Tribunal administratif N° 36140 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 avril 2015 Ire chambre Audience publique du 15 juin 2016 Recours formé par Monsieur …et consorts, …, contre trois décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 36140 du rôle et déposée le 13 avril 2015 au greffe du tribunal administratif par Maître Martine Krieps, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Roumanie), et de son épouse, Madame …, née le … à … (Roumanie), agissant tant en leur nom personnel qu’au nom et pour le compte de leurs enfants mineurs …, née le … à … (Autriche), … et …, tous deux nés le …à … (Espagne) et …, née le … à …, tous de nationalité roumaine, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation de deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 9 décembre 2014 portant retrait de leur droit de séjour sur le territoire luxembourgeois et leur ordonnant de quitter le territoire luxembourgeois dans un délai d’un mois, ainsi que de la décision du 12 janvier 2015 intervenue après recours gracieux ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 13 juillet 2015 ;
Vu le mémoire en réplique déposé en date du 13 août 2015 au greffe du tribunal administratif par Maître Martine Krieps au nom et pour le compte de ses mandants ;
Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 14 septembre 2015 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Martine Krieps et Monsieur le délégué du gouvernement Yves Huberty en leurs plaidoiries respectives.
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Le 13 février 2013, Monsieur …signa un engagement de prise en charge en faveur de Monsieur …réceptionné par le ministère des Affaires étrangères en date du 15 février 2013 et signé pour accord par le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en date du 6 mars 2013.
En date du 1er mars 2013, Monsieur …introduisit une déclaration d’enregistrement d’un citoyen de l’Union européenne en qualité d’inactif auprès de l’administration communale de la 1Ville de Luxembourg, tandis que son épouse et ses enfants introduisirent respectivement une déclaration d’enregistrement en qualité de membres de famille en date du 4 mars 2013, respectivement le 4 avril 2013.
Par courrier du 7 mars 2013, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration informa Monsieur …du fait que Monsieur …devrait se présenter auprès de l’administration communale de son lieu de résidence, « afin de procéder à une déclaration d’enregistrement d’un citoyen de l’Union [européenne] en qualité « d’inactif » », conformément à l’article 8 de la loi modifiée du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après dénommée « la loi du 29 août 2008 ».
Par courrier du 7 août 2014, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, entretemps en charge du dossier, ci-après désigné par « le ministre », informa Monsieur …qu’il envisageait de révoquer son droit de séjour en application des articles 24 (2) et 25 (1) de la loi du 29 août 2008, aux motifs qu’il ne remplissait pas les conditions prévues par l’article 6 de la loi du 29 août 2008 et qu’il pouvait être considéré comme étant une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale aux termes de l’article 24 (4) de la même loi, et il invita Monsieur …à présenter ses observations y relativement, ledit courrier étant libellé comme suit :
« Par la présente, je me permets de revenir au dossier sous rubrique.
Je constate que l’attestation d’enregistrement d’un citoyen de l’Union n° 0001 13 01392 vous a été délivrée en date du 1er mars 2013 en tant qu’inactif par l’administration communale de la Ville de Luxembourg.
Or, la prise en charge signée en votre faveur le 13 février 2013 n’est plus d’actualité alors que vous avez travaillé entre le 26 août 2013 et le 25 septembre 2013.
Une vérification a cependant donné que vous ne remplissez actuellement plus aucune condition prévue par l‘article 6, de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration.
En outre, vous êtes bénéficiaire du revenu minimum garanti depuis le 1er septembre 2013, de sorte que vous pouvez être considéré comme étant une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale aux termes de l’article 24, paragraphe (4) de la même loi. Ainsi, vous avez perçu jusqu’ici des prestations sociales non contributives de la part du Fonds national de solidarité à hauteur de 31.431,83 euros.
Par voie de conséquence, j’envisage dès lors de révoquer votre droit de séjour conformément aux articles 24, paragraphe (2) et 25, paragraphe (1) de la même loi.
