Tribunal administratif N° 36836 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 20 août 2015 Ire chambre Audience publique du 15 juin 2016 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers
___________________________________________________________________________
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 36836 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 20 août 2015 par Maître Trixi Lanners, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur …, né le … à … (Burkina Faso), de nationalité burkinabée, demeurant à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 4 juin 2015 déclarant irrecevable la « demande en obtention d’une autorisation de séjour en qualité de travailleur salarié » et lui ordonnant de quitter le pays ;
Vu l’ordonnance du juge siégeant en remplacement du président du tribunal administratif du 28 août 2015, inscrite sous le numéro 36852 du rôle ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 1er septembre 2015 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Yves Huberty en sa plaidoirie.
En date du 9 avril 2015, Monsieur … fit une déclaration d’arrivée d’un ressortissant de pays tiers pour un séjour jusqu’à trois mois auprès de l’administration communale de Wiltz.
Ladite déclaration d’arrivée fut réceptionnée par la direction de l’Immigration du ministère des Affaires étrangères et européennes en date du 13 avril 2015. Il y joignit les copies d’un contrat de bail relatif à un appartement situé à Wiltz, signé en date du 30 septembre 2014, de son passeport, d’un contrat de travail à durée indéterminée signé en date du 28 mai 2014 pour un poste de plongeur auprès d’un restaurant situé au Luxembourg, d’un certificat de son employeur luxembourgeois, d’un certificat de résidence belge, ainsi que d’un extrait d’acte de mariage du Burkina Faso.
1Le 18 mai 2015 fut émis un certificat de contrôle médical des étrangers concernant Monsieur … certifiant qu’il remplit les conditions médicales autorisant son séjour sur le territoire.
Par décision du 4 juin 2015, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après dénommé le « ministre », déclara irrecevable une demande en obtention d’une autorisation de séjour en qualité de travailleur salarié dans le chef de Monsieur … prétendument présentée par lui en date du 13 avril 2015.
La décision ministérielle en question est motivée comme suit :
« J’accuse réception de votre demande sous rubrique, qui m’est parvenu en date du 13/04/2015. Conformément à l’article 39, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, la demande en obtention d’une autorisation de séjour doit être introduite par le ressortissant d’un pays tiers auprès du ministre et doit être favorablement avisée avant son entrée sur le territoire.
Or, d’après les renseignements à ma disposition, je constate que vous êtes entré au Luxembourg au plus tard le 09/04/2015, sans préjudice quant à une date exacte. Ceci ressort notamment de la déclaration d’arrivée que vous avez signé en date du même jour. De plus, vous avez signé un contrat de bail pour un appartement à Wiltz qui a commencé le 01/10/2014.
De ce fait, votre demande est irrecevable.
Au vu de ces développements, et en application de l’article 111, paragraphes (1) et (2), vous êtes obligé de quitter le territoire dans un délai de trente jours à destination du pays dont vous avez la nationalité, le Burkina Faso, soit à destination du pays qui vous a délivré un document de voyage en cours de validité, soit à destination d’un autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner.
A défaut de quitter le territoire volontairement, l’ordre de quitter le territoire sera exécuté d’office et vous serez éloigné par la contrainte. (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 20 août 2015, inscrite sous le numéro 36836 du rôle, Monsieur … a introduit un recours en annulation contre la décision ministérielle précitée du 4 juin 2015.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 21 août 2015, inscrite sous le numéro 36852 du rôle, il fit encore introduire une demande tendant à voir ordonner une mesure de sursis à exécution par rapport à la décision ministérielle précitée du 4 juin 2015, laquelle fut déclarée irrecevable en ce qu’elle était dirigée contre le volet de la décision relatif à une demande en obtention d’une autorisation de séjour en qualité de travailleur salarié et non fondée en ce qu’elle concerne l’ordre de quitter le territoire et ce, par ordonnance du 28 août 2015.
Etant donné qu’aucune disposition légale ne prévoit un recours au fond en la présente matière, seul un recours en annulation a pu être introduit en l’espèce.
2Le recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle du 4 juin 2015 ayant, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.
