., n°20.
4 Jurisclasseur, Procédure, Vol. 2, fasc. 61, n°72 et voir en ce sens : Cour adm. 10 juillet 1997, n° 9804C du rôle, Pas. adm. 2015, V° actes règlementaires, n° 4.
décision attaquée5.
En l’espèce, par l’article 83 de la nouvelle loi précitée du 18 décembre 2015, le législateur s’est limité à abroger purement et simplement la loi du 5 mai 2006 dans son intégralité, sans prévoir de dispositions transitoires. Ainsi, à défaut par le législateur d’en avoir autrement disposé, l’existence et la nature du recours ouvert en l’espèce, sont régis par la loi du 5 mai 2006.
1) Quant au recours en réformation introduit contre la décision du ministre du 20 octobre 2015 portant refus d’une protection internationale L’article 19, paragraphe (3) de la loi du 5 mai 2006, applicable en l’espèce suivant les principes retenus ci-avant, prévoit un recours en réformation en matière de décisions de refus d’une demande de protection internationale, le tribunal est compétent pour statuer sur le recours en réformation dirigé contre la décision ministérielle déférée. Le recours en réformation ayant été introduit, par ailleurs, dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
Dans le cadre du recours en réformation, le juge est amené à apprécier la décision déférée quant à son bien-fondé et à son opportunité, avec le pouvoir d’y substituer sa propre décision impliquant que cette analyse s’opère au moment où il est appelé à statuer6. Par voie de conséquence, c’est la loi du 18 décembre 2015 qui est applicable au recours en réformation intenté contre la décision du ministre du 20 octobre 2015.
A l’appui de ce volet du recours et en fait, le demandeur souligne que depuis l’arrivée au pouvoir du Président Alassane Ouattara en date du 4 mai 2011, les hommes du nord du pays auraient acheté le cacao à des prix très bas et auraient organisé un trafic couvert par les autorités du pays, à savoir par Ousmane Coulibaly, ancien rebelle membre des FRCI, nommé préfet de la région de San Pedro par le Président Ouattara.
Suite à son refus de coopérer à la vente de la marchandise à ses prix, les membres des FRCI auraient pillé et saccagé les magasins de la coopérative en signe d’intimidation.
Monsieur … se serait rendu sans succès auprès du sous-préfet et à la gendarmerie, en soulignant que beaucoup des membres de la gendarmerie seraient d’anciens rebelles. Au courant du mois de septembre 2013, un commando des FRCI serait venu au domicile de la famille de Monsieur …, en cherchant spécialement après lui, étant donné qu’il se serait trouvé sur les plantations et ils auraient agressé sa mère.
En droit, le demandeur estime qu’il aurait fait des déclarations claires et précises pour expliquer le contexte de sa demande de protection internationale et qu’il aurait fait état d’une crainte fondée d’être persécuté dans son pays d’origine alors qu’il aurait fait l’objet de menaces de mort directes et qu’il aurait été dans l’impossibilité de déposer une plainte compte tenu du fait que tant la police que la gendarmerie ivoirienne seraient essentiellement composées des membres des FRCI.
A titre subsidiaire, le demandeur estime qu’en raison des circonstances particulières qui l’auraient amené à quitter son pays d’origine, il y aurait des indices sérieux et avérés de croire que s’il était renvoyé en Côte d’Ivoire, il courrait un risque de subir des tortures, sinon 5 Jurisclasseur, Procédure, Vol. 2, fasc. 61, n°72.
6 Trib. adm. 1er octobre 1997, n°9699 du rôle, Pas. Adm. 2015 v° Recours en réformation, n°15 et les références y citées.
des traitements inhumains et/ou dégradants, tel qu’interprétés à la lumière de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme relative à l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », de sorte qu’il répondrait à la condition de l’article 37 b) de la loi du 5 mai 2006.
La décision ministérielle serait encore entachée d’illégalité alors qu’elle lui aurait refusé l’octroi d’une protection subsidiaire sans véritablement vérifier si les faits soumis répondraient aux conditions fixées par la loi, de sorte qu’elle ne respecterait pas les articles 18 a) et 26, paragraphe (3) de la loi du 5 mai 2006 relatifs à l’instruction des demandes de protection internationale.
Le délégué du gouvernement conclut que le ministre aurait fait une saine analyse de la situation du demandeur, de sorte que ce serait à bon droit qu’il lui a refusé le bénéfice de la protection internationale.
Aux termes de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] ».