Conformément à l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, je vous saurais gré dès lors de me communiquer vos observations et toutes pièces à l’appui jugées utiles endéans un délai d’un mois après la notification de la présente.
2Au cas où vous ne présenteriez pas d’observations dans le délai indiqué ou bien des observations estimées non pertinentes, je me verrai obligé de procéder au retrait de votre droit de séjour sans autre formalité. (…). » Un courrier d’une teneur quasiment identique fut adressé le 7 avril 2014 à Madame ……et aux enfants en leur qualité de membres de la famille de Monsieur ….
Monsieur …prit position par courrier du 29 août 2014, courrier dans lequel il affirma que sa situation en tant que demandeur d’emploi aurait vocation à changer au vu d’une lettre d’assignation reçue de la part de l’Agence pour le développement de l’Emploi, ci-après dénommée « l’ADEM » et de son inscription à un programme de formation.
Par courrier du 19 septembre 2014, le ministre informa la famille …qu’il serait disposé à suspendre la procédure du retrait du droit de séjour jusqu’au mois de décembre 2014.
En date du 12 novembre 2014, l’ADEM informa le ministre que Monsieur …était inscrit dans les fichiers de l’ADEM du 4 mars 2013 jusqu’au 31 octobre 2014.
En date du 9 décembre 2014, le ministre prit la décision de retrait annoncée, libellée comme suit :
« Par la présente, je me permets de revenir au dossier sous rubrique et de vous informer comme suit.
Il découle du dossier que je vous ai informé par courrier du 7 août 2014 de mon intention de révoquer votre droit de séjour, alors qu’en ce moment-là vous n’avez plus rempli les conditions prévues par l’article 6, de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration.
En date du 19 septembre 2014 un suspens de la procédure du retrait du droit de séjour jusqu’au mois de décembre vous fût accordé suite à votre courrier du 29 août 2014.
Or, après réexamen de votre dossier, je constate que votre situation reste inchangée et vous ne remplissez toujours pas les conditions prévues par l’article 6, de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration.
Finalement, vous êtes bénéficiaire du revenu minimum garanti depuis le 1er septembre 2013, de sorte que vous représentez une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale aux termes de l’article 24, paragraphe (4) de la même loi. Ainsi, vous avez perçu des prestations sociales non contributives de la part du Fonds national de solidarité à hauteur de 44.188,78 euros.
Conformément aux articles 24, paragraphe (2) et 25, paragraphe (1) de la même loi votre droit de séjour est retiré et vous êtes obligé de quitter le territoire dans un délai d’un mois vers le pays dont vous avez la nationalité, la Roumanie, ou vers tout autre pays où vous avez le droit à la libre circulation (…) ».
3 Le même courrier fut adressé à Madame ……et aux enfants en leur qualité de membres de la famille de Monsieur ….
Le 24 décembre 2014, Monsieur …introduisit un recours gracieux contre la décision ministérielle précitée, recours qui fut rejeté en date du 12 janvier 2015 à défaut d’éléments pertinents nouveaux.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 13 avril 2015, Monsieur …et son épouse, Madame …, agissant en leur nom personnel ainsi qu’au nom et pour le compte de leurs enfants mineurs …, …, … et …, ci-après désignés par « les consorts …», ont introduit principalement un recours en réformation et subsidiairement un recours en annulation contre les décisions ministérielles du 9 décembre 2014 confirmées suite à un recours gracieux par la décision précitée du 12 janvier 2015.
Dans la mesure où ni la loi du 29 août 2008, ni aucune autre disposition légale n’instaure un recours au fond en matière de retrait du droit de séjour, seul un recours en annulation a pu être introduit contre les décisions sous examen.
Le tribunal est dès lors incompétent pour connaître du recours principal en réformation.
Le recours subsidiaire en annulation, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.