A l’appui de son recours et en fait, le demandeur expose qu’il aurait conclu en date du 28 mai 2014, alors résident en Belgique, un contrat de travail à durée indéterminée auprès d’un restaurant situé à Eschweiler. Il explique qu’en date du 9 avril 2015, c’est-à-dire à l’époque où il serait « entré sur le territoire luxembourgeois », il aurait procédé aux formalités liées à la déclaration d’arrivée d’un ressortissant de pays tiers pour un séjour jusqu’à trois mois.
En droit, il soutient que le ministre aurait commis une erreur de droit en se basant sur l’article 39, paragraphe 1 de la loi modifiée du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après dénommée « la loi du 29 août 2008 », alors qu’il aurait simplement procédé à la déclaration d’arrivée auprès de l’administration communale, telle qu’elle est prévue par l’article 36 de la loi du 29 août 2008. Il insiste sur le fait que la déclaration d’arrivée aurait été faite en sa qualité de ressortissant de pays tiers ayant eu l’intention de séjourner moins de trois mois sur le territoire luxembourgeois, mais qu’il n’aurait aucunement eu l’intention d’introduire par cette démarche une demande en vue de l’obtention d’une autorisation de séjour pour une durée supérieure à trois mois. Monsieur … ajoute qu’étant donné qu’il aurait séjourné régulièrement sur le territoire luxembourgeois pour une période allant jusqu’à trois mois, à savoir jusqu’au 9 juillet 2015, il lui aurait été possible d’introduire durant ce délai une demande en autorisation de séjour pour une durée supérieure à trois mois, ce qu’il n’aurait cependant pas fait alors que la décision du 4 juin 2015 l’aurait « induit en erreur », de sorte qu’il aurait en conséquence « légitimement cru qu’il lui serait (…) impossible d’émettre une telle demande ».
Le délégué du gouvernement précise que le ministre aurait à bon droit requalifié les démarches de Monsieur … du 9 avril 2015 en demande tendant à la délivrance d’un titre de séjour en qualité de travailleur salarié, alors qu’au moment de la déclaration d’arrivée à l’administration faite le 9 avril 2015, les pièces remises par le demandeur auraient révélé qu’il se trouvait déjà au pays depuis plus de 3 mois, et ce serait, par conséquent, également à bon droit que la demande aurait été déclarée irrecevable, alors qu’en application de l’article 39 de la loi du 29 août 2008, une demande en obtention d’une autorisation de séjour de plus de 3 mois doit être introduite avant l’entrée sur le territoire.
A titre subsidiaire, il fait valoir que la demande ne serait de toute façon pas fondée, alors que « la partie requérante » n’aurait pas fait de déclaration de vacance de poste auprès de l’Agence pour le développement de l’emploi.
A l’audience publique des plaidoiries du 27 janvier 2016, le tribunal a invité le délégué du gouvernement, au regard des conclusions du demandeur reprises ci-avant, à prendre oralement position quant à la question de savoir si la décision viole l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, ci-après désigné par « la PANC ».
Le délégué du gouvernement a estimé que la PANC ne serait pas d’ordre public, sans prendre position sur le fond quant à l’application de l’article 9 de la PANC au cas d’espèce.
3La logique juridique impose que les questions de légalité externe sont à examiner avant celles ayant trait à la légalité interne de la décision attaquée. Il s’ensuit qu’il y a d’abord lieu de prendre position par rapport au moyen tiré d’une violation de l’article 9 de la PANC.
Le tribunal tient à relever que, contrairement à l’argumentation du délégué du gouvernement, le problème de l’ordre public ne se pose pas en l’espèce, alors qu’il résulte en substance du recours du demandeur et notamment du fait qu’il insiste sur l’erreur de droit commise par le ministre en statuant sur une demande qu’il n’a pas introduite, qu’il a implicitement, mais nécessairement soulevé une violation de l’article 9 de la PANC, et ce, d’autant plus que la décision litigieuse est intervenue sur base d’une déclaration d’arrivée introduite par lui, en vue d’un droit de séjour sur le territoire national pour une durée de 3 mois, et ce, en application de l’article 36 de la loi du 29 août 2008, qui lui aurait ainsi été retiré.