Par ailleurs, aux termes de l’article 42, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015:
« Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent :
a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). […] » Finalement, aux termes de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015: « Les acteurs des persécutions ou atteintes graves peuvent être :
a) l’Etat ;
b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;
c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves. », et aux termes de l’article 40 de la même loi: « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :
a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient déposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.
(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection.
(3) Lorsqu’il détermine si une organisation internationale contrôle un Etat ou une partie importante de son territoire et si elle fournit une protection au sens du paragraphe (2), le ministre tient compte des orientations éventuellement données par les actes du Conseil de l’Union européenne en la matière. » Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.
Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait qu’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.
Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 établit une présomption simple que de telles persécutions se poursuivront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces persécutions ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.
En l’espèce, il résulte des rapports d’entretiens que les faits dont se prévaut Monsieur … ne sont a priori pas de nature à s’inscrire dans le cadre d’actes qui ont été posés en relation avec un des critères définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social.
En ce qui concerne plus particulièrement les problèmes des planteurs de cacao rencontrés avec les membres des FRCI depuis 2012, et plus précisément les perquisitions et pillages, il y a lieu de constater que, d’une part, il résulte des propres déclarations du demandeur que ce dernier n’était pas présent lors de ces faits, de sorte à admettre qu’il n’était pas visé personnellement par ces actes et que, d’autre part, ces perquisitions et pillages n’ont pas été motivés par un des critères définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, mais par le fait que la Coopérative Agricole et Rurale de Guitry a refusé de vendre le cacao aux prix dictés par le préfet Coulibaly Ousmane et les FRCI, de sorte que ces actes sont à considérer comme n’ayant qu’un caractère purement économique, à l’exclusion de tout aspect politique.
Cette même constatation s’impose en ce qui concerne les menaces de mort que Monsieur …, les autres planteurs de cacao et les membres de leurs familles auraient subies de la part des FRCI, alors qu’il résulte des déclarations du demandeur que le but de ces menaces aurait été d’intimider les agriculteurs afin qu’ils se soumettent aux prix imposés, de sorte à ne pas être motivées par un des critères de fond énumérés par la Convention de Genève, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un groupe social de Monsieur ….
A cela s’ajoute que l’activité de Monsieur … dans une coopération telle que celle cofondée par lui en 2004, en ce qu’elle a eu comme but de garantir une meilleure rentabilité, notamment par la vente du cacao produit directement en Europe via les exportateurs internationaux, sans passer par les acheteurs locaux, ne tombe pas non plus dans le champ d’application de la Convention de Genève dans la mesure où cette activité consiste à défendre les intérêts financiers d’un groupe limité de personnes contre les entreprises concurrentes et les acheteurs locaux, de sorte que cette activité ne peut pas être considérée comme poursuivant un but politique au sens de la Convention de Genève.
Concernant les violences subies par la mère de Monsieur …, il y a lieu de constater que ces actes de violence et d’intimidation s’inscrivent dans le même contexte économique retenu ci-avant et qu’ils ne sont dès lors pas non plus susceptibles d’être rattachés à un des critères définis par la Convention de Genève.
Il s’ensuit que la première des trois conditions cumulatives pour pouvoir bénéficier du statut de réfugié fait défaut en l’espèce, de sorte que le fait que cette condition ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne peut bénéficier du statut de réfugié.
C’est dès lors à juste titre que le ministre a rejeté la demande en obtention du statut de réfugié de Monsieur ….
Quant au volet de la décision litigieuse portant refus dans le chef du demandeur d’un statut de protection subsidiaire, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 2 g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».
L’article 48 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48 précité de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 48, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.
Par ailleurs, l’article 2 g), précité, définissant la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 établit une présomption simple que les atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque réel de subir des atteintes graves qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.
A l’appui de sa demande de protection subsidiaire, le demandeur invoque les mêmes motifs que ceux qui sont à la base de sa demande de reconnaissance du statut de réfugié et précise que la décision ministérielle serait entachée d’illégalité alors qu’elle lui aurait refusé l’octroi d’une protection subsidiaire sans véritablement vérifier si les faits lui soumis répondraient aux conditions fixées par la loi, de sorte qu’elle ne respecterait pas les articles 18 a) et 26, paragraphe (3) de la loi du 5 mai 2006.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce volet du recours.
Comme le demandeur n’allègue pas qu’il y aurait un conflit armé dans son pays d’origine, respectivement qu’il risquerait d’y subir la peine de mort ou l’exécution, il y a seulement lieu de vérifier si les traitements dont il fait état peuvent être qualifiés de torture ou de traitements, respectivement sanctions inhumains ou dégradants.