A l’appui de leur recours et en fait, les demandeurs exposent qu’ils auraient vécu et travaillé en Espagne pendant 7 années, mais que Monsieur …aurait perdu son travail pour des raisons économiques, ce qui les aurait amenés à s’installer de fait au Luxembourg fin octobre 2011 en vue de rechercher un travail. Ils exposent que les autorités espagnoles auraient été d’accord à ce que l’allocation de chômage soit exportée vers le Luxembourg, ce qui leur aurait permis de faire preuve de ressources suffisantes afin de prétendre à un droit de séjour de plus de trois mois. Les demandeurs déclarent qu’en novembre 2012, ils auraient décidé de s’installer définitivement au Luxembourg, tout en comptant pouvoir importer les allocations de chômage en provenance de l’Espagne, mais l’ADEM aurait toujours refusé de délivrer les documents nécessaires pour l’exportation de l’allocation de chômage vers le Luxembourg, de sorte que l’allocation de chômage n’aurait jamais été payée après leur installation au Luxembourg. En février 2013, Monsieur …aurait établi une prise en charge et du 26 août 2013 au 25 septembre 2013, Monsieur …aurait travaillé sous un contrat à durée déterminée. Ils exposent qu’ils auraient subvenu seuls à leurs besoins depuis leur arrivée jusqu’en juillet 2014 avant de bénéficier, depuis le mois d’août 2014, du revenu minimal garanti, ci-après dénommé « le RMG » versé par le Fonds national de solidarité avec effet au mois de septembre 2013.
En droit, les demandeurs reprochent à la décision du 12 janvier 2015 d’être insuffisamment motivée, en ce que le ministre se bornerait à constater qu’il n’existerait pas d’éléments pertinents nouveaux sans motiver pourquoi les documents et éléments nouveaux soumis par eux à l’appui de leur recours gracieux seraient sans pertinence. Ils déclarent avoir versé les bilans scolaires des enfants, les candidatures envoyées par Monsieur …, le courrier de 4l’ambassade d’Espagne invitant Monsieur …à s’adresser à l’ADEM afin de demander l’allocation de chômage espagnole, ainsi que le refus de l’ADEM et tous les extraits de compte depuis leur arrivée au Luxembourg et soutiennent qu’il aurait appartenu au ministre de prendre position par rapport à ces éléments, ainsi que par rapport aux arguments supplémentaires qu’ils avaient invoqué dans le cadre de leur recours gracieux.
En ordre subsidiaire, toujours au titre du moyen relatif au défaut de motivation, les demandeurs font valoir que le ministre se serait basé sur des faits erronés, étant donné qu’il ne ressortirait d’aucune pièce du dossier administratif qu’ils auraient touché des prestations sociales de la part du Fonds national de solidarité d’un montant de 44.188,78 euros, mais qu’ils auraient perçu le montant de 42.660,38 euros.
Les demandeurs reprochent ensuite au ministre d’avoir violé la loi en n’ayant pas motivé sa décision conformément à l’article 24 (4) de la loi du 29 août 2008, alors que cet article imposerait d’évaluer concrètement la charge éventuelle pour le système d’assistance sociale en prenant notamment en compte le montant et la durée des prestations sociales non contributives accordées, ainsi que la durée de séjour. Cette obligation ressortirait également du 16ème considérant de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres, ci-après dénommée « la directive 2004/38/CE ». Ils font valoir à ce titre qu’ils n’auraient bénéficié du RMG sur une durée totale de séjour de 36, respectivement 32 mois, que pendant 5 mois et que leurs enfants seraient bien intégrés dans la société luxembourgeoise.
En ordre subsidiaire, les consorts …affirment qu’il y aurait encore lieu de constater une violation de la loi du fait que la décision du 12 janvier 2015 ne mettrait pas « en balance la contribution des requérants à la société luxembourgeoise avec les aides reçues » et soulignent qu’ils n’auraient certes pas touché des pensions et salaires importants, mais auraient toujours été affiliés à la sécurité sociale, de sorte à avoir effectué leur contribution au système de l’assistance sociale. Ils insistent que le ministre aurait dû prendre en considération leur contribution globale à la société luxembourgeoise en expliquant qu’ils auraient, avant de devoir solliciter les prestations du RMG, dépensé un montant de 51.279,53 euros de ressources propres, montant qui contrebalancerait « de manière considérable le montant des prestations touchées de la part de l’assistance sociale », de sorte qu’ils ne seraient pas à considérer comme étant une charge déraisonnable pour le système de l’assistance sociale.