Aux termes de l’article 9 de la PANC, « Sauf s’il y a péril en la demeure, l’autorité qui se propose de révoquer ou de modifier d’office pour l’avenir une décision ayant créé ou reconnu des droits à une partie, ou qui se propose de prendre une décision en dehors d’une initiative de la partie concernée, doit informer de son intention la partie concernée en lui communiquant les éléments de fait et de droit qui l’amènent à agir.
Cette communication se fait par lettre recommandée. Un délai d'au moins huit jours doit être accordé à la partie concernée pour présenter ses observations.
Lorsque la partie concernée le demande endéans le délai imparti, elle doit être entendue en personne. (…) ».
Le tribunal tient à préciser que lors de la procédure conduisant à une décision administrative individuelle, l'autorité administrative doit assurer la protection juridique de l'administré concerné, en lui donnant la possibilité d'intervenir dans l'élaboration de cette décision, ou, à tout le moins, d'en être informé. Le respect de cette règle s'impose à plus forte raison lorsque l'administration intervient d'office, sans qu'une décision n'ait été sollicitée par la personne concernée et que la décision est constitutive d'une sanction à son égard ou qu'elle porte gravement atteinte à sa situation individuelle.1 Par ailleurs, l'obligation d'informer au préalable l'administré, ancrée à l'article 9 de la PANC, comporte au-delà de la communication des éléments de fait et de droit qui amènent l'autorité administrative à agir, également l'obligation de lui indiquer le sens et la nature de la décision à laquelle elle entend aboutir, ainsi que celle de l'inviter à présenter sa défense, c'est -à-
dire ses observations et arguments à l'encontre des moyens avancés.2 L'inobservation desdites règles entraîne l'illégalité de l'acte administratif intervenu à son mépris.3 1 trib. adm. 6 février 2002, n° 13993 du rôle, Pas. adm. 2015, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 100, et autres références y citées 2 trib. adm. 20 septembre 2001, n° 11301a du rôle, Pas. adm. 2015, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 163 3 trib. adm. 13 décembre 2006, n°21616 du rôle, Pas. adm. 2015, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 166 4En l'espèce, il est constant que le ministre a prononcé à l'égard de Monsieur … un refus d'une autorisation de séjour et un ordre de quitter le territoire. Force est de constater qu’à défaut d’une demande expresse y relative, cette décision s'analyse en une décision intervenue en dehors de l'initiative de la partie concernée qui avait fait uniquement une déclaration d’arrivée auprès de l’administration communale de Wiltz.
C'est dès lors à juste titre que la partie demanderesse a relevé que le ministre aurait dû observer les prescriptions procédurales de l'article 9 de la PANC en l'informant au préalable de son intention en lui communiquant les éléments de fait et de droit qui l'amènent à agir.
En l'espèce, il n'est pas contesté que ces formalités de procédure n'ont pas été accomplies, de sorte que les règles de la procédure administrative non contentieuse consacrant légalement le principe du respect des droits de la défense et du contradictoire à l'égard de l'administré, n'ont pas été respectées.
Il résulte des considérations qui précèdent qu'il y a lieu d'annuler la décision déférée du 4 juin 2015 y compris l’ordre de quitter le territoire, pour violation de l'article 9 de la PANC, et ce, sans qu'il n'y ait lieu de statuer sur les autres moyens invoqués par le demandeur.
Le demandeur s’est encore réservé le droit de solliciter une indemnité de procédure sur base de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, sans pour autant spécifier plus amplement cette demande. Au vu du fait qu’une telle demande n’est pas expressément formulée et spécifiée, il n’y a pas lieu de statuer sur cette demande.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond, le dit justifié, partant annule la décision ministérielle du 4 juin 2015 ;
condamne l’Etat aux frais.
Ainsi jugé par :
Carlo Schockweiler, premier vice-président, Olivier Poos, juge, Anne Foehr, attaché de justice délégué, et lu à l’audience publique du 15 juin 2016 par le premier vice-président, en présence du greffier Marc Warken.
s. Marc Warken s. Carlo Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 15/06/2016 Le Greffier du Tribunal administratif 5