En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure qu’il n’a pas établi l’existence dans son chef de motifs sérieux et avérés permettant de conclure à un risque réel de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 en cas de retour dans son pays d’origine.
Ainsi, les perquisitions et les pillages effectués par les membres des FRCI dans les magasins de la Coopérative Agricole et Rurale de Guitry et les maisons des agriculteurs ne permettent pas de retenir un risque dans le chef du demandeur de subir, en cas de retour dans son pays d’origine, des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants. En effet, comme retenu ci-avant, Monsieur … n’était pas personnellement présent lors des perquisitions et pillages. A cela s’ajoute que, et comme l’a souligné à juste titre le délégué du gouvernement, les perquisitions ont eu lieu aux domiciles de personnes perçues comme pro-Gbagbo, tandis que Monsieur … a déclaré être partisan du parti PDCI, donc sympathisant d’Alassane Ouattara, qui est au pouvoir depuis 2010, de sorte qu’il n’y a aucun indice permettant de conclure que le demandeur ou sa famille seraient recherchés par les autorités et les FRCI.
En ce qui concerne la menace de mort proférée par les membres des FRCI, s’il est vrai que le fait d’avoir subi des menaces de mort est d’une certaine gravité, il n’en reste pas moins qu’une menace isolée, adressée à la collectivité des agriculteurs affiliés à la Coopérative Agricole et Rurale de Guitry et à leurs membres de famille ne revêt pas un degré de gravité tel qu’il permettrait de retenir dans le chef du demandeur l’existence d’un risque réel de subir des atteintes graves au sens de la loi du 18 décembre 2015, ce d’autant plus que la menace n’a jamais été suivie d’actes concrets.
Concernant les violences subies par la mère de Monsieur …, s’il est certes vrai que le fait d’avoir subi de tels actes est d’une gravité indéniable, force est toutefois au tribunal de constater qu’il ne ressort pas à suffisance des éléments soumis à son appréciation que Monsieur … aurait été personnellement visé par les membres des FRCI, de sorte que le sort subi par sa mère ne permet pas, à défaut d’établir un lien entre le traitement subi par sa mère et des éléments liés à sa propre personne l’exposant à des actes similaires, de conclure à un risque réel dans le chef du demandeur de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 en cas de retour en Côte d’Ivoire, ce d’autant plus que ni lui-même ni une autre personne a pu témoigner du déroulement exact de l’incident.
Par ailleurs, le tribunal constate, à l’instar du délégué du gouvernement, que la coopérative de Monsieur … a été entretemps remplacée par la « Coopérative Agricole Source de Guitry » qui a reçu lors de la dernière campagne agricole une prime d’environ 135 millions de Franc CFA grâce à la certification UTZ et que la moitié de cette somme a été répartie entre les membres, afin de garantir la bonne qualité du cacao7, de sorte qu’il y a lieu d’admettre que les membres des FRCI ont abandonné leurs emprises sur les champs de cacao dans la région de Guitry, et que le risque de subir à l’heure actuelle des traitements à qualifier de torture ou sanctions inhumains ou dégradants est minime, voire inexistant.
7 Abidjan.net, Divo : Une coopérative agricole reçoit 135 millions de FCFA de prime de certification du cacao, 4 septembre 2014, disponible sur www.news.net/h/507872.html Force est également de constater, en s’appuyant sur les sources internationales relatives à la situation en Côte d’Ivoire que « the Government of Côte d’Ivoire reaffirmed its commitment to implement an economic and social development program to make Côte d’Ivoire an emerging country by 2020. One of the tangible challenge is to achieve Good Governance by tackling corruption, inefficiency, enhance accountability in Government and speed up the move towards positioning Côte d’Ivoire as an Emerging country by 20208. » Bien qu’il résulte d’un article de presse intitulé « Côte d’Ivoire : ces ex-rebelles criminels encore en liberté » témoignant des massacres postélectoraux en Côte d’Ivoire, le tribunal constate cependant que cet article n’est pas daté, ne lui permettant pas de situer les faits y décrits dans un contexte temporel. Or, il résulte toutefois d’un rapport de juin 2014 du « United States Department of State » que « the FRCI continued to occupy some businesses and homes illegally. In June the government returned five residences in Abidjan to their owners in an official ceremony during which the minister for defense noted that 249 of 644 sites identified as occupied were returned to their rightful owner9 », de sorte qu’il y a lieu d’admettre que le gouvernement est en train de rétablir l’ordre dans la région. S'il est vrai que la situation en Côte d'Ivoire n'est pas comparable à celle d'une démocratie occidentale stable, les troubles postélectoraux ont toutefois cessé et le pouvoir actuel a entamé la voie de la réconciliation.