Les consorts …invoquent finalement un excès de pouvoir, en ce que la décision aurait été prise en violation du principe de proportionnalité. Ils soulignent dans ce contexte qu’ils auraient séjourné au Luxembourg pendant 35, voire 31 mois, sans toucher la moindre allocation de la part du Fonds national de solidarité en n’utilisant que leurs ressources propres et en contribuant à la sécurité sociale par une assurance volontaire. Ils expliquent que Monsieur …aurait suivi une formation au cours des mois de septembre et octobre 2014 et qu’il aurait continué à chercher un emploi par la suite. Ils reprochent au ministre de ne pas leur avoir laissé suffisamment de temps pour permettre de régulariser la situation professionnelle de Monsieur …, ce qui aurait permis de rembourser le Fonds national de solidarité des allocations perçues.
5Le délégué du gouvernement expose que suivant le courrier de l’ADEM du 12 novembre 2014, Monsieur …ne se serait plus présenté aux rendez-vous fixés, ce qui aurait conduit à sa désinscription auprès dudit organisme. Il conclut par ailleurs au rejet du recours.
C’est d’abord à bon droit que le délégué du gouvernement conclut au rejet du moyen relatif au défaut de motivation de la décision du 12 janvier 2015.
En effet, une décision de refus, de même que celle intervenant sur recours gracieux, doit formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et des circonstances de fait à sa base. S’il est admis qu’en cas de décision prise sur recours gracieux, la motivation peut consister dans le renvoi à la décision antérieure dûment motivée, il reste que celle-ci doit alors préciser les éléments de fait constitutifs de la notion juridique applicable, ces derniers devant être spécifiques à la cause en question et ne pas se limiter à des considérations d’ordre général1.
En l’espèce, il ressort de la décision du 12 janvier 2015 que le ministre a procédé à un réexamen du dossier, mais a estimé que les éléments nouveaux ne sont pas pertinents et a ensuite valablement pu se référer aux décisions du 9 décembre 2014 contre lesquelles le recours gracieux a été introduit devant lui. Par ailleurs, les décisions du 9 décembre 2014 par rapport auxquelles les demandeurs ont amplement pu prendre position par le courrier du 24 décembre 2014 font ressortir que les demandeurs avaient une connaissance détaillée et circonstanciée des motifs en droit et en fait sur lesquels l’administration s’est basée pour justifier ses décisions, ces motifs ayant ainsi été portés à suffisance de droit à leur connaissance2.
L’article 109 de la loi du 29 août 2008 dispose que les décisions de refus visées notamment à l’article 25 de la même loi sont prises par le ministre et dûment motivées. Il convient encore de rappeler qu’aux termes de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l'Etat et des communes, la motivation expresse d’une décision administrative, notamment dans le cas, applicable en l’espèce, d’une décision portant révocation d’une autorisation, peut se limiter à un énoncé sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et des circonstances de fait à sa base et il suffit, pour qu’un tel acte soit valable, que les motifs aient existé au moment de la prise de décision, quitte à ce que l’administration concernée les fournisse a posteriori sur demande de l’administré, le cas échéant au cours de la procédure contentieuse. S’y ajoute que même en admettant le bien-fondé du reproche, le défaut d’indication des motifs ne constitue pas une cause d’annulation de la décision ministérielle prise, pareille omission d’indiquer les motifs dans le corps même de la décision prise par l’autorité administrative entraînant uniquement que les délais impartis pour l’introduction des recours ne commencent pas à courir.
En l’espèce, force est de constater que si la motivation des décisions déférées est certes sommaire, il n’en demeure pas moins que ces décisions, ensemble les explications complémentaires fournies en cours d’instance contentieuse par le délégué du gouvernement indiquent à suffisance de droit les motifs en droit et en fait sur lesquels le ministre s’est basé pour 1 trib. adm. 7 juin 2007, n° 22096 du rôle, Pas. adm. 2015, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 58 2 trib. adm. 13 novembre 1997, n° 10268 du rôle, Pas. adm. 2015, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 55 et autres références y citées 6prendre sa décision, et ont ainsi permis aux demandeurs d’assurer la défense de leurs intérêts en connaissance de cause, c’est-à-dire sans qu’ils aient pu se méprendre sur la portée du refus ministériel.
Il s’ensuit que le moyen afférent est partant à écarter pour ne pas être fondé.
S’agissant du moyen relatif à un défaut de motivation par rapport à la prétendue différence du montant perçu à titre de RMG, le tribunal constate, à l’instar du délégué du gouvernement, que cette différence n’est pas de nature à changer le fait que les demandeurs sont bénéficiaires du RMG et sont a priori à considérer comme une charge pour le système d’assistance sociale, de sorte que ce moyen est à rejeter.
Quant au moyen relatif à une violation de l’article 24 (4) de la loi du 29 août 2008, force est au tribunal de relever que le moyen des demandeurs est à comprendre comme ayant trait, d’un côté, à un défaut d’indication de motifs de la décision au regard des exigences de cet article, et, d’un autre côté, à une erreur manifeste d’appréciation.
S’agissant du volet relatif à une violation de l’article 24 (4) de la loi du 29 août 2008 en ce que les trois décisions litigieuses ne seraient pas suffisamment motivées au motif que le ministre n’aurait pas pris en compte les critères prévus par la loi, à savoir la durée du séjour, la situation personnelle des demandeurs et le montant de l’aide accordée, il y a lieu de rappeler que le droit de séjour des citoyens de l’Union européenne constitue l’exercice de leur droit fondamental de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres découlant directement du traité instituant la Communauté européenne. L’exercice de ce droit est toutefois subordonné à des limitations et restrictions fixées par ledit traité et des mesures adoptées en vue de leur application. Plus particulièrement, quant aux restrictions au droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres, les considérations préliminaires à la directive 2004/38/CE retiennent qu’« Il convient cependant d'éviter que les personnes exerçant leur droit de séjour ne deviennent une charge déraisonnable pour le système d'assistance sociale de l'État membre d'accueil pendant une première période de séjour. L'exercice du droit de séjour des citoyens de l'Union et des membres de leur famille, pour des périodes supérieures à trois mois, devrait, dès lors, rester soumis à certaines conditions. »3.
La directive 2004/38/CE a été transposée en droit national par la loi du 29 août 2008, qui dispose en son article 6 en ce qui concerne le droit de séjour d’une durée supérieure à trois mois des ressortissants de l’Union européenne que « (1) Le citoyen de l’Union a le droit de séjourner sur le territoire pour une durée de plus de trois mois s’il satisfait à l’une des conditions suivantes :
1. il exerce en tant que travailleur une activité salariée ou une activité indépendante ;
2. il dispose pour lui et pour les membres de sa famille tels que visés à l’article 12, de ressources suffisantes afin de ne pas devenir une charge pour le système d’assistance sociale, ainsi que d’une assurance maladie 3 Considérant n°10 de la directive 2004/38 CE 73. il est inscrit dans un établissement d’enseignement public ou privé agréé au Grand-
Duché de Luxembourg conformément aux dispositions législatives et réglementaires en vigueur, pour y suivre à titre principal des études ou, dans ce cadre, une formation professionnelle, tout en garantissant disposer de ressources suffisantes pour lui-même et pour les membres de sa famille afin d’éviter de devenir une charge pour le système d’assistance sociale et d’une assurance maladie (…) ».