Pour être tout à fait complet et même à supposer que dans la sous-préfecture de Guitry, les soldats malfaiteurs des FRCI sévissent toujours, il n’en reste pas moins que le demandeur décrit un phénomène local, de sorte que c’est également à bon droit que le délégué du gouvernement a évoqué la possibilité pour le demandeur de profiter d’une fuite interne et de s’installer dans une autre région du pays.
Force est dès lors de constater qu’il ne ressort d’aucun élément du dossier que les menaces et agressions dont le demandeur fait état contiennent des motifs sérieux de croire qu’il courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 en cas de retour en Côte d’Ivoire. En effet, le tribunal ayant retenu plus en avant, sur base de rapports précités, que la situation sécuritaire, et plus précisément la situation sur le marché de cacao dans la région de Guitry, s’est stabilisée en Côte d’Ivoire, le demandeur n’établit pas, soit, qu’il craint en cas de retour dans son pays d’origine de se voir infliger la peine de mort ou de se faire exécuter, soit, qu’il risque de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, soit encore, qu’il soit susceptible de faire l’objet de menaces graves et individuelles contre sa vie en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
Il se dégage partant de tout ce qui précède et en l’absence d’autres éléments, que c’est à juste titre que le ministre lui a également refusé l’octroi d’une protection subsidiaire au sens de l’article 2 g) de ladite loi du 18 décembre 2015, sans que son analyse n’ait violé les articles 10, paragraphe (3) a)10 et 37, paragraphe (3)11 de la loi précitée.
8 Lex Africa, Anti-Corruption laws in Côte d’Ivoire, avril 2014, disponible sur www.lexafrica.com/news-
anticorruption-laws-in-cte-divoire-april-2014 9 United States Department of State, 2014 Country Reports on Human Rights Practices – Côte d’Ivoire, 25 juin 2015, disponible sur www.refworld.org/docid/559bd57412.html 10 Anciennement 18 a) de la loi du 5 mai 2006.
11 Anciennement 26, paragraphe (3) de la loi du 5 mai 2006.
2) Quant au recours en annulation dirigé contre la décision ministérielle du 20 octobre 2015 portant ordre de quitter le territoire Tel que précisé ci-avant, l’article 19, paragraphe (3) de la loi du 5 mai 2006, applicable en l’espèce selon les principes dégagés ci-avant, prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire de sorte que le tribunal est compétent pour en connaître en la présente matière. Le recours en annulation, par ailleurs introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.
Dans le cadre du recours en annulation, l’analyse du tribunal ne saurait se rapporter qu’à la situation de fait et de droit telle qu’elle s’est présentée au moment de la prise de la décision déférée, le juge de l’annulation ne pouvant faire porter son analyse ni à la date à laquelle il statue ni à une date postérieure au jour où la décision déférée a été prise12. Par voie de conséquence, c’est la loi du 5 mai 2006 qui est applicable au recours en annulation intenté contre la décision du ministre du 20 octobre 2015.
Aux termes de l’article 19, paragraphe (3) de la loi du 5 mai 2006, « Une décision négative du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2 r) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire». Il s’ensuit que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de séjour.
Le demandeur soutient en premier lieu que si la décision de refus d’octroi du statut de protection internationale encourt la réformation, l’ordre de quitter devrait également être annulé.
Il se dégage des conclusions ci-avant retenues par le tribunal que le ministre a refusé à bon droit d’accorder au demandeur un statut de protection internationale, de sorte qu’il a également pu valablement émettre l’ordre de quitter le territoire.