Aux termes de l’article 24 de la loi du 29 août 2008 : « (1) Le citoyen de l’Union et les membres de sa famille ont un droit de séjour tel que prévu aux articles 5 et 13 tant qu’ils ne deviennent pas une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale.
(2) Ils ont un droit de séjour d’une durée supérieure à trois mois tant qu’ils remplissent les conditions prévues aux articles 6, paragraphe (1) et 7 ou aux articles 14 et 16 à 18.
(3) Le recours au système d’assistance sociale pour un citoyen de l’Union ou un membre de sa famille n’entraîne pas automatiquement une mesure d’éloignement du territoire.
(4) La charge pour le système d’assistance sociale est évaluée en prenant notamment en compte le montant et la durée des prestations sociales non contributives qui ont été accordées, ainsi que la durée du séjour ».
L’article 25 (1) de la même loi prévoit qu’ « En cas de non-respect des conditions visées à l’article 24, paragraphes (1) et (2) ou en cas d’abus de droit ou de fraude, le citoyen de l’Union et les membres de sa famille peuvent faire l’objet d’une décision de refus de séjour, d’un refus de délivrance ou de renouvellement d’une carte de séjour ou d’un retrait de celle-ci et, le cas échéant d’une décision d’éloignement ».
Il suit des considérations qui précèdent que tout ressortissant de l’Union européenne bénéficie en principe d’un droit de séjour d’une durée supérieure à trois mois dans les autres Etats membres de l’Union européenne, sous réserve toutefois de remplir certaines conditions, énumérées en droit luxembourgeois notamment par l’article 6 de la loi du 29 août 2008, portant transposition de la directive 2004/38/CE. Dès lors, un ressortissant de l’Union européenne ne remplissant pas, respectivement plus, les conditions énumérées à l’article 6 de la loi du 29 août 2008, peut valablement se voir refuser, respectivement, retirer son droit de séjour, sans que pour autant son droit fondamental de circuler et de séjourner librement sur le territoire de l’Union européenne ne soit violé.
En ce qui concerne tout d’abord les développements des demandeurs relatifs à l’arrêt de la Cour administrative de Luxembourg du 4 juin 2013, n° 32144C du rôle, en ce qu’ils soulignent encore un défaut de motivation des décisions déférées par rapport à un caractère déraisonnable de la charge qu’ils représenteraient le cas échéant vis-à-vis des finances publiques luxembourgeoises, ceux-ci sont encore à écarter pour ne pas être pertinents. En effet, dans cet arrêt, la question qui se posait était celle de la qualification d’un étranger en tant que travailleur salarié au vu de l’existence dans le chef d’un étranger de 65 ans de 3 contrats de travail relatant une durée à chaque fois de 4 heures de travail par semaine, la Cour administrative ayant estimé qu’au-delà de ces 3 fois 4 heures officiellement déclarées et rémunérées auprès de trois 8employeurs, il était vraisemblable que l’étranger ait encore travaillé de manière non officielle pour ces employeurs, de sorte à permettre d’énerver la qualification de « purement marginales et accessoires » dans le chef des activités mises en avant par l’étranger aux dates respectives de prise des décisions ministérielles critiquées.
Or, en l’espèce, la question n’est pas de quantifier les activités officielles ou inofficielles d’un travailleur, alors qu’il est constant en cause que le demandeur, n’ayant travaillé que pendant un mois depuis son arrivée au Luxembourg, n’avait plus d’activité salariée - ni officiellement ni clandestinement – depuis le 25 septembre 2013, soit depuis plus d’un an avant la prise des décisions litigieuses. En effet, Monsieur …ne saurait être considéré comme travailleur salarié qui se définit en effet conformément à l’article 6 (1), point 1, de la loi du 29 août 2008 par le fait que l’étranger concerné « exerce en tant que travailleur une activité salariée », tandis que l’article 3 de la loi du 29 août 2008 définit le travailleur sous son point d) comme étant « toute personne exerçant des activités salariées ou indépendantes réelles et effectives, à l’exclusion d’activités tellement réduites qu’elles se présentent comme purement marginales et accessoires, sont assimilés aux travailleurs, pour l’application de la présente loi, les apprentis et les stagiaires rémunérés », l’activité salariée étant encore définie sous le point e) du même article comme étant « toute activité économique rémunérée exercée pour le compte d’une autre personne et sous la direction de celle-ci », de sorte à exiger un exercice effectif d’une activité salariée dans le cadre d’un contrat de travail. Si la loi du 29 août 2008 prévoit certes, notamment en son article 7, différents cas de figure dans lesquels un citoyen de l’Union peut conserver la qualité de travailleur après avoir exercé une activité salariée ou indépendante sur le territoire, force est toutefois de constater que le demandeur ne prétend pas au bénéfice d’une telle exception. Or, il n’appartient pas au tribunal de suppléer à la carence des parties demanderesses et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de ses conclusions.
Il s’ensuit que le moyen d’annulation tiré d’un défaut d’indication de motifs tiré plus spécifiquement de l’article 24 (4) de la loi du 29 août 2008 est à rejeter comme non fondé.
S’agissant du volet du moyen ayant trait à une erreur manifeste d’appréciation, force est au tribunal de rappeler que l’octroi et le maintien du droit de séjour du citoyen de l’Union européenne, désireux de séjourner sur le territoire luxembourgeois pendant une durée de plus de trois mois, sont conditionnés de manière générale par l’existence de ressources, soit à travers l’exercice d’une activité salariée ou indépendante, soit par l’existence de ressources suffisantes à défaut d’activité rémunérée. Plus particulièrement, en ce qui concerne le citoyen de l’Union européenne n’exerçant pas d’activité salariée ou d’indépendant, les ressources requises doivent être suffisantes afin que le citoyen de l’Union européenne ne devienne pas une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale. Par application de l’article 25, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008, en cas de non-respect des conditions visées aux paragraphes (1) et (2) de l’article 24, précité, le citoyen de l’Union européenne peut faire l’objet d’une décision de retrait de la carte de séjour. S’il est vrai qu’au vœu du paragraphe (3) de l’article 24, le recours par un citoyen de l’Union au système d'assistance sociale n’entraîne pas automatiquement une mesure d’éloignement du territoire, l’évaluation de la question de savoir si l’intéressé est devenu une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale est faite conformément aux termes de l’article 24, paragraphe (4), précité, en prenant notamment en compte le montant et la durée des prestations sociales non contributives qui ont été accordées, ainsi que la durée du séjour.
9Or, il ressort des éléments d’appréciation soumis au tribunal que les demandeurs ont déclaré être arrivés au Luxembourg en octobre 2011, qu’ils n’ont toutefois fait la déclaration d’enregistrement d’un citoyen de l’Union comme inactif, respectivement de membre de la famille d’un citoyen européen qu’en date 1er mars 2013, 4 mars 2013, respectivement 4 avril 2013, que Monsieur …a travaillé du 26 août 2013 au 25 septembre 2013 et qu’ils ont bénéficié du RMG à partir de septembre 2013 jusqu’à décembre 2014, quitte à ce que le premier versement d’un montant de 25.232,23 euros n’a été effectué qu’en juillet 2014, en touchant, d’après le montant inscrit à la fiche officiel du Fonds national de solidarité, une somme totale de 44.188,78 euros, de sorte qu’à partir de la mise en balance de la durée de séjour des demandeurs au Luxembourg par rapport à la durée et le montant des prestations sociales non contributives, le ministre a valablement pu estimer que les demandeurs constituaient une charge déraisonnable pour le système d'assistance sociale et sans que les arguments développés par les demandeurs ayant trait à l’investissement de leurs fonds propres dans l’économie luxembourgeoise, dont une grande partie a par ailleurs été dépensée dans les pays limitrophes, aux efforts du demandeur de chercher un emploi, au niveau d’intégration de la famille au Luxembourg et aux bonnes notes des enfants dans leurs écoles respectives, puissent venir énerver ce constat.