En ordre subsidiaire, il conclut à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire, au motif qu’il violerait tant l’article 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration que l’article 3 de la CEDH. Le demandeur estime, en se basant sur un arrêt de la Cour Européenne des Droits de l’Homme dans une affaire D c/ Royaume Uni du 2 mai 1997, que ces dispositions interdiraient l’éloignement de l’étranger vers le pays dans lequel existe un risque de subir des mauvais traitements pouvant résulter de facteurs purement objectifs indépendants des autorités ou du droit interne de l’Etat de destination, même sans intention discriminatoire. Il résulterait de la jurisprudence de l’affaire Soering c/ Royaume Uni que tout Etat aurait une obligation implicite de ne pas éloigner un étranger quand il y à de simples motifs sérieux et avérés de croire que l’intéressé court dans l’Etat de destination un risque réel d’être soumis à un traitement contraire à l’article 3 de la CEDH, ce risque ayant été précisé par l’arrêt Vilvarajah c/ Royaume Uni du 30 octobre 1991 selon lequel les raisons pour connaître un tel risque pourraient résulter de faits présentés ou résulter d’un faisceau d’indices, ou de présomptions non réfutées, suffisamment graves, précis et concordants. Il en résulterait qu’il aurait établi un risque réel de faire l’objet d’un traitement contraire à l’article 3 de la CEDH.
Aux termes de l’article 19, paragraphe (3) de la loi du 5 mai 2006, une décision 12 TA 23 mars 2005, n° 19061 du rôle, Pas. adm. 2015 v° Recours en annulation, n°18 et les références y citées.
négative du ministre vaut décision de retour, laquelle, tel que relevé ci-avant, est définie par l’article 2 r) de la même loi comme étant la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire. L’ordre de quitter le territoire y prononcé comporte l’indication du délai pour quitter le territoire ainsi que le pays à destination duquel le demandeur sera renvoyé en cas d’exécution d’office.
Quant à l’incidence de l’article 3 de la CEDH, si ledit article proscrit la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants, encore faut-il que le risque de subir des souffrances mentales ou physiques présente une certaine intensité.
En effet, si une mesure d’éloignement - tel qu’en l’espèce consécutive à l’expiration du délai imposé au demandeur pour quitter le Luxembourg - relève de la CEDH dans la mesure où son exécution risquait de porter atteinte aux droits inscrits à son article 3, ce n’est cependant pas la nature de la mesure d’éloignement qui pose problème de conformité à la Convention, spécialement à l’article 3, mais ce sont les effets de la mesure en ce qu’elle est susceptible de porter atteinte aux droits que l’article 3 garantit à toute personne. C’est l’effectivité de la protection requise par l’article 3 qui interdit aux Etats parties à la Convention d’accomplir un acte qui aurait pour résultat direct d’exposer quelqu’un à des mauvais traitements prohibés. S’il n’existe pas, dans l’absolu, un droit à ne pas être éloigné, il existe un droit à ne pas être soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants, de sorte et a fortiori qu’il existe un droit à ne pas être éloigné quand une telle mesure aurait pour conséquence d’exposer à la torture ou à une peine ou des traitements inhumains ou dégradants.
Cependant, dans ce type d’affaires, la Cour européenne des droits de l’Homme soumet à un examen rigoureux toutes les circonstances de l’affaire, notamment la situation personnelle du requérant dans l’Etat de destination. La Cour européenne des droits de l’Homme recherche donc s’il existe un risque réel que le renvoi du requérant soit contraire aux règles de l’article 3 de la CEDH. Pour cela, la Cour évalue ce risque notamment à la lumière des éléments dont elle dispose au moment où elle examine l’affaire et des informations les plus récentes concernant la situation personnelle du requérant.
Le tribunal procède donc à la même analyse de l’affaire sous examen.
Or, en ce qui concerne précisément les risques prétendument encourus en cas de retour en Côte d’Ivoire, le tribunal a conclu ci-avant que le demandeur n’établit ni qu’il craint avec raison en cas de retour dans son pays d’origine de se voir infliger la peine de mort ou de se faire exécuter, ni qu’il risque de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, ni qu’il soit susceptible de faire l’objet de menaces graves et individuelles contre sa vie en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
Au vu de ce qui précède et compte tenu du seuil élevé fixé par l’article 3 de la CEDH13, le tribunal n’estime pas qu’il existe un risque suffisamment réel pour que le renvoi du demandeur à la Côte d’Ivoire soit, dans ces circonstances, incompatible avec l’article 3 de la CEDH.
A défaut d’autres moyens, le recours en annulation est à rejeter comme étant non 13 CEDH, arrêt Lorsé et autres c/ Pays-Bas, 4 février 2003, § 59.
fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 20 octobre 2015 portant refus d’un statut de réfugié et d’une protection subsidiaire ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre l’ordre de quitter le territoire ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par :
Thessy Kuborn, premier juge, Alexandra Castegnaro, juge, Géraldine Anelli, attaché de justice, et lu à l’audience publique du 29 juin 2016, par le premier juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 1er juillet 2016 Le greffier du tribunal administratif 14