Partant, le moyen tiré d’une erreur manifeste d’appréciation dans le chef du ministre est à rejeter pour ne pas être fondé.
En ce qui concerne la violation alléguée du principe de proportionnalité, le tribunal est amené à relever que, saisi d’un recours en annulation, le juge administratif est appelé à vérifier, d’un côté, si, au niveau de la décision administrative querellée, les éléments de droit pertinents ont été appliqués et, d’un autre côté, si la matérialité des faits sur lesquels l’autorité de décision s’est basée est établie. Au niveau de l’application du droit aux éléments de fait, le juge de l’annulation vérifie encore s’il n’en est résulté aucune erreur d’appréciation se résolvant en dépassement de la marge d’appréciation de l’auteur de la décision querellée. Le contrôle de légalité à exercer par le juge de l’annulation n’est pas incompatible avec le pouvoir d’appréciation de l’auteur de la décision qui dispose d’une marge d’appréciation. Ce n’est que si cette marge a été dépassée que la décision prise encourt l’annulation pour erreur d’appréciation.
Ce dépassement peut notamment consister dans une disproportion dans l’application de la règle de droit aux éléments de fait. Le contrôle de légalité du juge de l’annulation s’analyse alors en contrôle de proportionnalité.4 En l’espèce, il est constant en cause, d’une part, que le ministre avait une première fois envisagé de révoquer le droit de séjour des consorts …tel qu’indiqué dans ses courriers du 7 août 2014. Suite au courrier du demandeur du 29 août 2014, le ministre compétent a néanmoins d’abord suspendu la procédure de retrait du droit de séjour en prenant en compte le fait que Monsieur …participerait à un programme de formation. Monsieur …n’ayant toujours pas trouvé de travail, et averti par l’ADEM qu’il ne se serait plus présenté aux rendez-vous après la fin de la formation, le ministre a ensuite pris les décisions de retrait du 9 décembre 2014 en indiquant qu’au vu des prestations sociales perçues par le Fonds national de solidarité à hauteur de 44.188,78 euros, la famille …serait à considérer comme une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale, et suite à la communication de pièces supplémentaires, il a pris à 4 Cour adm., 9 décembre 2010, n° 27018C du rôle, Pas. adm. 2015, V° Recours en annulation, n° 41 et les autres références y citées.
10nouveau une décision en date du 12 janvier 2015, tout en indiquant qu’« après réexamen du dossier » et en l’absence d’éléments pertinents nouveaux, il maintenait ses décisions du 9 décembre 2014. Dans ces circonstances, il ne saurait être reproché au ministre de ne pas avoir tenu compte de la situation concrète et évolutive des demandeurs. Dans la mesure où il ressort des développements qui précèdent qu’au jour de la prise des décisions litigieuses, les demandeurs ne remplissaient pas les conditions objectives auxquelles l’article 6 de la loi du 29 août 2008 soumet le droit pour un citoyen de l’Union européenne de séjourner sur le territoire luxembourgeois pour une durée supérieure à trois mois, le tribunal est amené à retenir que le ministre a pu retirer le droit de séjour du demandeur sans violer le principe de proportionnalité.
La même solution est à retenir en ce qui concerne le retrait du droit de séjour de la demanderesse et des enfants mineurs en leur qualité de membre de famille d’un citoyen de l’Union européenne.
Au vu de tout ce qui précède, le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation ;
reçoit le recours subsidiaire en annulation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
condamne les demandeurs aux frais.
Ainsi jugé par :
Carlo Schockweiler, premier vice-président, Michèle Stoffel, juge, Anne Foehr, attaché de justice délégué, et lu à l’audience publique du 15 juin 2016 par le premier vice-président, en présence du greffier Marc Warken.
s.Marc Warken s.Carlo Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 15/06/2016 Le Greffier du Tribunal administratif 11